Zamane a donné la parole à un fervent partisan du panarabisme et à un militant de la cause amazighe. Le débat fut chaud…
Dieu est mort, Marx est mort et moi-même je ne me sens pas très bien ». Quand le cinéaste américain Woody Allen a lancé cette phrase, seules les sociétés occidentales semblaient le préoccuper. La mort des idéologies avait alors succédé à la mort des religions, augurant d’une perte de repères généralisée et d’un regain mondial du questionnement sur l’identité. Le Maroc, pays de migrations tiraillé entre arabité, latinité et berbérité, n’a pas échappé à cette lame de fond. Qu’est-ce donc qu’être marocain : sommes-nous Amazighs, Arabes, musulmans, Africains, méditerranéens, ou tout cela à la fois ?
La mouvance berbère est née
Au cours du XXe siècle, monarchie et nationalistes ont formé l’équipage qui a orienté les voiles du navire Maroc. Tous deux ont façonné le destin d’une société mise à mal par l’oppression et l’analphabétisme. Le pragmatisme des monarques arabes a caressé les tendances baasistes, nasséristes et unionistes des politiques. Et ce ne sont pas les moyens qui ont fait défaut. Ecoles, médias, mosquées, scènes publiques… tout a été mis en oeuvre pour unifier les esprits et les cœurs dans une dynamique arabo-musulmane. C’était parti pour durer, mais deux événements majeurs ont bousculé le grand projet d’unification des esprits du monde arabe. Primo, l’irruption de l’islamisme, beaucoup plus dense idéologiquement, a de fait causé la faillite du panarabisme. Secundo, en Afrique du nord, les progressistes n’étant parvenus, ni à édifier des Etats démocratiques, ni à unifier l’espace maghrébin, chaque pays s’est enfermé dans un patriotisme étroit. Donnant, de fait, naissance à la mouvance amazighe.
Après le « printemps berbère » d’avril 1980, qui a vu les Kabyles se mobiliser en masse pour défendre leurs spécificités culturelles, le Maroc est rapidement gagné par la fièvre. De nombreuses associations de défense de la culture amazighe se mettent en place. Au fil du temps, le culturel devient politique. Et, au cours du 3e millénaire, un groupe de militants de la cause amazighe marche sur les traces des islamistes, et tente de créer un parti politique, avant que l’initiative ne soit tuée dans l’oeuf par le ministère de l’Intérieur en 2008.
Tamghrabit, un mythe ?
Dans le débat qui suit, deux hypothèses se dégagent. Peut être les plus dominantes, en dehors du discours islamiste, qui place le débat sur l’identité dans une stabilité que les sciences humaines ne peuvent supporter. Etre Marocain, pour Ahmed Assid, philosophe et membre de l’Institut royal de la culture amazighe (Ircam), semble suffire. Tamghrabit (marocanité), un terme inventé pour représenter cette identité à la racine amazighe, mais aussi arabe, méditerranéenne et africaine est le plus approprié pour Assid. Ce brassage nous procure une identité à part entière. Et puisque la langue est synonyme de conscience, seules les deux langues (réellement) parlées par les Marocains nous caractérisent vraiment : la darija, le tamazight. Quant à l’arabe classique, il pourrait faire office de troisième langue officielle. Mais à une condition, insiste Assid : le moderniser. Abdessamad Belkebir, ancien membre de l’OADP (Organisation de l’action démocratique populaire) et du PSD (Parti socialiste démocratique) et enseignant à l’université Cadi Ayyad, est un fervent partisan du panarabisme. Belkebir est sur la même longueur d’onde qu’Ahmed Assid sur la question de la (nécessaire) réforme la langue arabe. Selon lui, il faut apporter quantité de modifications à l’arabe classique, afin qu’elle puisse constituer le ciment du monde arabe. Une union qu’il juge encore plus importante que la démocratisation des pays concernés, car elle constitue une base nécessaire et suffisante pour le changement, notamment démocratique. Pour Belkebir, toute tentative de sortir de cet espace qu’est le monde arabe serait une hérésie.
Les deux chercheurs sont cependant d’accord sur un point : l’identité ne peut pas être appréhendée sur des bases raciales ou religieuses. Mais la réalité est plus complexe : si les porte-paroles élites pan arabistes et berbéristes font le pari du dialogue, voire de la synthèse, dans les universités, la jeunesse, elle, se radicalise. Nos jeunes sont-ils en mesure d’alimenter les velléités séparatistes dans les régions berbérophones ? La question est posée… mais l’élite politique, dans son immense majorité, préfère encore regarder ailleurs.
Pensez-vous qu’il y a un problème d’identité au Maroc ?
Abdessamad Belkebir : Il faut commencer par définir l’identité. Je fais partie de ceux qui rejettent ce concept. On ne peut pas résumer la personnalité d’un peuple à sa mémoire. Je préfère parler de « particularités », comme l’a très bien expliqué Abdellah Laroui. La particularité explique qu’il existe une généralité commune, ce que nous appelons « la civilisation », et une particularité due essentiellement à la géographie. Donc, l’Histoire fait la généralité et la géographie crée la particularité.
Ahmed Assid : Heureusement qu’au Maroc, personne n’a jamais posé la question sur une base raciale. Si l’identité soulève autant de questions, cela est d’abord lié au sens du terme. Il est difficile à cerner puisqu’il échappe à la mesure. La pensée aristotélicienne a été la première à poser l’identité comme un des principes de la raison humaine. Jusqu’au début du XXe siècle, la pensée humaine a donné une grande importance au principe de l’identité. Les sciences humaines du XXe siècle ont permis de renouveler la question de l’identité. Le fait de rejeter le terme n’élimine pas le questionnement. Je suis ce que je suis et ce que je suis devenu. L’identité est un sentiment d’appartenance. Je suis plutôt pour cette dernière définition. Moralité, oui la question d’identité est réelle au Maroc, comme dans tous les pays du monde.
Mais le discours racial reste très présent, d’une part chez certains militants de la cause amazighe, et d’autre part, chez les inconditionnels du panarabisme….
A.A : Les meilleures leçons que nous avons tirées du XXe siècle sont celles qui ont intégré l’identité dans la continuité historique. Les discours qui inscrivent l’identité dans la stabilité sont loin d’être innocents. Ce sont des discours de guerre. Or, la question raciale et religieuse contredit la réalité. Le Maghreb a connu un brassage de populations depuis la nuit des temps. Les migrations allaient dans tous les sens. Essayer de donner un sens unique à ces flux de populations relève de la mythologie. Je ne suis pas d’accord sur l’idée de présenter la question amazighe sous l’angle racial. Les idéologies parlant de races pures sont une aberration, et je peux vous assurer que personne n’a fait allusion à ce genre d’approche dans les écrits de la mouvance amazighe.
A.B : Le XXe est avant tout une période de métamorphose. Même la religion, pourtant très ancienne, a changé de définition durant ce siècle. La race est un concept sans aucun fondement scientifique. Sa faillite idéologique n’est un secret pour personne. En politique c’est pire. Il a tué des millions de personnes durant la deuxième guerre mondiale. Ahmed Assid définit l’identité en tant que sentiment d’appartenance. Pour moi, ce que je suis maintenant n’a rien à voir avec mon identité. Je n’appartiens pas à l’époque actuelle. Je suis contre mon présent. Depuis le XVIIe siècle, et même avant, nous sommes sous le joug de l’impérialisme. Notre histoire a été décidée loin de chez nous, et elle ne me représente pas…
Quelles sont donc les origines des Marocains, aussi « non raciales » soient-elles ?
A.A : Les sociétés sous-développées souffrent de la domination des idéologies politiques au détriment de la science. Les livres scolaires par exemple ne nous enseignent pas que nos origines sont universelles. Il est tout simplement indiqué que les premiers habitants du Maroc sont les berbères venus du Yémen, et donc, qu’ils sont arabes. Cette idéologie politique qui insinue que les Amazighs sont arabes sert en fait à occulter le problème de la diversité. Après l’Indépendance, il a fallu créer des symboles qui contribuent à la solidification du jeune Etat marocain. L’unité des origines du peuple marocain en fait partie. Pourtant, l’Histoire indique que depuis au moins 33 siècles, les Amazighs étaient présents en Afrique du no rd. Ils ont fait la guerre à toutes les occupations, mais jamais aux autres cultures.
A.B : On ne peut pas parler d’Histoire sans parler de l’apparition de la conscience, donc de la langue. Nous sommes sûrs que la plupart des premiers exodes à travers l’histoire se sont passés dans le pourtour méditerranéen. Du fait de notre histoire commune avec les Grecs, les Romains, les Pharaons, et bien d’autres, je ne peux pas avancer des théories sur nos origines. La culture anthropologique aussi n’a pas lieu d’être. Car il ne s’agit pas d’une culture, mais d’un folklore, d’un mode de vie lié à la géographie. L’être humain est plus grand que sa culture. L’héritage culturel sert plutôt à opprimer la créativité chez les hommes. Qu’est-ce que l’Histoire ? C’est l’œuvre de l’Homme à travers le temps, le produit étant la civilisation. Cette dernière est incarnée par l’Etat. Il n’y a aucune civilisation sans Etats. Bien sûr, il y a plus de peuples que d’Etats, car certains ont pu créer des Etats, tandis que d’autres non. L’ouverture des berbères sur le monde n’a pas été un choix, mais une nécessité. Les berbères n’avaient pas la possibilité de créer un Etat, donc une civilisation. Cette dernière est donc venue d’ailleurs. Mais il ne faut pas prendre cet échange comme une occupation. Les termes comme l’occupation et le colonialisme sont venus avec l’impérialisme, donc à partir du XVIIe siècle.
Quel rôle a donc joué l’Histoire dans notre identité ?
A.A : Le discours de M. Belkebir me rappelle mon enfance dans les écoles, où l’on enseignait qu’il n’y avait pas d’Etat (berbère, ndlr), pas de civilisations, et qu’il n’y a pas eu d’occupation. Quelle est donc la raison de toutes les résistances qu’a connues le Maroc à travers l’Histoire. Yugherten a fait la guerre aux Romains pendant 30 ans et a succombé à la faim et la soif dans les geôles de Rome. Les archéologues ont découvert des pièces de monnaie des royaumes amazighs, et cela veut dire qu’il y avait des Etats. Mais il ne faut pas oublier que la définition de l’Etat est aussi instable. Elle change selon les époques. Et quand on avance ce genre d’hypothèses, cela nous donne une jeunesse qui méprise ses origines. Il faut une relecture générale de notre Histoire, avec les nouvelles méthodes scientifiques. Enfin, si la science nous dit que les Amazighs n’ont pas d’Histoire, nous serons tous prêts à l’accepter. Utiliser des arguments non scientifiques pour des fins politiques, j’appelle ceci le sous-développement.
A.B : Quand je parle de la création d’un Etat, je ne veux pas dire que cela est un privilège. Peut être est-ce un privilège historique, mais il n’est pas « civilisationnel ». En Amérique latine, on parle maintenant des chances du sous-développement. Pour l’Histoire ancienne, les peuples n’ayant pas fondé des civilisations ont préservé certaines choses plus précieuses que l’héritage laissé par les grands empires. Je prends comme exemple les pyramides. On ne peut pas construire des pyramides sans avoir un Etat central, donc de l’esclavage et de l’oppression. Je suis d’accord sur le fait qu’il y avait des résistances. Mais le fait de se sentir occupé par un étranger est venu avec l’impérialisme occidental. Les peuples anciens étaient dans une logique de confréries, et d’échanges.
Dieu est mort, Marx est mort et moi-même je ne me sens pas très bien ». Quand le cinéaste américain Woody Allen a lancé cette phrase, seules les sociétés occidentales semblaient le préoccuper. La mort des idéologies avait alors succédé à la mort des religions, augurant d’une perte de repères généralisée et d’un regain mondial du questionnement sur l’identité. Le Maroc, pays de migrations tiraillé entre arabité, latinité et berbérité, n’a pas échappé à cette lame de fond. Qu’est-ce donc qu’être marocain : sommes-nous Amazighs, Arabes, musulmans, Africains, méditerranéens, ou tout cela à la fois ?
La mouvance berbère est née
Au cours du XXe siècle, monarchie et nationalistes ont formé l’équipage qui a orienté les voiles du navire Maroc. Tous deux ont façonné le destin d’une société mise à mal par l’oppression et l’analphabétisme. Le pragmatisme des monarques arabes a caressé les tendances baasistes, nasséristes et unionistes des politiques. Et ce ne sont pas les moyens qui ont fait défaut. Ecoles, médias, mosquées, scènes publiques… tout a été mis en oeuvre pour unifier les esprits et les cœurs dans une dynamique arabo-musulmane. C’était parti pour durer, mais deux événements majeurs ont bousculé le grand projet d’unification des esprits du monde arabe. Primo, l’irruption de l’islamisme, beaucoup plus dense idéologiquement, a de fait causé la faillite du panarabisme. Secundo, en Afrique du nord, les progressistes n’étant parvenus, ni à édifier des Etats démocratiques, ni à unifier l’espace maghrébin, chaque pays s’est enfermé dans un patriotisme étroit. Donnant, de fait, naissance à la mouvance amazighe.
Après le « printemps berbère » d’avril 1980, qui a vu les Kabyles se mobiliser en masse pour défendre leurs spécificités culturelles, le Maroc est rapidement gagné par la fièvre. De nombreuses associations de défense de la culture amazighe se mettent en place. Au fil du temps, le culturel devient politique. Et, au cours du 3e millénaire, un groupe de militants de la cause amazighe marche sur les traces des islamistes, et tente de créer un parti politique, avant que l’initiative ne soit tuée dans l’oeuf par le ministère de l’Intérieur en 2008.
Tamghrabit, un mythe ?
Dans le débat qui suit, deux hypothèses se dégagent. Peut être les plus dominantes, en dehors du discours islamiste, qui place le débat sur l’identité dans une stabilité que les sciences humaines ne peuvent supporter. Etre Marocain, pour Ahmed Assid, philosophe et membre de l’Institut royal de la culture amazighe (Ircam), semble suffire. Tamghrabit (marocanité), un terme inventé pour représenter cette identité à la racine amazighe, mais aussi arabe, méditerranéenne et africaine est le plus approprié pour Assid. Ce brassage nous procure une identité à part entière. Et puisque la langue est synonyme de conscience, seules les deux langues (réellement) parlées par les Marocains nous caractérisent vraiment : la darija, le tamazight. Quant à l’arabe classique, il pourrait faire office de troisième langue officielle. Mais à une condition, insiste Assid : le moderniser. Abdessamad Belkebir, ancien membre de l’OADP (Organisation de l’action démocratique populaire) et du PSD (Parti socialiste démocratique) et enseignant à l’université Cadi Ayyad, est un fervent partisan du panarabisme. Belkebir est sur la même longueur d’onde qu’Ahmed Assid sur la question de la (nécessaire) réforme la langue arabe. Selon lui, il faut apporter quantité de modifications à l’arabe classique, afin qu’elle puisse constituer le ciment du monde arabe. Une union qu’il juge encore plus importante que la démocratisation des pays concernés, car elle constitue une base nécessaire et suffisante pour le changement, notamment démocratique. Pour Belkebir, toute tentative de sortir de cet espace qu’est le monde arabe serait une hérésie.
Les deux chercheurs sont cependant d’accord sur un point : l’identité ne peut pas être appréhendée sur des bases raciales ou religieuses. Mais la réalité est plus complexe : si les porte-paroles élites pan arabistes et berbéristes font le pari du dialogue, voire de la synthèse, dans les universités, la jeunesse, elle, se radicalise. Nos jeunes sont-ils en mesure d’alimenter les velléités séparatistes dans les régions berbérophones ? La question est posée… mais l’élite politique, dans son immense majorité, préfère encore regarder ailleurs.
Pensez-vous qu’il y a un problème d’identité au Maroc ?
Abdessamad Belkebir : Il faut commencer par définir l’identité. Je fais partie de ceux qui rejettent ce concept. On ne peut pas résumer la personnalité d’un peuple à sa mémoire. Je préfère parler de « particularités », comme l’a très bien expliqué Abdellah Laroui. La particularité explique qu’il existe une généralité commune, ce que nous appelons « la civilisation », et une particularité due essentiellement à la géographie. Donc, l’Histoire fait la généralité et la géographie crée la particularité.
Ahmed Assid : Heureusement qu’au Maroc, personne n’a jamais posé la question sur une base raciale. Si l’identité soulève autant de questions, cela est d’abord lié au sens du terme. Il est difficile à cerner puisqu’il échappe à la mesure. La pensée aristotélicienne a été la première à poser l’identité comme un des principes de la raison humaine. Jusqu’au début du XXe siècle, la pensée humaine a donné une grande importance au principe de l’identité. Les sciences humaines du XXe siècle ont permis de renouveler la question de l’identité. Le fait de rejeter le terme n’élimine pas le questionnement. Je suis ce que je suis et ce que je suis devenu. L’identité est un sentiment d’appartenance. Je suis plutôt pour cette dernière définition. Moralité, oui la question d’identité est réelle au Maroc, comme dans tous les pays du monde.
Mais le discours racial reste très présent, d’une part chez certains militants de la cause amazighe, et d’autre part, chez les inconditionnels du panarabisme….
A.A : Les meilleures leçons que nous avons tirées du XXe siècle sont celles qui ont intégré l’identité dans la continuité historique. Les discours qui inscrivent l’identité dans la stabilité sont loin d’être innocents. Ce sont des discours de guerre. Or, la question raciale et religieuse contredit la réalité. Le Maghreb a connu un brassage de populations depuis la nuit des temps. Les migrations allaient dans tous les sens. Essayer de donner un sens unique à ces flux de populations relève de la mythologie. Je ne suis pas d’accord sur l’idée de présenter la question amazighe sous l’angle racial. Les idéologies parlant de races pures sont une aberration, et je peux vous assurer que personne n’a fait allusion à ce genre d’approche dans les écrits de la mouvance amazighe.
A.B : Le XXe est avant tout une période de métamorphose. Même la religion, pourtant très ancienne, a changé de définition durant ce siècle. La race est un concept sans aucun fondement scientifique. Sa faillite idéologique n’est un secret pour personne. En politique c’est pire. Il a tué des millions de personnes durant la deuxième guerre mondiale. Ahmed Assid définit l’identité en tant que sentiment d’appartenance. Pour moi, ce que je suis maintenant n’a rien à voir avec mon identité. Je n’appartiens pas à l’époque actuelle. Je suis contre mon présent. Depuis le XVIIe siècle, et même avant, nous sommes sous le joug de l’impérialisme. Notre histoire a été décidée loin de chez nous, et elle ne me représente pas…
Quelles sont donc les origines des Marocains, aussi « non raciales » soient-elles ?
A.A : Les sociétés sous-développées souffrent de la domination des idéologies politiques au détriment de la science. Les livres scolaires par exemple ne nous enseignent pas que nos origines sont universelles. Il est tout simplement indiqué que les premiers habitants du Maroc sont les berbères venus du Yémen, et donc, qu’ils sont arabes. Cette idéologie politique qui insinue que les Amazighs sont arabes sert en fait à occulter le problème de la diversité. Après l’Indépendance, il a fallu créer des symboles qui contribuent à la solidification du jeune Etat marocain. L’unité des origines du peuple marocain en fait partie. Pourtant, l’Histoire indique que depuis au moins 33 siècles, les Amazighs étaient présents en Afrique du no rd. Ils ont fait la guerre à toutes les occupations, mais jamais aux autres cultures.
A.B : On ne peut pas parler d’Histoire sans parler de l’apparition de la conscience, donc de la langue. Nous sommes sûrs que la plupart des premiers exodes à travers l’histoire se sont passés dans le pourtour méditerranéen. Du fait de notre histoire commune avec les Grecs, les Romains, les Pharaons, et bien d’autres, je ne peux pas avancer des théories sur nos origines. La culture anthropologique aussi n’a pas lieu d’être. Car il ne s’agit pas d’une culture, mais d’un folklore, d’un mode de vie lié à la géographie. L’être humain est plus grand que sa culture. L’héritage culturel sert plutôt à opprimer la créativité chez les hommes. Qu’est-ce que l’Histoire ? C’est l’œuvre de l’Homme à travers le temps, le produit étant la civilisation. Cette dernière est incarnée par l’Etat. Il n’y a aucune civilisation sans Etats. Bien sûr, il y a plus de peuples que d’Etats, car certains ont pu créer des Etats, tandis que d’autres non. L’ouverture des berbères sur le monde n’a pas été un choix, mais une nécessité. Les berbères n’avaient pas la possibilité de créer un Etat, donc une civilisation. Cette dernière est donc venue d’ailleurs. Mais il ne faut pas prendre cet échange comme une occupation. Les termes comme l’occupation et le colonialisme sont venus avec l’impérialisme, donc à partir du XVIIe siècle.
Quel rôle a donc joué l’Histoire dans notre identité ?
A.A : Le discours de M. Belkebir me rappelle mon enfance dans les écoles, où l’on enseignait qu’il n’y avait pas d’Etat (berbère, ndlr), pas de civilisations, et qu’il n’y a pas eu d’occupation. Quelle est donc la raison de toutes les résistances qu’a connues le Maroc à travers l’Histoire. Yugherten a fait la guerre aux Romains pendant 30 ans et a succombé à la faim et la soif dans les geôles de Rome. Les archéologues ont découvert des pièces de monnaie des royaumes amazighs, et cela veut dire qu’il y avait des Etats. Mais il ne faut pas oublier que la définition de l’Etat est aussi instable. Elle change selon les époques. Et quand on avance ce genre d’hypothèses, cela nous donne une jeunesse qui méprise ses origines. Il faut une relecture générale de notre Histoire, avec les nouvelles méthodes scientifiques. Enfin, si la science nous dit que les Amazighs n’ont pas d’Histoire, nous serons tous prêts à l’accepter. Utiliser des arguments non scientifiques pour des fins politiques, j’appelle ceci le sous-développement.
A.B : Quand je parle de la création d’un Etat, je ne veux pas dire que cela est un privilège. Peut être est-ce un privilège historique, mais il n’est pas « civilisationnel ». En Amérique latine, on parle maintenant des chances du sous-développement. Pour l’Histoire ancienne, les peuples n’ayant pas fondé des civilisations ont préservé certaines choses plus précieuses que l’héritage laissé par les grands empires. Je prends comme exemple les pyramides. On ne peut pas construire des pyramides sans avoir un Etat central, donc de l’esclavage et de l’oppression. Je suis d’accord sur le fait qu’il y avait des résistances. Mais le fait de se sentir occupé par un étranger est venu avec l’impérialisme occidental. Les peuples anciens étaient dans une logique de confréries, et d’échanges.
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