La femme est un sujet qui ne se limite pas a une date ou période, mais peut être que le 08 mars nous permet de mieux en profiter pour relancer ou aborder le sujet dans tous ses détails…
« Vous avez tous chanté ma beauté
Vous avez tous loué mon sens de l’honneur,
Nul ne s’est, pour autant, soucié de mes droits
Comme si j’étais un animal.
Maintenant que s’ouvrent mes yeux
Je vais vous demander des comptes »
Ces terribles paroles d’une très belle chanson que Nouara a interprétée au début des années 70, sont l’expression d’une prise de conscience collective du statut de la femme au sein de la société kabyle. Elles appellent à son dépassement tant il est vrai que, pour l’époque, il n’était pas reluisant et peine encore de nos jours à évoluer. Même si nombre d’aspects ont changé et des résistances ont été vaincues, d’autres, en revanche, sont toujours tenaces. C’est ce que nous essayerons de voir dans cet exposé.
La société kabyle, comme toutes les sociétés humaines, a assigné aux femmes une place et un rôle en fonction de ses nécessités, de sa culture et de son degré de développement. Nous n’avons pas suffisamment de documentation relative à la société kabyle à même de nous édifier sur un état des lieux avant celui fait par la colonisation française. Il ne nous reste que le roman pour retrouver quelques aspects de la situation des femmes kabyles [2] et dont notre génération peut encore témoigner. Le seul document authentique et ancien que nous ayons sur ce sujet est une copie datée de 1848 d’une décision d’exhérédation de la femme kabyle et dont l’original remonterait à 2 siècles auparavant.
A – L’Exhérédation.
Une société régie par le droit musulman accorde, en principe, à la fille d’hériter moitié moins qu’un garçon. La Kabylie a outrepassé une telle prescription suite à des problèmes insolubles issus de son application. Pourquoi ? Le coran a été « révélé » dans la péninsule arabique où les sociétés nomades du désert vivaient essentiellement de commerce dont le produit en pièces d’or ou d’argent pouvait aisément être réparti entre les héritiers dont font partie les femmes. Il n’en est pas de même dans une société vivant exclusivement de l’agriculture comme la société kabyle pour qui la terre est sacrée et en général régie par l’indivision. La terre appartenait hiérarchiquement au grand-père (patriarche), ensuite à la famille élargie, au clan, au village, et enfin, au Arch. La propriété de la terre qui ne devait en aucune façon être détenue par quelqu’un d’autre en dehors des membres mâles de la famille posait problème dès qu’un père n’avait pas de descendance masculine. Ses filles qui en ont l’usufruit n’avaient pas le droit de faire changer de famille aux terres en se mariant. Et de toutes les façons la terre est un bien qui ne s’emporte pas dans ses bagages et sa dot en alleant dans d’autres villages ou d’autres Arch. Voilà pourquoi une telle décision, si injuste à nos yeux aujourd’hui, était nécessaire pour la paix civile d’alors.
Aujourd’hui, même si l’Etat algérien est revenu à la disposition édictée par le coran, la Kabylie a du mal à s’y résoudre. On touche à l’argent de l’héritage mais pas à la terre. Cependant, c’est un principe auquel on déroge quelquefois. En effet, on a vu des vieillards kabyles qui ne souhaitent pas qu’après leur mort leurs propriétés reviennent à la fratrie, se rendre chez un notaire pour faire acte de donation à leur femme ou leurs filles. En dehors de ces cas isolés, aucune loi ne semble en mesure de déboulonner pour le moment cette disposition du droit coutumier, tant sa pratique va de soi dans une société où le rapport à la terre est si charnel. En revanche, la polygamie en déclin en Kabylie se prêterait plus facilement à son interdiction définitive.
B – La polygamie
C’est une pratique qui date de la préhistoire puisque le roi Massinissa avait au moins 48 garçons qu’il ne pouvait engendrer avec une seule femme. La société kabyle héritant des traditions amazighes en a gardé l’usage pour un certain nombre de raisons dont certaines font de nos jours sourire : Les hommes dans une société méditerranéenne étaient à la fois la richesse, la sécurité et le pouvoir. En engendrer le maximum dans un monde non médicalisé où la mortalité infantile était effarante et les guerres fréquentes était un sport national. On garde de cette croyance des traces jusque dans la chanson dite moderne [3]. Par ailleurs, après une guerre les veuves sont en général remariées dans la fratrie de leur défunt mari pour, disait-on, garder les orphelins dans le giron de la famille paternelle. C’est ce qui aurait relancé cette pratique en Kabylie au lendemain de la guerre d’Algérie dans laquelle, en sept ans, elle aurait perdu au moins trois cents mille hommes. Des cas de bigamie se rencontrent encore chez des hommes qui, pour différentes raisons, sont incapables de divorcer de leur première femme [4]. Le poids de la tradition reste relativement important en Kabylie malgré une évolution des mœurs assez prononcée.
C – La tradition
En plus de la bigamie, la tradition a affecté à la femme que Slimane Azem qualifiait de « colonne supportant le poids de la famille » [5] le rôle de gardienne de l’honneur des hommes. Pour la femme kabyle, avoir le sens de l’honneur c’est d’abord un observer strict respect des mœurs à travers lesquelles la virginité avant le mariage est de mise et l’adultère sévèrement châtié. Cette société réputée pour sa pudeur n’hésite pas pourtant à afficher publiquement les preuves de la consommation du mariage avec une vierge. Il faut reconnaître que le Kabyle a tellement sublimé son honneur qu’il ne lui a pas trouvé de meilleur coffre-fort que la frêle membrane de l’entrejambe de sa fille. C’est ce qui valide l’adage populaire selon lequel « une fille non mariée est toujours une bombe ! » Le mariage est donc recherché à tout prix. Ainsi, des siècles durant, et nos mères sont toutes passées par là il n’y a pas si longtemps, les filles sont mariées des fois avant leur adolescence [6]. Pire ! La plupart des temps à leur insu ou sans leur consentement. Mon arrière grand-mère paternelle par exemple, après son veuvage survenu à l’âge de 16 ans avait dû se casser toutes ses dents à coups de galet pour s’amocher et dissuader des prétendants qui demandaient sa main à son père. Elle ne voulait pas être séparée de son fils. Aujourd’hui, cette pratique qui consiste à marier les filles très jeunes et sans leur accord a presque disparu. Il est inconcevable qu’une fille soit mariée de force et la moyenne d’âge des mariages qui se situait aux environs de 14 ans au début des années soixante est remonté à plus de 25 ans aujourd’hui. De nos jours, une grande proportion de femmes et d’hommes de 30 à 40 ans est constituée de célibataires. L’instruction et la modernité de la société kabyle sont passées par là. Mais des points noirs subsistent encore par cet attachement à ce code de l’honneur kabyle qui ne va pas sans quelques anachronismes et autres absurdités. Ainsi, un garçon ne rêve qu’à sortir avec une fille alors qu’il lui est impossible d’admettre que sa sœur en fasse de même. Il interdit à sa ses sœurs l’émancipation qu’il souhaite trouver chez la fille du voisin. Ce machisme des Kabyles est à combattre pour une évolution heureuse de la société de telle sorte que notre jeunesse, au lieu de rêver à des pays européens aux mœurs plus tolérantes elle se recréerait chez elle son propre rêve. D’ailleurs, le départ vers la France de quelques dizaines de milliers de jeunes Kabyles de 1998 à 2003 génère une situation inédite qui appelle nécessairement une évolution dans nos us et coutumes. Ces garçons qui, pour obtenir leurs papiers de résidence en France, se marient presque tous avec des Françaises laissent autant de jeunes filles en Kabylie qui ne vont pas trouver avec qui se marier dans l’immédiat. Pour vivre leur sexualité elles seront sans aucun doute amenées à faire preuve de courage et d’ingéniosité face aux interdits en usage. Et ce n’est pas la loi algérienne, en déphasage total avec le statut de la femme kabyle, qui emprisonnerait nos filles et nos femmes dans les rets de l’islamisme.
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« Vous avez tous chanté ma beauté
Vous avez tous loué mon sens de l’honneur,
Nul ne s’est, pour autant, soucié de mes droits
Comme si j’étais un animal.
Maintenant que s’ouvrent mes yeux
Je vais vous demander des comptes »
Ces terribles paroles d’une très belle chanson que Nouara a interprétée au début des années 70, sont l’expression d’une prise de conscience collective du statut de la femme au sein de la société kabyle. Elles appellent à son dépassement tant il est vrai que, pour l’époque, il n’était pas reluisant et peine encore de nos jours à évoluer. Même si nombre d’aspects ont changé et des résistances ont été vaincues, d’autres, en revanche, sont toujours tenaces. C’est ce que nous essayerons de voir dans cet exposé.
La société kabyle, comme toutes les sociétés humaines, a assigné aux femmes une place et un rôle en fonction de ses nécessités, de sa culture et de son degré de développement. Nous n’avons pas suffisamment de documentation relative à la société kabyle à même de nous édifier sur un état des lieux avant celui fait par la colonisation française. Il ne nous reste que le roman pour retrouver quelques aspects de la situation des femmes kabyles [2] et dont notre génération peut encore témoigner. Le seul document authentique et ancien que nous ayons sur ce sujet est une copie datée de 1848 d’une décision d’exhérédation de la femme kabyle et dont l’original remonterait à 2 siècles auparavant.
A – L’Exhérédation.
Une société régie par le droit musulman accorde, en principe, à la fille d’hériter moitié moins qu’un garçon. La Kabylie a outrepassé une telle prescription suite à des problèmes insolubles issus de son application. Pourquoi ? Le coran a été « révélé » dans la péninsule arabique où les sociétés nomades du désert vivaient essentiellement de commerce dont le produit en pièces d’or ou d’argent pouvait aisément être réparti entre les héritiers dont font partie les femmes. Il n’en est pas de même dans une société vivant exclusivement de l’agriculture comme la société kabyle pour qui la terre est sacrée et en général régie par l’indivision. La terre appartenait hiérarchiquement au grand-père (patriarche), ensuite à la famille élargie, au clan, au village, et enfin, au Arch. La propriété de la terre qui ne devait en aucune façon être détenue par quelqu’un d’autre en dehors des membres mâles de la famille posait problème dès qu’un père n’avait pas de descendance masculine. Ses filles qui en ont l’usufruit n’avaient pas le droit de faire changer de famille aux terres en se mariant. Et de toutes les façons la terre est un bien qui ne s’emporte pas dans ses bagages et sa dot en alleant dans d’autres villages ou d’autres Arch. Voilà pourquoi une telle décision, si injuste à nos yeux aujourd’hui, était nécessaire pour la paix civile d’alors.
Aujourd’hui, même si l’Etat algérien est revenu à la disposition édictée par le coran, la Kabylie a du mal à s’y résoudre. On touche à l’argent de l’héritage mais pas à la terre. Cependant, c’est un principe auquel on déroge quelquefois. En effet, on a vu des vieillards kabyles qui ne souhaitent pas qu’après leur mort leurs propriétés reviennent à la fratrie, se rendre chez un notaire pour faire acte de donation à leur femme ou leurs filles. En dehors de ces cas isolés, aucune loi ne semble en mesure de déboulonner pour le moment cette disposition du droit coutumier, tant sa pratique va de soi dans une société où le rapport à la terre est si charnel. En revanche, la polygamie en déclin en Kabylie se prêterait plus facilement à son interdiction définitive.
B – La polygamie
C’est une pratique qui date de la préhistoire puisque le roi Massinissa avait au moins 48 garçons qu’il ne pouvait engendrer avec une seule femme. La société kabyle héritant des traditions amazighes en a gardé l’usage pour un certain nombre de raisons dont certaines font de nos jours sourire : Les hommes dans une société méditerranéenne étaient à la fois la richesse, la sécurité et le pouvoir. En engendrer le maximum dans un monde non médicalisé où la mortalité infantile était effarante et les guerres fréquentes était un sport national. On garde de cette croyance des traces jusque dans la chanson dite moderne [3]. Par ailleurs, après une guerre les veuves sont en général remariées dans la fratrie de leur défunt mari pour, disait-on, garder les orphelins dans le giron de la famille paternelle. C’est ce qui aurait relancé cette pratique en Kabylie au lendemain de la guerre d’Algérie dans laquelle, en sept ans, elle aurait perdu au moins trois cents mille hommes. Des cas de bigamie se rencontrent encore chez des hommes qui, pour différentes raisons, sont incapables de divorcer de leur première femme [4]. Le poids de la tradition reste relativement important en Kabylie malgré une évolution des mœurs assez prononcée.
C – La tradition
En plus de la bigamie, la tradition a affecté à la femme que Slimane Azem qualifiait de « colonne supportant le poids de la famille » [5] le rôle de gardienne de l’honneur des hommes. Pour la femme kabyle, avoir le sens de l’honneur c’est d’abord un observer strict respect des mœurs à travers lesquelles la virginité avant le mariage est de mise et l’adultère sévèrement châtié. Cette société réputée pour sa pudeur n’hésite pas pourtant à afficher publiquement les preuves de la consommation du mariage avec une vierge. Il faut reconnaître que le Kabyle a tellement sublimé son honneur qu’il ne lui a pas trouvé de meilleur coffre-fort que la frêle membrane de l’entrejambe de sa fille. C’est ce qui valide l’adage populaire selon lequel « une fille non mariée est toujours une bombe ! » Le mariage est donc recherché à tout prix. Ainsi, des siècles durant, et nos mères sont toutes passées par là il n’y a pas si longtemps, les filles sont mariées des fois avant leur adolescence [6]. Pire ! La plupart des temps à leur insu ou sans leur consentement. Mon arrière grand-mère paternelle par exemple, après son veuvage survenu à l’âge de 16 ans avait dû se casser toutes ses dents à coups de galet pour s’amocher et dissuader des prétendants qui demandaient sa main à son père. Elle ne voulait pas être séparée de son fils. Aujourd’hui, cette pratique qui consiste à marier les filles très jeunes et sans leur accord a presque disparu. Il est inconcevable qu’une fille soit mariée de force et la moyenne d’âge des mariages qui se situait aux environs de 14 ans au début des années soixante est remonté à plus de 25 ans aujourd’hui. De nos jours, une grande proportion de femmes et d’hommes de 30 à 40 ans est constituée de célibataires. L’instruction et la modernité de la société kabyle sont passées par là. Mais des points noirs subsistent encore par cet attachement à ce code de l’honneur kabyle qui ne va pas sans quelques anachronismes et autres absurdités. Ainsi, un garçon ne rêve qu’à sortir avec une fille alors qu’il lui est impossible d’admettre que sa sœur en fasse de même. Il interdit à sa ses sœurs l’émancipation qu’il souhaite trouver chez la fille du voisin. Ce machisme des Kabyles est à combattre pour une évolution heureuse de la société de telle sorte que notre jeunesse, au lieu de rêver à des pays européens aux mœurs plus tolérantes elle se recréerait chez elle son propre rêve. D’ailleurs, le départ vers la France de quelques dizaines de milliers de jeunes Kabyles de 1998 à 2003 génère une situation inédite qui appelle nécessairement une évolution dans nos us et coutumes. Ces garçons qui, pour obtenir leurs papiers de résidence en France, se marient presque tous avec des Françaises laissent autant de jeunes filles en Kabylie qui ne vont pas trouver avec qui se marier dans l’immédiat. Pour vivre leur sexualité elles seront sans aucun doute amenées à faire preuve de courage et d’ingéniosité face aux interdits en usage. Et ce n’est pas la loi algérienne, en déphasage total avec le statut de la femme kabyle, qui emprisonnerait nos filles et nos femmes dans les rets de l’islamisme.
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