Publié par LSA
le 14.01.2020
Par Ali Chérif Deroua
Suite à une réunion houleuse, tenue au Caire du 29 juin au 10 juillet 1959, durant laquelle certains ministres du Gouvernement provisoire de la République algérienne se sont donnés à cœur joie, en proférant des insinuations, des critiques, des menaces et même certaines attaques personnelles, et devant une pareille situation, dans l´impossibilité de trouver un compromis ou une sortie de crise entre les différents antagonistes, le Président Ferhat Abbas s’est trouvé obligé d’arrêter les dégâts, évitant ainsi une scission au sein du GPRA ou l’éclatement de la direction de la Révolution, après 11 jours de tension extrême, en faisant adopter par tous les ministres présents, à part Benyoucef Benkhedda qui s´est abstenu et Lamine Debaghine, absent et démissionnaire, le texte d´un message adressé aux chefs et comités de wilaya dont voici l’intégralité :
«Au cours de la dernière réunion du Conseil des ministres, j´ai constaté qu´une crise grave avait conduit le Gouvernement à l´impasse.
N’ayant pu faire appel à l’arbitrage du Comité permanent de la Révolution (1) et du Conseil national de la Révolution algérienne dont la composition est contestée par certains, le Gouvernement s´est trouvé paralysé.
Dans ces conditions, je prends toutes mes responsabilités en tant que chef du gouvernement et vous invite à vous réunir dans les plus brefs délais, pour doter la Révolution d’un CNRA incontesté. Celui-ci sera alors habilité à :
1- recevoir la démission collective des ministres actuels ;
2- investir un autre gouvernement ;
3- donner à notre Révolution une nouvelle stratégie militaire, politique et diplomatique dignes de notre lutte de libération et des grands sacrifices que cinq années de guerre ont imposés à notre peuple.
Les ministres en exercice continueront à assurer leurs fonctions jusqu’à ce que le nouveau gouvernement ait reçu l’investiture. Le ministre des Forces armées est chargé de vous réunir et de vous communiquer le présent message.
Mes collaborateurs et moi-même restons à votre entière disposition pour vous seconder dans votre mission et vous donner tous les renseignements utiles à l’accomplissement de votre tâche.»
Fait au Caire le 10 juillet 1959
Ferhat Abbas, président du GPRA
A mon humble avis, en faisant une pareille proposition, Ferhat Abbas a évité l’éclatement de la direction de la Révolution et, en même temps, refilé un cadeau empoisonné à Krim Belkacem, sachant que ce dernier ne pouvait en aucun cas assouvir son ambition d’être le futur président, Bentobal et Boussouf étant prêts à le contrer.
Etant en charge de «réunir et communiquer le présent communiqué», Krim Belkacem s´est retrouvé confronté à plusieurs difficultés.
Il ne pouvait en aucun cas, convoquer les chefs et comités de wilaya qui se trouvaient à l’intérieur du pays, vu le risque encouru de déplacements et de traversées des lignes minées et électrifiées de l’Est et de l’Ouest. Il s´est trouvé obligé d’impliquer le tandem Bentobal-Boussouf afin de réunir les chefs et ex-chefs des wilayas présents en dehors du territoire national.
Krim, Bentobal et Boussouf ont trouvé un modus vivendi provisoire en attendant de voir venir…
C’est ainsi que cette réunion a été un «panaché» de responsables militaires (Krim, Bentobal, Boussouf, Boumediène, Mohammedi Saïd et Sadek Dehilès) qui ne répondaient pas tous aux critères contenus dans le message de Ferhat Abbas. L’essentiel est que la réunion a eu lieu et permis à la Révolution d’évacuer, sans trop de dégâts, l’impasse dans laquelle se trouvait le GPRA.
Réunion des 10 colonels et ex-colonels du 11 au 14 août 1959.
Présidée par Krim Belkacem, en tant que ministre des Forces armées et porteur du message du président du GPRA, la réunion s´est tenue au siège du ministère des Liaisons générales et communications (MLGC), rue Parmentier, Tunis, autour d´une table rectangulaire, avec un positionnement des présents qui en dit long sur le clivage : la table en question est la pose l’une à côté de l’autre de 3 tables rectangulaires de 120 cm par 70 cm.
Côté longueur : Krim avec à sa droite Bentobal et à sa gauche Boussouf
Côté largeur droite : Mohammedi Saïd et Sadek Dehilès
Côté longueur face à Krim : Saïd Yazourène, Hadj Lakhdar, Lotfi
Côté largeur gauche : Ali Kafi et Boumediène.
La description du positionnement des participants autour de la table est à lui seul le signe d´un certain clanisme.
L’ordre du jour consistait :
- la désignation des membres du CNRA qui n’a jamais été résolue depuis la réunion du CNRA d’août 1957 au Caire. Il faut signaler aussi que, depuis cette date, le CNRA ne s’est jamais réuni.
- Convocation du CNRA pour recevoir la démission du GPRA, le reconduire ou en désigner un autre.
D’emblée, Krim dresse un tableau calamiteux de l’action du GPRA et se découvre en déposant sa candidature à la succession de Ferhat Abbas.
Cette déclaration de candidature a poussé Bentobal à intervenir et demander aux colonels de se limiter au choix des membres du futur CNRA. La position de Bentobal a été appuyée automatiquement par Boussouf.
Boumediène a été plus malin en demandant à Krim le nom de son successeur au ministère des Forces armées.
Krim a répondu qu’il cumulerait le poste de Président du GPRA et Forces armées puisqu´il cumulait le poste en tant que vice-président et qu’il désignerait un chef d’état-major en avançant le nom de Mohammedi Saïd pour ce poste. Cette déclaration a provoqué un malaise au sein des colonels, autres éventuels postulants qui se voyaient écartés d’office.
Ce fut le premier incident entre Krim et Boumediène.
L’histoire devrait retenir que la proposition de la création de l’Etat-Major général a été faite par Krim Belkacem le 11 août 1959 à Tunis.
Les colonels ont aussi demandé les causes du blocage du GPRA lors de la réunion du Caire. Chacun des 3 ministres présents a donné sa version de ce qui s’est passé au Caire, versions contradictoires ou abusives.
Les 3 ministres ont montré ainsi qu’ils n’étaient pas sur la même ligne, qu’ils avaient des buts et des ambitions contradictoires et par voie de conséquence qu’ils étaient forts ensemble et «fragiles» séparément.
Boumediène, voyant qu’il avait pris un ascendant sur certains de ses pairs, a proposé de lever la séance et de se retrouver 2 jours après, afin de permettre à chacun de réfléchir plus longtemps et calmer les esprits.
Durant cet intermède de 2 jours, les deux clans ont multiplié les conciliabules et les entretiens entre leurs différents soutiens ou conseillers.
Le 14 août, ils se sont retrouvés et n’ont pas changé d’un iota leurs positions, certains d’entre eux focalisant sur les raisons du blocage du GPRA avancées par les 3 ministres, qui ne les avaient pas convaincus.
Devant cette situation de crise, Boussouf a proposé un report de la réunion et la convocation du secrétaire (2) qui a assisté et rédigé les «minutes de la dernière réunion du GPRA», objet du litige.
Cette proposition ayant été retenue, je reçois, alors que je me trouvais au Caire, un message de Boussouf me demandant de venir d’urgence à Tunis avec les «minutes de la réunion du GPRA».
Ayant une mission très importante à effectuer dont Boussouf était au courant, je ne pouvais arriver à Tunis que le 25 août 1959.
Ci-joint photocopies du passeport marocain utilisé pour le voyage et des tampons d’entrée 25 août 1959, à Tunis, aéroport El Aouina, appellation de cet aéroport en ce temps-là et sortie du territoire tunisien le 7 septembre 1959 par le même aéroport.
Le 26 août, j’étais au siège du MLGC ou j´ai été reçu par Boussouf, Krim et Bentobal.
Après la lecture des 32 pages des «minutes», ils ont convenu que le contenu des minutes reflétait les discussions et les incidents survenus lors de cette réunion.
Boussouf m’a ordonné, devant ses 2 collègues, que j´étais seul responsable de ces documents, que je ne devais en aucun cas les donner même à lire à quiconque. Le 27 août 1959, je me suis présenté au même bureau où se trouvaient déjà installés les 7 colonels. J’ai lu les «minutes» et donné des explications complémentaires à ceux qui m’ont questionné et tout particulièrement Sadek et Hadj Lakhdar.
Sadek tenait à savoir si les ministres étaient armés et si oui lesquels. Hadj Lakhdar voulait savoir les termes utilisés par Krim et Chérif Mahmoud lors de leurs accrochages verbaux. Ali Kafi a demandé à ce que les «minutes» soient traduites en arabe pour en prendre connaissance.
La même table a été utilisée avec côté largeur : Hadj Lakhdar président, côté droit longueur : Mohammedi Saïd, Sadek Dehilès, Yazourène, côté largeur en face de Hadj Lakhdar : Ali Chérif, côté gauche longueur : Lotfi, Ali Kafi, Boumediène.
le 14.01.2020
Par Ali Chérif Deroua
Suite à une réunion houleuse, tenue au Caire du 29 juin au 10 juillet 1959, durant laquelle certains ministres du Gouvernement provisoire de la République algérienne se sont donnés à cœur joie, en proférant des insinuations, des critiques, des menaces et même certaines attaques personnelles, et devant une pareille situation, dans l´impossibilité de trouver un compromis ou une sortie de crise entre les différents antagonistes, le Président Ferhat Abbas s’est trouvé obligé d’arrêter les dégâts, évitant ainsi une scission au sein du GPRA ou l’éclatement de la direction de la Révolution, après 11 jours de tension extrême, en faisant adopter par tous les ministres présents, à part Benyoucef Benkhedda qui s´est abstenu et Lamine Debaghine, absent et démissionnaire, le texte d´un message adressé aux chefs et comités de wilaya dont voici l’intégralité :
«Au cours de la dernière réunion du Conseil des ministres, j´ai constaté qu´une crise grave avait conduit le Gouvernement à l´impasse.
N’ayant pu faire appel à l’arbitrage du Comité permanent de la Révolution (1) et du Conseil national de la Révolution algérienne dont la composition est contestée par certains, le Gouvernement s´est trouvé paralysé.
Dans ces conditions, je prends toutes mes responsabilités en tant que chef du gouvernement et vous invite à vous réunir dans les plus brefs délais, pour doter la Révolution d’un CNRA incontesté. Celui-ci sera alors habilité à :
1- recevoir la démission collective des ministres actuels ;
2- investir un autre gouvernement ;
3- donner à notre Révolution une nouvelle stratégie militaire, politique et diplomatique dignes de notre lutte de libération et des grands sacrifices que cinq années de guerre ont imposés à notre peuple.
Les ministres en exercice continueront à assurer leurs fonctions jusqu’à ce que le nouveau gouvernement ait reçu l’investiture. Le ministre des Forces armées est chargé de vous réunir et de vous communiquer le présent message.
Mes collaborateurs et moi-même restons à votre entière disposition pour vous seconder dans votre mission et vous donner tous les renseignements utiles à l’accomplissement de votre tâche.»
Fait au Caire le 10 juillet 1959
Ferhat Abbas, président du GPRA
A mon humble avis, en faisant une pareille proposition, Ferhat Abbas a évité l’éclatement de la direction de la Révolution et, en même temps, refilé un cadeau empoisonné à Krim Belkacem, sachant que ce dernier ne pouvait en aucun cas assouvir son ambition d’être le futur président, Bentobal et Boussouf étant prêts à le contrer.
Etant en charge de «réunir et communiquer le présent communiqué», Krim Belkacem s´est retrouvé confronté à plusieurs difficultés.
Il ne pouvait en aucun cas, convoquer les chefs et comités de wilaya qui se trouvaient à l’intérieur du pays, vu le risque encouru de déplacements et de traversées des lignes minées et électrifiées de l’Est et de l’Ouest. Il s´est trouvé obligé d’impliquer le tandem Bentobal-Boussouf afin de réunir les chefs et ex-chefs des wilayas présents en dehors du territoire national.
Krim, Bentobal et Boussouf ont trouvé un modus vivendi provisoire en attendant de voir venir…
C’est ainsi que cette réunion a été un «panaché» de responsables militaires (Krim, Bentobal, Boussouf, Boumediène, Mohammedi Saïd et Sadek Dehilès) qui ne répondaient pas tous aux critères contenus dans le message de Ferhat Abbas. L’essentiel est que la réunion a eu lieu et permis à la Révolution d’évacuer, sans trop de dégâts, l’impasse dans laquelle se trouvait le GPRA.
Réunion des 10 colonels et ex-colonels du 11 au 14 août 1959.
Présidée par Krim Belkacem, en tant que ministre des Forces armées et porteur du message du président du GPRA, la réunion s´est tenue au siège du ministère des Liaisons générales et communications (MLGC), rue Parmentier, Tunis, autour d´une table rectangulaire, avec un positionnement des présents qui en dit long sur le clivage : la table en question est la pose l’une à côté de l’autre de 3 tables rectangulaires de 120 cm par 70 cm.
Côté longueur : Krim avec à sa droite Bentobal et à sa gauche Boussouf
Côté largeur droite : Mohammedi Saïd et Sadek Dehilès
Côté longueur face à Krim : Saïd Yazourène, Hadj Lakhdar, Lotfi
Côté largeur gauche : Ali Kafi et Boumediène.
La description du positionnement des participants autour de la table est à lui seul le signe d´un certain clanisme.
L’ordre du jour consistait :
- la désignation des membres du CNRA qui n’a jamais été résolue depuis la réunion du CNRA d’août 1957 au Caire. Il faut signaler aussi que, depuis cette date, le CNRA ne s’est jamais réuni.
- Convocation du CNRA pour recevoir la démission du GPRA, le reconduire ou en désigner un autre.
D’emblée, Krim dresse un tableau calamiteux de l’action du GPRA et se découvre en déposant sa candidature à la succession de Ferhat Abbas.
Cette déclaration de candidature a poussé Bentobal à intervenir et demander aux colonels de se limiter au choix des membres du futur CNRA. La position de Bentobal a été appuyée automatiquement par Boussouf.
Boumediène a été plus malin en demandant à Krim le nom de son successeur au ministère des Forces armées.
Krim a répondu qu’il cumulerait le poste de Président du GPRA et Forces armées puisqu´il cumulait le poste en tant que vice-président et qu’il désignerait un chef d’état-major en avançant le nom de Mohammedi Saïd pour ce poste. Cette déclaration a provoqué un malaise au sein des colonels, autres éventuels postulants qui se voyaient écartés d’office.
Ce fut le premier incident entre Krim et Boumediène.
L’histoire devrait retenir que la proposition de la création de l’Etat-Major général a été faite par Krim Belkacem le 11 août 1959 à Tunis.
Les colonels ont aussi demandé les causes du blocage du GPRA lors de la réunion du Caire. Chacun des 3 ministres présents a donné sa version de ce qui s’est passé au Caire, versions contradictoires ou abusives.
Les 3 ministres ont montré ainsi qu’ils n’étaient pas sur la même ligne, qu’ils avaient des buts et des ambitions contradictoires et par voie de conséquence qu’ils étaient forts ensemble et «fragiles» séparément.
Boumediène, voyant qu’il avait pris un ascendant sur certains de ses pairs, a proposé de lever la séance et de se retrouver 2 jours après, afin de permettre à chacun de réfléchir plus longtemps et calmer les esprits.
Durant cet intermède de 2 jours, les deux clans ont multiplié les conciliabules et les entretiens entre leurs différents soutiens ou conseillers.
Le 14 août, ils se sont retrouvés et n’ont pas changé d’un iota leurs positions, certains d’entre eux focalisant sur les raisons du blocage du GPRA avancées par les 3 ministres, qui ne les avaient pas convaincus.
Devant cette situation de crise, Boussouf a proposé un report de la réunion et la convocation du secrétaire (2) qui a assisté et rédigé les «minutes de la dernière réunion du GPRA», objet du litige.
Cette proposition ayant été retenue, je reçois, alors que je me trouvais au Caire, un message de Boussouf me demandant de venir d’urgence à Tunis avec les «minutes de la réunion du GPRA».
Ayant une mission très importante à effectuer dont Boussouf était au courant, je ne pouvais arriver à Tunis que le 25 août 1959.
Ci-joint photocopies du passeport marocain utilisé pour le voyage et des tampons d’entrée 25 août 1959, à Tunis, aéroport El Aouina, appellation de cet aéroport en ce temps-là et sortie du territoire tunisien le 7 septembre 1959 par le même aéroport.
Le 26 août, j’étais au siège du MLGC ou j´ai été reçu par Boussouf, Krim et Bentobal.
Après la lecture des 32 pages des «minutes», ils ont convenu que le contenu des minutes reflétait les discussions et les incidents survenus lors de cette réunion.
Boussouf m’a ordonné, devant ses 2 collègues, que j´étais seul responsable de ces documents, que je ne devais en aucun cas les donner même à lire à quiconque. Le 27 août 1959, je me suis présenté au même bureau où se trouvaient déjà installés les 7 colonels. J’ai lu les «minutes» et donné des explications complémentaires à ceux qui m’ont questionné et tout particulièrement Sadek et Hadj Lakhdar.
Sadek tenait à savoir si les ministres étaient armés et si oui lesquels. Hadj Lakhdar voulait savoir les termes utilisés par Krim et Chérif Mahmoud lors de leurs accrochages verbaux. Ali Kafi a demandé à ce que les «minutes» soient traduites en arabe pour en prendre connaissance.
La même table a été utilisée avec côté largeur : Hadj Lakhdar président, côté droit longueur : Mohammedi Saïd, Sadek Dehilès, Yazourène, côté largeur en face de Hadj Lakhdar : Ali Chérif, côté gauche longueur : Lotfi, Ali Kafi, Boumediène.
Commentaire