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Comment Abane a-t-il rassemblé les partis du mouvement national ?

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  • Comment Abane a-t-il rassemblé les partis du mouvement national ?

    Plus connu pour son rôle moteur au congrès de la Soummam du 20 août 1956, Abane Ramdane a surtout été ce grand rassembleur qui a permis à la Révolution d’avoir un ancrage à la fois politique et populaire. Mu de cet esprit d’ouverture et de réconciliation, transcendant les clivages claniques et idéologiques qui avaient miné la cause nationale durant des décennies, Abane a tenu à obtenir l’adhésion de tous les segments du mouvement national à l’insurrection armée, sans a priori, mais en faisant en sorte que ces adhésions se fassent individuellement, pour maintenir à la fois l’unité des rangs, qui était indiscutable, et la cohésion de la direction du Front de libération nationale.
    Benyoucef Benkhedda
    C’est ainsi qu’il put facilement convaincre des hommes d’envergure tels que Ferhat Abbas et son courant politique (AML, puis l’UDMA) à l’idée de rejoindre la Révolution, alors qu’il connaissait ses positions antérieures, plutôt réservées et parfois réfractaires, sur l’indépendance. La suite des événements va donner raison à l’architecte de la Soummam : l’apport de Ferhat Abbas sera déterminant dans le processus de libération, auquel Abane lui-même, parce qu’assassiné en décembre 1957, n’assistera malheureusement pas !
    L’adhésion, quelque peu tardive mais massive et performante, des centralistes a été également l’œuvre d’Abane Ramdane. Le parcours d’un politique de valeur comme Benyoucef Benkhedda, recruté et propulsé par Abane, témoigne de ce côté visionnaire chez l’homme de la Soummam.
    L’engagement des communistes algériens en faveur de la lutte de libération nationale, sous la houlette du FLN/ALN, fut l’un des nombreux exploits réalisés par Abane l’unificateur. Car, non seulement les communistes étaient quelque peu mal vus par les nationalistes au vu des positions hostiles qui étaient celles du Parti communiste français – dont le PCA était encore proche –, lequel avait, entre autres, voté en 1957 à l’Assemblée nationale les « pouvoirs spéciaux » destinés à réprimer la guérilla ; mais surtout ils étaient si jaloux de leur autonomie organique. Lors des négociations préliminaires qu’il entreprit au nom du FLN, Abane avait même accepté, à titre exceptionnel, l’entrée du PCA en tant que structure au sein du FLN. Bien que, à la fin, le PCA accepte, sans conditions, d’activer sous la bannière du FLN/ALN.
    Plus laborieuse fut l’adhésion des oulémas. Abane Ramdane déploya, là encore, toute son énergie et tout son sens diplomatique pour convaincre les éléments les plus actifs de cette association fondée par cheikh Abdelhamid Ibn Badis dans les années 1930 et qui, tout comme le PCA et l’UDMA, trainait un lourd passif lié à sa politique assimilationniste. Abane a non seulement réussi à les ramener dans le giron de la révolution, mais surtout à propulser certains d’entre eux au niveau le plus élevé de la responsabilité, comme ce fut le cas de Tewfik El-Madani et de Cheikh Kheirddine.

    Adel Fathi
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    L’UDMA de Ferhat Abbas

    Conscient de la place et de l’importance de Ferhat Abbas et de son courant politique pour le succès de la Révolution, en dépit des tergiversations dont étaient empreintes ses positions depuis les années 1930, l’architecte du congrès de la Soummam, Abane Ramdane, en politique averti et visionnaire, a très tôt fait de le contacter et d’essayer de le convaincre d’adhérer au mot d’ordre de la Révolution. La suite des événements a prouvé la pertinence de cette démarche. L’apport du vieux militant nationaliste, longtemps taxé de petit bourgeois et de libéral assimilationniste, à l’essor de la Révolution, se passe, en fait, de tout commentaire.
    Ferhat Abbas entouré de ses militants à Frenda
    Il faut dire aussi que cette adhésion n’était que l’aboutissement d’un long cheminement et d’une lente rupture qui a mûri depuis la Seconde Guerre mondiale. Ferhat Abbas avait proposé le Manifeste du parti algérien, approuvé par le PPA et les Oulémas, mettant clairement en avant l’indépendantisme du PPA : une république algérienne disposant de sa nationalité et de sa citoyenneté propres. Après le rejet, tout à fait prévisible, du Manifeste par le gouvernement et la classe politique française dans son ensemble, les nationalistes algériens, à leur tête Ferhat Abbas, créent, en 1944, les Amis du manifeste et de la liberté (AML), pour défendre son programme et lancer une campagne de sensibilisation auprès des populations. En 1946, au sortir des événements tragiques du 8 mai 1945, il fonde l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA). Sans jamais vouloir couper les ponts avec les nationalistes dits radicaux du PPA, et plus tard de sa vitrine légale, le MTLD, il affirma qu’il œuvrait pour «l’entente et la compréhension» entre Algériens et Européens dans le cadre d’un «Etat libre, rattaché à la France». Pour les militants du PPA/MTLD qui voulaient, au contraire, accélérer le processus de décolonisation par une radicalisation accrue de leur action, en créant notamment la branche paramilitaire du parti (l’OS), il n’y avait, en effet, rien à espérer de ces «pacifistes». Pourtant, le basculement révolutionnaire opéré par Ferhat Abbas ne tarda pas à avoir lieu, et son ascension sera fulgurante et d’un apport incomparable, à la mesure du personnage qui, comme durant toutes les crises qu’avait connues le mouvement national, a su insuffler une dynamique politique au combat libérateur. Après sa démission de l’Assemblée, à la suite d’une succession de déboires, il durcit progressivement ses positions politiques à l’égard de la colonisation, tout en se démarquant des appels à l’action armée émanant des groupes d’activistes au sein du MTLD, puis de l’OS. Il est vrai aussi que les événements vont très vite s’accélérer, transcendant ainsi tous les clivages qui divisaient alors les différents courants nationalistes.
    Ferhat Abbas a vu venir cette rupture imminente et définitive, et en était déjà bien conscient, mais préféra rester à l’écart –pas trop longtemps, néanmoins – de ce bouillonnement qui donnera naissance au Front de libération nationale et annoncera le 1er novembre 1954 le déclenchement de la lutte armée. Dès le mois de mai 1955, il décide secrètement de rejoindre le FLN, après de maintes rencontres avec les chefs de l’Algérois, notamment Abane Ramdane et Amar Ouamrane. Abane venait juste de sortir de prison. Après avoir contacté les militants nationalistes les plus influents, il prend en charge la direction politique de la capitale. Le 1er avril 1955, il publie un appel à «l’union et à l’engagement du peuple algérien» qui signe l’acte de naissance d’un véritable Front de libération, dans lequel il caractérise le combat libérateur par sa devise unitaire : «La libération de l’Algérie sera l’œuvre de tous », qui deviendra son leitmotiv durant tout son parcours.
    C’est d’ailleurs durant la même période, et presque de la même manière, que le futur architecte du congrès de la Soummam a pu convaincre des figures politiques, au début dubitatives, appartenant à des courants aussi divers que l’UDMA, les Oulémas ou le PCA, de rallier le FLN ; lesquelles figures se verront même, quelque temps plus tard, occuper des postes de responsabilité au sein des plus hautes instances de directions de la révolution (CNRA, CCE, GPRA...). Pour Abane, comme pour Ben Mh’idi, il y avait comme un souci sérieux et impératif de renforcer «le politique» et de ne pas laisser la révolution aux seules mains des militaires. D’où la fameuse devise du congrès, très contestée par d’autres : «La primauté du politique sur le militaire». L’adhésion des Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda, Ahmed Francis était, en ce sens, la bienvenue. Des témoignages affirment que la rencontre entre Abane et Abbas a eu lieu à Alger en mois de mai 1955, où le dirigeant du FLN lui lança sur un ton rébarbatif, mais fraternel : «La révolution est déclenchée M. Abbas, elle n’est l’œuvre ni de Messali ni de votre UDMA. Tout cela, c’est dépassé, ce sont des vieilleries à accrocher aux magasins des accessoires. Votre devoir est de rejoindre le front. Nous avons besoin d’hommes comme vous. Il n’est pas possible que vous restiez à l’écart. »
    Quelques semaines plus tard, Abbas annonce publiquement son ralliement et la dissolution officielle de son parti, l’UDMA, lors d’une conférence de presse au Caire le 25 avril 1956. Car, c’était en Egypte que la délégation extérieure de la Révolution était alors installée, avant le célèbre détournement d’avion du 22 octobre 1956.
    Dès le 20 août 1956, à l’issue du congrès de la Soummam, Ferhat Abbas est nommé, avec l’appui d’Abane Ramdane et de ses pairs, membre titulaire du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), qui en comptait alors moins d’une vingtaine, puis intègre le Comité de coordination et d’exécution (CCE), dès sa création en 1957. C’est dire que, très vite, les dirigeants de la révolution avaient compris l’importance du rôle que devait jouer l’ancien leader de l’UDMA qui venait juste de les rejoindre. Fin diplomate, homme de consensus, il était bien l’homme qui convenait le mieux dans une conjoncture exigeant une offensive diplomatique tous azimuts pour faire entendre la voix de l’Algérie dans le monde et porter la cause algériens dans les tribunes internationales. C’est alors naturellement qu’il sera nommé à la tête du premier gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second GPRA, élu par le CNRA en janvier 1960.
    Adel Fathi
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    • #3
      Les centralistes

      Dès le début de la crise du PPA/MTLD, dont la genèse remonte à 1947, un groupe de membres du comité central du parti manifesta son désaccord avec l’autoritarisme exubérant de Messali Hadj, mais tout en gardant la même distance avec les « activistes » (Boudiaf, Aït Ahmed, Ben Bella, Ben M’hidi…) qui cherchaient à imposer l’option de la lutte armée à la ligne de conduite du parti. Ce sont les «centralistes». Au congrès d’avril 1953, alors que Benyoucef Benkhedda, figure de proue de ce courant, était élu secrétaire général, le clash avec les membres de l’OS fut inévitable. Devant cette impasse historique, les militants « activistes » prirent l’initiative de créer le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), qui donnera naissance au Front de libération nationale.
      De g. à dr.: Saad Dahleb - Benkhedda - Boudiaf - Krim
      Les centralistes n’ont pas pu suivre le mouvement tout de suite ; ils étaient alors accusés d’attentisme et de fonctionner comme une force d’inertie. Or, la vérité est que certains d’entre eux, et pas des moindres, étaient restés en contact permanent avec ceux qui ont conduit ou préparé l’insurrection armée. On pense notamment à M’hammed Yazid, qui était à l’époque au Caire, et à Hocine Lahouel, pour ne citer que les compagnons les plus proches de Benkhedda depuis les années 1940 à Blida. On ne parle pas évidemment des pionniers comme Krim Belkacem, lui aussi ancien centraliste, qui a rejoint le groupe des Six dès les premiers mois de 1954. Cela dit, la plupart d’entre eux furet emprisonnés par les autorités françaises et ne furent libérés qu’en avril 1955, et pour certains à la mi-mai. Il s’agit de Benyoucef Benkhedda, Abderrahmane Kiouane, Mohamed Dekhli, Sid-Ali Abdelhamid, Ahmed Bouda, Mustapha Ferroukhi, Abdelhamid Mehri, Saâd Dahlab, Messaoudi Zitouni, Abdelhakim Bencheikh El Hocine, Larbi Demagh-el-Atrous, Koceïr Mustapha. Pendant un temps, ce courant était carrément isolé de la scène politique du mouvement national, alors que l’insurrection battait son plein. Leur libération coïncida heureusement avec celle d’Abane Ramdane, ancien militant du PPA/MTLD et chef de l’OS dans la région de Sétif. Celui-ci, dans son élan d’unificateur des rangs, établit rapidement des contacts avec eux et les rencontrera, la plupart du temps individuellement, afin de sceller l’adhésion au Front de libération de l’ensemble des anciens centralistes, en même temps d’ailleurs que les militants des autres mouvements et partis (UDMA, PCA, ouléma…). Deux d’entre eux, Benkhedda et Dahleb, vont devenir ses plus proches collaborateurs, jusqu’à sa disparition fin décembre 1957. Dès l’adhésion des centralistes, Abane Ramdane prend Benkhedda comme adjoint-assistant chargé de le représenter dans la mise en œuvre et le suivi des grands dossiers. A ce titre, il participe, entre autres, à la création de l’hymne national Qassamen, commandé au nom d’Abane par Rebbah Lakhdar (chez qui Abane organisait ses rencontres avec les différents représentants des partis nationalistes, à Belcourt) au poète nationaliste Moufdi Zakaria, fin 1955, et aussi à la création de l’UGTA, le 24 février 1956, avec Aïssat Idir, lui-même ex-centraliste, comme secrétaire général. Aussi, les militants centralistes fraîchement recrutés eurent une part active dans la préparation de la grève illimitée des étudiants, lancée par l’Ugema, le 19 mai 1956 en signe de solidarité avec la révolution. Des centaines d’étudiants algériens, y compris en France, ont rejoint le maquis lors de cette grève. Ce qui donna un nouveau souffle à la Révolution.
      Ce petit groupe participera également, un mois plus tard, au lancement du journal El Moudjahid, l’organe central du FLN et de la révolution, qui a été confié au départ à Benkhedda, puis à Dahlab, avec la collaboration de Temmam, un autre ancien centraliste. Autre rôle, Benkhedda a pris part à l’élaboration de la plateforme de la Soummam (août 1956) avec Abane Ramdane et Amar Ouzegane. Autre militant actif, Abbès Torki, lui, sera chargé de diriger, à partir de septembre 1956, l’Union générale des commerçants algériens (UGCA).
      Abdelhamid Mehri est désigné au sein de la Délégation extérieure du Front de libération nationale et occupe le poste de membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), puis celui de membre du Comité de coordination et d’exécution (CCE), aux côtés de Saad Dahleb et de Benyoucef Benkhedda. C’est dire que tous ces militants ont eu, grâce à Abane Ramdane qui leur faisait confiance, à occuper des responsabilités importantes, et parfois névralgiques, au sein de l’instance de la direction politique de la Révolution.
      Si Abane s’appuya sur eux, c’était aussi une façon de donner à l’insurrection un ancrage éminemment politique, lui qui faisait de « la primauté du politique sur le militaire » son credo. Et ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si ce gotha de militants propulsés par l’architecte du congrès de la Soummam, se trouveront, Benkhedda en tête (en sa qualité de président du GPRA), au-devant de la confrontation fatale avec l’Etat-major général de l’ALN qui revendiquait l’autorité suprême de la Révolution, à l’approche de l’Indépendance.
      Aussi, dans sa stratégie de la guérilla urbaine, Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi s’appuyèrent sur le même noyau d’anciens centralistes conduits par les inséparables Benkhedda et Dahleb, pour les aider à assurer l’encadrement politique de la Zone autonome d’Alger qui avait, à l’issue du congrès de la Soummam du 20 août 1956, un statut de wilaya à part entière. Leur rôle dans la bataille d’Alger (1957) est illustratif de cet engagement. Les trois s’attelèrent à mettre en place des réseaux de militants et de fidayine dans les quartiers de la capitale, dont la responsabilité fut confiée à Yacef Saadi. Mais, à la création du CCE, Benkhedda sera appelé, au même titre que ses compagnons, à quitter le territoire national, pour continuer à diriger cette haute instance de la Révolution, à partir de Tunis.

      Adel Fathi
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      • #4
        L’accord avec le PCA

        L’adhésion des communistes au mot d’ordre de l’insurrection armée, sous la bannière du Front et de l’Armée de libération nationale, fut un des succès les plus retentissants à ajouter au palmarès d’Abane Ramdane, l’unificateur. Car, à l’époque, les nationalistes avaient surtout noté la position peu flatteuse du PCF – dont le PCA était encore proche – qui venait de voter, à l’Assemblée nationale, les pouvoirs spéciaux qui allait réprimer sauvagement la guérilla à Alger en 1957.
        Henri Maillot
        Mais soucieux de l’unité des rangs, Abane a tout fait pour parvenir à un accord avec les dirigeants communistes. Il était même prêt à consentir une exception pour accepter l’entrée de ce parti en tant que structure au sein du FLN, alors que la règle, au départ, était d’admettre les adhésions individuellement, comme c’est le cas avec tous les autres partis du mouvement national (UDMA, ouléma…). Dans un message aux dirigeants FLN basés au Caire daté du 15 mars 1956 : il a écrit : « (…) Si les communistes (entendre les pays socialistes, ndlr) veulent nous fournir des armes, il est dans nos intentions d’accepter le parti communiste algérien en tant que parti au sein du FLN si les communistes sont en mesure de nous armer… »
        Il faut rappeler que dès avril 1956, le militant communiste Henri Maillot a réussi, avec un groupe de «Combattants de la libération» affiliés au PCA, à s’emparer d’un camion d’armement des troupes coloniales au profit de la résistance algérienne. L’action avait eu aussitôt un impact considérable. Les médias colonialistes s’en sont fait écho, alors que les états-majors de l’armée française étaient pris de panique à l’idée qu’il y ait des complicités au sein de leurs unités militaires. Le PCA était, pour ainsi dire, le seul parti algérien, en dehors du FLN, à créer son propre maquis et à mener la guerre contre l’occupant. C’est pourquoi toute négociation avec ses dirigeants devaient tenir compte de cet aspect. Ses rencontres avec les dirigeants communistes débutèrent en printemps 1956 à Alger.
        Ses premiers interlocuteurs étaient Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès. Pour le chef du FLN et son compagnon, Benyoucef Benkhedda, il était essentiellement question de sonder les prédisposions du PCF et de son maquis à collaborer avec les maquis de l’ALN, avant de parvenir rapidement à un accord politique. Sadek Hadjerès, ancien militant du mouvement national et successeur de Bachir Hadj Ali à la tête du PCA, puis du PAGS jusqu’au début des années 1990, a témoigné de cet épisode. Il écrit: « Nous en avions fini provisoirement avec les échanges concernant nos groupes armés et avions précisé certaines modalités des prochains contacts pour les poursuivre après consultation de nos instances respectives. Benkhedda, sans doute pris par un autre rendez-vous, sort le premier. La discussion se poursuit alors avec Abane. Il est détendu et visiblement satisfait de la franchise de nos discussions, avec dans le regard une pointe d’affabilité souriante. »
        D’entrée, Benkhedda et Abane expliquèrent à leurs interlocuteurs que l’efficacité de l’action nécessitait, selon eux, de transcender les clivages entre différents partis et, pour cela, le seul moyen était que les partis s’effacent. Sans aller jusqu’à exiger la dissolution du PCA, les responsables du FLN mettaient en avant le principe selon lequel le Front de libération se proposait de drainer les forces patriotiques en un seul mouvement et seulement sur la base des adhésions individuelles.
        « Nous avons dit, raconte Saddek Hadjerès, que nous comprenions bien l’importance d’une organisation et d’une discipline monolithiques pour tout ce qui concernait le combat et les structurations militaires. Nous estimions cependant qu’en ce qui concernait la mobilisation politique, la propagande, l’éducation etc., gagneraient plutôt à réaliser la cohésion dans des formes de coordination plus souples, plus rassembleuses et par là même plus efficaces. On ferait ainsi de l’autonomie d’opinion et d’expression des organisations qui le souhaitent, un facteur supplémentaire de large rassemblement. A condition bien sûr que cette structuration plus souple s’accompagne d’un solide consensus et d’une plate-forme d’action reposant à la fois sur l’indépendance comme objectif démocratique et social et sur la lutte armée et de masse comme moyen d’y parvenir. »
        Les dirigeants communistes se sont vite montrés enthousiastes et ne voyaient aucune contradiction avec le rôle de noyau dirigeant auquel le FLN aspirait, tant que l’autonomie politique des individus qui décidaient d’y adhérer était respectée. Au cours de cette discussion, les deux parties ont évoqué la question syndicale qui tenait tant à cœur les militants communistes et dont c’était un peu l’apanage.
        Abane leur a dit : « J’aimerais avoir votre avis, nous sommes indécis. La création de l’UGTA, deux mois auparavant, nous a fait problème. Des responsables syndicaux anciens et expérimentés, membres du FLN, ne sont pas à l’aise, ils auraient voulu ne pas quitter l’UGSA (ex-CGT), ils disent que la division syndicale n’est pas une bonne chose. » Il cite Belmihoub, responsable connu des cheminots, et d’autres encore moins connus. Il leur a aussi demandé ce qu’ils pensaient d’Amar Ouzegane, ancien militants du PCA, qu’on verra bientôt au congrès du 20 août 1956, et qui rédigera la fameuse plateforme de la Soummam. D’ailleurs la touche communisante qu’il dû laisser dans ce document n’aura pas échappé à certains des détracteurs du congrès, qui l’ont pris comme argument de «la dérive anti-islamique» de ces assises.
        Dans son témoignage, l’ex-chef du PCA poursuit : « Abane, on le voyait bien, était farouchement attaché à l’hégémonie politique du FLN. Aucun doute à ce sujet, peut-être même que cela pouvait s’exprimer chez lui par des impulsions autoritaires. Il nous paraissait néanmoins dans son fond attentif à un certain esprit rassembleur, tout au moins tant qu’il estimait maîtriser le processus de prééminence incontestée du FLN et de son appareil. Comme l’entretien qui venait de s’achever venait de le montrer, il était apparemment ouvert à des formes consensuelles permettant d’aplanir les obstacles à un plus large rassemblement dans l’intérêt de la lutte. » Une seule chose que Saddek Hadjerès dit regretter, c’était la décision prise unilatéralement par le FLN de créer l’UGTA, le 24 février 1956, et son «caractère politicien» par rapport à ce que devrait être la vocation d’un large mouvement syndical.

        Adel Fathi
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        • #5
          L’adhésion difficile mais utile des Ouléma

          Dans le cadre de ses contacts tous azimuts avec les acteurs du mouvement national pour les amener à se dissoudre dans le Front de libération national qui venait de déclencher l’insurrection armée, Abane Ramdane déploya d’immenses efforts pour convaincre les représentants de l’Association des ouléma qu’il savait aussi réticente que les autres formations politiques comme l’UDMA ou le PCA, en raison de leur lourd passif lié à leur politique assimilationniste.
          Larbi Tébessi
          Il faut dire que les avis divergent sur l’adhésion de l’association des oulémas au mot d’ordre de la révolution de Novembre. Si beaucoup d’anciens élèves des oulémas avaient répondu à l’appel du 1er Novembre 1954, sa direction a mis du temps pour se convaincre de l’option radicale. C’est bien seulement après le congrès de la Soummam, que des cadres de cette association seront intégrés, pour la première fois, au sein des instances de direction de la révolution.
          Après le soutien solennel formulé par l’intrépide et irréductible Larbi Tebessi, vice-président de l’association, en faveur de la lutte armée, plusieurs membres actifs de ce mouvement réformiste ont adhéré, individuellement comme préconisé par Abane Ramdane, au FLN. On citera notamment Ahmed Taleb El-Ibrahimi, fils du président de l’association Cheikh Bachir El-Ibrahimi, Amar Mellah, qui aura plus tard une histoire mouvementée qui l’amènera, en 1967, à tenter d’assassiner le président Houari Boumediene, et Mohamed-Salah Yahia, qui aura lui aussi à jouer un rôle prépondérant dans le système politique de l’Algérie postindépendance. On trouve également de futurs cadres comme Louardi Guettal, Brahim Mezhoudi, Hachemi Hadjerès et beaucoup d’autres. Mais le plus connu de tous restera Cheikh Tewfik El-Madani qui intégra, grâce à l’appui d’Abane Ramdane, le Conseil national de la Révolution algérienne, dès 1956. Il deviendra, après l’indépendance, ministre des Affaires religieuses. Il fut la première personnalité de l’association des oulémas contactée par Abane Ramdane. Celui-ci le chargea rapidement de rejoindre la Délégation extérieure du FLN au Caire, avec comme mission de coordonner l’action de la représentation algérienne avec la Ligue arabe et de mener des actions diplomatiques dans le monde arabe, en vue d’attirer la plus large adhésion possible des pays arabes à la cause algérienne. C’est ainsi que Tewfik El-Madani visita le Koweït, le Liban, l’Irak, la Syrie et l’Arabie saoudite. A la création du GPRA, en septembre 1958, il fut chargé des affaires culturelles, des relations extérieures et des affaires des étudiants algériens au Caire.
          Au même moment, le guide et successeur de Cheikh Abdelhamid Ibn Badis à la tête de cette illustre association, Cheikh El-Ibrahimi, préféra garder son autonomie d’action en continuant d’activer au Moyen-Orient. Or, partout, il était accueilli non seulement comme un grand théologien et réformiste, digne des héritiers Cheikh Mohamed Abdou et Rachid Redha, mais aussi comme un dirigeant révolutionnaire et homme politique. Même si, pour lui, l’esprit réformiste n’était jamais antinomique avec l’engagement pour la lutte de la libération nationale.
          Bachir El-Ibrahimi avait quitté l’Algérie en 1952 pour s’établir en Egypte, où il retrouvait notamment les membres de la Délégation extérieure du MTLD (le trio Ben Bella, Aït Ahmed et Khider). Il participa à de nombreuses rencontres où il fit connaître les positions de l’association, et réclama l’indépendance de l’Algérie. L’action politique de l’Association fut, cette époque, marquée par des déclarations de plus en plus radicales de ses personnalités, à l’approche du déclenchement de la guerre de libération nationale. Abbas Bencheikh El Hocine annonçait presque le soulèvement en proclamant que l’Algérie « …se lèvera aussi comme tous les pays arabes. » Tewfik El-Madani inaugurait la médersa de Batna par ses mots : « Un autre colonialisme est venu, mais l’heure viendra bientôt où il devra, lui aussi, disparaître. »
          En janvier 1956, l’assemblée générale de l’association publia une résolution dans laquelle elle réclamait l’indépendance de l’Algérie et demandait au gouvernement français de « négocier avec les représentants authentiques du peuple algérien ». Dans un manifeste publié à cette date, l’Association reconnaissaient qu’« il n’est pas possible de résoudre de façon définitive et pacifique l’affaire algérienne autrement qu’en reconnaissant solennellement et sans détour la libre existence de la nation algérienne, ainsi que sa personnalité spécifique, son gouvernement national, son assemblée législative souveraine et ceci dans le respect des intérêts de tous et la conservation des droits de chacun ». Le 12 février 1956, Larbi Tebessi affirmait l’objectif politique de l’Association des oulémas : « Un Etat algérien indépendant et démocratique. » Il sera arrêté et assassiné le 4 avril 1957 par des parachutistes de l’armée française.

          Adel Fathi
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