Extrait du livre Histoire de la destruction de l'Autriche-Hongrie
Fin de l'extrait.
Lorsque nous parlerons désormais du "nationalisme", des sentiments de conscience et d'identité nationaux, nous emploierons ces termes comme des concepts historiques modernes qui ne vinrent à maturité et n'acquirent leur sens actuel qu'au 19e siècle - siècle postrévolutionnaire, siècle du romantisme, siècle où les idées de liberté et la réaction au nationalisme antiautoritaire agirent simultanément. Les nations, dans le sens que nous donnons aujourd'hui à ce terme et qui englobe les peuples entiers, n'existaient pas avant le tournant d'universalisme rationaliste, antitraditionaliste, pris par la culture européenne, vers la fin du 18e siècle, avec Voltaire, Diderot, Rousseau ... etc., et poursuivi par le prosélytisme jacobin et l'hégémonisme napoléonien. Ce sont les historiens de l'âge romantique qui ont créé, par référence au passé de leur peuple, la conscience nationale comme force politique revendicative et subversive. Certes, les peuples italien, roumain, tchèque, magyar ... etc. existaient bien avant le 19e siècle, en tant que communautés de langue, de coutumes, de traditions familiales, de patriotismes locaux fragmentés, mais leur conscience était formulée en termes religieux ou sociaux, voire un mélange des deux. Le terme « nation » était réservé à la noblesse dominante et n'était pas nécessairement lié à l'origine ethnique ou à la communauté de langue. Ainsi, les aristocrates hongrois parlaient, à la Diète, en latin, et, entre eux, généralement en allemand, et même au 19e siècle, le comte Széchenyi écrivait son journal intime en allemand.
Dès qu'on se propose de donner une définition de la nation, on s'aperçoit qu'on dispose d'une vaste littérature, ce qui n'est pas étonnant lorsqu'on sait les passions diverses, révolutionnaires ou réactionnaires, libérales et antilibérales, qu'éveille ce mot. Le nationalisme, dans l'acception moderne du terme, doit être compris comme l'extension (révolutionnaire ou non) au peuple tout entier du concept nation, réservé jusqu'alors à la noblesse gardienne des traditions de souveraineté. Du fait de la fusion du peuple et de la nation, qui prend aussitôt, sous influence allemande, une dimension linguistique, culturelle, historique, politique, le concept de « droit humain » perd sa place privilégiée. Et la nation, désormais proclamée souveraine, prend en charge, par l'intermédiaire de ses représentants élus, les droits d'indépendance, le contrôle de l'État et même les pulsions expansionnistes et homogénéisantes propres à l'ancien régime monarquo-aristocrattque.
Ce glissement du terme nation d'un sens à l'autre explique que les historiens, créateurs et gardiens de la conscience nationale moderne, aient projeté le nationalisme sur des époques où, en tant que tel, il n'existait pas encore. Ainsi l'historien tchèque Palacký et, à sa suite, Masaryk interprétaient l'hussitisme, mouvement essentiellement religieux et partiellement social qui s'étendit de la Bohême sur une bonne partie de l'Europe centrale, comme une première manifestation massive du « nationalisme tchèque ». De même l'historiographie romantique hongroise voyait dans les révoltes « nationales » d'un Thököly ou d'un Rákóczi des révolutions nationalistes, alors qu'elles n'avaient été que des révoltes féodales antiabsolutistes, au cours desquelles des Hongrois se battirent côte à côte avec des nobles d'autres peuples de leur Etat. De la même façon, les historiographes roumains ont tendance à considérer le soulèvement paysan de Horia et Closca, en 1784, dont nous avons parlé plus haut, comme une révolution nationale, alors qu'il s'agissait d'une révolte essentiellement antiféodale, que soutenaient aussi certains éléments ethniques magyars. On comprend que le peuple roumain reconnaisse parmi ses traditions cette révolte, dont la majorité des participants étaient des serfs roumains dirigés par des popes. Mais on ne saurait négliger le fait que la grande majorité de ces serfs escomptaient la protection de Vienne, qu'ils attendaient une amélioration de leur situation de la dynastie des Habsbourg et non d'un « Etat national roumain ».
[...]
Dès qu'on se propose de donner une définition de la nation, on s'aperçoit qu'on dispose d'une vaste littérature, ce qui n'est pas étonnant lorsqu'on sait les passions diverses, révolutionnaires ou réactionnaires, libérales et antilibérales, qu'éveille ce mot. Le nationalisme, dans l'acception moderne du terme, doit être compris comme l'extension (révolutionnaire ou non) au peuple tout entier du concept nation, réservé jusqu'alors à la noblesse gardienne des traditions de souveraineté. Du fait de la fusion du peuple et de la nation, qui prend aussitôt, sous influence allemande, une dimension linguistique, culturelle, historique, politique, le concept de « droit humain » perd sa place privilégiée. Et la nation, désormais proclamée souveraine, prend en charge, par l'intermédiaire de ses représentants élus, les droits d'indépendance, le contrôle de l'État et même les pulsions expansionnistes et homogénéisantes propres à l'ancien régime monarquo-aristocrattque.
Ce glissement du terme nation d'un sens à l'autre explique que les historiens, créateurs et gardiens de la conscience nationale moderne, aient projeté le nationalisme sur des époques où, en tant que tel, il n'existait pas encore. Ainsi l'historien tchèque Palacký et, à sa suite, Masaryk interprétaient l'hussitisme, mouvement essentiellement religieux et partiellement social qui s'étendit de la Bohême sur une bonne partie de l'Europe centrale, comme une première manifestation massive du « nationalisme tchèque ». De même l'historiographie romantique hongroise voyait dans les révoltes « nationales » d'un Thököly ou d'un Rákóczi des révolutions nationalistes, alors qu'elles n'avaient été que des révoltes féodales antiabsolutistes, au cours desquelles des Hongrois se battirent côte à côte avec des nobles d'autres peuples de leur Etat. De la même façon, les historiographes roumains ont tendance à considérer le soulèvement paysan de Horia et Closca, en 1784, dont nous avons parlé plus haut, comme une révolution nationale, alors qu'il s'agissait d'une révolte essentiellement antiféodale, que soutenaient aussi certains éléments ethniques magyars. On comprend que le peuple roumain reconnaisse parmi ses traditions cette révolte, dont la majorité des participants étaient des serfs roumains dirigés par des popes. Mais on ne saurait négliger le fait que la grande majorité de ces serfs escomptaient la protection de Vienne, qu'ils attendaient une amélioration de leur situation de la dynastie des Habsbourg et non d'un « Etat national roumain ».
[...]
Commentaire