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Guerre en Ukraine : Poutine est-il tombé dans le piège américain ?

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  • Guerre en Ukraine : Poutine est-il tombé dans le piège américain ?

    Le président russe Vladimir Poutine a lancé une offensive militaire en Ukraine dans la nuit du 23 et 24 février. Cette invasion brutale et inacceptable va impacter durablement les relations entre la Russie et l’Europe. Elle va aussi être un tournant car elle va avoir de lourdes conséquences sur la stabilité des équilibres mondiaux. Analyse du géopolitologue Roland Lombardi.

    La guerre vient d’éclater en plein cœur de l’Europe. Nous assistons au début d’une des crises les plus graves que le Vieux continent ait connu depuis la Seconde guerre. Dans la nuit du 23 au 24 février, comme un paroxysme de la montée des tensions visibles ces dernières mois, le président russe Vladimir Poutine a lancé une offensive militaire d’envergure sur le territoire de son voisin ukrainien. Pour le Kremlin, qui dit avoir été appelé à l’aide, il s’agit officiellement de protéger les territoires séparatistes pro-russes situés à l’est de l’Ukraine, les provinces de Donetsk et de Lougansk, régions unilatéralement reconnues comme indépendantes par le président russe le 21 février dernier. Cependant, bien au-delà de ces territoires, plusieurs zones ont été bombardées par l’aviation russe ces dernières heures.

    Cette grave agression de la Russie est éminemment condamnable car elle viole la souveraineté de l’Ukraine et le principe d’intangibilité des frontières. C’est également la fin définitive des accords de Minsk, qui était pourtant le seul cadre sérieux et crédible qui aurait pu sortir des impasses diplomatiques et garantir la stabilité territoriale ukrainienne.

    Sans minimiser les responsabilités de Moscou dans cette grave crise, il ne faut toutefois pas perdre de vue que la situation incombe aussi grandement à la politique des Occidentaux et de l’OTAN.

    Responsabilités américaines et acte manqué de la France

    La question de savoir si les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, ou plutôt ceux qui les ont rendues inévitables, est plus que jamais d’actualité.

    Nul besoin de revenir sur les erreurs, les paroles non tenues et surtout la politique américaine inconséquente envers la Russie après la chute de l’URSS au début des années 1990. Henry Kissinger l’avait alors souligné : « Nous n’avons fait aucun effort sérieux pour associer la Russie à une nouvelle architecture de sécurité en Europe ». Hubert Védrine, l’un des plus éclairés de nos anciens ministres des Affaires étrangères, ne cesse d’ailleurs de le rappeler ces derniers jours.

    En effet, force est de constater que rien n’a été fait sérieusement, du côté occidental, pour prendre en considération les préoccupations sécuritaires légitimes de la Russie. Notamment en ne respectant pas, depuis la fin de l’Union soviétique, les promesses sur le non-élargissement de l’OTAN à l’est de l’Europe et dans la zone d’influence russe, et en refusant toujours tout dialogue concret sur un nouvel ordre sécuritaire européen.

    Il n’est pas nécessaire aussi de revenir sur le retour de la politique « brzezińskienne » hostile à la Russie, portée par l’administration Biden. Politique étonnante pour les États-Unis puisque leur véritable et seul rival géopolitique n’est autre que la puissance chinoise ! De fait, les provocations de Washington, ses déclarations belliqueuses et son refus manifeste de privilégier la diplomatie, tout en affirmant haut et fort que « les Américains ne mourraient pas pour Kiev » alors même que le pouvoir ukrainien appelait ces dernières semaines à la retenue de la part des Occidentaux, n’ont fait que pousser Poutine à la faute.

    Pourtant, une solution diplomatique aurait pu mettre fin à la crise depuis plusieurs semaines. Comme je l’ai déjà écrit, Emmanuel Macron a raté une formidable occasion de redonner à la France toute sa grandeur et un rôle de vrai médiateur afin d’éviter ce drame. Pour cela, il aurait suffi que Paris annonce solennellement, en tant que membre de l’OTAN, et comme le prévoient ses statuts, qu’elle s’opposait à l’adhésion de l’Ukraine à l’alliance, tout en œuvrant pour que ce pays obtienne un statut de neutralité. Et tout en proposant, pourquoi pas, un positionnement de troupes de l’ONU – qui a brillé par son absence – en attendant la finalisation d’un grand accord réactivant par exemple les accords de Minsk. Moscou aurait alors été obligée de reculer, puisque sa principale exigence aurait été reconnue. Surtout, cela aurait paralysé ses velléités guerrières. La France aurait été de nouveau écoutée. Au lieu de cela, soumis aux puissants lobbies américains, Macron a préféré des gesticulations diplomatiques à des fins électorales et s’aligner sur Washington. Ce qui a valu au Président français une humiliation lors de sa visite à Moscou et une énième déculottée diplomatique – après la Syrie, la Libye et le Sahel – avec le fiasco retentissant de sa proposition d’un sommet mort-né depuis la reconnaissance, ce lundi, de l’indépendance des provinces de Donetsk et de Lougansk par le Kremlin !

    Quoi qu’il en soit, depuis hier, poussé dans ses retranchements, Poutine profitant encore des divisions et de la faiblesse de l’Occident-, a décidé de passer à l’action. Or, même si les Russes n’agissent jamais sans un plan mûrement réfléchi, il n’en reste pas moins qu’ils sont aussi conscients que cette intervention en Ukraine peut s’avérer un piège que leur ont tendu les États-Unis. C’est la raison pour laquelle l’opération russe doit aller très vite (comme en Géorgie en 2008) et ne pas s’éterniser. Deux scénarii sont possibles : le premier, une invasion jusqu’à Kiev pour y installer un pouvoir pro-russe avec le risque d’une « occupation » totale de l’Ukraine, d’une guerre asymétrique et d’un embourbement (grande phobie des Russes depuis l’Afghanistan) contre une population majoritairement hostile. Peu probable et trop hasardeux. Le second scénario serait plutôt une intervention rapide et limitée dans le temps (une semaine ou deux) et l’espace, afin de « briser » la défense et l’armée ukrainienne, comme c’est le cas jusqu’ici avec des frappes sur près de quatre-vingts structures militaires et une dizaine d’aérodromes. Tout en évitant le contact avec les territoires voisins où l’OTAN est présente afin de proscrire tout incident, et mener une « sous-traitance » progressive des combats au sol par des milices pro-russes avec une « occupation » partielle des régions situées au-delà du Donbass et au sud d’une ligne sud-ouest/nord-ouest, d’Odessa à Kharkov, là où les populations sont majoritairement les plus russophiles et russophones.

    Qui sont les gagnants et les perdants de cette guerre ?

    Le premier perdant est bien-sûr le peuple ukrainien qui va inévitablement souffrir. D’autant plus que Joe Biden vient encore de rappeler dans sa dernière allocution solennelle qu’il n’enverra pas des troupes en Ukraine. Les Américains, comme les Européens, n’ont pas envie d’affronter directement la Russie. Ils ne sont pas prêts et n’en ont pas les moyens. La spirale infernale devrait être rationnellement évitée. Même si la petite musique dangereuse des va-t-en-guerre, champions de l’ingérence - ceux qui aiment les « guerres justes » mais avec le sang des autres - se fait de plus en plus entendre au sein des arcanes du pouvoir à Paris, Londres et Washington…

    En attendant, après l’émotion, la sidération et l’affolement général de ces dernières heures, et d’ici une ou deux semaines, si le plan des Russes est un succès, cette intervention éclair va impacter durablement la Russie mais également l’Europe, ainsi que leurs relations. Elle va surtout avoir de lourdes conséquences sur la stabilité et la géopolitique mondiales.

    Pour la Russie d’abord, même si Moscou a mis en place un certain nombre de protections de son système bancaire et détient d'importantes ressources naturelles ainsi que des réserves financières conséquentes (en or notamment), elle va devenir un véritable « paria » sur la scène internationale et se voir accabler par des sanctions économiques maximales.

    Certes, on l’a déjà vu ailleurs, et Poutine s’y est préparé, les sanctions internationales ne font en général que renforcer les régimes politiques qui en sont la cible et les forcent au contraire à innover et diversifier leur économie. La Russie va alors se tourner de plus en plus vers la Chine – qui vient encore de confirmer son soutien –, ce qui va renforcer l’axe anti-occidental, avec néanmoins le risque pour les Russes d’une certaine forme de « vassalisation » au profit de l’adversaire historique chinois.

    L’Union européenne, en s’alignant aveuglément sur la ligne américaine et au mépris de ses propres intérêts, va perdre sur toute la ligne. Elle va être frappée par une crise énergétique et économique durable. Aujourd’hui les bourses occidentales dévissent et le prix du gaz, du pétrole et des céréales explosent. Avec cette rupture stratégique avec la Russie, l’UE perd d’abord l’un de ses principaux partenaires commerciaux car elle va inévitablement subir les représailles commerciales russes. Elle va perdre surtout sa dépendance énergétique au profit de pays comme le Qatar, l’Azerbaïdjan et surtout les États-Unis qui vont se substituer aux Russes pour alimenter l’Europe en gaz, en vendant – plus cher – leur gaz de schiste !

    Washington est le grand gagnant, à court terme, de ce conflit, puisque les Américains sont parvenus à séparer pour longtemps les Européens des Russes, réactiver l’OTAN et vont pouvoir intensifier la vente de leur armement à l’Europe. À long terme, c’est autre chose. Pousser encore plus la Russie dans les bras de la Chine, la superpuissance de demain, n’est stratégiquement pas judicieux. Surtout en cas d’un futur et éventuel conflit entre les États-Unis et l’Empire du milieu…

    Au final, comme je l’ai déjà annoncé dans un précédent article, les stratèges chinois ne peuvent que se frotter les mains en voyant les Européens, les Américains et les Russes s’écharper pitoyablement…

    Roland Lombardi est historien, consultant en géopolitique et spécialiste du Moyen-Orient. Il est analyste et éditorialiste pour Fild. Il est l'auteur de plusieurs articles spécialisés. Ses derniers ouvrages sont Les trente honteuses, ou la fin de l'influence française dans le monde arabe et musulman (VA Éditions, 2019), Poutine d'Arabie, comment la Russie est devenue incontournable en Méditerranée et au Moyen-Orient (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire, Chroniques géopolitiques (VA Éditions, 2021)

    Source : fild
    Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde... La connerie aussi - Proverbe shadokien
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