Krim Belkacem se rend discrétement à Alger pour en discuter avec Abane Ramdane dont le nom commence
Krim Belkacem se rend discrétement à Alger pour en discuter...
Par Mahelal Ali
Fils de Chahid
Nous venons de célébrer la journée du 20 Août, Journée du Moudjahid, qui consacre deux épisodes majeurs de la glorieuse Révolution de Novembre 54 : le 20 Août 1955, date de l’offensive du Nord-Constantinois, et le 20 Août 1956, date marquante de la tenue du Congrès de la Soummam.
Cette escale sur ces deux épisodes glorieux de la guerre de Libération nous inspire pour esquisser la rédaction de cette modeste contribution pour nous rappeler et faire rappeler que nous ne sommes pas loin de commémorer le dénouement heureux d’un autre glorieux épisode de la Révolution de 54 réalisé par les vaillants résistants en wilaya III historique, représenté par le complot dénommé «Opération Oiseau Bleu», qui a été dévoilé aux congresistes de la Soummam et qui a conu son épilogue suite à la décision d’y mettre un terme prise par les mêmes congressistes, compte tenu de la réussite au profit du FLN/ALN qu’il a connue jusque-là et du danger qu’encourraient, plus avant, les militants qui y étaient engagés (entre 1000 et 1200 hommes).
L’opération «Oiseau Bleu» consiste en un complot qui a été mis en œuvre par le SDECE (services secrets français) à partir du printemps 1955 et qui envisageait de détacher de la rébellion du FLN plusieurs centaines de Kabyles, puis de les transformer en commandos clandestins, opérant avec des tenues et des armes analogues à celles de l’ALN et de les charger de créer un véritable «contre-maquis» en Kabylie baptisé «Oiseau bleu» ou «Force K» (K pour «Kabyle»). Ce complot s’est soldé par un cuisant échec, mieux, par un total retournement puisqu’il permit d’approvisionner le FLN en armes, hommes et fonds numéraires.
Cette opération, longtemps tenue secrète, est encore largement ignorée des historiens et des opinions française et algérienne.
Yves Courrière se vante d’être le premier à l’avoir révélée, mais ne l’a jamais cernée de manière satisfaisante, certainement empêché, tant l’échec pour la partie française était désastreux et, à l’inverse, la victoire pour le FLN et l’ALN rehaussait leur prestige auprès de l’opinion nationale et internationale, raison pour laquelle les effets, tant de la victoire que de l’échec, devaient être passés sous silence à tout prix.
LE CONTEXTE
C’est en Indochine que les Français avaient eu pour la première fois l’idée d’utiliser à leur profit les rivalités séculaires entre les différents groupes ethniques et plus précisément celle opposant les minorités et les sectes aux Annamites parmi lesquels se recrutaient les principaux membres du Viêt minh. Au printemps 1956, ce procédé est repris en Algérie, notamment en Kabylie.
La Toussaint de l’an 1954 a été amère pour l’administration et l’armée coloniales, ainsi que pour l’ensemble des colons d’Algérie.
Les succès enregistrés dès le début de l’insurrection par les combattants du FLN grossissaient leurs rangs et grandissaient le soutien de toutes les couches de la population, notamment dans le monde rural où ont vite fini par se créer des réseaux de soutien logistique et de liaison-renseignements.
Au cours du printemps 1955, la rébellion FLN conduite en Kabylie par Krim Belkacem devenait de plus en plus active. En face, les troupes françaises qui y étaient stationnées, chargées du rétablissement et du maintien de l’ordre, paraissaient peu efficaces pour ce qui concerne la pacification et la contre-guérilla.
Composées d’appelés du contingent, dotées d’un encadrement souvent insuffisant, elles manquaient non seulement de capacités techniques, mais également, chez un grand nombre de leurs éléments, de motivation.
Pendant ce temps, que faisaient les responsables politico-militaires français d’ici et d’outre-mer ? Pour répondre à cette question, nous ne pouvons qu’imaginer des scénarios qui auraient été mis en œuvre par les officines et les bureaux d’experts qui planchaient, à coup sûr, sur les voies et moyens à même de permettre de contrer le mouvement insurrectionnel qui venait de se déclencher, ou tout au moins freiner ou fragiliser son expansion et surtout étouffer ses échos à l’intérieur du territoire de la colonie pour éviter d’attirer l’attention de l’opinion publique française et internationale.
D’autant plus que la Kabylie que Krim Belkacem a organisée depuis longtemps commence à bouger, selon les informations recoupées au niveau du cabinet Soustelle.
Dans la vallée de la Soummam, des combats meurtriers sont livrés contre les troupes du «général autoproclamé Bellounis» qui a «ramassé une raclée» des hommes de Krim et tente une «reconversion» dans le Sud. La haute Kabylie va suivre. Il faut l’en empêcher. Alors pourquoi ne pas monter en Grande Kabylie un contre-maquis en utilisant des hommes sûrs, des super-harkis clandestins, qui lutteraient contre Krim en employant les mêmes armes ? Aux membres de cette armée secrète on donnerait d’abord des mousquetons, puis des armes plus efficaces.
Ces commandos clandestins se déplaceraient dans des zones soigneusement évitées par l’armée française et eux, des enfants du pays, sauraient bien débusquer ces maquisards que les unités classiques ne parviennent jamais à accrocher.
Et c’est ce scénario qui aboutit à l’affaire dite «Opération Oiseau Bleu», du nom mythique de l’oiseau du paradis, selon le moudjahid et officier de l’ALN Si Ouali Aït Ahmed qui a été l’auteur de plusieurs écrits(1) sur cet épisode de la guerre de Libération nationale en Wilaya III historique.
Naissance du complot dans les deux camps
Sous le patronage de Jacques Soustelle donc, il avait été décidé de monter une opération de contre-espionnage qui avait pour but de noyauter rapidement les maquis de Kabylie que dirigeait Krim Belkacem. Il s’agissait de charger des Kabyles de monter l’opération sur le terrain : mettre sur pied un mouvement clandestin qui toucherait tous les villages, selon un scénario déjà expérimenté en Indochine, «le Bao Dai», et qui s’était soldé, du reste, par un échec cuisant.
Il nous tient à cœur, ici, d’essayer de comprendre le mobile et les objectifs à caractère politique et militaire qui sont à l’origine de l’initiative.
Pourquoi avait-on choisi la Kabylie alors même que les maquis du Nord-Constantinois et des Aurès étaient, au moins, autant embrasés sinon plus, immédiatement après le déclenchement de la Révolution ?
1)- Nous reprenons certains récits à partir de ces écrits de Si Ouali Aït Ahmed, avec sa permission.
Le choix ainsi opéré répondait, à notre sens, à une stratégie bien précise
- La Kabylie était immédiatement proche de la capitale, c’est-à-dire du pôle politique et médiatique, d’une part, et proche également du centre de décision politico-militaire, ceci pour le management de l’opération, d’autre part.
- Au plan de la stratégie militaire, il s’agissait de couper la Révolution en deux ensembles à partir de la capitale pour aboutir à isoler les maquis de l’est de la colonie.
- Au plan de la stratégie politico-médiatique, il s’agissait de convaincre l’opinion française et internationale qu’on avait affaire à un énième mouvement insurrectionnel régional, confiné à l’est du territoire de la colonie.
Une fois la stratégie adoptée et le champ d’intervention délimité, il fallait procéder à la recherche des hommes qui seraient chargés de l’exécution du plan concocté qui consistait à recruter parmi les populations de Kabylie des «mercenaires» qui accepteraient de combattre les «fellagas», mais sans être officiellement enrôlés sous la coupe de l’armée française comme les «goumiers» par exemple ; les membres de ces milices armées, que nous avons dénommés «mercenaires» parce qu’ils devaient percevoir, en contrepartie de leur engagement, une prime de 30 000 anciens francs, devaient être recrutés en petits groupes de quinze à vingt éléments commandés par un chef de groupe ; les services français, quant à eux, les ont dénommés «éléments de la ‘‘Force K’’ (K pour Kabyle)».
Et c’était là, à notre sens, le commencement de l’erreur commise par les initiateurs du complot : le fait d’avoir négligé d’apprécier le patriotisme, le nationalisme et l’esprit de sacrifice qui animaient les enfants du peuple d’Algérie brimé par plus d’un siècle de colonialisme, de domination et de négation !
Il se trouve que pour lancer une telle opération, il fallait activer dans un grand centre urbain, comme la ville d’Azazga par exemple, qui présentait l’avantage, du reste, d’être épicentrique selon plusieurs aspects :
- suffisamment proche de la grande ville de Tizi Ouzou dont elle constituait le centre urbain le plus dense en population, le plus proche et le plus facile d’accès ;
- équidistante des autres centres urbains importants tels : Fort National (actuellement Larbaâ Nath Irathen) – Michelet (actuellement Aïn El Hammam) – Port-Gueydon (actuellement Azeffoun)...
- suffisamment proche des grands maquis de l’Akfadou, de Yakouren et des monts du Tamgout.
Pour toutes ces raisons, et à la réflexion, nous pouvons même esquisser une hypothèse selon laquelle la région d’Azazga avait été choisie comme théâtre d’opération avant que l’on ait choisi les hommes auxquels devait échoir la mission et qui devaient en être originaires.
Et c’est ainsi que, d’un Kabyle à un autre, on finit par prendre contact avec un personnage assez singulier de la ville d’Azazga d’où ce dernier est natif et résident depuis toujours, en l’occurrence Zaïdat Ahmed.
Zaïdat Ahmed est un personnage qu’il m’est tout particulièrement agréable de présenter pour ce qu’il représente :
- pour la Wilaya III historique ;
- pour la région d’Azazga ;
- pour la réussite de l’opération «Oiseau Bleu» au titre du FLN / ALN ;
- pour l’amitié et le compagnonnage qui le liaient à mon défunt père, que ce soit dans le militantisme au sein du PPA/MTLD ou durant la réalisation de l’opération «Oiseau Bleu» ; les noms de Hend Ouzaïd et Saïd Mehlal sont intimement liés dans l’esprit des gens, moudjahidine ou commun des mortels, à la moindre évocation des actes de militantisme dans la région d’Azazga.
Ce sont exactement les termes qu’a utilisés Me Ali Yahia Abdennour que j’ai rencontré durant l’été 2009 et qui m’a révélé avoir rencontré les deux hommes à trois reprises au moins :
- Mehlal Saïd seul, lors d’une réunion du parti (PPA), en 1949 ;
- les deux ensemble, en pleine exécution de leur mission, dans le cadre de l’opération «Oiseau Bleu» ;
- Zaïdat Ahmed, toujours dans le cadre de l’opération «Oiseau Bleu» et dans des circonstances particulières et assez graves ; jugeons-en à travers ce récit de Me Ali Yahia Abdennour : «Un jour où Zaïdat Ahmed avait été convié à une entrevue avec un officiel français, en l’occurrence le maire d’Alger, Jacques Chevalier, (c’était la première fois qu’on exigeât de lui de rencontrer une personnalité représentant les autorités françaises autres que les premiers contacts qu’il avait eus depuis le début du complot), il avait un peu paniqué et me rendit visite en mon domicile.
Et nous avons passé trois jours et trois nuits ensemble à imaginer tous les scénarios possibles et les questions qui risquaient de lui être posées.Le jour J et à l’issue de l’entretien (auquel avait finalement assisté Mehlal Saïd) ils sont passés me voir sur le chemin du retour vers Azazga et Zaïdat Ahmed m’annonça, excité mais néanmoins triomphant, que tout s’était bien déroulé».
A partir de l’instant où la proposition lui fut faite, de manière officielle et solennelle, Zaïdat Ahmed n’eut de repos de l’âme et de l’esprit que lorsqu’il se résolut à prendre contact avec les premiers dirigeants de la Révolution en Kabylie, à savoir Krim Belkacem et Mohammedi Saïd.
Dans la foulée, Zaïdat Ahmed ne tarda pas à rencontrer son ami Yazourène à qui il rendit compte de la situation, c’est-à-dire du complot dont on venait de le mettre au courant et de la proposition qu’on venait de lui faire de l’y associer. Nous pouvons aisément supposer que la démarche de Zaïdat Ahmed consistait, jusque-là, à prendre le soin d’avertir les dirigeants de la Révolution quant au danger que pouvait représenter le complot que préparaient les services secrets du Gouvernement général.
Il ne restait plus à Yazourène que de courir, à son tour, à la rencontre de Krim Belkacem afin de le mettre au courant et l’avertir du danger que pouvait constituer ce projet de complot.
Krim Belkacem se rend discrétement à Alger pour en discuter...
Par Mahelal Ali
Fils de Chahid
Nous venons de célébrer la journée du 20 Août, Journée du Moudjahid, qui consacre deux épisodes majeurs de la glorieuse Révolution de Novembre 54 : le 20 Août 1955, date de l’offensive du Nord-Constantinois, et le 20 Août 1956, date marquante de la tenue du Congrès de la Soummam.
Cette escale sur ces deux épisodes glorieux de la guerre de Libération nous inspire pour esquisser la rédaction de cette modeste contribution pour nous rappeler et faire rappeler que nous ne sommes pas loin de commémorer le dénouement heureux d’un autre glorieux épisode de la Révolution de 54 réalisé par les vaillants résistants en wilaya III historique, représenté par le complot dénommé «Opération Oiseau Bleu», qui a été dévoilé aux congresistes de la Soummam et qui a conu son épilogue suite à la décision d’y mettre un terme prise par les mêmes congressistes, compte tenu de la réussite au profit du FLN/ALN qu’il a connue jusque-là et du danger qu’encourraient, plus avant, les militants qui y étaient engagés (entre 1000 et 1200 hommes).
L’opération «Oiseau Bleu» consiste en un complot qui a été mis en œuvre par le SDECE (services secrets français) à partir du printemps 1955 et qui envisageait de détacher de la rébellion du FLN plusieurs centaines de Kabyles, puis de les transformer en commandos clandestins, opérant avec des tenues et des armes analogues à celles de l’ALN et de les charger de créer un véritable «contre-maquis» en Kabylie baptisé «Oiseau bleu» ou «Force K» (K pour «Kabyle»). Ce complot s’est soldé par un cuisant échec, mieux, par un total retournement puisqu’il permit d’approvisionner le FLN en armes, hommes et fonds numéraires.
Cette opération, longtemps tenue secrète, est encore largement ignorée des historiens et des opinions française et algérienne.
Yves Courrière se vante d’être le premier à l’avoir révélée, mais ne l’a jamais cernée de manière satisfaisante, certainement empêché, tant l’échec pour la partie française était désastreux et, à l’inverse, la victoire pour le FLN et l’ALN rehaussait leur prestige auprès de l’opinion nationale et internationale, raison pour laquelle les effets, tant de la victoire que de l’échec, devaient être passés sous silence à tout prix.
LE CONTEXTE
C’est en Indochine que les Français avaient eu pour la première fois l’idée d’utiliser à leur profit les rivalités séculaires entre les différents groupes ethniques et plus précisément celle opposant les minorités et les sectes aux Annamites parmi lesquels se recrutaient les principaux membres du Viêt minh. Au printemps 1956, ce procédé est repris en Algérie, notamment en Kabylie.
La Toussaint de l’an 1954 a été amère pour l’administration et l’armée coloniales, ainsi que pour l’ensemble des colons d’Algérie.
Les succès enregistrés dès le début de l’insurrection par les combattants du FLN grossissaient leurs rangs et grandissaient le soutien de toutes les couches de la population, notamment dans le monde rural où ont vite fini par se créer des réseaux de soutien logistique et de liaison-renseignements.
Au cours du printemps 1955, la rébellion FLN conduite en Kabylie par Krim Belkacem devenait de plus en plus active. En face, les troupes françaises qui y étaient stationnées, chargées du rétablissement et du maintien de l’ordre, paraissaient peu efficaces pour ce qui concerne la pacification et la contre-guérilla.
Composées d’appelés du contingent, dotées d’un encadrement souvent insuffisant, elles manquaient non seulement de capacités techniques, mais également, chez un grand nombre de leurs éléments, de motivation.
Pendant ce temps, que faisaient les responsables politico-militaires français d’ici et d’outre-mer ? Pour répondre à cette question, nous ne pouvons qu’imaginer des scénarios qui auraient été mis en œuvre par les officines et les bureaux d’experts qui planchaient, à coup sûr, sur les voies et moyens à même de permettre de contrer le mouvement insurrectionnel qui venait de se déclencher, ou tout au moins freiner ou fragiliser son expansion et surtout étouffer ses échos à l’intérieur du territoire de la colonie pour éviter d’attirer l’attention de l’opinion publique française et internationale.
D’autant plus que la Kabylie que Krim Belkacem a organisée depuis longtemps commence à bouger, selon les informations recoupées au niveau du cabinet Soustelle.
Dans la vallée de la Soummam, des combats meurtriers sont livrés contre les troupes du «général autoproclamé Bellounis» qui a «ramassé une raclée» des hommes de Krim et tente une «reconversion» dans le Sud. La haute Kabylie va suivre. Il faut l’en empêcher. Alors pourquoi ne pas monter en Grande Kabylie un contre-maquis en utilisant des hommes sûrs, des super-harkis clandestins, qui lutteraient contre Krim en employant les mêmes armes ? Aux membres de cette armée secrète on donnerait d’abord des mousquetons, puis des armes plus efficaces.
Ces commandos clandestins se déplaceraient dans des zones soigneusement évitées par l’armée française et eux, des enfants du pays, sauraient bien débusquer ces maquisards que les unités classiques ne parviennent jamais à accrocher.
Et c’est ce scénario qui aboutit à l’affaire dite «Opération Oiseau Bleu», du nom mythique de l’oiseau du paradis, selon le moudjahid et officier de l’ALN Si Ouali Aït Ahmed qui a été l’auteur de plusieurs écrits(1) sur cet épisode de la guerre de Libération nationale en Wilaya III historique.
Naissance du complot dans les deux camps
Sous le patronage de Jacques Soustelle donc, il avait été décidé de monter une opération de contre-espionnage qui avait pour but de noyauter rapidement les maquis de Kabylie que dirigeait Krim Belkacem. Il s’agissait de charger des Kabyles de monter l’opération sur le terrain : mettre sur pied un mouvement clandestin qui toucherait tous les villages, selon un scénario déjà expérimenté en Indochine, «le Bao Dai», et qui s’était soldé, du reste, par un échec cuisant.
Il nous tient à cœur, ici, d’essayer de comprendre le mobile et les objectifs à caractère politique et militaire qui sont à l’origine de l’initiative.
Pourquoi avait-on choisi la Kabylie alors même que les maquis du Nord-Constantinois et des Aurès étaient, au moins, autant embrasés sinon plus, immédiatement après le déclenchement de la Révolution ?
1)- Nous reprenons certains récits à partir de ces écrits de Si Ouali Aït Ahmed, avec sa permission.
Le choix ainsi opéré répondait, à notre sens, à une stratégie bien précise
- La Kabylie était immédiatement proche de la capitale, c’est-à-dire du pôle politique et médiatique, d’une part, et proche également du centre de décision politico-militaire, ceci pour le management de l’opération, d’autre part.
- Au plan de la stratégie militaire, il s’agissait de couper la Révolution en deux ensembles à partir de la capitale pour aboutir à isoler les maquis de l’est de la colonie.
- Au plan de la stratégie politico-médiatique, il s’agissait de convaincre l’opinion française et internationale qu’on avait affaire à un énième mouvement insurrectionnel régional, confiné à l’est du territoire de la colonie.
Une fois la stratégie adoptée et le champ d’intervention délimité, il fallait procéder à la recherche des hommes qui seraient chargés de l’exécution du plan concocté qui consistait à recruter parmi les populations de Kabylie des «mercenaires» qui accepteraient de combattre les «fellagas», mais sans être officiellement enrôlés sous la coupe de l’armée française comme les «goumiers» par exemple ; les membres de ces milices armées, que nous avons dénommés «mercenaires» parce qu’ils devaient percevoir, en contrepartie de leur engagement, une prime de 30 000 anciens francs, devaient être recrutés en petits groupes de quinze à vingt éléments commandés par un chef de groupe ; les services français, quant à eux, les ont dénommés «éléments de la ‘‘Force K’’ (K pour Kabyle)».
Et c’était là, à notre sens, le commencement de l’erreur commise par les initiateurs du complot : le fait d’avoir négligé d’apprécier le patriotisme, le nationalisme et l’esprit de sacrifice qui animaient les enfants du peuple d’Algérie brimé par plus d’un siècle de colonialisme, de domination et de négation !
Il se trouve que pour lancer une telle opération, il fallait activer dans un grand centre urbain, comme la ville d’Azazga par exemple, qui présentait l’avantage, du reste, d’être épicentrique selon plusieurs aspects :
- suffisamment proche de la grande ville de Tizi Ouzou dont elle constituait le centre urbain le plus dense en population, le plus proche et le plus facile d’accès ;
- équidistante des autres centres urbains importants tels : Fort National (actuellement Larbaâ Nath Irathen) – Michelet (actuellement Aïn El Hammam) – Port-Gueydon (actuellement Azeffoun)...
- suffisamment proche des grands maquis de l’Akfadou, de Yakouren et des monts du Tamgout.
Pour toutes ces raisons, et à la réflexion, nous pouvons même esquisser une hypothèse selon laquelle la région d’Azazga avait été choisie comme théâtre d’opération avant que l’on ait choisi les hommes auxquels devait échoir la mission et qui devaient en être originaires.
Et c’est ainsi que, d’un Kabyle à un autre, on finit par prendre contact avec un personnage assez singulier de la ville d’Azazga d’où ce dernier est natif et résident depuis toujours, en l’occurrence Zaïdat Ahmed.
Zaïdat Ahmed est un personnage qu’il m’est tout particulièrement agréable de présenter pour ce qu’il représente :
- pour la Wilaya III historique ;
- pour la région d’Azazga ;
- pour la réussite de l’opération «Oiseau Bleu» au titre du FLN / ALN ;
- pour l’amitié et le compagnonnage qui le liaient à mon défunt père, que ce soit dans le militantisme au sein du PPA/MTLD ou durant la réalisation de l’opération «Oiseau Bleu» ; les noms de Hend Ouzaïd et Saïd Mehlal sont intimement liés dans l’esprit des gens, moudjahidine ou commun des mortels, à la moindre évocation des actes de militantisme dans la région d’Azazga.
Ce sont exactement les termes qu’a utilisés Me Ali Yahia Abdennour que j’ai rencontré durant l’été 2009 et qui m’a révélé avoir rencontré les deux hommes à trois reprises au moins :
- Mehlal Saïd seul, lors d’une réunion du parti (PPA), en 1949 ;
- les deux ensemble, en pleine exécution de leur mission, dans le cadre de l’opération «Oiseau Bleu» ;
- Zaïdat Ahmed, toujours dans le cadre de l’opération «Oiseau Bleu» et dans des circonstances particulières et assez graves ; jugeons-en à travers ce récit de Me Ali Yahia Abdennour : «Un jour où Zaïdat Ahmed avait été convié à une entrevue avec un officiel français, en l’occurrence le maire d’Alger, Jacques Chevalier, (c’était la première fois qu’on exigeât de lui de rencontrer une personnalité représentant les autorités françaises autres que les premiers contacts qu’il avait eus depuis le début du complot), il avait un peu paniqué et me rendit visite en mon domicile.
Et nous avons passé trois jours et trois nuits ensemble à imaginer tous les scénarios possibles et les questions qui risquaient de lui être posées.Le jour J et à l’issue de l’entretien (auquel avait finalement assisté Mehlal Saïd) ils sont passés me voir sur le chemin du retour vers Azazga et Zaïdat Ahmed m’annonça, excité mais néanmoins triomphant, que tout s’était bien déroulé».
A partir de l’instant où la proposition lui fut faite, de manière officielle et solennelle, Zaïdat Ahmed n’eut de repos de l’âme et de l’esprit que lorsqu’il se résolut à prendre contact avec les premiers dirigeants de la Révolution en Kabylie, à savoir Krim Belkacem et Mohammedi Saïd.
Dans la foulée, Zaïdat Ahmed ne tarda pas à rencontrer son ami Yazourène à qui il rendit compte de la situation, c’est-à-dire du complot dont on venait de le mettre au courant et de la proposition qu’on venait de lui faire de l’y associer. Nous pouvons aisément supposer que la démarche de Zaïdat Ahmed consistait, jusque-là, à prendre le soin d’avertir les dirigeants de la Révolution quant au danger que pouvait représenter le complot que préparaient les services secrets du Gouvernement général.
Il ne restait plus à Yazourène que de courir, à son tour, à la rencontre de Krim Belkacem afin de le mettre au courant et l’avertir du danger que pouvait constituer ce projet de complot.
Commentaire