Rachid Raha, président de l’AMA: « En 43 ans de lutte, l’amazighité a réalisé de nombreux acquis mais ça demeure insuffisant »
43 ans se sont écoulés sur cette révolte berbère née dans l’université de Tizi-Ouzou, capitale de la Kabylie, à la suite de l’interdiction de la tenue d’une conférence que devait animer Mouloud Mammeri, écrivain algérien
Pendant plusieurs jours toutes les villes et tous les villages de la Kabylie étaient en ébullition. Le volcan berbère déverse ses laves jusqu’à Alger en révélant au monde une cause, jusqu’ici tabou, qui a pour nom « Tamazight » ou « l’amazighité » plus connue sous l’appellation française « berbère ». Ni les arrestations de dizaines de manifestants ni la répression qui s’est abattue sur toute la population kabyle n’ont eu raison de la farouche volonté de jeunes militants avides de renouer avec leur histoire d’hommes libres occultée par l’intrusion d’un panarabisme totalement étranger à l’Algérie et à toute l’Afrique du Nord.
Depuis ce 20 avril 1980, la cause amazighe a été prise à bras le corps par les peuples de cet espace qui s’étend de l’oasis de Siwa en Egypte jusqu’aux îles Canaries en Espagne. Cet espace s’appelait Tamazgha. Le pays des Hommes Libres qui est la traduction exacte de « Amazigh ».
Pour nous parler des acquis de cette lutte et de ses perspectives, nous ne pouvons trouver mieux que Rachid Raha, le président de l’Assemblée Mondiale Amazighe. Cet infatigable militant, âgé de 59 ans, né à Nador dans le rif marocain considéré comme l’un des fiefs de la lutte amazighe, consacre toute sa vie et toute son énergie à cette cause en laquelle il croit profondément. Journaliste, anthropologue et militant politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de publications en langues française, espagnole et amazighe dans lesquelles il expose les fruits de ses recherches et exprime ses réflexions.
Et comme il se trouve derrière chaque grand homme une femme, Rachid Raha s’appuie sur Amina Ibnou Cheikh, son épouse et mère de son fils unique, pour lui apporter conseils et soutien et diriger avec brio l’outil fondamental de son combat, le mensuel « le Monde Amazighe » publié en trois langues, amazigh, arabe et français.
A travers cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Rachid Raha nous fait le point sur les acquis de 43 ans de lutte pour redonner à Tamazight la place qui lui revienne sur ses propres terres.
En célébrant le 43ème anniversaire du printemps berbère, en votre qualité de Président de l’Association Mondiale Amazighe, voulez-vous bien nous dresser, de manière succincte, le bilan de près d’un demi-siècle de lutte pour la réhabilitation de et la promotion de la culture amazighe ?
En effet, depuis le « printemps berbère », - qui a eu lieu le 20 avril 1980 à l’université de Tizi-Ouzou à la suite de l’interdiction de la conférence de feu Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle-, jusqu'à aujourd'hui beaucoup de choses se sont produites, beaucoup d’événements se sont déroulés et de grands changements ont eu lieu. La conscience identitaire, politique ou culturel, du « fait amazigh » s’est propagé de la Kabylie vers les autres régions algériennes, a traversé la mer vers la diaspora amazighe en France, et après en Europe, et elle a surpassé les frontières artificielles des pays d’Afrique du Nord. Avec la chute du mur de Berlin en 1989, les peuples se sont réveillés et libérés des autoritarismes. Les Amazighs ne sont pas restés à l’écart. Il y a eu un grand renouveau culturel par la multiplication de la création de tissu associatif et la mobilisation active de la société civile à travers l’organisation des activités culturelles, artistiques et académiques.
De grands événements ont eu lieu depuis comme la grève des cartables en Kabylie en 1994 et 1995, consistant à boycotter l’école jusqu’à ce que les autorités introduisent l’enseignement de la langue amazighe à l’école publique. Le 1 mai 1994, des militants marocains ont été détenus et emprisonnés pour avoir osé brandir une banderole écrite en tifinagh. Il y a eu ensuite le malheureux « printemps noir » de 2001 où la gendarmerie algérienne avait assassiné impunément 126 jeunes sans que personne ne soit traduit devant les tribunaux ! … Mais l’un des événements les plus marquants du dynamisme amazigh c’est le fait d’arracher la reconnaissance de l’officialité de la langue autochtone amazighe en 2011 au Maroc et en 2016 en Algérie !
Alors que la communauté amazighe algérienne est le déclencheur du réveil amazigh et était à l’avant-garde des revendications culturelles, nous constatons aujourd’hui qu’au Maroc on enregistre d’importants acquis dont le plus récent est la mise en place au parlement marocain de la traduction simultanée de et vers la langue amazighe dans les séances plénière. Croyez-vous qu’en Algérie il y a comme un ralentissement de la lutte ?
Au Maroc, où on a interdit toute formation politique se basant sur l’amazighité (le cas du PDAM qu’avait créé feu maître et ami Ahmed Adghirni), la cause amazighe a bénéficié d’une très grande attention de la part des autorités, même si les gouvernements conservateur du PI et islamistes du PJD ont essayé de mettre des bâtons dans les roues pour bloquer sa promotion, à cause de leur idéologie rétrograde arabo-islamiste, et malgré sa reconnaissance de la part du chef d’Etat, Le Roi Mohamed VI, dans son fameux discours d’Ajdir du 17 octobre 2001.
Aujourd’hui, avec le nouveau gouvernement d’Aziz Akhennouch, qui avait assumé dans la campagne électorale des élections de 8 septembre 2021 de son parti le RNI, les revendications du mouvement amazigh, la cause amazighe est devenue une affaire d’Etat. Son gouvernement a le mérite, pour la première fois de l’histoire politique du Maroc indépendant, de dédier un budget pour la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe au sein de l’administration.
Ainsi, dans les tribunaux et dans les chambres du parlement on compte, désormais, avec des traducteurs en langue autochtone. En revanche, le point faible de ce nouveau gouvernement libéral c’est la sous-estimation de l’importance et de l’urgence de la généralisation de la langue amazighe au préscolaire et au cycle primaire, de la part de l’actuel ministre de l’Education nationale ! Chose que nous venons de dénoncer récemment à la Banque Mondiale.
Si, aujourd’hui, au Maroc, la question amazighe n’est plus un tabou, comme elle l’était durant les années soixante-dix et quatre-vingt (où on avait assassiné le linguiste Boujemaâ El Habbaz pour la simple raison de faire une thèse sur sa langue maternelle, ou on a emprisonné l’historien Ali Asadqi Azayku en 1981 pour avoir osé demander de revoir l’histoire officielle !), en Algérie, malheureusement, la situation s’est beaucoup détériorée. Et cette malheureuse rétrogradation est devenue de plus en plus agressive depuis l’apparition du mouvement des « Aarouchs » en 2001 et du « Hirak d’Algérie » de février 2019 où les autorités commençaient à interdire les drapeaux amazighs. Avec le gouvernement illégitime et anti-démocratique de Abdelmajid Tebbounne et du général Said Chengriha, la répression a pris des proportions inédites, incompréhensibles. La police et les juges à la solde de la junte militaire ne cessent d’emprisonner des centaines de militants Amazighs, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes. S’ajoutent la persécution et les accusations infondées des mouvements d’essence pacifiste classés terroristes, comme c’est le cas du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK)!
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