Fondée par Abou Hafs Omar, gouverneur et proche compagnon du fondateur de l’empire almohade (1147-1269), la famille hafside, quoique vassale de Marrakech, était dès 1207 maîtresse de la province d’Ifriqiya. En 1228, elle est constituée en dynastie indépendante par l’émir Abou Zakaria, arrière-petit-fils d’Abou Hafs. Les émirs hafsides allaient régner, à partir de leur bonne ville de Tunis, sur un territoire qui s’étendait au-delà de l’actuelle Tunisie jusqu’à Bougie à l’ouest et à Tripoli à l’est.
Durant ses heures de gloire, notamment sous les grands règnes d’ Abou Zakaria I (1228-1249), d’El Moustansir (1249-1277), d’Abou Faris Abdelaziz (1394- 1434)et d’Abou Amr Othman (1435-1488), la dynastie réussit à étendre plus ou moins durablement sa suzeraineté à Tripoli à l’est, et , à l’ouest, aux émirs mérinides, leurs homologues du Maroc, et de l’ouest algérien et à une bonne partie de l’Espagne musulmane. En 1258, lorsque les Mongols, dans un effroyable massacre, mirent fin au califat abbasside, le sultan Al Moustansir reçut même l’allégeance du Chérif de La Mecque et fut acclamé à Tunis comme Commandeur des croyants.
Certes, les émirs hafsides eurent souvent à contenir la turbulence des grandes tribus nomades, soit en les réduisant par la force, soit en leur cédant des concessions foncières ou fiscales. Ils virent aussi certains points du littoral ou des îles comme Djerba et Kerkennah occupés par des puissances chrétiennes. Ils durent même faire face à la menace de leurs homologues mérinides du Maroc. Ils eurent même à subir la croisade de Saint Louis qui échoua cependant devant Tunis en 1270. Les émirs hafsides se maintinrent cependant vaille que vaille et donnèrent à leur royaume ses lettres de noblesse en matière de puissance, de science, d’art et de civilisation urbaine. Tunis en particulier profita de leur grandeur et devint définitivement la capitale politique, économique et culturelle du pays. Métropole islamique, elle était la destination de nombreux marchands et d’hommes en quête de science. Accueillante, elle donna l’hospitalité aux premiers émigrés andalous dont les ancêtres de l’illustre Ibn Khaldoun (1332-1406), lui-même pur produit de la ville et de sa mosquée-université de la Zitouna.
Vieil Etat fondé au cœur du Moyen Âge, l’émirat hafside pâtissait toutefois de faiblesses inhérentes au pouvoir despotique oriental. Corrigées jusque-là avec plus ou moins de bonheur, elles s’aggravèrent dangereusement lorsque la dynastie entra en décadence au lendemain du long règne d’Abou Amr Othman.
Lorsque Moulay [titre porté par les sultans hafsides mais généralement utilisé par l’historiographie pour désigner cet émir en particulier] Hassan succéda à son père Mohamed en 1526 en inaugurant son règne par le massacre de ses frères, on semblait s’acheminer vers un énième pouvoir despotique dans ses rapports classiques avec les populations et avec le monde extérieur d’une dynastie fondée trois siècles auparavant. Un changement radical était cependant apparu sur la scène méditerranéenne, il s’agissait de la compétition entre les deux grandes puissances rivales, l’Espagne et l’Empire ottoman. Les sultans hafsides, jusque-là acteurs de premier plan dans la lutte entre le Maghreb musulman et l’Europe catholique, tombaient désormais au rang de pions sur l’échiquier méditerranéen. Dans ces conditions, les faiblesses inhérentes au pouvoir devenaient fatales. Il n’était plus question de défaites ponctuelles, de repli puis de renaissance mais bien d’une agonie sur fond de recomposition du monde entreprise par Charles Quint ( 1519-1556), empereur germanique, roi d’Espagne et de Sicile et le Sultan ottoman Soliman le Magnifique (1520-1566) puis leurs successeurs.
En 1529, deux marins hors pair et corsaires redoutables, originaires de l’île grecque de Mytilène (Lesbos), les frères Arouj et Khérédine Barberousse, se rendent maîtres d’Alger et du fort espagnol du Penon. Constantine est prise à son tour. Puis les frères Barberousse se présentent devant Tunis. Hassan sauve les meubles en acceptant de laisser ces deux conquérants impénitents opérer à partir des ports du royaume, à charge pour eux de lui reverser le tiers des prises.
Mais les arrière-pensées étaient nombreuses et les ambitions fatalement contradictoires, de sorte que la rupture fut vite consommée au prétexte que Hassan avait lâché les frères Barberousse à un moment crucial de leur lutte contre les chrétiens. Barberousse, devenu entretemps amiral de la flotte ottomane avec le titre de Capitan-pacha (1533), obtient du Sultan de Constantinople de s’emparer de Tunis, ce qu’il fait en 1534, après avoir pris Bizerte et La Goulette. Vaincu, Moulay Hassan se réfugie chez les bédouins. Ceux-ci, battus par les Turcs, sont contraints de l’abandonner à son sort.
L’émir, aux abois, n’a guère d’autre issue que de chercher refuge chez son fils Ahmed, gouverneur de Bône, et de solliciter l’appui de l’Espagne. Il adresse à Charles Quint une lettre dans laquelle il dit notamment: «Barberousse, ce misérable reïs turc (…) vient de s’emparer de mes Etats. L’attachement sincère que j’ai toujours eu pour vous l’a décidé à me nuire. Il est donc de votre honneur, et il y va de vos intérêts, ô grand Roi, de venir à mon
secours (…) J’ai encore à mon service 60 000 hommes avec lesquels j’irai l’assiéger par terre, tandis que vous viendrez l’encercler par la mer. Lorsque le royaume de Tunis sera rentré sous mon obéissance, je vous en ferai l’hommage et me contenterai d’être votre lieutenant. » (Jean-Louis Belachemi, Nous, les frères Barberousse, Paris, 1984, p. 303).
Avec pour allié et obligé le roi légitime du royaume musulman de Tunis, l’empereur ne pouvait espérer meilleur scenario pour courir sus aux Ottomans. Une formidable armada est alors constituée par l’empereur. J.-L. Belachemi nous en a relaté les préparatifs et la composition. Les provinces d’Espagne, d’Allemagne, des Pays-Bas, les vice-rois de Naples et de Sicile furent mis à contribution. L’ordre de Malte, les villes italiennes, le Portugal, Monaco et le Saint-Siège se joignirent à l’effort. Le 15 juin 1535, Charles Quint, à la tête d’une flotte transportant plus de 25 000 hommes, arrive devant La Goulette. Le débarquement effectué, les combats (que le peintre hollandais Jan Vermeyen, qui avait accompagné l’expédition, a reproduits en divers tableaux) opposant les troupes de Charles Quint et celles de Barberousse (composées de Turcs et Tunisiens) firent rage, mais en juillet Tunis est prise et Barberousse, acculé à la fuite à Constantine tandis que, sous les yeux de Charles Quint et Moulay Hassan, la population tunisoise est soumise à un épouvantable massacre
En août, Charles Quint, laissant à La Goulette une garnison dans la puissante forteresse qu’il fit construire (et dont il ne reste aujourd’hui qu’un bastion auquel les Tunisiens ont donné le nom peu glorieux de Karraka) et après avoir reçu l’allégeance de Hassan comme vassal, repart triomphant et sa victoire est saluée dans toute la Chrétienté. En Ifriqiya, la défaite face aux Espagnols, la haine et le mépris à l’égard de Hassan ne manquent pas de se traduire par des révoltes et des sécessions de diverses tribus, villes (dont Kairouan et Sousse) et régions. Lui qui avait assuré ses protecteurs que les tribus se rallieraient à lui dès son retour est battu par les troupes d’un extraordinaire personnage conforme à ces figures charismatiques à la fois mystiques et combattantes issues du terroir maghrébin: le cheikh Arafa, fondateur de la Communauté religieuse et politique des Chabbiya fondée en 1450. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Moulay Hassan est déchu par son fils Ahmed. Il lui épargne la mort réclamée par la populace, mais lui fait crever les yeux. Après un premier séjour en 1543, Hassan réussit, on ne sait trop comment, à effectuer un deuxième voyage en Europe dont les péripéties complexes ont été patiemment démêlées par Charles Monchicourt ( Etudes kairouanaises, Tunis, 1939,pp. 121-124). Retenons qu’en 1548, il est reçu à Rome par le Pape puis, à Augsbourg, par Charles Quint pour réclamer vengeance contre l’usurpation de son fils Ahmed. Il rentra bredouille de ce long périple et s’embarqua à Palerme pour Mahdia en 1550 avec le vice-roi de Sicile. Il mourut, l’année même et fut inhumé dans la zaouia de Sidi Abid El Ghariani à Kairouan.
Sous le règne d’Ahmed (connu aussi sous le nom d’Ahmed Soltane ou de Hamida), le royaume hafside n’est plus qu’une des scènes de l’affrontement entre Turcs et Espagnols. Ces derniers, toujours maîtres de La Goulette, bombardent régulièrement Tunis, tandis que Napolitains et Génois occupent Mahdia de 1550 à 1554, puis Djerba d’où les chasse le grand capitaine Dragut Pacha qui, dans la foulée, prend Tripoli. Gafsa tombe aussi entre ses mains. Il se dirige ensuite vers Kairouan où il met fin à l’hégémonie des Chebbiya contraints de se replier dans le Djerid, et installe à la tête de la ville un gouverneur ottoman (1557). Mettant à profit des dissensions au sein du pouvoir à Tunis, Eulj Ali, pacha d’Alger, pénètre en Tunisie, entre à Tunis qu’il proclame cité ottomane en 1569. L’émir hafside Ahmed se réfugie à La Goulette. Et de là part en Europe, reproduisant ainsi le scénario de son père Hassan. Revenu «dans les valises» de la flotte espagnole en 1572, il refuse cependant la condition réclamée à La Goulette par ses protecteurs de céder la moitié de son royaume. Il abdique et part à Naples (il est logé avec sa famille au château Saint Elme) puis en Sicile où il meurt près de Palerme en 1575. Son corps est rapatrié et enterré après accord des Turcs, maîtres de la capitale, en la zaouia tunisoise de Sidi Qacem El Zalîjî
Entretemps, son frère Mohamed, sans doute ravi de l’aubaine, avait accepté les conditions espagnoles. Il entra de manière peu glorieuse dans une ville quasi déserte, les habitants, encore sous le choc de la boucherie de 1535, ayant choisi de se réfugier dans les campagnes au prix de mille tourments. Les troupes chrétiennes se livrèrent à un saccage en règle. Les manuscrits et les trésors de la Grande mosquée Zitouna sont jetés ou pillés, et les chroniqueurs tunisiens rapportent que même le tombeau du saint patron de la ville, Sidi Mahrez, fut profané. La domination chrétienne fut cependant de courte durée puisqu’en 1574, sous le règne de Sélim II (1574-1595), successeur de Soliman le Magnifique, Sinan Pacha prit d’assaut La Goulette, pourtant réputée inexpugnable, puis Tunis et l’ensemble du territoire qui couvre à peu près celui de la Tunisie actuelle, laquelle entre dans le giron ottoman. Mohamed est emmené en captivité à Constantinople où il meurt. La période hafside est définitivement terminée.
Durant ses heures de gloire, notamment sous les grands règnes d’ Abou Zakaria I (1228-1249), d’El Moustansir (1249-1277), d’Abou Faris Abdelaziz (1394- 1434)et d’Abou Amr Othman (1435-1488), la dynastie réussit à étendre plus ou moins durablement sa suzeraineté à Tripoli à l’est, et , à l’ouest, aux émirs mérinides, leurs homologues du Maroc, et de l’ouest algérien et à une bonne partie de l’Espagne musulmane. En 1258, lorsque les Mongols, dans un effroyable massacre, mirent fin au califat abbasside, le sultan Al Moustansir reçut même l’allégeance du Chérif de La Mecque et fut acclamé à Tunis comme Commandeur des croyants.
Certes, les émirs hafsides eurent souvent à contenir la turbulence des grandes tribus nomades, soit en les réduisant par la force, soit en leur cédant des concessions foncières ou fiscales. Ils virent aussi certains points du littoral ou des îles comme Djerba et Kerkennah occupés par des puissances chrétiennes. Ils durent même faire face à la menace de leurs homologues mérinides du Maroc. Ils eurent même à subir la croisade de Saint Louis qui échoua cependant devant Tunis en 1270. Les émirs hafsides se maintinrent cependant vaille que vaille et donnèrent à leur royaume ses lettres de noblesse en matière de puissance, de science, d’art et de civilisation urbaine. Tunis en particulier profita de leur grandeur et devint définitivement la capitale politique, économique et culturelle du pays. Métropole islamique, elle était la destination de nombreux marchands et d’hommes en quête de science. Accueillante, elle donna l’hospitalité aux premiers émigrés andalous dont les ancêtres de l’illustre Ibn Khaldoun (1332-1406), lui-même pur produit de la ville et de sa mosquée-université de la Zitouna.
Vieil Etat fondé au cœur du Moyen Âge, l’émirat hafside pâtissait toutefois de faiblesses inhérentes au pouvoir despotique oriental. Corrigées jusque-là avec plus ou moins de bonheur, elles s’aggravèrent dangereusement lorsque la dynastie entra en décadence au lendemain du long règne d’Abou Amr Othman.
Lorsque Moulay [titre porté par les sultans hafsides mais généralement utilisé par l’historiographie pour désigner cet émir en particulier] Hassan succéda à son père Mohamed en 1526 en inaugurant son règne par le massacre de ses frères, on semblait s’acheminer vers un énième pouvoir despotique dans ses rapports classiques avec les populations et avec le monde extérieur d’une dynastie fondée trois siècles auparavant. Un changement radical était cependant apparu sur la scène méditerranéenne, il s’agissait de la compétition entre les deux grandes puissances rivales, l’Espagne et l’Empire ottoman. Les sultans hafsides, jusque-là acteurs de premier plan dans la lutte entre le Maghreb musulman et l’Europe catholique, tombaient désormais au rang de pions sur l’échiquier méditerranéen. Dans ces conditions, les faiblesses inhérentes au pouvoir devenaient fatales. Il n’était plus question de défaites ponctuelles, de repli puis de renaissance mais bien d’une agonie sur fond de recomposition du monde entreprise par Charles Quint ( 1519-1556), empereur germanique, roi d’Espagne et de Sicile et le Sultan ottoman Soliman le Magnifique (1520-1566) puis leurs successeurs.
En 1529, deux marins hors pair et corsaires redoutables, originaires de l’île grecque de Mytilène (Lesbos), les frères Arouj et Khérédine Barberousse, se rendent maîtres d’Alger et du fort espagnol du Penon. Constantine est prise à son tour. Puis les frères Barberousse se présentent devant Tunis. Hassan sauve les meubles en acceptant de laisser ces deux conquérants impénitents opérer à partir des ports du royaume, à charge pour eux de lui reverser le tiers des prises.
Mais les arrière-pensées étaient nombreuses et les ambitions fatalement contradictoires, de sorte que la rupture fut vite consommée au prétexte que Hassan avait lâché les frères Barberousse à un moment crucial de leur lutte contre les chrétiens. Barberousse, devenu entretemps amiral de la flotte ottomane avec le titre de Capitan-pacha (1533), obtient du Sultan de Constantinople de s’emparer de Tunis, ce qu’il fait en 1534, après avoir pris Bizerte et La Goulette. Vaincu, Moulay Hassan se réfugie chez les bédouins. Ceux-ci, battus par les Turcs, sont contraints de l’abandonner à son sort.
L’émir, aux abois, n’a guère d’autre issue que de chercher refuge chez son fils Ahmed, gouverneur de Bône, et de solliciter l’appui de l’Espagne. Il adresse à Charles Quint une lettre dans laquelle il dit notamment: «Barberousse, ce misérable reïs turc (…) vient de s’emparer de mes Etats. L’attachement sincère que j’ai toujours eu pour vous l’a décidé à me nuire. Il est donc de votre honneur, et il y va de vos intérêts, ô grand Roi, de venir à mon
secours (…) J’ai encore à mon service 60 000 hommes avec lesquels j’irai l’assiéger par terre, tandis que vous viendrez l’encercler par la mer. Lorsque le royaume de Tunis sera rentré sous mon obéissance, je vous en ferai l’hommage et me contenterai d’être votre lieutenant. » (Jean-Louis Belachemi, Nous, les frères Barberousse, Paris, 1984, p. 303).
Avec pour allié et obligé le roi légitime du royaume musulman de Tunis, l’empereur ne pouvait espérer meilleur scenario pour courir sus aux Ottomans. Une formidable armada est alors constituée par l’empereur. J.-L. Belachemi nous en a relaté les préparatifs et la composition. Les provinces d’Espagne, d’Allemagne, des Pays-Bas, les vice-rois de Naples et de Sicile furent mis à contribution. L’ordre de Malte, les villes italiennes, le Portugal, Monaco et le Saint-Siège se joignirent à l’effort. Le 15 juin 1535, Charles Quint, à la tête d’une flotte transportant plus de 25 000 hommes, arrive devant La Goulette. Le débarquement effectué, les combats (que le peintre hollandais Jan Vermeyen, qui avait accompagné l’expédition, a reproduits en divers tableaux) opposant les troupes de Charles Quint et celles de Barberousse (composées de Turcs et Tunisiens) firent rage, mais en juillet Tunis est prise et Barberousse, acculé à la fuite à Constantine tandis que, sous les yeux de Charles Quint et Moulay Hassan, la population tunisoise est soumise à un épouvantable massacre
En août, Charles Quint, laissant à La Goulette une garnison dans la puissante forteresse qu’il fit construire (et dont il ne reste aujourd’hui qu’un bastion auquel les Tunisiens ont donné le nom peu glorieux de Karraka) et après avoir reçu l’allégeance de Hassan comme vassal, repart triomphant et sa victoire est saluée dans toute la Chrétienté. En Ifriqiya, la défaite face aux Espagnols, la haine et le mépris à l’égard de Hassan ne manquent pas de se traduire par des révoltes et des sécessions de diverses tribus, villes (dont Kairouan et Sousse) et régions. Lui qui avait assuré ses protecteurs que les tribus se rallieraient à lui dès son retour est battu par les troupes d’un extraordinaire personnage conforme à ces figures charismatiques à la fois mystiques et combattantes issues du terroir maghrébin: le cheikh Arafa, fondateur de la Communauté religieuse et politique des Chabbiya fondée en 1450. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Moulay Hassan est déchu par son fils Ahmed. Il lui épargne la mort réclamée par la populace, mais lui fait crever les yeux. Après un premier séjour en 1543, Hassan réussit, on ne sait trop comment, à effectuer un deuxième voyage en Europe dont les péripéties complexes ont été patiemment démêlées par Charles Monchicourt ( Etudes kairouanaises, Tunis, 1939,pp. 121-124). Retenons qu’en 1548, il est reçu à Rome par le Pape puis, à Augsbourg, par Charles Quint pour réclamer vengeance contre l’usurpation de son fils Ahmed. Il rentra bredouille de ce long périple et s’embarqua à Palerme pour Mahdia en 1550 avec le vice-roi de Sicile. Il mourut, l’année même et fut inhumé dans la zaouia de Sidi Abid El Ghariani à Kairouan.
Sous le règne d’Ahmed (connu aussi sous le nom d’Ahmed Soltane ou de Hamida), le royaume hafside n’est plus qu’une des scènes de l’affrontement entre Turcs et Espagnols. Ces derniers, toujours maîtres de La Goulette, bombardent régulièrement Tunis, tandis que Napolitains et Génois occupent Mahdia de 1550 à 1554, puis Djerba d’où les chasse le grand capitaine Dragut Pacha qui, dans la foulée, prend Tripoli. Gafsa tombe aussi entre ses mains. Il se dirige ensuite vers Kairouan où il met fin à l’hégémonie des Chebbiya contraints de se replier dans le Djerid, et installe à la tête de la ville un gouverneur ottoman (1557). Mettant à profit des dissensions au sein du pouvoir à Tunis, Eulj Ali, pacha d’Alger, pénètre en Tunisie, entre à Tunis qu’il proclame cité ottomane en 1569. L’émir hafside Ahmed se réfugie à La Goulette. Et de là part en Europe, reproduisant ainsi le scénario de son père Hassan. Revenu «dans les valises» de la flotte espagnole en 1572, il refuse cependant la condition réclamée à La Goulette par ses protecteurs de céder la moitié de son royaume. Il abdique et part à Naples (il est logé avec sa famille au château Saint Elme) puis en Sicile où il meurt près de Palerme en 1575. Son corps est rapatrié et enterré après accord des Turcs, maîtres de la capitale, en la zaouia tunisoise de Sidi Qacem El Zalîjî
Entretemps, son frère Mohamed, sans doute ravi de l’aubaine, avait accepté les conditions espagnoles. Il entra de manière peu glorieuse dans une ville quasi déserte, les habitants, encore sous le choc de la boucherie de 1535, ayant choisi de se réfugier dans les campagnes au prix de mille tourments. Les troupes chrétiennes se livrèrent à un saccage en règle. Les manuscrits et les trésors de la Grande mosquée Zitouna sont jetés ou pillés, et les chroniqueurs tunisiens rapportent que même le tombeau du saint patron de la ville, Sidi Mahrez, fut profané. La domination chrétienne fut cependant de courte durée puisqu’en 1574, sous le règne de Sélim II (1574-1595), successeur de Soliman le Magnifique, Sinan Pacha prit d’assaut La Goulette, pourtant réputée inexpugnable, puis Tunis et l’ensemble du territoire qui couvre à peu près celui de la Tunisie actuelle, laquelle entre dans le giron ottoman. Mohamed est emmené en captivité à Constantinople où il meurt. La période hafside est définitivement terminée.
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