Avant son occupation par les Portugais en 1415, Ceuta bénéficiait, pendant une centaine d’années, d’un statut d’autonomie au XIIIe siècle, alors qu’elle était dirigée par une famille de juristes. Les Banu Al-Azfi parviennent cependant à garder des relations cordiales avec les califes almohades et les mérinides, avant que ceux-ci reprennent le contrôle de la ville en 1327.
En 1415, les Mérinides perdent leur bataille de Ceuta contre le royaume de Portugal, permettant à ce dernier d’occuper la ville. Elle restera portugaise jusqu’en 1580, date à laquelle Lisbonne perd à son tour la bataille d'Alcántara contre l’Espagne. Avant cette date, la ville enclavée sur la côte nord-ouest du Maroc était sous souveraineté marocaine, bien qu’elle ait bénéficié d’un statut d’autonomie sous la direction d’une puissante famille noble : les Banu Al-Azafi.
La dynastie des Banu Al-Azafi a vu le jour dans un contexte particulier. Vers 1212, la bataille de Las Navas de Tolosa des Almohades contre une coalition d’Etats chrétiens à Al Andalus laissera la dynastie amazighe affaiblie. Le contexte politique encouragera plusieurs villes et régions du Maroc à la sédition, dont la ville de Ceuta. En 1245, son gouverneur, Ibn Al Khalas Al Balanssi, prête allégeance à la dynastie des Hafsides établie en Tunisie. Un an plus tard, les Hafsides nomment ainsi l’un des proches de ce gouverneur à la tête de la ville.
Une allégeance aux hafsides et une indépendance des Almohades
Toutefois, la révolte populaire des habitants et les rivalités entre les nouveaux dirigeants de la ville et l’amiral de la flotte de la ville, Abou Al Abbas Ahmed Al Randahi, pousseront celui-ci à convaincre Abou Al Qassim Al-Azfi, un juriste connu de la ville, d’entreprendre un coup d’Etat et prendre le contrôle de la ville. En 1248, ce premier «émir» de Ceuta annonce ainsi l’indépendance de la ville, au moment où le Maroc était alors dirigé par Abou Hafs Omar Al Mourtada (1248-1266), l’avant dernier calife almohade.
Dans «L’Emirat des Azfi», la professeure irakienne d’histoire Nahla Chihab Ahmed raconte comment Abou Al Qassim Al-Azfi a réussi même à mettre Tanger sous sa souveraineté, après que sa population locale, consciente du déclin des Almohades et la montée des Mérinides, lui prête allégeance. Même après la sédition du gouverneur de Tanger, nommé par les Azfis puis l’occupation de la ville du Détroit par une centaine de soldats mérinides vers la fin de 1266 et leur assassinat dans la ville, Abou Al Qassim Al-Azfi dépêchera à chaque fois ses troupes pour sécuriser son emprise sur la ville. En 1264, l’«émir» de Ceuta parvient aussi à occuper Asilah et «détruit ses murailles et sa ksabah» pour empêcher l’ennemi mérinide de la contrôler.
Nahla Chihab Ahmed indique que malgré leur indépendance, les Azfi maintiendront une relation cordiale avec les Almohades. Les premiers demanderont même aux sultans du Maroc de nommer un représentant à Ceuta, mais finissent par le limoger. Des lettres montrent aussi comment le calife almohade Abou Hafs Omar Al Mourtada informera les Azfi de la fin de la sédition à Sijlmassa en 1255 et comment Abou Hafs Omar Al Mourtada mettra en garde, en 1258, le calife almohade contre l’occupation de la ville de Salé par les Chrétiens. «Al Mourtada mettra même en œuvre la proposition d’Abou Al Qassim de célébrer la naissance du Prophète Mohammed et acceptera un cadeau (de l’émir des Azfi, ndlr), soit son ouvrage intitulé "Al-ddur Al-Monazzam fi Mawlid Al-Nabi AlMoazzam"».
L’occupation de Ceuta par Banou Al Ahmar et le déclin des Banou Al-Azfi
Abou Al Qassim Al-Azfi se maintient à la tête de son émirat pendant une trentaine d’année avant de décéder en 1278. Durant son mandat, les Azfi perdront Tanger en 1273, après une offensive des mérinides, sous Abou Youssef Yaacoub. Ce dernier assiège alors Ceuta pendant plusieurs mois et parvient non pas à la récupérer mais à signer un accord permettant à la ville de rester autonome mais de payer une redevance annuelle aux sultans mérinides.
L’émir de Ceuta laisse le pouvoir à son fils Abou Hatim Ahmed Ben Mohamed. Egalement juriste, ce dernier abdique au profit de son frère Abou Talib Abdellah, qui gouvernera à son tour la ville pendant 27 ans. Mais en 1305, la ville est occupée par les nasrides, sur ordre de l’émir Mohammed III al Makhlû. Les membres de la famille d’Al-Azfi sont alors arrêtés et transférés à Al Andalus.
Cinq ans plus tard, les dirigeants de Ceuta sont de retour dans la ville, grâce au sultan mérinide Abu al-Rabi Sulayman (1308-1310), qui reprend la ville et expulse les Banou Al Ahmar (Nasrides). La même année, en 1310, les Azfi reprennent le contrôle de la ville, sans pour autant réussir à restaurer leur gloire. En effet, Abou Omar Yahya Ibn Abou Talib, émir de la ville à cette époque, est destitué un an plus tard, avant de reprendre à nouveau le pouvoir. Son fils, Abou Al Qassim Mohamed Ben Yahya ne gouverne que six mois avant d’être à son tour contesté par la population locale. Son cousin, Mohamed Ben Ali, alors capitaine de la marine arrive au pouvoir d’un émirat en déclin. Ce n’est finalement qu’en 1327 que le sultan mérinide Abou Said Othman II marche sur la ville et met fin au contrôle de la dynastie des Al-Azfi.
Près d’un siècle plus tard, la ville tombera dans les mains des Portugais puis celles des Espagnols en 1580. Des tentatives pour récupérer Ceuta et Melilla, entreprises par les différentes dynasties succédant aux mérinides, seront toutes vouées à l’échec.
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