« En 798, les îles Baléares furent pillées par les Maures et les Sarrasins ». C'est par cette mention qu'est annoncé dans les annales carolingiennes d'Éginhard, le commencement d'une série d'attaques maritimes menées depuis les pays d'Islam, plus précisément depuis les côtes d'al-Andalus vers les littoraux chrétiens. Sans lien apparent avec Cordoue, les sources arabes gardant le silence sur ces actes, la majeure partie des historiens de la Méditerranée ont considéré qu'il s'agissait d'actes de piraterie perpétrés par des communautés de marins, dans un espace en pleine crise, depuis le 6e siècle ou, si l'on suit le raisonnement de Henri Pirenne, depuis la conquête arabe (634-732). Si l'on comptabilise les mentions, provenant essentiellement des sources byzantines et latines, d'actes de piraterie de la part de marins musulmans en Méditerranée et sur le littoral atlantique de la péninsule Ibérique, de l'Anatolie à la Galice, nous pouvons considérer que la "piraterie" musulmane occupe toute la période médiévale, et au-delà avec les Ottomans et les Barbaresques.
Le problème est bien différent si l'on se place du point de vue des sources arabes : point de piraterie sarrasine – les Arabes d'Orient – ou maure – les Berbères du Maghreb central (Maurétanie césarienne) et occidental (Maurétanie tingitane). Les autorités musulmanes et leurs porte-parole, les lettrés de l'Islam, chroniqueurs, géographes, juristes et autres, n'emploient jamais de termes assimilables à des actes de piraterie, lorsqu'ils mentionnent les opérations navales lancées depuis les côtes musulmanes et qui visent les rivages chrétiens. Il n'est question que d'expéditions navales (ghazwa), lancées dans le cadre du jihad, pour affaiblir ou détruire les forces chrétiennes et, le cas échéant, s'emparer de nouveaux territoires. Ces opérations, quand elles sont mentionnées, ce qui est rare, relèvent de l'autorité sultanienne, la mer, comme les marches terrestres, étant normalement sous contrôle du pouvoir califal et, par délégation, de celui des émirs ou des sultans. Ainsi, lorsque les auteurs arabes mentionnent l'activité navale de l'Islam, ils décrivent la marine du souverain comme l'une des armes utilisée pour attaquer son plus grand ennemi ou pour défendre la frontière maritime du domaine islamique (Dâr al-Islâm).
Dans un des textes les plus connus sur la force navale de l'Islam occidental, Ibn Khaldûn (m. 1406) résume ainsi la confrontation des deux blocs sur les eaux de la Méditerranée : « Les flottes musulmanes s'acharnaient sur elles (nations chrétiennes) comme le lion sur sa proie, s'imposaient sur la majeure partie de la surface de cette mer par leur supériorité numérique et par leur armement, et la sillonnaient en tout sens, en temps de paix comme en temps de guerre. Les chrétiens ne pouvaient y faire courir le moindre esquif ». Cette mention concerne les flottes de califats fatimide (909-1171) et omeyyade (929-1031) au moment où les Musulmans ont acquis un avantage substantiel sur les Latins. Cependant, l'ensemble des textes musulmans, comme celui-ci, évoquant les activités navales de l'Islam, considèrent toujours celles-ci comme des actes de guerre, menées sous les ordres du pouvoir sultanien. La raison en est simple : les seules sources arabes que nous possédons sont celles produites dans les palais (chroniques, géographies descriptives...) et par les autorités juridiques (fatwas, traités juridiques, ouvrages biographiques).
Il y a donc contradiction des sources sur les activités maritimes musulmanes au Moyen Âge, du moins lorsque le pouvoir musulman disparaît des régions maritimes, comme cela paraît être le cas en Méditerranée au 9e siècle. Pour ce moment en effet, la plupart des historiens de l'Islam ont considéré que les pouvoirs sultaniens, dont les capitales étaient toutes à l'intérieur des terres, n'avaient aucune emprise sur les activités navales, laissant les communautés de marins livrées à elles-mêmes. Dès lors, toute action offensive contre les Latins, menée par les marins des côtes musulmanes, ne pouvait être que des actes de "piraterie". Le terme, commode, est lui-même utilisé dans le sens donné par les historiens modernistes, en pensant plus particulièrement aux Barbaresques. Dans les sources médiévales, il n'existe pas d'équivalent à ce terme, du moins avec ce sens.
Le terme tel qu'il est appliqué pour les périodes moderne et contemporaine, par exemple par Lucien Musset, désigne d'abord un acte brutal : destructions, pillages, esclavage, tueries, commis par des marins – les mêmes actes perpétrés sur les frontières terrestres ne sont pas désignés par le terme « pirate » mais plutôt par celui de razzia – contre des populations des pays ennemis, accessibles par la mer. Le pirate est aussi le marin qui échappe à toute autorité et commet ses actes sans tenir compte de la situation de guerre ou de paix. Le pirate « sans foi ni loi » est donc censé être distingué du marin de la marine souveraine ou du corsaire, officiellement appointé par lettre de course pour attaquer un ennemi de son pays. Les témoignages sur les attaques musulmanes contre les populations des rives chrétiennes, connus seulement par les textes des victimes, les moines essentiellement, ou de leurs autorités de tutelle, ne rentrent pas dans de telles considérations. Les textes juridiques, chrétiens et musulmans, désignent par des termes variés ceux qui s'en prennent à leur propre communauté, mais le terme de pirate n'apparaît jamais dans les textes arabes, pour désigner une descente de marins chrétiens ou vikings, sinon lorsqu'il s'agit des leurs ou bien pour désigner des marins chrétiens ayant transgressé les traités de paix.
Dans le cadre qui nous intéresse ici, plus que les actes eux-mêmes et leurs conséquences sur les populations des rives latines ou grecques, c'est l'origine des marins et surtout leur statut qui est en cause. En effet, les études sur les activités maritimes des gens de mer vivant sur les côtes de l'Islam, ont longtemps été limitées aux activités classées sous le terme commode mais peu précis de piraterie, pour la bonne et simple raison que les seules sources qui ont été utilisées, à quelques textes près, sont celles des victimes. Ainsi, dès que l'on veut étudier un phénomène dont le cadre historiographique et les sources qui en font état, sont étrangers à la terre d'origine des acteurs concernés, la démarche est, dès lors, totalement faussée. Les bases de l'étude d'une piraterie musulmane sur les eaux de la Méditerranée médiévale sont donc très éloignées du cadre de l'organisation maritime, telle qu'elle apparaît dans les sources arabes. La distinction entre piraterie et course n'existe pas dans la mesure où toute opération de guerre – du jihad si l'on préfère – est placée sous l'autorité du souverain légitime ou de son représentant. Comme le montre Ibn Khaldûn, il ne peut y avoir de marine de guerre sur l'eau que celle qui est sous le commandement des amiraux du calife ou de l'émir. Aussi, étudier la « piraterie » musulmane au Moyen Âge (comme à l'époque moderne du reste) ressort en premier lieu d'une lecture attentive des sources arabes, avant de replonger dans les textes des Grecs et des Latins qui furent les victimes de ces « pirates ».
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Le problème est bien différent si l'on se place du point de vue des sources arabes : point de piraterie sarrasine – les Arabes d'Orient – ou maure – les Berbères du Maghreb central (Maurétanie césarienne) et occidental (Maurétanie tingitane). Les autorités musulmanes et leurs porte-parole, les lettrés de l'Islam, chroniqueurs, géographes, juristes et autres, n'emploient jamais de termes assimilables à des actes de piraterie, lorsqu'ils mentionnent les opérations navales lancées depuis les côtes musulmanes et qui visent les rivages chrétiens. Il n'est question que d'expéditions navales (ghazwa), lancées dans le cadre du jihad, pour affaiblir ou détruire les forces chrétiennes et, le cas échéant, s'emparer de nouveaux territoires. Ces opérations, quand elles sont mentionnées, ce qui est rare, relèvent de l'autorité sultanienne, la mer, comme les marches terrestres, étant normalement sous contrôle du pouvoir califal et, par délégation, de celui des émirs ou des sultans. Ainsi, lorsque les auteurs arabes mentionnent l'activité navale de l'Islam, ils décrivent la marine du souverain comme l'une des armes utilisée pour attaquer son plus grand ennemi ou pour défendre la frontière maritime du domaine islamique (Dâr al-Islâm).
Dans un des textes les plus connus sur la force navale de l'Islam occidental, Ibn Khaldûn (m. 1406) résume ainsi la confrontation des deux blocs sur les eaux de la Méditerranée : « Les flottes musulmanes s'acharnaient sur elles (nations chrétiennes) comme le lion sur sa proie, s'imposaient sur la majeure partie de la surface de cette mer par leur supériorité numérique et par leur armement, et la sillonnaient en tout sens, en temps de paix comme en temps de guerre. Les chrétiens ne pouvaient y faire courir le moindre esquif ». Cette mention concerne les flottes de califats fatimide (909-1171) et omeyyade (929-1031) au moment où les Musulmans ont acquis un avantage substantiel sur les Latins. Cependant, l'ensemble des textes musulmans, comme celui-ci, évoquant les activités navales de l'Islam, considèrent toujours celles-ci comme des actes de guerre, menées sous les ordres du pouvoir sultanien. La raison en est simple : les seules sources arabes que nous possédons sont celles produites dans les palais (chroniques, géographies descriptives...) et par les autorités juridiques (fatwas, traités juridiques, ouvrages biographiques).
Il y a donc contradiction des sources sur les activités maritimes musulmanes au Moyen Âge, du moins lorsque le pouvoir musulman disparaît des régions maritimes, comme cela paraît être le cas en Méditerranée au 9e siècle. Pour ce moment en effet, la plupart des historiens de l'Islam ont considéré que les pouvoirs sultaniens, dont les capitales étaient toutes à l'intérieur des terres, n'avaient aucune emprise sur les activités navales, laissant les communautés de marins livrées à elles-mêmes. Dès lors, toute action offensive contre les Latins, menée par les marins des côtes musulmanes, ne pouvait être que des actes de "piraterie". Le terme, commode, est lui-même utilisé dans le sens donné par les historiens modernistes, en pensant plus particulièrement aux Barbaresques. Dans les sources médiévales, il n'existe pas d'équivalent à ce terme, du moins avec ce sens.
Le terme tel qu'il est appliqué pour les périodes moderne et contemporaine, par exemple par Lucien Musset, désigne d'abord un acte brutal : destructions, pillages, esclavage, tueries, commis par des marins – les mêmes actes perpétrés sur les frontières terrestres ne sont pas désignés par le terme « pirate » mais plutôt par celui de razzia – contre des populations des pays ennemis, accessibles par la mer. Le pirate est aussi le marin qui échappe à toute autorité et commet ses actes sans tenir compte de la situation de guerre ou de paix. Le pirate « sans foi ni loi » est donc censé être distingué du marin de la marine souveraine ou du corsaire, officiellement appointé par lettre de course pour attaquer un ennemi de son pays. Les témoignages sur les attaques musulmanes contre les populations des rives chrétiennes, connus seulement par les textes des victimes, les moines essentiellement, ou de leurs autorités de tutelle, ne rentrent pas dans de telles considérations. Les textes juridiques, chrétiens et musulmans, désignent par des termes variés ceux qui s'en prennent à leur propre communauté, mais le terme de pirate n'apparaît jamais dans les textes arabes, pour désigner une descente de marins chrétiens ou vikings, sinon lorsqu'il s'agit des leurs ou bien pour désigner des marins chrétiens ayant transgressé les traités de paix.
Dans le cadre qui nous intéresse ici, plus que les actes eux-mêmes et leurs conséquences sur les populations des rives latines ou grecques, c'est l'origine des marins et surtout leur statut qui est en cause. En effet, les études sur les activités maritimes des gens de mer vivant sur les côtes de l'Islam, ont longtemps été limitées aux activités classées sous le terme commode mais peu précis de piraterie, pour la bonne et simple raison que les seules sources qui ont été utilisées, à quelques textes près, sont celles des victimes. Ainsi, dès que l'on veut étudier un phénomène dont le cadre historiographique et les sources qui en font état, sont étrangers à la terre d'origine des acteurs concernés, la démarche est, dès lors, totalement faussée. Les bases de l'étude d'une piraterie musulmane sur les eaux de la Méditerranée médiévale sont donc très éloignées du cadre de l'organisation maritime, telle qu'elle apparaît dans les sources arabes. La distinction entre piraterie et course n'existe pas dans la mesure où toute opération de guerre – du jihad si l'on préfère – est placée sous l'autorité du souverain légitime ou de son représentant. Comme le montre Ibn Khaldûn, il ne peut y avoir de marine de guerre sur l'eau que celle qui est sous le commandement des amiraux du calife ou de l'émir. Aussi, étudier la « piraterie » musulmane au Moyen Âge (comme à l'époque moderne du reste) ressort en premier lieu d'une lecture attentive des sources arabes, avant de replonger dans les textes des Grecs et des Latins qui furent les victimes de ces « pirates ».
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