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Les régimes néolibéraux soutenus par les intellectuels libéraux ont démantelé la démocratie politique, propagé la corruption et annulé tous les acquis économiques antérieurs
Les principales luttes dans le monde arabe d’aujourd’hui – au Liban, en Irak, en Jordanie, en Égypte, en Algérie, en Tunisie, au Soudan, au Maroc et ailleurs – sont des luttes contre l’économie néolibérale et contre la pauvreté et la répression qu’elle a engendrées.
Ce sont des luttes pour la démocratie économique et contre la dictature économique, pour affranchir les peuples et les libérer de la pauvreté. Cela n’augure pas du meilleur pour les élites politiques, économiques et intellectuelles qui ont soutenu ce système et en ont bénéficié aux dépens de la majorité des peuples arabes.
Comment en est-on arrivé à cette situation désespérée dans le monde arabe, en particulier alors qu’entre les années 1950 et 1970, tous les principaux indicateurs économiques montraient des progrès considérables qui se sont depuis évaporés ?
Indépendance économique
Alors que cette période initiale était dominée par les idéaux progressistes et les politiques de libération nationale, le discours dominant aujourd’hui est le libéralisme. Libération et libéralisme découlent tous deux du mot « liberté », mais dans le monde arabe colonial et postcolonial comme ailleurs, ces termes ont des histoires, des objectifs et des succès différents.
Entre la période qui a suivi l’indépendance – des années 1940 au milieu et à la fin des années 1970 – et la période comprise entre les années 1980 et aujourd’hui, leurs effets intellectuels, culturels, politiques et économiques n’ont pas été les mêmes.
La première période a été façonnée par les idéaux de la libération nationale, qui dominaient les mouvements politiques populaires et les courants intellectuels des élites, tandis que les idéaux du libéralisme façonnent la seconde période et dominent les domaines de la production intellectuelle par l’élite et de l’activisme politique.
Les principes de la libération nationale ont été délégitimés en faveur d’un nouveau vocabulaire caractérisé par le libéralisme
Des années 1950 aux années 1970, des intellectuels et mouvements politiques arabes ont soutenu le projet de libération du colonialisme et d’obtention de l’indépendance non seulement politique, mais également économique.
Le vocabulaire de la libération nationale est devenu le cri de ralliement des régimes de la récente décolonisation, menés par l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, mais englobant à la fois la Syrie et l’Irak et submergeant même les régimes conservateurs en Tunisie et en Jordanie, ainsi que les mouvements anticoloniaux allant de l’Algérie de Palestine à Oman et le reste de la région du Golfe.
La démocratie économique, considérée comme une redistribution partielle de la richesse et un développement impulsé par l’État visant à réduire l’écart de revenu et à mettre fin à la pauvreté, était l’objectif primordial pendant cette période.
Progressivement après la guerre de 1967, et de plus en plus vers le milieu ou la fin des années 1970, les principes de la libération nationale ont été délégitimés en faveur d’un nouveau vocabulaire caractérisé par le libéralisme, par lequel les libéraux ont fini par décrire la libération nationale comme une oppression, suggérant que tout ce qu’elle avait amené était la dictature politique, ainsi que des catastrophes économiques et militaires.
Liberté individuelle
Le libéralisme, en revanche, a promis d’apporter la liberté personnelle, la paix régionale et la prospérité individuelle, ainsi que la démocratie politique, par le biais d’élections « libres ».
Lorsque cette phase du libéralisme arabe a émergé avec l’apparition de l’économie néolibérale, les libéraux arabes des années 1970, comme les libéraux d’ailleurs, ont rejeté la démocratie économique comme étant contraire à la « libération » d’opportunités d’enrichissement personnel, même si certains ont critiqué les excès de l’économie néolibérale et cherché à atténuer leurs effets. Huit ans après, le Printemps arabe est loin d’être terminé
Si le projet de libération nationale reposait sur la notion de démocratie politique populaire et plébiscitaire, compagne de la démocratie économique, le libéralisme insiste désormais sur une démocratie électorale « représentative » garantissant la dictature économique, dans la mesure où le marché serait capable de dicter la politique économique et non le peuple ou les institutions de l’État qui le représentent.
Les objectifs politiques de la libération nationale n’étaient pas propres au monde arabe. De nombreux pays en voie de décolonisation en Asie et en Afrique des années 1950 à la fin des années 1970 les partageaient.
L’adoption des valeurs du libéralisme occidental, qui a commencé à dominer le monde arabe à partir de la fin des années 1970, n’est pas un phénomène isolé, mais un phénomène commun à toutes les régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, sans parler de l’Europe de l’Est, après 1990.
L’avènement de la libération nationale et du socialisme dans le monde arabe a coïncidé avec la convocation de la conférence afro-asiatique de Bandung au milieu des années 1950 et de la création du mouvement des non-alignés peu après, suivie, au milieu des années 1960, par la conférence tricontinentale à Cuba, qui a mondialisé cette quête contre les puissances coloniales et néocoloniales.
Le projet dans le contexte arabe a conduit à une tentative d’unité et de fédération entre pays arabes – des tentatives existaient également entre des pays d’Afrique subsaharienne dirigés par le Ghana et les nations caribéennes des Antilles récemment décolonisées.
Machinations impériales
Alors que le projet de fédération et d’unité était combattu avec véhémence par les États-Unis et vaincu dans ces trois contextes dès 1963 en raison d’une combinaison de facteurs impériaux et internes, le lancement du « socialisme arabe » s’est accéléré avec des résultats économiques et politiques impressionnants, qui visaient à dissocier les économies locales des machinations impériales.
Les régimes néolibéraux soutenus par les intellectuels libéraux ont démantelé la démocratie politique, propagé la corruption et annulé tous les acquis économiques antérieurs
Les principales luttes dans le monde arabe d’aujourd’hui – au Liban, en Irak, en Jordanie, en Égypte, en Algérie, en Tunisie, au Soudan, au Maroc et ailleurs – sont des luttes contre l’économie néolibérale et contre la pauvreté et la répression qu’elle a engendrées.
Ce sont des luttes pour la démocratie économique et contre la dictature économique, pour affranchir les peuples et les libérer de la pauvreté. Cela n’augure pas du meilleur pour les élites politiques, économiques et intellectuelles qui ont soutenu ce système et en ont bénéficié aux dépens de la majorité des peuples arabes.
Comment en est-on arrivé à cette situation désespérée dans le monde arabe, en particulier alors qu’entre les années 1950 et 1970, tous les principaux indicateurs économiques montraient des progrès considérables qui se sont depuis évaporés ?
Indépendance économique
Alors que cette période initiale était dominée par les idéaux progressistes et les politiques de libération nationale, le discours dominant aujourd’hui est le libéralisme. Libération et libéralisme découlent tous deux du mot « liberté », mais dans le monde arabe colonial et postcolonial comme ailleurs, ces termes ont des histoires, des objectifs et des succès différents.
Entre la période qui a suivi l’indépendance – des années 1940 au milieu et à la fin des années 1970 – et la période comprise entre les années 1980 et aujourd’hui, leurs effets intellectuels, culturels, politiques et économiques n’ont pas été les mêmes.
La première période a été façonnée par les idéaux de la libération nationale, qui dominaient les mouvements politiques populaires et les courants intellectuels des élites, tandis que les idéaux du libéralisme façonnent la seconde période et dominent les domaines de la production intellectuelle par l’élite et de l’activisme politique.
Les principes de la libération nationale ont été délégitimés en faveur d’un nouveau vocabulaire caractérisé par le libéralisme
Des années 1950 aux années 1970, des intellectuels et mouvements politiques arabes ont soutenu le projet de libération du colonialisme et d’obtention de l’indépendance non seulement politique, mais également économique.
Le vocabulaire de la libération nationale est devenu le cri de ralliement des régimes de la récente décolonisation, menés par l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, mais englobant à la fois la Syrie et l’Irak et submergeant même les régimes conservateurs en Tunisie et en Jordanie, ainsi que les mouvements anticoloniaux allant de l’Algérie de Palestine à Oman et le reste de la région du Golfe.
La démocratie économique, considérée comme une redistribution partielle de la richesse et un développement impulsé par l’État visant à réduire l’écart de revenu et à mettre fin à la pauvreté, était l’objectif primordial pendant cette période.
Progressivement après la guerre de 1967, et de plus en plus vers le milieu ou la fin des années 1970, les principes de la libération nationale ont été délégitimés en faveur d’un nouveau vocabulaire caractérisé par le libéralisme, par lequel les libéraux ont fini par décrire la libération nationale comme une oppression, suggérant que tout ce qu’elle avait amené était la dictature politique, ainsi que des catastrophes économiques et militaires.
Liberté individuelle
Le libéralisme, en revanche, a promis d’apporter la liberté personnelle, la paix régionale et la prospérité individuelle, ainsi que la démocratie politique, par le biais d’élections « libres ».
Lorsque cette phase du libéralisme arabe a émergé avec l’apparition de l’économie néolibérale, les libéraux arabes des années 1970, comme les libéraux d’ailleurs, ont rejeté la démocratie économique comme étant contraire à la « libération » d’opportunités d’enrichissement personnel, même si certains ont critiqué les excès de l’économie néolibérale et cherché à atténuer leurs effets. Huit ans après, le Printemps arabe est loin d’être terminé
Si le projet de libération nationale reposait sur la notion de démocratie politique populaire et plébiscitaire, compagne de la démocratie économique, le libéralisme insiste désormais sur une démocratie électorale « représentative » garantissant la dictature économique, dans la mesure où le marché serait capable de dicter la politique économique et non le peuple ou les institutions de l’État qui le représentent.
Les objectifs politiques de la libération nationale n’étaient pas propres au monde arabe. De nombreux pays en voie de décolonisation en Asie et en Afrique des années 1950 à la fin des années 1970 les partageaient.
L’adoption des valeurs du libéralisme occidental, qui a commencé à dominer le monde arabe à partir de la fin des années 1970, n’est pas un phénomène isolé, mais un phénomène commun à toutes les régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, sans parler de l’Europe de l’Est, après 1990.
L’avènement de la libération nationale et du socialisme dans le monde arabe a coïncidé avec la convocation de la conférence afro-asiatique de Bandung au milieu des années 1950 et de la création du mouvement des non-alignés peu après, suivie, au milieu des années 1960, par la conférence tricontinentale à Cuba, qui a mondialisé cette quête contre les puissances coloniales et néocoloniales.
Le projet dans le contexte arabe a conduit à une tentative d’unité et de fédération entre pays arabes – des tentatives existaient également entre des pays d’Afrique subsaharienne dirigés par le Ghana et les nations caribéennes des Antilles récemment décolonisées.
Machinations impériales
Alors que le projet de fédération et d’unité était combattu avec véhémence par les États-Unis et vaincu dans ces trois contextes dès 1963 en raison d’une combinaison de facteurs impériaux et internes, le lancement du « socialisme arabe » s’est accéléré avec des résultats économiques et politiques impressionnants, qui visaient à dissocier les économies locales des machinations impériales.
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