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Des Phéniciens et des Puniques

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  • Des Phéniciens et des Puniques

    Extrait du livre Manuel de recherche de la Civilisation Phénicienne et Punique (Editions Brill)

    Introduction

    En parlant d'«etudes pheniciennes et puniques», on utilise une double definition, ce qui indique qu'une seule semblait insuffisante. En réalité, dans la terminologie courante, on a tendance a preferer le terme «pheniciens» pour les aspects qui concernent l'Orient et «puniques» pour ceux qui regardent l'Occident, et ce pour un peuple et une culture qui, fondamentalement, forment une seule unité. Il s'agit d'un cas assez analogue à celui des Grecs de la métropole et des Grecs de la Grande-Grece, mais, a leur propos, il n'existe pas, pour l'Occident, un nom différent qui ait été diffusé et largement utilisé.

    Nonobstant cela, si l'on songe au fait indubitable que le terme «punique» est seulement une adaptation latine du grec «phenicien», on comprend que l'utilisation d'un double qualificatif n'a aucune incidence sur l'unite fondamentale (du moins sur les fondements communs) de ce peuple et de sa culture. Parler d'«études pheniciennes et puniques» revient donc a mettre en évidence I'intention de globaliser l'approche, de ne pas accorder moins d'importance et de consistance aux événements et aux manifestations culturelles de l'Occident. Si l'on avait parlé uniquement d'«études pheniciennes», la réalité aura été la même, sauf si I'on s'était fixé des limites intentionnelles, et par consequent, le titre de ce Manuel signifie que de telles limitations sont à exclure de notre propos.
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    Dernière modification par Harrachi78, 01 février 2022, 16h20.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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    A. Le nom et le peuple

    Quelle est l'origine du nom «Pheniciens» ? Quelle réalité historique ce terme recouvre-t-il ?

    Phoïnikes pour le peuple et Phoïnikê pour la région sont des denominations grecques, utilisées par Homere. Elles apparaissent liées au terme phoïnix, «rouge pourpre», et donc a l'industrie de teinture des tissus typique des cités pheniciennes. Leur utilisation par Homere trouve quelque antécédents dans les textes myceniens, dans Ia seconde moitie du 2e millenaire av. J.-C., et de tels précédents, à vrai dire rares, peuvent se référer soit a la couleur, soit aux personnes.

    A ce point, une autre interrogation vient a l'esprit : comment les Pheniciens se designaient-ils eux-memes ? En réalité, la conscience unitaire des cités pheniciennes semble faible et on ne connait pas non plus un nom constant, affirmé, qui les distingue des autres. Le nom de Canaan, pour la région, et de Cananéens, pour le peuple, fut en usage dans l'aire syro-palestinienne a partir du 3e millenaire av. J.-C. et fut certainement utilisé par les Phéniciens pour eux-memes, de sorte qu'il apparait légitime d'y recourir pour désigner les Pheniciens, mais en tenant compte du fait qu'il couvre une réalité plus vaste, dont les Pheniciens ne constituaient qu'une partie.

    Il est intéressant de noter que le nom «Cananéens» est également lié à la couleur pourpre. Dans les textes akkadiens de Nūzi, au milieu du 2e millenaire av. J.-C., le terme kinakhnu apparait en effet avec le sens de «rouge pourpre». Ce parallèle est très éclairant en ce qui concerne le rapport entre le nom propre et le nom commun : linguistiquement parlant, on peut concevoir un passage de "Canaan" a "kinakhnu", mais pas I'inverse. Dès lors, ce fut bien l'activite industrielle typique qui prit le nom de la région dans laquelle elle se déroulait et non le contraire.

    Dans l'état actuel de nos connaissances, donc, l'histoire du nom semble se poser dans les termes suivants. Canaan apparait des le 3e millenaire comme désignation de la région syro-palestinienne, d'où le terme «Cananéens» pour designer ses habitants. Les Pheniciens adoptent pour eux-memes ce terme, mais ce ne fut ni le seul, ni le plus fréquemment utilisé. De Canaan dérive, en raison de l'activite locale la plus caracteristique, le terme qui signifie «rouge pourpre». Le grec calque sur le nom local celui de la région, celui de la couleur et celui des habitants.

    L'utilisation du terme «Cananéens » pour désigner les Phéniciens (et plus generalement les peuples de la région syro-palestinienne) est aussi caracteristique de l'Ancien Testament. Il est important de remarquer qu'il survit dans la conscience du peuple auquel il se réfère, y compris dans sa diaspora méditerranéenne et jusqu' à une époque tardive : dans un célèbre passage, saint Augustin affirme, à propos de la population africaine de son époque, que les paysans (de toute évidence les déscendants des Phéniciens et de leurs successeurs Carthaginois) se donnaient le nom de Chanani.

    Comme nous l'avons souligné, ce nom ne fut toutefois pas le seul à être utilisé. Homere appelle aussi les Pheniciens «Sidoniens», d'apres le nom d'une de leurs principales cités ; et cet usage grec trouve un écho dans divers passages de l'Ancien Testament. Quant à savoir si les Phéniciens aussi recouraient à un tel nom, on peut penser que c'était vraisemblablement le cas si l'on songe à une inscription de Chypre dans laquelle un gouverneur phénicien se définit comme «serviteur d'Hiram, roi des Sidoniens». Il semble donc évident qu'un tel usage reflète une phase historique de domination sidonienne, ce que suggèrent du reste les circonstances de la plus ancienne histoire phénicienne. Le nom de «Tyriens», par ailleurs, peut egalement désigner, dans certains cas, une réalité plus vaste que celle de la cité homonyme.

    Pour en revenir au rapport, dont nous avons parlé au début de cet exposé, entre les substantifs «Pheniciens» et «Puniques» et les adjectifs correspondants, étant donné que le second nait comme adaptation latine du premier, nous pouvons conclure que le terme «Pheniciens» désigne ce peuple tant dans sa réalité la plus large (à la fois orientale et occidentale) que dans sa réalité plus spécifiquement orientale, tandis que «Puniques» désigne le même peuple seulement dans sa dimension occidentale. Mais deux mises en garde s'imposent ici : la première est qu'il existe bien une phase proprement «phenicienne» en Occident, celle qui précède l'affirmation de Carthage vers 550 av. J.-C. ; la seconde est que, à l'interieur du terme générique de «Puniques», on peut parler plus specifiquement de «Carthaginois» pour désigner ce qui relève de la population et de la culture de cette cité.

    Après avoir précisé la question du nom, il nous incombe de nous interroger sur le peuple lui-meme : precisement, comment identifier et définir, dans ses composantes et ses caractéristiques propres, la réalité historique et culturelle des Phéniciens ? Mais avant cela, une précision s'impose : par «peuple», nous entendons un ensemble de personnes qui peuvent être de races et de provenance différentes, mais qui présentent des caractères suffisamment homogènes et distinctifs s'ils ont en commun une langue, une aire géographique et un processus historico-culturel.

    Sur base de cette définition, il semble assuré que les Pheniciens se définissent comme une réalité historique au sein du Proche-Orient, à partir de 1200 av. J.-C., simultanement au passage de l'Age du Bronze a l'Age du Fer, et a la suite de la nouvelle situation provoquée par l'invasion dite des «Peuples de la mer». Après que ces derniers ont été refoulés, les grandes puissances limitrophes (Égypte et Mésopotamie) restent, du moins temporairement, à l'écart de la zone syro-palestinienne tandis que de l'interieur surviennent les Israélites, les Araméens et d'autres peuples qui constituent de veritables Etats, d 'une réelle importance, de sorte que les cités côtières acquièrent une relative autonomie.

    Ce sont ces cités qui méritent le nom de «pheniciennes». Elles se trouvent naturellement plus unies entre elles et, du meme coup, encouragées à chercher de nouveaux débouchés, ceux de la colonisation méditerranéenne. Ce phénomène n'existait pas auparavant alors qu'il apparait et s'affirme avec l'Age du Fer. Ainsi, se constitue une nouvelle qualification spatiale, de la Syro-Palestine à l'Espagne, qui définit bien les Pheniciens. On se doit d'ajouter que les connotations spécifiques des centres coloniaux, qui exploitent les promontoires, les baies et les îlots, sont les mêmes que celles qu'on rencontre dans la métropole. Elles fournissent donc un élément caractéristique supplémentaire. On pourrait faire remarquer qu'en dernière analyse l'autonomie des cités pheniciennes à l'Age du Fer prolonge celle dont jouissaient les mêmes cités durant l'Age du Bronze. Cela est partiellement vrai, mais pas entièrement, comme suffit a le montrer le phénomène de la colonisation méditerranéenne (absent auparavant et présent ensuite) et comme on peut le voir si l'on envisage d'autres aspects, non plus seulement l'histoire, mais la langue, la religion et la culture materielle.

    Ce sont done ces domaines que nous allons maintenant considerer, mais nous devons encore préciser que la date de 1200 av. J.-C., aux alentours de laquelle on situe le passage de l'Age du Bronze a l'Age du Fer, non seulement est approximative, mais aussi qu'elle indique le début d'un phénomène plutôt que son accomplissement total. En réalité, la documentation qui couvre la periode entre v. 1200 et 1000 av. J.-C. est très maigre puisque la majeure partie des témoignages phéniciens sont posterieurs a l'an 1000. Ceci dit, le vide de ces «siecles obscurs» n'est pas complet et il faut probablement l'attribuer, dans une large mesure, à la rareté persistante d'enquêtes archéologiques dans l'aire phénicienne.

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      B. La langue et I'écriture

      La question de la langue présente un intérêt tout particulier puisqu'il s'agit d'un élément essentiel dans la définition d'un peuple. La possibilité d'une confrontation avec la phase antérieure, représentée par les textes d'Ougarit du 14e-13e s. av. J.-C., donne des résultats très éclairants : tandis que l'ougaritique se presente comme une langue archaïque ou archaïsante, le phénicien est une langue fortement évoluée et ce, pour autant que nous puissions en juger, suite à une évolution interne. On observe, en phenicien, la disparition de certaines consonnes, la chute de la flexion nominale, l'apparition de l'article, la reduction des thèmes verbaux, la mise au point sémantique des «temps» parfait et imparfait.

      Reste le problème de l'autonomie du phénicien par rapport aux autres langues sémitiques de la même époque et de la même aire géographique, particulierement par rapport à l'hébreu. Dans ce dérnier cas, a côté de nombreuses convergences, on note cependant plusieurs divergences. En ce qui concerne les premieres, on se contentera de dire que les phénomènes relevés au paragraphe précédent valent tant pour l'une que pour l'autre langue. Quant aux divergences, elles sont de deux types : la conservation d'éléments archaïques et les innovations qui valent pour une langue et pas pour l'autre. […] Il faut, à ce point de l'exposé, rappeler que l'évaluation qu'on donne est conditionnée par l'antique débat sur la langue hébraïque, ou du moins sur la langue litteraire de l'Ancien Testament qui nous sert de référence. Si, comme cela semble être le cas, cette langue fut adoptée sur place, on posséderait là un élément supplémentaire pour caractériser l'aire phénicienne comme zone de continuité par rapport à la culture de l'époque précédente, tandis que l'hébreu temoignerait de l'adaptation à cette culture d'une population venue de l'intérieur : une adaptation, cela va de soi, partielle et non totale, d'où les convergences et les divergences. On comprendra que ces dernieres se maintiennent et s'amplifient par la suite avec le phénomène, typiquement phénicien, de la diaspora méditerranéenne.

      La question de la langue est indissociable d'une autre, non moins déterminante pour ce qui regarde la définition de l'autonomie phénicienne, la question de l'écriture, et plus précisément, de I'alphabet.

      Traditionnellement considéré comme une invention des Phéniciens, ce dernier apparait en réalité déjà plus tôt et en dehors des limites de l'aire géographique specifique de ce peuple (encore qu'a proximite). En effet, les inscriptions palestiniennes du Bronze Moyen, qui marquent le début du processus alphabetique entre 1700 et 1550 av. J.-C., n'appartiennent ni à l'époque ni à la région proprement phénicienne, pas davantage que les «sinaïtiques», qui constituent l'étape suivante de ce processus au 15e s. A Ougarit, ensuite, un alphabet complet en caractères cuneiformes existait des le 14e s. Comme on le voit, l'alphabet est le résultat d'un long développement dont témoignent des tentatives répétées. Ce développement caractérise comme telle l'aire syro-palestinienne dans laquelle il se déroule, même si l'idee qui l'inspire, on peut le démontrer, provient d'Egypte. Ce phénomène est déja parvenu à terme, chronologiquement parlant, a Ougarit au 14e s., c'est-a-dire avant l'époque phénicienne proprement dite.

      Demeure le problème, qui n'est pas de moindre importance, de la forme, c'est-a-dire de l'écriture qui facilita et activa la diffusion de l'alphabet : une forme qui ne pouvait certes pas être la cuneiforme d'Ougarit. Si donc Ougarit témoigne de l'usage pleinement réalisé de l'alphabet, cette cité illustre un phénomène formel divergent et «anormal» en son temps, dans la mesure ou il ne connut aucun développement. Le destin de l'écriture phénicienne fut exactement à l'opposé : d'une part, elle porte à terme un processus entamé dans la région ; d'autre part, elle le complète, le rend plus systematique et surtout crée les conditions de sa diffusion.

      Cela se passa, à nouveau, apres le début de l'Age du Fer, après la date-limite, déjà évoquée, de 1200 av. J .-C. C'est encore après cette date- y compris l'intervalle relatif des «siecles obscurs» vers 1000 - que les documents se concentrent dans la région phénicienne d'ou irradient, vers 900 av. J.-C., les formes alphabétiques en direction de la Grèce. En conclusion, que la diffusion de l'alphabet, destiné a conquérir tout le monde méditerranéen, soit l'oeuvre des Phéniciens ne fait aucun doute. L'expression «lettres pheniciennes», utilisée par les Grecs, confère à cette association ultérieure entre un peuple et un processus historico-culturel toute son importance.

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      • #4
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        C. Le processus historique

        Le processus historique qui conduit les Pheniciens a se repandre sur toutes les côtes de la Méditerranée, jusqu'au Détroit de Gibraltar et au delà, constitue la caractéristique la plus spectaculaire, et en même temps la plus distinctive, de ce peuple et de sa culture. Jamais auparavant - et cela n'arrivera jamais plus par la suite avant la conquête arabe de l'epoque médiévale, un peuple du Proche-Orient n'avait connu une diffusion aussi large. De plus, si l'expansion arabe fut le fruit d'une conquête, l'expansion phénicienne apparait en revanche comme un phénomène éminemment commercial, initié par un peuple dont le poids politique, et plus encore militaire, était modeste.

        Pour analyser le processus historique en question, il importe avant tout d'en définir les protagonistes d' autant plus que, à ce sujet, les connaissances ont beaucoup évolué ces derniers temps. Dans le passé, en effet, on considerait les Phéniciens en général, et leurs cités en particulier, comme les protagonistes de la diaspora méditerranéenne. Un examen plus attentif à maintenant permis d’établir que, pour la plupart des cités pheniciennes, on ne dispose d'aucune information sur une activité colonisatrice, ni d'aucun indice de celle-ci. Les sources, en revanche, concentrent sur Tyr leur attention et leurs témoignages. Cette dernière doit donc etre considérée comme le principal, sinon l'unique, représentant du processus de colonisation. Seule Sidon, comme l'indique le terme Sidonii parfois utilise comme synonyme de Pheniciens, peut avoir joué un rôle dans la diaspora. S'il en alla ainsi, du reste, c'est vraisemblablement parce que, durant la phase historique qui précéda la diaspora elle-meme, Sidon formait, comme divers indices le révèlent, un seul royaume avec Tyr, sous la domination de cette derniere. En d'autres termes, il est possible que l'Etat qui mena la colonisation ait dépassé les limites de la cité, mais il reste peu vraisemblable que d'autres cités, indépendamment de Tyr, en aient été des protagonistes.

        En ce qui concerne la chronologie de la colonisation, une longue controverse a opposé, dans le passé, partisans de la chronologie «haute», basée sur certaines sources classiques qui datent la fondation de Gadès, Lixus et Utique de la fin du 12e s. av. J.-C., et tenants de la chronologie «basse», basée sur les témoignages archéologiques qui fait remonter les premières manifestations tangibles en Occident au 8e s.

        Un réexamen attentif des sources classiques à récemment mis en évidence le fait qu'on a affaire à des auteurs peu nombreux et tardifs, dépendant tous d'une tradition unique qui veut presenter l'expansion phénicienne en Occident comme une conséquence du retour des Héraclides d'lbérie 80 ans après la Guerre de Troie et donc, selon la chronologie traditionnelle de ce conflit, vers l'an 1100 av. J.-C. Cette tradition, comme on a même pu le démontrer, naquit vraisemblablement à l’époque hellénistique et en milieu alexandrin, où l'on attribuait aux poèmes homériques une validité historique : étant donné que ces poèmes font référence aux activités maritimes des Phéniciens, on replace de telles activités à la même époque et, étant donné qu'Héraclès était considéré comme l'ancêtre des Phéniciens, on assimile les voyages de ces derniers à ceux des Héraclides.

        Ceci dit, partout en Occident, les premiers témoignages archéologiques remontent à 750 environ. Quant au rapport entretenu avec la colonisation grecque, le temoignage de Thucydide, selon lequel les Phéniciens precederent les Grecs en Sicile et se retirerent en quelques points favorables lorsque ceux-ci arriverent en masse, est acceptable dans la mesure ou Ia fréquentation phénicienne de l'Occident peut avoir précédé la fondation de colonies et ce dernier phénomène peut être une réaction nécessaire face à la colonisation grecque, laquelle était bien plus consistante. Ceci n'exclut pas que, comme en Sicile, on ait assisté ailleurs aussi à une fréquentation phénicienne des côtes méditerranéennes antérieure à la fondation de colonies consistantes. On dira même que de nombreux indices en ce sens ont été recueillis, à Ia suite desquels on à parlé ces dernières années d'une «precolonisation» phénicienne par analogie avec la célèbre «precolonisation» grecque dont les Myceniens furent les représentants. Cette «precolonisation» pourrait remonter approximativement a ce 12e s. auquel se réfère Ia tradition classique, faisant donc le lien avec elle.

        Un examen plus approfondi des témoignages conduit toutefois à exprimer quelques réserves. Les trouvailles considérées comme phéniciennes et antérieures au 8e s., provenant de diverses régions de la Méditerranée (Sicile, Sardaigne, Espagne), sont en réalité des objets épars dont la datation peut certes remonter au 12e s., voire plus haut, mais dont l'attribution est plutôt proche-orientale en général que phénicienne en particulier. En d'autres termes, ces objets peuvent suggerer l'existence d'une navigation commerciale au départ des ports du Proche-Orient sans qu'on puisse pour autant démontrer que les Phéniciens en étaient les protagonistes. En outre, il reste la possibilité que plusieurs peuples aient pu véhiculer ces objets, et on songe plus particulierement aux Myceniens.

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        • #5
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          Quant aux causes de I'expansion phénicienne en Méditerranée, les données chronologiques qu'on vient de mettre en évidence contribuent à clarifier cette question.

          Avant tout, cette expansion fut-elle le fruit de la prospérité croissante des Phéniciens ou bien la conséquence de la fermeture des marches proche-orientaux victimes de la pression assyrienne recrudescente ? L'alternative à souvent été présentée en ces termes, mais en fait, elle ne rend pas bien compte du phénomène. Que la pression assyrienne dans la zone phénicienne se soit intensifiée précisément vers le milieu du 8e s. est indubitable, mais à l'egard de Tyr elle s'est essentiellement exercée sous la forme d'une inclusion dans la propre sphère d'influence, ce qui revenait à utiliser, et non a réduire les potentialités de ce centre.

          En réalité, il semble difficile d'imaginer qu'une région et un État en crise (celui de Tyr) aient pu concevoir et réaliser des entreprises aussi vastes et coûteuses dans toute la Méditerranée. Il est plus raisonnable de considérer que, en même temps que le pouvoir assyrien s'affirmait dans la région syro-palestinienne, Tyr devint la composante primordiale, et consentante, d'une politique commerciale à longue distance, développée certes de sa propre initiative, mais avec l'accord et pour le compte de l'empire assyrien. Du reste, les informations que nous possedons sur cette epoque montrent Tyr comme un Etat florissant, et non decadent.

          Un aspect fondamental de la diaspora phénicienne est lié à l'artisanat spécialisé et aux matières premières nécessaires à celui-ci, en particulier les métaux. Or, la fermeture significative des ressources anatoliennes au 8e s., suite a l'évolution de la situation historique, rendait également nécessaire de se tourner vers l'Occident, et plus spécialement vers la Péninsule Ibérique où il était possible de se procurer en abondance de l'argent, de l'or et de l'étain. Ce n'est certainement pas un hasard si les fondations coloniales ibériques sont parmi les plus anciennes, et la route de Tyr à Gadès s'affirme comme le fil conducteur du trafic méditerranéen. Naturellement, des raisons d'ordre interieur peuvent aussi etre mises en avant. Parmi elles, il faut tenir compte de la crise climatique qui frappe le Proche-Orient à partir du 12e s. et qui cause une dégradation de la couverture forestière et de la végétation méditerranéenne, d'ou un déficit agricole que rend plus sensible l'augmentation de la population pour laquelle il incombe de trouver de nouveaux débouchés. C'est une motivation acceptée depuis longtemps pour la colonisation grecque qu'il faut prendre en considération pour le milieu phenicien aussi.

          Les protagonistes de la colonisation sont, sans nul doute, a chercher parmi la classe des marchands qui constituaient l'aristocratie de l'Etat phenicien. On notera aussi la composante religieuse, car la colonisation est souvent accompagnée de la fondation de temples. Le cas le plus célèbre est celui du temple d'Héraclès, c'est-a-dire Melqart, a Gadès, mais on trouve aussi des temples dédiés à Melqart à Lixus, Carthage et Malte. Ces temples étaient assurément fondés en fonction du culte, mais ils exercaient vraisemblablement aussi d'autres fonctions: lieu d'asile, siège des archives et surtout véritables agences commerciales, avec une administration prise en charge par du personnel spécialisé.

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          • #6
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            Enfin, il faut s'interroger sur les modalités de la colonisation, c'est-a-dire sur la nature des établissements.

            Les cités phéniciennes constituent le prototype des fondations d'outre-mer, placées sur des promontoires qui pouvaient être abordés de deux cotés, ou bien sur des îlots face à Ia terre ferme, avec une autonomie plus grande encore. Quant à Ia distance entre les fondations, on observe qu'elles correspondaient souvent aux points terminaux d'une journée de navigation. Les eaux basses des lagunes, qui facilitaient l'accostage, et les sources d'eau douce, qui facilitaient le ravitaillement, étaient particulièrement recherchées.

            Des établissements mineurs ont été récemment mis au jour, spécialement en Sardaigne et sur Ia Costa del Sol, a l'embouchure des fleuves, ce qui permettait de s'abriter et, en cas de besoin, de remonter vers l'interieur des terres. Ces établissements font fonction de ports de transit, d'escales dans le cours de Ia navigation. […] Quant aux routes qui reliaient Tyr à Gades, il y en avait une par le N. (Chypre - Anatolie - mer Egée - mer lonienne - Malte - Sicile - Sardaigne Baléares - Espagne) et une par le S. (Egypte- Cyrénaïque - Tripolitaine - Afrique N.-occidentale - Espagne). Sur base des vents, il est vraisemblable qu'a l'aller on preferait la route septentrionale et au retour la route meridionale. Mais la Sicile constituait un point de rencontre possible entre les deux itineraires, selon les circonstances. En outre, en Espagne, un itineraire interieur entre la zone de Malaga et celle de Gades offrait une alternative au passage des Colonnes d'Hercule.

            Le long de ces routes, les Pheniciens exportaient des tissus colorés, du bois, de l'ivoire et surtout ces petits objets manufacturés qui constituaient l'essentiel de leur artisanat, pour satisfaire aux demandes des diverses aristocraties locales. Ils importaient en revanche, avant tout des metaux qu'ils travaillaient ensuite et revendaient sous forme de petits objets d'art. Le recit de Diodore de Sicile, selon lequel les premiers Phéniciens qui atteignirent l'Espagne forgèrent des ancres d'argent pour ramener chez eux le maximum de metal, exprime bien, abstraction faite de la question de l'authenticité de l'episode, la signification essentielle du commerce phénicien.

            Fin de l'extrait
            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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