Pourquoi Moscou souhaite une Ukraine neutre?
Des pompiers regardent un immeuble à logements touché par un missile russe.
Réjean Blais (accéder à la page de l'auteur)
Réjean Blais
Alors que les affrontements et les bombardements se poursuivent en Ukraine, Vladimir Poutine affirme qu’il est prêt à envoyer une délégation au Bélarus pour discuter de la situation avec les Ukrainiens. Certaines agences de presse rapportent que le président ukranien Volodymyr Zelensky serait disposé à faire de son pays une nation « neutre ». Selon, Pierre Binette, spécialiste de la Russie et professeur à l’École de politique appliquée l'Université de Sherbrooke, c’est justement cette position de neutralité qui est au cœur du conflit qui fait rage présentement.
Lors d’une entrevue réalisée la veille de l’invasion russe mercredi, Pierre Binette expliquait à Radio-Canada que le président russe conteste depuis des années l’occidentalisation de plus en plus grande des pays à l’est de l’Europe, et par le fait même, le rétrécissement de la zone d’influence du Kremlin. D’où l’intérêt d’avoir une zone tampon pour préserver les valeurs russes. Et pour Vladimir Poutine, la guerre est devenue le seul moyen de se faire entendre par l’Occident.
Poutine c’est un gars qui réfléchit en termes de rapport de force. Il s’est aperçu que sans rapport de force, il n’était pas écouté. Pour lui, l’expansion de l'Occident avec l’OTAN et l’Union européenne doit se terminer aux frontières de l’Ukraine. Quitte à l’envahir, expliquait-il.
C’est que l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, a passablement étendu son influence depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. D’abord formée de 12 pays en 1949, elle a pris de l’ampleur et compte aujourd’hui 30 pays membres, dont plusieurs sont limitrophes au territoire russe, comme la Pologne, l’Estonie et la Lituanie.
Qu’est-ce que l’OTAN?
L'OTAN est une alliance visant à garantir la liberté et la sécurité de ses membres par des moyens politiques et militaires.
L'OTAN s’emploie à promouvoir les valeurs démocratiques et permet à ses membres de se consulter et de coopérer sur les questions de défense et de sécurité afin de résoudre les problèmes.
L’ OTAN est attachée à la résolution pacifique des différends. Si les efforts diplomatiques échouent, elle dispose de la puissance militaire nécessaire pour entreprendre des opérations de gestion de crise.
Source: OTAN
Dans un communiqué publié vendredi, l’Organisation du traité de l'Atlantique nordOTAN a condamné l’attaque de l’armée russe en Ukraine, considérant qu’elle est perpétrée en l’absence totale de provocation et sans aucune justification. Ce type d’intervention dérange et choque le Kremlin, qui y voit une incompréhension et ingérence de l'Ouest dans sa politique.
Jeudi, le président Vladimir Poutine a d'ailleurs averti les Occidentaux qui tenteraient d'interférer que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera des conséquences que vous n'avez encore jamais connue.
Une neutralité pour avoir un espace sécuritaire
Pour bien comprendre pourquoi Poutine désire que l’Ukraine proclame sa neutralité, il faut remonter à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, explique le spécialiste. Lorsque ce conflit sanglant se termine, les nations victorieuses, soit l’Union soviétique, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, se séparent le territoire de l’Allemagne vaincue. C’est ce que l’on appelle les accords de Yalta, conclus en février 1945.
Pierre Binette, professeur à l'Université de Sherbrooke explique à des étudiants la nature du conflit entre la Russie et l'Ukraine.
PHOTO : RADIO-CANADA / JOËL PROVENCHER
À Yalta, ce que l’on fait, c’est que l’on accepte de prendre en considération les intérêts des grandes puissances et se [partager] le territoire. On définit la zone d’influence soviétique en Europe orientale, la zone d’influence occidentale et il y a un petit pays en plein milieu qui s’appelle l’Autriche. On ne sait pas s’il va faire partie du camp socialiste ou s’il va faire partie de l’Occident. L’Autriche dit : "Moi, je me proclame neutre. Je ne ferai jamais partie de l’OTAN".
Selon Pierre Binette, Poutine veut que l’Ukraine proclame sa neutralité comme l'Autriche en 1945 pour ainsi établir un espace sécuritaire entre la Russie et l’Occident. Il souhaite aussi que les gouvernements occidentaux respectent les ententes prises dans le passé.
Quand il y a la réunification de l’Allemagne [1990], on a promis à la Russie qu’il n’y aura pas d'expansion de l’Organisation du traité de l'Atlantique nordOTAN vers l’Union soviétique de l’époque. Mais depuis, cette parole-là a été complètement bafouée. La Russie est littéralement étouffée dans sa dimension européenne par l’Organisation du traité de l'Atlantique nordOTAN et elle est aussi étouffée par l’Union européenne, précise le spécialiste.
Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, en compagnie du vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexander Grushko, à Bruxelles.
De plus, souligne Pierre Binette, plus les années passent, moins l’Occident reconnaît la Russie comme une grande puissance mondiale.
[Les Russes] disent que l'Occident ne prend plus en considération les intérêts fondamentaux de la Russie en tant que grande puissance. D’ailleurs, les Nation unies reconnaissent institutionnellement cet élément là d’intérêt des grandes puissances en leur octroyant au Conseil de sécurité un siège permanent et un droit de véto. C’est pas en l’air, cette idée-là.
Les intentions de Vladimir Poutine, selon Pierre Binette, serait donc d’obtenir de l’Ukraine un statut de neutralité et qu’une fois cette concession acquise, il retirerait ses troupes du pays.
Je pense que s’il l’envahit, ça va être pour se retirer à relativement court terme après des négociations. Il veut que l’Ukraine se proclame neutre comme l’Autriche l’a fait [en 1945]. Je pense qu’il est assez réaliste pour ne pas croire qu’il est possible d’occuper un pays de 45 millions d’habitants et de manipuler ce pays comme on le faisait aux XVIIIe et XIXe siècles. Aujourd’hui c’est impossible. Ça risque même d’être sa perte à lui, s’il le pense, parce que ça va être un bourbier.
Toujours selon le spécialiste, les Russe n’ont rien oublié des invasions survenues lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale et ils se méfient de l’Occident.
Des pompiers regardent un immeuble à logements touché par un missile russe.
Réjean Blais (accéder à la page de l'auteur)
Réjean Blais
Alors que les affrontements et les bombardements se poursuivent en Ukraine, Vladimir Poutine affirme qu’il est prêt à envoyer une délégation au Bélarus pour discuter de la situation avec les Ukrainiens. Certaines agences de presse rapportent que le président ukranien Volodymyr Zelensky serait disposé à faire de son pays une nation « neutre ». Selon, Pierre Binette, spécialiste de la Russie et professeur à l’École de politique appliquée l'Université de Sherbrooke, c’est justement cette position de neutralité qui est au cœur du conflit qui fait rage présentement.
Lors d’une entrevue réalisée la veille de l’invasion russe mercredi, Pierre Binette expliquait à Radio-Canada que le président russe conteste depuis des années l’occidentalisation de plus en plus grande des pays à l’est de l’Europe, et par le fait même, le rétrécissement de la zone d’influence du Kremlin. D’où l’intérêt d’avoir une zone tampon pour préserver les valeurs russes. Et pour Vladimir Poutine, la guerre est devenue le seul moyen de se faire entendre par l’Occident.
Poutine c’est un gars qui réfléchit en termes de rapport de force. Il s’est aperçu que sans rapport de force, il n’était pas écouté. Pour lui, l’expansion de l'Occident avec l’OTAN et l’Union européenne doit se terminer aux frontières de l’Ukraine. Quitte à l’envahir, expliquait-il.
C’est que l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, a passablement étendu son influence depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. D’abord formée de 12 pays en 1949, elle a pris de l’ampleur et compte aujourd’hui 30 pays membres, dont plusieurs sont limitrophes au territoire russe, comme la Pologne, l’Estonie et la Lituanie.
Qu’est-ce que l’OTAN?
L'OTAN est une alliance visant à garantir la liberté et la sécurité de ses membres par des moyens politiques et militaires.
L'OTAN s’emploie à promouvoir les valeurs démocratiques et permet à ses membres de se consulter et de coopérer sur les questions de défense et de sécurité afin de résoudre les problèmes.
L’ OTAN est attachée à la résolution pacifique des différends. Si les efforts diplomatiques échouent, elle dispose de la puissance militaire nécessaire pour entreprendre des opérations de gestion de crise.
Source: OTAN
Dans un communiqué publié vendredi, l’Organisation du traité de l'Atlantique nordOTAN a condamné l’attaque de l’armée russe en Ukraine, considérant qu’elle est perpétrée en l’absence totale de provocation et sans aucune justification. Ce type d’intervention dérange et choque le Kremlin, qui y voit une incompréhension et ingérence de l'Ouest dans sa politique.
Jeudi, le président Vladimir Poutine a d'ailleurs averti les Occidentaux qui tenteraient d'interférer que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera des conséquences que vous n'avez encore jamais connue.
Une neutralité pour avoir un espace sécuritaire
Pour bien comprendre pourquoi Poutine désire que l’Ukraine proclame sa neutralité, il faut remonter à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, explique le spécialiste. Lorsque ce conflit sanglant se termine, les nations victorieuses, soit l’Union soviétique, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, se séparent le territoire de l’Allemagne vaincue. C’est ce que l’on appelle les accords de Yalta, conclus en février 1945.
Pierre Binette, professeur à l'Université de Sherbrooke explique à des étudiants la nature du conflit entre la Russie et l'Ukraine.
PHOTO : RADIO-CANADA / JOËL PROVENCHER
À Yalta, ce que l’on fait, c’est que l’on accepte de prendre en considération les intérêts des grandes puissances et se [partager] le territoire. On définit la zone d’influence soviétique en Europe orientale, la zone d’influence occidentale et il y a un petit pays en plein milieu qui s’appelle l’Autriche. On ne sait pas s’il va faire partie du camp socialiste ou s’il va faire partie de l’Occident. L’Autriche dit : "Moi, je me proclame neutre. Je ne ferai jamais partie de l’OTAN".
Selon Pierre Binette, Poutine veut que l’Ukraine proclame sa neutralité comme l'Autriche en 1945 pour ainsi établir un espace sécuritaire entre la Russie et l’Occident. Il souhaite aussi que les gouvernements occidentaux respectent les ententes prises dans le passé.
Quand il y a la réunification de l’Allemagne [1990], on a promis à la Russie qu’il n’y aura pas d'expansion de l’Organisation du traité de l'Atlantique nordOTAN vers l’Union soviétique de l’époque. Mais depuis, cette parole-là a été complètement bafouée. La Russie est littéralement étouffée dans sa dimension européenne par l’Organisation du traité de l'Atlantique nordOTAN et elle est aussi étouffée par l’Union européenne, précise le spécialiste.
Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, en compagnie du vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexander Grushko, à Bruxelles.
De plus, souligne Pierre Binette, plus les années passent, moins l’Occident reconnaît la Russie comme une grande puissance mondiale.
[Les Russes] disent que l'Occident ne prend plus en considération les intérêts fondamentaux de la Russie en tant que grande puissance. D’ailleurs, les Nation unies reconnaissent institutionnellement cet élément là d’intérêt des grandes puissances en leur octroyant au Conseil de sécurité un siège permanent et un droit de véto. C’est pas en l’air, cette idée-là.
Les intentions de Vladimir Poutine, selon Pierre Binette, serait donc d’obtenir de l’Ukraine un statut de neutralité et qu’une fois cette concession acquise, il retirerait ses troupes du pays.
Je pense que s’il l’envahit, ça va être pour se retirer à relativement court terme après des négociations. Il veut que l’Ukraine se proclame neutre comme l’Autriche l’a fait [en 1945]. Je pense qu’il est assez réaliste pour ne pas croire qu’il est possible d’occuper un pays de 45 millions d’habitants et de manipuler ce pays comme on le faisait aux XVIIIe et XIXe siècles. Aujourd’hui c’est impossible. Ça risque même d’être sa perte à lui, s’il le pense, parce que ça va être un bourbier.
Toujours selon le spécialiste, les Russe n’ont rien oublié des invasions survenues lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale et ils se méfient de l’Occident.
« C’est une très vieille conception conservatrice [qu’il y ait] une zone tampon entre la Russie et l’Europe de l’Ouest. »
— Une citation de Pierre Binette, professeur à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke
— Une citation de Pierre Binette, professeur à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke
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