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Histoire de l'Algérie médiévale - Le 7e siècle apr. J.-C.

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  • Histoire de l'Algérie médiévale - Le 7e siècle apr. J.-C.

    Avènement de l'Islam

    Le Prophète de l'islam décède à Médine en l'an 632. Dès 634, avec l'avènement du 2e calife Omar b. al-Khattāb, l'Etat qu'il avait fondé en Arabie commence à s'étendre vers le N. pour affronter l'Empire des Perses Sassanides en Mésopotamie (Irāq) et l'Empire romain tardif (dit Byzantin) en Syrie. Contre toute attente, les Arabes bousculent les armées perses et romaines et leur enlèvent en quelques années le gros de leurs territoires en Orient.

    S'agissant de l'Algérie, nous sommes concernés uniquement par la partie romano-byzantine de ces événements car c'est de cet empire là que dépendait à cette époque la plus grande partie de notre territoire et l'Afrique du Nord en général.

    Pour l'heure, les Arabes sont encore loins. Le premier lien signalé avec les événements d'Orient se situe vers 634, lorsque l'empereur Héraclius Ier sent que la nouvelle menace arabe commence à peser sur la province d'Egypte, et qu'il ordonne au gouverneur de la province de Numidie, un certain Pierre (Petrus) d'y déplacer ses troupes pour en renforcer la défense, ce que celui-ci se paye le luxe de refuser ! Pendant ce temps, un certain nombre de clercs de Syrie fuient l'invasion et se réfugient à Carthage, amenant avec eux les terribles nouvelles de ce qui se passait en Orient. En cette même année, on rapporte une conversation entre deux juifs de Carthage, où l'un informe l'autre de l'apparition d'un "Prophète parmi les Saracènes" et de leurs étonnante victoire sur les Romains en Syrie. Les Nords Africains ont donc appris assez tôt les nouvelles de ces bouleversements, mais il s'agissait encore pour eux de lointains événements dans de lointaines contrées orientales, et il en restera ainsi pendant les 20 ans à venir.

    A quoi donc pouvait ressembler le Maghreb et l'Algérie dans ces années 630 ?

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    Dernière modification par Harrachi78, 23 septembre 2022, 22h07.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
    L'Afrique Byzantine / années 600-640

    Après l'intermède du royaume vandale (435-533), l'Empire romain avait reconquis ses anciennes provinces africaines en l'an 533, soit exactement un siècle avant l'époque qui nous intéresse.

    En théorie, après avoir chassé les Vandales, on procéda simplement à la restauration des anciennes structures provinciales romaines, ce qui donnait à l'Afrique du Nord cette configuration :


    Il y avait la province de Tripolitaine (1) à l'extrême E., ensuite la Byzacène (2) qui correspond au centre de la Tunisie actuelle, et la Zeugitane (3) qui recouvre le N. de la Tunisie. Le territoire algérien était constitué de deux provinces : Numidia (4) à l'E. avec Cirta Constantina (Constantine) pour centre, et la province de Mauretania I (5) pour le centre et l'O. algériens et qui avait Iul Caesarea (Cherchell) pour capitale. Enfin, au delà du fleuve Mulucha (Moulouya), venait la Maurétanie II (6) qui correspond à peu près au N. du Maroc actuel. A préciser ici que ces dénominations provinciales étaient purement administratives, les éthnonymes ("Numides" ... etc.) historiques dont elles proviennent n'ayant plus aucune consistance depuis 5 ou 6 siècles à ce moment.

    Mais, dans les faits, si la période dite Byzantine est effectivement une simple continuation politique de l'Empire romain, son emprise sur le territoire et la nature même de sa relation avec les groupes Berbères (qu'on appelait Maures dans le langage romain de ce temps) n'était déjà plus comparables avec la haute époque romaine. Ainsi, l'Afrique réellement sous contrôle romano-byzantin dans les années 630 était plus réduites que l'ancienne Africa romana :



    Pour l'Algérie, seule la province de Numidie était réellement reconstituée dans ses anciennes frontières romaines, alors que la Maurétanie I n'était en fait plus que la bande côtière de l'Algérois, le reste du Centre et de l'O. du pays étant hors du contrôle byzantin, et c'était encore plus prononcé pour la Maurétanie II puisqu'il n'en réstait plus que les deux villes du Détroit alors qu'elle recouvrait jadis tout le N. du Maroc.

    Au départ, chaque province était indépendante dans sa gestion, mais vers 590, l'ensemble est mis sous l'autorité d'un Exarque (Exarchus), sorte de vice-roi qui assumait tous les pouvoirs civils et militaires au nom de l'Empereur et à qui rendaient compte les gouverneurs des provinces et commandants d'unités mobiles et des garnisons .

    Ces territoires provinciaux étaient ceux des cités, peuplées de communautés romano-africaines, chrétiennes et de langue et de culture latines, mais aussi dans certaines régions (notamment l'Aurès) par de Maures dis "Barbares de l'intérieur", c'est-à-dire vivant dans leur cadre tribal ancestral et qui, bien qu'en territoire romain, étaient hors du système des cités et de la "romanité". La relation des autorités avec eux était variable, parfois en paix et parfois en guerre. Le mode de vie en vigueur dans ce monde romano-africain était identique au reste de l'Occident latin, et le paysage urbain qu'on pouvait y voir ressemblait à ce qu'on vois ici -par exemple- de la reconstition par les archéologues du quartier chrétien de Hippone (Annaba) à l'époque tardive :




    L'Afrique des Berbères / années 600-640

    Sinon, qu'y avait-il alors dans les territoires en blanc sur la carte en haut ? Et bien, la même chose qu'en territoire romain, mais en sens et en proportions inverses : des groupes tribaux berbères (Maures) parmi lesquels vivotaient ça et là quelques cités romaines qui ont pu survivre sans l'Empire au cours des deux derniers siècles, et qui se sont adaptées et integrées à leur environnement maure. D'ailleurs, au cours de ces deux siècles qui précèdent notre époque, les sources ou l'archéologie suggèrent l'existence de plusieurs entités politiques berbères et romano-berbères dans cet espace :



    On note que la majorité de ces entités se sont constituées sur le territoire algérien : Tlemçanois, Ouarsenis, Hodna, Aurès et Némamchas. Les deux plus notables du lot sont ce qui est appelé "royaume romano-maure d'Altava" (dans la région de Tlemcen), et celui -inconnu- qui a vu la construction des fameux djedār dans la région de Frenda (près de Tiaret).

    Mais, ni les sources ni l'archéologie ne rapporte malheureusement d'informations sur l'histoire interne de ces principautés, leur composition humaine ou leur fonctionnement exact, et on ne sait donc pas quelle fut leur durée, ni si il en subsistait encore en ces années 630, ni dans quelle mesure. On peu juste supposer que ça soit le cas, au moins pour certaines d'entre elles, car la chose n'est logiquement pas impossible en soit. En tout cas, la dernière inscription connue (épitaphe d'un certain Aurelius Mantanus) à Altava est datée de l'an 599, ce qui indique que la cité elle-même subsistait encore à l'époque qui nous intéresse ici, même si on ignore sous quelle forme ou sous quelle autorité politique :



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    Dernière modification par Harrachi78, 21 septembre 2022, 15h41.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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    • #3
      L'Expansion arabe qui se poursuit (633-644)

      L'Exarchat d'Afrique était plutôt prospère à l'époque, et son importance pour l'Empire ne fera que grandir au fur et à mesure qu'il va perdre ses riches provinces orientales : en 636, la victoire de Khālid b. al-Walīd à Ajnādayn (Palestine) accouchera de l'évacuation totale de la Syrie par les Romains. Ensuite, à partir de 640, c'est l'Egypte qui va être conquise par Amr b. al-Āss en à peine deux années. Aussitôt après, il mène des petites campagnes à l'O., annexant la province de Barqa (Cyrénaïque) en Libye orientale, et progressant ainsi jusqu'à la prise de Tripoli en 643. Là, Amr aurait écrit au calife pour savoir si il avait autorisation d'aller plus loin, ce à quoi Omar répondit par la négative, préférant sans doute consolider les conquêtes déjà réalisées avant de songer à en faire plus.

      Amr b. al-Āss va donc installer une garnison à Tripoli et rentrer en Egypte. Mais, il faut noter que cette conquête de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine (en somme la Libye actuelle) sur les Byzantins constituent les tous premiers contactes des Arabes avec des Berbères au Maghreb, notamment la grande confédération que les sources romaines appellent Laguatan et qui seront désormais les Luwāta des sources arabes. Il y eut alors les premières conversations à l'Islam, et les premiers noyaux d'unités auxiliaires berbères dans les armées califales.

      Omar b. al-Khattāb meurt à Médine en 644, et Uthmān b. Affān lui succède. Il hérite d'un Empire déjà énorme et qui avait déjà mis un pied au Maghreb tel qu'on peut le voir sur cette cartographie, mais un Empire qui était encore tout jeune et tout plein d'appétit de conquêtes :


      Donc, en l'espace d'une décennie, la menace arabe était devenue une réalité et une constante génerale de ce temps, elle se rapprochait inexorablement des provinces Africaines et il était en principe clair que nulle contrée du monde connu n'était théoriquement à l'abri. Pourtant, on ne semblait toujours pas en prendre conscience à Carthage, ou en tout cas ne pas faire grand chose pour s'y préparer ...

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      Dernière modification par Harrachi78, 21 septembre 2022, 15h46.
      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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      • #4
        Afrique Byzantine / Situation interne en 630-647

        En 634, au moment où commençait le mouvement des conquêtes musulmanes, l'Empereur en titre était Héraclius Ier depuis une vingtaine d'années. C'était le fils d'un ancien Exarque d'Afrique et il vécut lui même 10 ans de sa jeunesse à Carthage, jusqu'à ce que son père décide (en 610) de se révolter contre l'empereur de son époque et envoie le jeune Héraclius à la tête d'une flotte pour prendre le pouvoir à Constantinople. Une fois sur le trône, Héraclius se révélera excellent stratage, et parviendra en 20 ans à remetrre l'Empire sur pied alors qu'il se faisait malmener par les Perses à l'E. depuis une génération.

        Fort de son prestige, Héraclius décide d'imposer l'unité religieuse au sein de son Empire qui, bien que très majoeirairement chrétien à cette époque, se trouvait déchiré par d'interminables querelles théologiques chériennes. La plus problématique parmi ces disputes était la grande division entre Monophysites et Chalcédoniens qui tranait depuis plus d'un siècle déjà. Sans rentrer dans le détail du débat lui-même, on dira que l'Empereur eut pour idée de formuler une sorte de compromis théologique sensé régler la question et ramener les deux partis à l'unité. Il promulgue donc un décret dans ce sens en 616. Mais, au lieu de régler quoi que ce soit, Héraclius ajouta une nouvelle poche au problème : les deux partis jugèrent sa formule (appelée Monothélisme) blasphélatoire, et il se retrouva du coup avec trois partis d'emmerdes à gérer au lieu de deux ! Et comme il était l'Empereur et qu'il s'obstina a vouloir imposer sa thèse à tous, Héraclius devint l'Antéchrist incarné pour les Monophysites comme pour les Chalcédoniens !

        Qu'en est-il des Chrétiens d'Afrique dans tout cela ? A la base, le clergé africain était chalcédonien et la querelle Monophysite était surtout une affaire de Chrétiens d'Orient. Mais, lorsque commence l'exode des clercs syriens suite à l'invasion arabe du début des années 630, bientôt suivis des égytiens au début des années 640, ces orientaux amenèrent avec eux leurs débats et leurs querelles en Afrique. L'un des plus notoires parmi ces exilés était Maxime le Confesseur, une grosse gueule comme pas possible et un des meneurs du parti chalcédonien, et donc ennemi juré du pouvoir d'Héraclius. Pour juger de l'influence de ces prélats dans l'environnement de ce temps là, il suffit de savoir que c'était ce Maxime qui demanda, en 634, au gouverneur Pierre de refuser le transfert des troupes de sa province de Numidie vers l'Egypte comme le lui avait exigé l'Empereur, jugeant que Héraclius était un impie, et qu'en tant que bon chrétien, Pierre ne devait lui prêter aucune assistance ... et Pierre s'exécutat !

        En 637, l'Empereur tente de contenir la situation en nommant le patrice Flavius Gregorius (Grégoire en français et Jurjayr dans les sources arabes.) comme Exarque d'Afrique. Il s'agissait apparemment d'un cousin à lui, issu de l'oncle qui avait jadis remplacé le père d'Héraclius à Carthage après sa prise du pouvoir en 610. Un homme qui connaissait donc bien le coin, tout en étant sûr en principe puisque de la famille. Mais Héraclius va mourir trois années plus tard (641), et son fils et successeur, nimmé Constantius III, n'avait apparemment pas la même stature aux yeux du cousin à papa. Ainsi, que ça soit par réelle conviction religieuse ou par simple calcul politique, l'éxarque Grégoire se prononce officiellement en 645 contre la politique religieuse de l'Empereur (donc contre le Monothélisme et contre le Monophysisme) et proclame sa fidélité à la position traditionnelle des Chalcédoniens, qui était aussi celle de l'Eglise d'Afrique. Il s'arroge ensuite le ritre impérial, voulant en quelque sorte réediter l'ancien coup du défunt Héraclius contre son fils. En 646, le clergé africain entre à son tour dans la danse : 6 conciles régionaux sont rassemblés (un dans chaque province) et ils condamnent solanellement la doctrine du Monothélisme. Rien n'allait plus entre Carthage et Constantinople.

        En résumé, ce qu'il faut retenir de ces années là, c'est que pendant que les armées arabes dépeçaient littéralement l'Empire à l'E. et qu'elles avançaient doucement mais sûrement vers l'O., les Africains et les Romains de manière générale trouvaient loisir à débattrer et à se déchirer en interminables "querelles byzantines", au sens propre et figuré. Deux années plus tard, les Arabes viendront frapper une première fois à la porte, en attendant de la défoncer quelque temps plus tard ...

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        Dernière modification par Harrachi78, 29 septembre 2022, 04h51.
        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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        • #5
          Je résume...
          Quand l'Islam naissait et le prophete décédait, l'Algérie était Numidia la romaine.

          Is'nt it?
          ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

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          • #6
            Bachi

            L'Algérie de ce moment là c'était deux portions BACHI :

            1. La Numidie à l'Est (Béjaïa et la Sumām marquaient la limite occidentale et à peu près la frontière tunisienne la limite orientale), zone romaine et très urbanisée dans la partie Nord (Nord Constantinois), mais qui contenait aussi des groupes et des tribus berbères partout, surtout dans le bloc aurassien et dans les steppes au Sud.

            2. La Maurétanie 1ere au Centre et à l'Ouest de notre territoire actuel, avec une portion romaine réelle bien plus plus réduite (disons la côte entre Béjaïa et Ténès) et beaucoup moins urbanisée qu'à l'Est, le reste (vallée du Cheliff, massifs du Dahra et du Ouarsenis, steppe de Tiaret, Tlemçenois) étant occupé par des tribus et confédérations berbères totalement indépendantes, ou en lien avec des chefferies et des principautés dont on ne sais rien de précis.
            Dernière modification par Harrachi78, 21 septembre 2022, 15h48.
            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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            • #7
              Début de la conquête musulmane au Maghreb (647)

              Pendant qu'on discutait du sexe des anges à Carthage et à Constantinople, les Arabes reprenaient leurs mouvements après la brève pause imposée par Omar b. al-Khattāb. En 647, le califat de Uthmān b. Affān était sur sa troisième année et tout était tranquille, à Médine comme dans les provinces. Le calife cède alors à l'insistance de son gouverneur d'Egypte (qui était aussi son frère de lait), Abdallāh b. Sa3d b. Abī-Sarh, pour mener une campagne contre les Romains au Maghreb. Cette opération ne va pas toucher le territoire algérien et nous n'allons donc pas y consacrer beaucoup d'espace en soit. Mais l'événement reste capital, d'abord parceque c'est la toute première expédition musulmane vers le Maghreb, mais aussi parceque ses répercussions vont définir pas mal de choses pour la suite.

              De toute évidence, l'idée de Abdallāh n'était pas la conquête du territoire africain, mais plutôt d'explorer la zone - totalement inconnue pour les Arabes jusque-là-, et de jauger la force des Romains dans le coin. Parmi ceux qui se portèrent volontaires pour l'expédition, on cite : Marwān b. al-Hakam (cousin d'Uthmān et futur calife omeyyade) ; Abdallāh b. Zubayr (fils du grand Compagnon Zubayr b. al-3awwām et futur rival de Marwān) ; Abdallāh b. Omar (fils du grand calife) et, surtout, un jeune neuveux de Amr b. al-Āss, un nommé Uqba b. Nāfi3 al-Fihrī.

              Pour se faire une idée concrète de ce à quoi pouvaient ressembler les armées arabes de cette époque, on peut examiner ces restitutions de chercheurs :


              Les troupes musulmanes étaient quasi exclusivement arabes à cette date, si ce n'est quelques unités ou individus berbères (image de droite) convertis et ralliés au cours des campagnes de Amr b. al-Āss en Libye, et qui pouvaient figurer comme auxiliaires ou éclaieurs. Les sources rapportent que les guerriers berbères de ce temps avaient pour coutume de se raser le haut du crâne comme on vois sur l'illustration. Les guerriers Arabes, bien qu'essentiellement cavaliers (image de gauche) pour le mouvement, se mettaient plutôt à pied au moment du combat. Les chameaux, connus autant chez les Arabes que chez les Berbères, servaient surtout à la logistique de l'armée ou au transport des combattants en dehors des engagement car on ménageait les chevaux. Il n'y avait pas d'uniforme et chaque homme devait s'équiper par ses propres moyens, un officier (image au centre) n'étant distinguable que par la qualité ou la quantité de son équipement. On notera que -contrairement aux images d'épinal- que les épées arabes à cette époque sont des lames droites et non des sabres incurevés. Les épées se portaient en bandouillaire (et non en ceinture), mais l'arme principale était la lance. Les turbans (qui sont toujours simples à cette époque) de couleur jaune indiquent que le guerrier est issu d'un clan médinois allié du Prophpète (Ansār).

              _________________


              Face à Abdallāh, l'Exarque Gregoire disposait d'une force théoriquement non négligeable et, surtout, toujours fraiche contrairement au reste de l'Empire. On ignore à peu près tout sur l'encadrement de l'armée d'Afrique à cette date. Globalement, il y avait pas mal d'arméniens dans le corps des officiers, comme ce Jean (Iohannès) qui est nommé commandant militaire (dux) à Tigisis (Aïn El-Bordj) en Numidie en 641, cette province étant à cette époque le principal point de concentration des unités mobiles de l'armée, parceque le massif des Aurès était le principal foyer de révoltes tout au long des deux siècles qui précèdent le nôtre ici.

              Concrètement, voici à quoi pouvait ressembler une force militaire romano-byzantine en ce milieu du 7e siècle :


              Là encore, en parlant de Romains, on a souvent à l'ésprit les images de péplums, avec des légions bien carrées, tout en rouge vêtue, avec ces sortes de petites jupes, jambières et péctoraux ornés ... etc. Il n'en est rien. L'équipement du militaire romain tout comme les modes vestimentaires civiles avaient beaucoup évolué depuis la lointaine époque de César ou d'Auguste, six siècles plus tôt. Normal, on ne s'habille pas non plus comme nos ancêtres de l'an 1421.

              La cavalerie romine des époques tardives (image de gauche) est essentiellement d'origine barbare (Goths, Sarmates, Alains, Huns ... etc.), de même que son équipement. Dans l'ensemble elle était plus lourdement protégée que celle des Arabes. L'infanterie (image de droite) était moins bien équipée par-contre, et l'habit plus influencé par les modes persanes, notamment le pantalons que les anciens Romains ne portaient pas. Les chefs Romano-byzantins de la période finale étaient souvent plus des dignitaires que des guerriers. Dans tous les cas, ils étaient toujours très richement parés et leurs armes servaient plus à l'apparat qu'au combat. En Afrique, l'armée pouvait aussi compter sur bon nombre de contingents berbères issus de tribus alliées.

              ____________

              Abdallāh entre en Byzacène par la Tripolitaine. Grégoire était au courant qu'une armée arabe se dirigeait vers ses terres. Il décide de l'attendre en position avancée et concentre toutes ses troupes à Sufetula (Sbaïtla, Tunisie). Les deux armées se retrouvent non loin de là, et l'affaire est expédié dans la journée : les Romains sont écrasés et leur Exarque (ou Empereur selon sa proclamation) mort dans la bataille, tué par Abdallāh b. Zubayr à ce qu'on dit. Les auteurs byzantins accuseront les contingents Maures d'avoir flanché au mauvais moment, causant la perte des corps d'élite romaine et la déroute de l'armée. Et comme les Maures n'avaient pas d'auteurs pour écrire quoi que ce soit, les Romains peuvent raconter ce qu'ils veulent.

              Le chaos qui résulta de cette bataille fut à la hauteur du choc induit par la défaite. L'armée arabe reste en Byzacène quelques 15 mois sans que rien ni personne ne l'inquiète ! Puis, lorsque Abdallāh en a finalement marre de piller à son aise, un accord est trouvé avec Dieu seul sait quelle autorité pour le paiement d'un immense tribut en or pour quitter les lieux. Abdallāh b. Sa3d b. Abī-Sarh évacue alors vers l'Egypte, certainement avec la conviction de revenir après avoir constaté à quel point ce pays était prêt pour être pris !

              Pourtant, plus aucun arabe ne mettra plus les pieds au Maghreb avant 25 ans. C'est que l'Islam naissant aura des problèmes autrement plus graves à régler avant cela ...
              Dernière modification par Harrachi78, 23 septembre 2022, 21h48.
              "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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              • #8
                L'Afrique du Nord en sursis (647-670)

                Après la catastrophe de 647, une sorte de stase s'installe dans les provinces africaines. D'un côté, la mort de Grégoire débarrassait Constantinople d'un dangereux rival, et d'un autre côté sa disparition et la destruction de son armée privaient l'Exarchat de tout moyen de défense. Or, non seulement l'Empereur n'avait pas les moyens d'envoyer une quelconque armée de Constantinople ou d'ailleurs pour sécuriser les territoires africains, la perte définitive des riches provinces orientales conjuguée aux immenses dépenses induites par l'état de guerre permanent contre les Arabes depuis maintenant 20 ans, l'obligeait à demander bien plus d'argent des térritoires qui restaient encore sous son pouvoir, et parmi lesquels l'Afrique était justement la plus intacte. Ainsi, aussitôt l'armée de b. Abī-Sarh rentrée en Egypte, Constantius III envoie ses percepteurs en 648, exigeant des africains, déjà saignés à blanc pour se débarrasser des Arabes, le paiement d'une somme équivalente à ce qui avait été payé aux Musulmans ! Beau méssage ! Si non, on ne sait pas trop ce qui s'est passé au cours de ces années. Un effort de reprise en main de l'administration impériale dans le pays est perçu à partir de 649, mais on ignore à peu près tout des détails et des acteurs locaux.

                Pour ce qui des régions du Centre et de l'O. de l'Algérie, loin des territoires romains de Maurétanie I ou de Numidie et des querelles romaines, la vie semble se poursuivre comme avant. On note à cette époque les toutes dernières inscriptions latines connues, comme celle datée de 651 à Pomaria (Tlemcen). Une autre, retrouvée à Volubilis (Walilā, Maroc) et datée de 655 est assez intéressante : elle mentionne une certaine Rogatiana, décédée sur place mais originaire d'Altava (Ouled Mimoun, Algérie) dont elle était une "cooptée". Tout cela indique que ces cités romaines et romano-berbères continuaient à exister en plein pays maure et très loin de toute administration byzantine, et qu'un flux de circulation se maintenait encore entre ces cités.


                Pendant ce temps, en Orient ...

                A partir de 650, le califat de Uthmān b. Affān commence à se compliquer. Sa politique de nominations aux commandements et aux gouvernements de province commençait à être critiquée comme népotique, alors que la redistribution des immenses richesses drainées par les conquêtes des 20 dernières années devient de plus en plus problématique. La tension va ainsi couver dans certains milieux en province, notamment en Egypte et en Irak, jusqu'à ce que la tension éclate en opposition ouverte en l'an 656, lorsque des groupes d'insurgés convergent vers Médine où le vieux calife se retrouve assassiné dans un excès de violence.

                Alī b. Abī-Tālib est porté au pouvoir dans ces circonstances dramatiques, mais il se retrouva immédiatement face à d'autres oppositions, notamment de la part du puissant clan qorayshite des Banī Umayya, celui d'où était issu le défunt Uthmān, qui s'était rassemblé derrière Mu3āwiya b. Abī-Sufyān, gouverneur de Syrie depuis l'époque d'Omar. Une longue guerre-civile va s'en suivre, depuis l'apparition des premiers Khawārij en 657 jusqu'à l'assaninat d'Ali par l'un d'entre eux en 661.

                Le rusé Mu3āwiya devient alors calife et installe définitivement le pouvoir musulman à Damas, pouvoir qu'il était sur le point de convertir en patrimoine familial ... mais ça, on le savait pas encore. Pour l'heure, l'ordre allait progressivement revenir dans les provinces et, avec lui, le loisir de reprendre le grand mouvement des conquêtes.


                Retour en Occident ...

                Entre temps, en 663 l'Empereur Constantius III transféra sa résidence de Constantinople vers Syracuse en Sicile, dans le but de mieux réorganiser la défense de ses possessions occidentales.

                On ignore quelle était la situation exacte dans les provinces africaines ou dans les territoires en pays berbère. Des expéditions arabes mineures sont menées de Tripoli vers le S. de la Tunisie en 665 et 667, mais qui restèrent sans suite immédiate.

                En 669, Constantius III est assassiné à Syracuse et avec lui s'évanouissent les derniers espoirs d'un potentiel redressement de la puissance romano-byzantine en Occident. Et comme un malheur ne vient jamais seul, ce fut à ce moment justement que Mu3āwiya décidait de régler définitivement son compte à l'Afrique des Romains, et pour cela il porte son choix sur un commandant intrépide, qui avais déjà fait ses preuves dans la région et dont la loyauté était acquise au pouvoir omeyyade puisqu'il était le neveux de Amr b. al-Āss (mort en 664), un des grands généraux de la première génération musulmane et qui fut un des principaux alliés de Mu3āwiya lors de la guerre-civile de 656-661.

                La conquête musulmane du Maghreb peut alors commencer. Elle va durer un demi-siècle ...


                ... /...
                Dernière modification par Harrachi78, 29 septembre 2022, 05h08.
                "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

                Commentaire


                • #9
                  Uqba b. Nāfi3 al-Fihrī (670-675)

                  Uqba arrive en Byzacène en 670. Son armée comptait 10.000 hommes pris en Egypte des anciennes unités de son oncle Amr b. al-Āss, à qui s'ajouteront des contingents au nombre inconnu de Berbères des Luwwāta de Libye. Son staff comptait 4 Compagnons du Prophpète à ce qu'on dit.

                  Il commence par soumettre la région sans trop s'approcher des côtes, les flottes romaines ayant encore la totale maîtrise de la Méditerranée à cette époque. L'idée était donc de couper les positions Byzantines sur les côtes de tout contacte avec le pays, et d'empêcher toute jonction entre eux et les groupes Berbères susceptibles de leur porter secours, et songer plus tard à les réduire ou les étouffer. Aussi, pour signifier à tout le monde qu'il était venu pour rester, Uqba décide d'établir un camp permanent pour servir de base à ses troupes et de point d'attache fixe. Ainsi fut fondée la ville d'al-Qayrawān au centre de la Tunisie actuelle, pas très loin du lieu de la première victoire musulmane au Maghreb quelques 22 ans plus tôt.

                  Embourbé dans ses propres problèmes, l'Empereur Constantin IV (668-688) avait rappelé une partie des unités stationnées en Afrique pour faire face à une rébellion qui avait éclaté en Sicile. Une fois son affaire réglée, il se retrouva avec la riche province de Byzacène perdue et des milliers d'Arabes installés au beau milieu avec une ville sortie de nulle part. Mauvaises journées en vue.

                  On ne sait pas plus des événements au cours de ces années, si ce n'est qu'un certain Sakerdīd b. Zūfi dit al-Rūmi ("Le Romain") qui régnait depuis un bon bout de temps sur la confédération tribale des Awerba (dont on ne sait si leur territoire se situait alors à l'O. de la Maurétanie I du côté de Tlemcen ou plus à l'E. du côté de l'Aurès) en 675, et qu'un certain Kussayla, que certains historiens pensent être une arabisation de Caecilius (qui se prononce "Keikilius" en latin) et être un maître tardif du royaume bébero-romain d'Altava près de Tlemcen. Quoi qu'il soit, il s'agissait de Maures chrétiens et ils entretenaient des rapports d'une nature indterminée avec les Romains.

                  Cette même année, Uqba est relevé de son commandement par le nouveau gouverneur omeyyade d'Egypte, Maslama b. Mukhallad al-Ansāri, qui le remplace par un client (mawlā) à lui, Abū-Muhājir Dinār. Arrivé sur place avec la lettre de nomination, celui-ci aurait traité Uqba assez méchamment, chose dont le fier ristocrate arabe se souviendra en quittant Qayrawān.

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                  Dernière modification par Harrachi78, 22 septembre 2022, 16h11.
                  "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                  • #10
                    Abū-Muhājir Dinār : conquête de l'Est algérien (675-681)

                    Au-delà de l'antipathie personnelle entre les deux hommes, les approches de Uqba et de Abū-Muhājir concernant la conquête semblent diamétralement opposées, ce dérnier étant apparemment plus porté sur la diplomatie que sur le coup de force permanent.

                    Abū-Muhājir tente dans un premier coup de soumettre la Zeugitane (N. tunisien), mais ne parvient pas à prendre Carthage aux Romains. En 678, il bifurque vers l'O. et envahit la province de Numidie, menant ainsi la toute première expédition musulmane en territoire algérien. On ne connais pas les détails de ses mouvements, mais la campagne dure au moins deux années et elle est ponctuée par quelques étapes : en passant la frontière entre les deux provinces, la dernière cité de Byzacène qu'il traverse est Ammaedara (Haidra, Tunisie), et la première ville de Numidie qu'il croise est Thevesta (Tébessa). C'était une des places fortes de la région, et ses imposants remparts byzantins sont encore debout jusqu'à nos jours pour en témoigner :







                    Suite à cela, et après des épisodes dont les sources n'ont malheureusement pas gardé mémoire, l'armée arabe s'enfonce dans le Constantinois jusqu'à prendre la cité de Milev (Mila), peut-être en 679, où Abū-Muhājir s'établit pour un temps. De ce passage, il nous est resté le vestige d'une très vieille mosquée, la toute première qui fut érigée en Algérie à l'évidence, à peine plus jeune de neuf ans que celle de Qayrawān, mais bien plus modeste :







                    La vue de ce bâtiment peut être déconcertante à priori, car c'est bien loin de l'image qu'on a d'une mosquée traditionnelle. Il faut alors garder à l'esprit que nous sommes à une époque où l'art islamique ne s'était pas encore formé, et qu'aucun des premiers chefs-d'œuvre de l'architecture islamique primitive (Dôme du Rocher à Jérusalem ... etc.) n'avait encore vu le jour, si ce n'est la Grande mosquée des Omeyyades à Damas, qui restait elle aussi encore très marquée par l'architecture romano-byzantine. En somme, dans les pays conquis dans cette phase précoce de l'Islam, soit qu'on faisait usage des bâtiments existants, soit qu'on en faisait construire des nouveaux par les artisans locaux et donc selon leurs connaissances locales et leurs traditions, souvent en recylant des sites et des matériaux existants. Ainsi, cette mosquée d'Abū-Muhājir à Mila fut simplement érigée sur les ruines d'une ancienne basilique chrétienne qui, en son temps, devait ressembler à quelque chose comme cela :



                    Dans tout les cas, cet édifice donne indication de la première présence physique de musulmans dans le pays (pour rappel nous sommes à moins de 50 ans de la mort du Prophpète), soit qu'une garnison arabe assez importante fut établie dans la ville, soit qu'il se créa une communauté de convertis locaux qui est assez nombreuse et assez riche pour financer une construction, soit les deux choses à la fois.

                    Après Mila, la suite de la campagne occidentale d'Abū-Muhājir Dinār est moins claire. Certaines sources rapportent que la marche se poursuivit vers l'O. jusqu'à Pomaria (Tlemcen) en Maurétanie I. Là, il aurait affronté Kussayla et ses gens qu'il parvint à vaincre, mais qu'il gagna finalement à sa cause, le chef berbère ayant apparement accepté de se convertir à l'Islam et à rejoindre l'armée d'Abū-Muhājir qu'il accompagna à son retour à Qayrawān. D'autres pensent que son périple se déroula exclusivement en Numidie et que c'est autour des Aurès qu'eut lieu la rencontre avec Kussayla et ses Awerba, mais toutes s'accordent sur son ralliement final à Abū-Muhājir.

                    Les sources se taisent sur la suite, du moins jusqu'en 681 lorsque la politique va de nouveau se mettre de la partie.

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                    Dernière modification par Harrachi78, 22 septembre 2022, 06h44.
                    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                    • #11
                      Le régime des Omeyyades (680)

                      En 680, à Damas, le calife Mu3āwiyya b. Abī-Sufyān décède. Mais, contrairement à ce qui avait été prévu lors de sa prise de pouvoir 20 ans plus tôt, il ne laissa pas la question de sa succession entre les mains des musulmans et s'arrangea bien pour léguer le pouvoir à son fils Yazīd. La chose fit scandale à plusieurs titres.

                      D'abord, à cette date, il y avait de nombreux imminents Compagnons du Prophpète encore vivants, et il paraissait inconcevable qu'un jeunot qui n'avait pas connu les premières heures de l'Islam puisse commander des vétérans de la vieille garde. Ensuite, le jeunot en question n'était même pas une perle dans sa génération puisque il était réputé pour être un désinvolte et un buveur de vin. Enfin, si Mu3āwiya avait jadis pu faire accepter son accession au pouvoir après l'assassinat de Ali b. Abī-Tālib, c'était grâce à son habilité politique et surtout au nom de l'unité de la Communauté et du retour à la paix civile pour la sauvegarde de l'Empire. Mais la chose était sensée être comme pour tout calife avant lui, c'est-à-dire une acceptation personnelle et individuelle et non un droit héréditaire. Son règne fut donc accepté parceque les uns comme les autres pensaient que la mise sera remise sur le tapis à sa mort et que tout le monde avait une chance de voir son candidat, et tout particulièrement le partisans (shī3a) de Ali et ses enfants, accéder au pouvoir suprême le moment venu.

                      Donc, par son coup de force, le fils d'Abū-Sufyān joua un dérnier tour à tout le monde : au seuil même de sa tombe, il verrouille le pouvoir au sein de son propre clan avant de plonger. L'indignation sera générale, mais les réactions mitigées : les Kharidjites étaient déjà dans l'opposition à outrance depuis qu'ils ont rejeté Ali : l'opposition est la raison même de leur existence et ils ne peuvent donc qu'y rester. Les Shiites n'accepteront pas le fait accompli et tenteront d'y mettre immédiatement fin par la force : ça se soldera par la tragédie de Karbalā et le massacre du petit-fils du Prophpète et de la fine fleur de la jeunesse hāshimite en cette année même. Enfin, la majorité va encaisser le coup et s'y faire, considérant que l'unité de la communauté et la paix-civile primaient sur tout, y compris le légalisme. C'est de cette masse que va se constituer le Sunnisme.

                      Ainsi se fonda l'Etat dynastique (dawla) des Banī Umayya (Omeyyades) par une sorte de viol des principes fondateurs de la Cité musulmane. Depuis l'époque préislamique, leur clan n'a jamais été celui des plus vertueux, mais ils ont toujours étés solidaires comme l'a démontré la réaction à l'assassinat d'Uthmān, et ils ont toujours été pourvus de chefs éfficaces et pragmatiques, de gestionnaires avisés et astucieux, de diplomates chevronnés et rusés. Bref, ils ont toujours étés faits pour le pouvoir politique, l'ont toujours voulu et l'ont toujours obtenu. Mais, malgré tout ce que leur lignée va réaliser pour l'Empire, leur mémoire restera toujours avilie, aux yeux des musulmans de manière générale, par ces deux choses : le sang d'al-Hussein et la transformation du califat en "royaume". On leur collera bien d'autres tares après leur chute, mais ce n'est rien de plus que le lot des vaincus et des absents : ils ont toujours tort. Mais, il est vrai qu'avec eux l'Etat califal subit des mutations, gardant de moins en moins les traits de rusticité et de simplicité qu'il avait sous les quatre premiers califes et s'assimilant de plus aux grands Empires traditionnels l'époque. Mais doit-on s'en étonner ? Après tout, c'est toute la société musulmane (qui était encore quasi exclusivement arabe à cette date) qui n'était plus la même non plus, après ce flux ininterrompu de richesses que le succès des Conquêtes n'a cessé de drainer vers elle depuis un demi-siècle, la dispersion des clans et des tribus aux quatre coins d'un Empire à la taille d'un monde, le confort, l'accumulation des biens, le contact avec des peuples et des sociétés nouvelles ... etc.

                      Tout cela aura des conséquences politiques dans l'avenir comme nous le verrons le moment venu. Mais, pour l'heure, on se contente de voir le jeune Yazīd b. Mu3āwiya, une fois rassuré de la pérennité de son poste après la mort du très populaire al-Hussein en Octobre, être calife durant à peine trois années puisqu'il décède en 683. Entre temps, l'une de ses premières décisions en 680 aura été de remettre à nouveau le commandement de l'armée au Maghreb à Uqba b. Nāfi3. Ce dérnier décolle aussitôt d'Egypte, et on pourrait aisément croire que les retrouvailles du qorayshite avec Abū-Muhājir Dinār s'annoncent épiques. Ça ne sera pas démenti ...

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                      Dernière modification par Harrachi78, 22 septembre 2022, 16h54.
                      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                      • #12
                        Allah immmersik , sadiqi...

                        J'ai beaucoup appris. Je pense que c'est l'essentiel de ce qui se passait à ces temps là...

                        Aux prochaines étapes, j'espère lire la réaction, voire la résistance des berbères face au déploiement arabe dans leurs territoires.


                        ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

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                        • #13
                          Uqba b. Nāfi3 ... de nouveau (680-683)

                          Uqba arrive en Ifrīqiya avec un renfort de 5.000 hommes et 25 anciens Compagnons du Prophpète dans ses bagages à ce qu'on dit.

                          L'homme n'est ni patient ni magnanime, et il s'evertue donc dès son arrivée à infliger le même traitement à Abū-Muhājir que celui-ci lui avait fait subir cinq ans plus tôt et lui fait porter des fers. Il réserve un traitement tout aussi méprisant envers les obligés d'Abū-Muhājir, et notamment ce Kussayla qu'il ne connaissait pas. Mais, comme Uqba n'avait pas le monopole de la fierté ni celui de la rancune, le chef berbère s'en souviendra lui aussi. A ce stade, les sources divergent un peu sur la chronologie, mais tous s'accordent sur le fait que Kussayla quitte le camp musulman et reprend contacte avec des alliés byzantins à Tubunae (Tobna) avec qui il va planifier un coup.

                          De son côté, Uqba allait enfin entamer sa grande campagne vers l'O. Il désigne donc un de ses lieutenants, Qays b. Zohayr al-Balawi, comme intérimaire à Qayrawān avec 6.000 hommes, et s'adjoint deux autres, Mohamed b. Aws al-Ansāri et Yazīd b. Khalaf al-3absi, pour le commandement des 15.000 hommes qu'il emmène derrière lui. Abū-Muhājir Dinār sera lui aussi de la partie sur ordre de Uqba ... dans ses fers.



                          Il s'agit de la deuxième expédition musulmane en territoire algérien après celle de 676, et les sources sont aussi peu précises sur son déroulement que pour la première. Sur la carte, les grosses bulles en orange foncé marquent les zones et territoires où des entités berbères sont signalées ou supposées à la fin de l'époque byzantine, ou celles de certains groupes et confédérations tribales importantes à la même époque.

                          L'entrée de Uqba en Numidie s'est encore faite par la porte de Tébessa, après quoi il se retrouva face aux murailles de Baghaï (Ksar Bagai) dont la garnison romaine résiste. Il ne s'attarde pas sur le lieu, et se dirige vers Thamugadi (Timgad), Lambaesis (Lambèse) et peut-être ensuite Belezma en contournant le massif de l'Aurès par son flanc N., ou directement vers Nivicibus (Ngaoues) pour aboutir à Tobna, dernière. Certaines sources rapportent qu'à ce stade, Uqba fut rallié par la tribus berbère des Banī Abdelwād (celle d'où vont sortir les Zianides dans 5 siècles) qui nomadisait près des contreforts de l'Aurès à cette époque, et qu'ils se seraient joints à sa campagne pour quelques mois.

                          L'armée musulmane passe alors dans le Hodna et mène une rude bataille contre une coalition romano-berbère locale à Zabé Iustiniana (près de Msila), dernière position romaine à l'O. dans cet axe. A noter ici que cette cité de Zabé était la plus importante de la zone à la fin de l'époque byzantine, et on appelait la région du O. et S.-O. de la Numidie dans son ensemble "Pays de Zabé". Le terme va être repris par les Arabes pour nommer toute l'étendue du S.-E. du Maghreb central (Bilād al-Zāb).

                          Les informations deviennent de moins en moins précise Au-delà de ce point. L'armée se serait dirigée vers Tāhert ou une autre coalition est vaincue, avant de passer directement à Tlemcen. Pour rappel, ce secteurs de la Maurétanie I était vide de tout présence romaine depuis deux siècles et le territoire totalement sous controle de tribus berbères que certaines sources disent être les Zuwāgha, Matmāta et les Meknāsa, même si les deux villes elles mêmes et quelques autres abritaient encore une population romano-africaine, au moins partiellement. Nous n'en savons pas plus à ce stade.

                          Après cela, l'armée traverse la Moulouya et entame la toute première expédition musulmane en territoire Marocain. En 683, après avoir atteint le Détroit et les côtes Atlantiques, être allé jusqu'à Agadīr et atteint le bout du Sūs marocain à ce qu'on dit, Uqba b. Nāfi va reprendre le chemin de Qayrawān, mettant enfin un terme à près de trois années de campagne au rythme effréné.

                          ____________

                          De Tlemcen à Tobna, l'itinéraire du retour ne nous a pas été conservé par les sources, mais la rapidité du mouvement laisse supposer que l'armée à dû repasser par le même chemin qu'à l'aller. Par-contre, arrivé à Tobna, Uqba b. Nāfi3 prend la décision quelque peu étrange de laisser l'armée poursuivre par la route de Timgad qui contourne l'Aurès par le N., tandis que lui et une élite de 300 hommes prendraient la route du S. qui passait notamment par Vescera (Biskra).

                          Or, c'est justement sur cette route-là que l'attendait le bon vieux Kussayla, apparemment très bien informé des mouvements de Uqba. Le chef berbère avait largement eu le temps de se préparer à ce jour. Il rassemble une force de plusieurs milliers d'hommes, partie à lui et parti d'alliés Romains qu'on croit être de Tobna, et se poste près de la place forte de Thabudaeus (Tāhūda) qui contrôlait la route. Kussayla n'a laissé aucune chance à son ennemi, et pratiquement toute la troupe musulmane surprise à Tāhūda va tomber l'arme à la main, y compris Uqba b. Nāfi3 et Abū-Muhājir Dinār, mort alors qu'il combattait avec ses chaînes dit-on.

                          ______________

                          Une poignée d'hommes parvint à s'échapper du guet-apens et faire parvenir la terrible nouvelle à Qayrawān. Les avis étaient divisés, entre Zohayr b. Qays et les hommes de Uqba qui voulaient rester et se battre, et les anciens adjoints d'Abū-Muhājir -menés par Hanash b. Abdallāh al-San3āni- qui estimaient plus prudent de se replier vers l'Egypte en attendant des jours meilleurs. La situation resta ainsi suspendue quelque temps, mais Zohayr se résigna finalement à l'évacuation de Qayrawān et au retrait vers l'Egypte car de nouveaux problèmes politiques se profitaient déjà en Orient et l'espoir d'une armée de secours s'amenuisait avec.

                          En 684, Kussayla rentre dans Qayrawān où il n'y avait plus aucun militaire arabe. La ville avait toutefois prospéré et elle abritait déjà une population civile musulmane faite d'Arabes et de convertis berbère et aussi et chrétienne faite de berbères et de romano-africains. Kussayla garda la ville intacte et s'y installa. Il était le nouveau maître de l'Ifrīqiyya.

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                          Dernière modification par Harrachi78, 22 septembre 2022, 20h36.
                          "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                          • #14
                            La 2e Guerre civile musulmane (683-692)

                            La mort précoce deYazīd b. Mu3āwiya, en 683, ravive les espoirs des factions opposées au régime omeyyade, et dès l'accession de son fils, Mu3āwiya II, la fronde éclate. Cette fois, ça sera Abdallāh b. Zubayr, autre fils d'un autre grand Compagnon qui va se proclame calife, à la Mecque. Quelques mois plus tard, Mu3āwiya II meurt à son tour, et non seulement sans héritier, mais aussi sans avoir désigné de successeur au poste. Abdallāh, qui était fils du grand Zubayr b. al-3awwām et de Asmā' fille d'Abū-Bakr al-Siddīq, le premier calife de l'Islam, paraît alors réellement sur le point de s'imposer, surtout qu'il était très populaire et que ses partisans avaient déjà pris le contrôle des provinces, à l'exception de celle de Syrie, fief et bastion des Omeyyades.

                            Mais c'était mal connaître les Banū Umayya, dont l'astuce et la solidarité indefectible envers leur clan vont à nouveau faire leurs preuves. Ils se concertent donc, et désignent leur doyen (grand oncle du calife défunt) Marwān b. al-Hakam et ancien secrétaire de Uthmān b. Affān, au pouvoir. Ça sera donc de nouveau la guerre-civile. Marwān meurt après une année à peine, mais il eut tout de même le temps de reprendre le contrôle des provinces d'Egypte et d'Irak avant que son fils Abdelmalik ne lui succède en 685. Petit à petit, celui-ci va reprendre toutes les régions à son rival, jusqu'à ce que Abdallāh b. Zubayr se retrouve très à l'étroit à partir de 689, et jusqu'à sa défaite finale et sa mort à la Mecque en 692. Alors qu'on la croyais finie, la dynastie Omeyyade renaît comme neuve.


                            Pendant ce temps, au Maghreb ...

                            Alors que tout ce foutoir faisait rage en Orien, Kussayla régnait tranquillement au Maghreb depuis 683. Tputefois, on ignore totalement le détail de son règne et quelle était la situation exacte du pays sous son pouvoir.

                            En 688, Abdelmalik b. Marwān se sent assez solide pour songe à reprendre l'initiative en Occident. Il donne alors son accord à Zohayr b. Qays al-Balawi, stationné Libye depuis la retraite de Qayrawān pour qu'il marché de nouveau vers l'Ifrīqiyya, lui offrant ai passage un renfort de 6.000 hommes pris sur l'armée d'Egypte, à qui s'ajouteront 2.000 liés berbères des tribus de Libye.

                            En apprenant l'approche d'une armée arabe, Kussayla évacue prudement Qayrawān et se retire avec ces forces dans l'Aurés. Zohayr marche alors contre lui, et parvient finalement à le battre dans la bataille de Memmès ou le chef berbère trouve la mort. Ses hommes sont ensuite poursuivis jusqu'à la Moulouya, pendant que Zohayr faisait son entrée triomphale à Qayrawān. La mémoire de Uqba b. Nāfi3 se voit alors partout exaltée, et un tombeau est érigé pour les martyrs à Tāhūda, lieu qui sera vite connu par Sidi-Okba. L'édifice existe encore de nos jours :





                            Pendant ce temps, l'empire byzantin reprend du poil avec l'avènement de Justinien II (685-695) et tente de reprendre l'iniative contre les Musulmans partout il était possible de le faire. Une opération navale est ainsi menée contre Barqa dans l'E. de la Libye en 690, risquant ainsi de couper le Maghreb de l'Egypte. Zohayr b. Qays quitte alors Qayrawān avec une petite force pour dégager Barqa, mais l'affaire se termine mal et l'ancien adjoint de Uqba se vois vaincu et tué à Darna (Libye).

                            Le calife est alarmé par la nouvelle, et il comprend qu'il ne sera pas possible de se maintenir au Maghreb tant que la menace romaine continuera de peser sur les mers. Un changement de stratégie s'imposait donc, mais en attendant cela, il ordonna une nouvelle évacuation de l'armée de Qayrawān vers l'Egypte.

                            Tout était à refaire.

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                            Dernière modification par Harrachi78, 29 septembre 2022, 05h31.
                            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                            • #15
                              Hassān b. Nu3mān al-Ghassāni (694-700)

                              En 692, après 10 années de luttes, Abdelmalik b. Marwān parvient enfin à éliminer tous les opposants et restaute le régime ommeyade sur l'ensemble du domaine de l'Islam. Il se consacre alors à un programme de réformes qui va transformer l'Empire dans de nombreux domaines, et reprend la guerre contre les Romains. Il se tourne alors vers le problème maghrébin et chare un général syrien très experimenté, Hassān b. Nu3mān al-Ghassani qu'on surnommé al-Shaykh al-amīn, de reprendre l'offensive vers l'Occident.

                              Le Calife y met les moyens, puisque Hassān reçoit le commandement de 40.000 hommes, pris cette fois sur le jund de Syrie, l'élite des armées omeyyades. L'armée traverse la Cyrénaïque et la Tripolitaine où elle s'adjoint les contingents arabes qui s'y trouvaient déjà, ainsi que des unités alliées des Berbères Luwāta dont le nombre était conséquent puisque leur chef, un certain Hilāl b. Tharwān al-Luwāti fut nommé commandant de l'avant-garde de l'armée.

                              Entré en Ifrīqiya en 694, Hassān se dirige directement vers Carthage, principal port romain et leur point d'appui au Maghreb. La ville tombe, forçant les troupes byzantines à évacuer vers la Sicile et leurs auxiliaires berbères vers Hippona (Annaba). Il prend ensuite les autres ports romains de la région, et rentre ensuite à Qayrawān.

                              En 697, une flotte byzantine débarque subitement à Carthage et parvient à en chasser la garnison musulmane, mais Hassān parvient à rependre de nouveau la ville et, pour régler définitivement le problème, ordonne la destruction de tous ses remparts. La population romano-africaine qui subsistait se réfugie alors en grande partie à Annaba, laissant la vielle cité en ruine. Elle s'en remettra jamais, et sera bientôt remplacée par une nouvelle fondation peuplée de musulmans : Tunis.

                              A partir de là, toute présence impériale romaine est éliminée au Maghreb, la dernière monnaie romaine frappée à Carthage étant ce solidus en argent au nom de l'Empereur Justinien II et daté des alentours de 694 :



                              Les cités et les populations romano-africaines en Zeugitane se soumettent les uns après les autres au nouvel ordre, et la seule menace qui se dressait désormais devant pouvoir en place viendra de l'immense masse des tribus Berbères dans les anciennes provinces de Numidie et des Maurétanies, appelées désormais Maghrib awsatt et Maghrib Aqçā, à l'O. de l'Ifrīqiyya.

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                              Dernière modification par Harrachi78, 23 septembre 2022, 01h01.
                              "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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