La laïcité radicale républicaine tourne le dos aux valeurs fondatrices de la République libérale :
elle exclut et discrimine quand celles-ci accueillent et intègrent.
La laïcité occupe une place essentielle dans le corpus idéologique de la République. Au début du XXe siècle, contre une partie importante des républicains, le pari a été fait d’une laïcité libérale même si, périodiquement, une conception plus radicale s’est manifestée sous le prétexte d’un retour de l’influence de l’Église, la cible de la loi de 1905.
Elle a toutefois rencontré un écho de moins en moins important dans l’opinion publique en raison de la déchristianisation d’une part et du ralliement des catholiques au régime d’autre part, au point du reste de paraître de plus en plus anachronique et de ne plus concerner qu’une frange minoritaire des milieux laïcs.
L’importance visible prise par l’islam dans la société française, les ratés de l’intégration et la radicalisation d’une partie de la population musulmane ont conduit ces dernières années à une résurgence de la laïcité radicale, dans une version républicaine ou dans une version droitière. Peut-elle constituer, sous une forme ou sous une autre, une réponse adaptée aux nouveaux défis lancés au « vivre ensemble » ?
La laïcité radicale, un contresens historique
Tous les défenseurs des valeurs de la République française se réclament de la laïcité dont le fondement est la loi du 9 décembre 1905 instaurant la séparation de l’Église et de l’État. Certains semblent toutefois oublier qu’elle se voulait une « loi de tolérance et d’équité » selon l’expression de son rapporteur Aristide Briand. Dans son article 1, le moins souvent cité, elle affirme ainsi puissamment que si la République ne reconnaît aucun culte, elle les garantit tous.
En fait, avec le soutien de socialistes comme Jaurès et Briand ou de radicaux comme Ferdinand Buisson, le parlement de 1905 a adopté un projet beaucoup plus libéral que celui initialement défendu par Combes et inspiré d’un texte du directeur des Cultes, Charles Dumay, qui ne disait mot de la liberté de conscience et se dispensait de tout exposé de principe. La loi de 1905 est donc l’illustration d’un régime libéral. Son esprit d’ouverture a parfois d’ailleurs été respecté jusque dans ce haut lieu de la laïcité et même de l’anticléricalisme qu’était l’école de la République : on a servi du poisson dans les cantines le vendredi sans y voir un crime de lèse-République.
Le culturel relève aussi du religieux et en la matière, la République, fidèle à ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité a souvent su faire preuve de tolérance. Et elle a gagné. Il y a longtemps que les catholiques s’y sont ralliés.
La laïcité radicale républicaine, au contraire, tourne le dos aux valeurs fondatrices de la République libérale : elle exclut et discrimine quand celles-ci accueillent et intègrent. Pour elle, le religieux et le culturel se confondent. Longtemps marginalisée, elle a resurgi ces dernières années avec une nouvelle cible : les musulmans. Ainsi, non seulement le voile dans l’espace public mais également les repas sans porc dans les cantines sont pour elle une concession à l’islam plutôt que le respect des coutumes d’une partie de la population.
Soit. Mais quelle instance, demain, sans sombrer dans le ridicule, va distinguer en toutes circonstances ce qui relève du religieux – atteinte à la laïcité – et ce qui relève du culturel – respect des libertés individuelles ? Le conseil d’État ? Le conseil constitutionnel ? Et sur quelle base ? Une loi ? Elle sera en tout cas singulièrement compliquée à rédiger et à faire adopter par le… conseil constitutionnel.
Dans sa version droitière qui invoque le passé chrétien de la France, la laïcité radicale repose de plus sur une contradiction historique et idéologique. Car la laïcité est précisément ce qui permet à la République de fonder le « vouloir vivre ensemble » (Renan) sur autre chose que le fait religieux. Or si, n’en déplaise à Pierre Moscovici, la France a historiquement des racines en grande partie chrétiennes, son identité ne se confond pas avec elles.
Elles en constituent certes une dimension importante mais d’autres éléments y ont pris leur part, à commencer par le rationalisme des Lumières, d’où procède précisément la laïcité. Le discours laïc radical qui invoque le christianisme d’hier pour rejeter l’islam d’aujourd’hui opère donc une instrumentalisation historique grossière et entre en contradiction avec lui-même ! En réalité, il tourne le dos aux valeurs de la République qu’il prétend défendre et relève du corpus idéologique de l’extrême droite.
La laïcité radicale, une erreur politique ?
Mais dira-t-on, l’islam, quand il prétend régenter certains comportements publics défie ouvertement la République et ses valeurs, d’autant qu’il se distingue parfois mal de l’islamisme radical. La question qui est posée est donc de savoir si, face à la menace islamiste sous toutes ses formes, la laïcité radicale est une réponse aux défis qui se posent à la France et à ses dirigeants ? L’épisode récent du burkini a en tout cas montré qu’elle était, sous une forme ou sous une autre, une tentation forte de part et d’autre de l’échiquier politique.
La laïcité radicale dans sa version droitière n’est manifestement pas adaptée à la situation. La droite républicaine n’a rien à gagner à suivre l’extrême droite sur ce terrain. De manière significative du reste, les plus concernés par la référence aux racines chrétiennes de la France, les catholiques, ont, à l’occasion des drames récents, affirmé fortement leur refus des amalgames et leur volonté de poursuivre le dialogue inter-religieux. Le ton a été donné par la réaction remarquable de l’archevêque de Rouen, Mgr Lebrun, précisément au moment de l’assassinat du Père Hamel à Saint-Étienne-du Rouvray, et le Père Thomassin invitait récemment dans La Croix les chrétiens à « déminer le discours en dénonçant ces instrumentalisations (de l’identité chrétienne) »1.
Plus largement, la résistance du corps social français aux attentats peut s’analyser comme un refus des amalgames des laïcités radicales. Car dans sa version républicaine, étrangement, elle aboutit finalement au même résultat que dans sa version droitière alors qu’elle n’invoque pas la culture chrétienne française : les signes religieux qu’elle dénonce comme menaçant l’esprit républicain sont en effet exclusivement musulmans.
Or la société française, imprégnée de l’esprit de la République libérale, refuse largement cette stigmatisation. Non pas que les Français ne fassent pas de la sécurité l’une de leurs préoccupations majeures, non pas que les Français sous-estiment le grave problème posé par la radicalisation d’une frange de la population musulmane, non pas même que les Français ne s’interrogent pas sur l’identité de leur pays.
Simplement, tout se passe comme si la société française n’acceptait ni les simplifications abusives ni les instrumentalisations grossières : elle refuse clairement le piège de la division qui lui est tendu par ses adversaires. Qui pourrait ne pas s’en réjouir ?
La République se trouve donc confrontée à un singulier dilemme : peut-elle au nom de la défense de ses valeurs de liberté, d’égalité et de liberté, sembler en retirer le bénéfice à une partie de sa population sensée les menacer ? La réponse est manifestement non.
Dans le fond, ni les laïcités radicales, ni naturellement la négation coupable du problème posé par un certain islam ne constituent la bonne réponse. Il y a donc urgence à nouer le dialogue avec la communauté musulmane et ses représentants. Il y a urgence à organiser, enfin, un islam de France.
Mais cette politique a besoin de consensus et de sérénité. Elle a besoin aussi de temps — le ralliement des catholiques a pris plusieurs décennies —, un temps long bien peu compatible avec les urgences et les outrances d’une campagne électorale…
Vincent Feré
elle exclut et discrimine quand celles-ci accueillent et intègrent.
La laïcité occupe une place essentielle dans le corpus idéologique de la République. Au début du XXe siècle, contre une partie importante des républicains, le pari a été fait d’une laïcité libérale même si, périodiquement, une conception plus radicale s’est manifestée sous le prétexte d’un retour de l’influence de l’Église, la cible de la loi de 1905.
Elle a toutefois rencontré un écho de moins en moins important dans l’opinion publique en raison de la déchristianisation d’une part et du ralliement des catholiques au régime d’autre part, au point du reste de paraître de plus en plus anachronique et de ne plus concerner qu’une frange minoritaire des milieux laïcs.
L’importance visible prise par l’islam dans la société française, les ratés de l’intégration et la radicalisation d’une partie de la population musulmane ont conduit ces dernières années à une résurgence de la laïcité radicale, dans une version républicaine ou dans une version droitière. Peut-elle constituer, sous une forme ou sous une autre, une réponse adaptée aux nouveaux défis lancés au « vivre ensemble » ?
La laïcité radicale, un contresens historique
Tous les défenseurs des valeurs de la République française se réclament de la laïcité dont le fondement est la loi du 9 décembre 1905 instaurant la séparation de l’Église et de l’État. Certains semblent toutefois oublier qu’elle se voulait une « loi de tolérance et d’équité » selon l’expression de son rapporteur Aristide Briand. Dans son article 1, le moins souvent cité, elle affirme ainsi puissamment que si la République ne reconnaît aucun culte, elle les garantit tous.
En fait, avec le soutien de socialistes comme Jaurès et Briand ou de radicaux comme Ferdinand Buisson, le parlement de 1905 a adopté un projet beaucoup plus libéral que celui initialement défendu par Combes et inspiré d’un texte du directeur des Cultes, Charles Dumay, qui ne disait mot de la liberté de conscience et se dispensait de tout exposé de principe. La loi de 1905 est donc l’illustration d’un régime libéral. Son esprit d’ouverture a parfois d’ailleurs été respecté jusque dans ce haut lieu de la laïcité et même de l’anticléricalisme qu’était l’école de la République : on a servi du poisson dans les cantines le vendredi sans y voir un crime de lèse-République.
Le culturel relève aussi du religieux et en la matière, la République, fidèle à ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité a souvent su faire preuve de tolérance. Et elle a gagné. Il y a longtemps que les catholiques s’y sont ralliés.
La laïcité radicale républicaine, au contraire, tourne le dos aux valeurs fondatrices de la République libérale : elle exclut et discrimine quand celles-ci accueillent et intègrent. Pour elle, le religieux et le culturel se confondent. Longtemps marginalisée, elle a resurgi ces dernières années avec une nouvelle cible : les musulmans. Ainsi, non seulement le voile dans l’espace public mais également les repas sans porc dans les cantines sont pour elle une concession à l’islam plutôt que le respect des coutumes d’une partie de la population.
Soit. Mais quelle instance, demain, sans sombrer dans le ridicule, va distinguer en toutes circonstances ce qui relève du religieux – atteinte à la laïcité – et ce qui relève du culturel – respect des libertés individuelles ? Le conseil d’État ? Le conseil constitutionnel ? Et sur quelle base ? Une loi ? Elle sera en tout cas singulièrement compliquée à rédiger et à faire adopter par le… conseil constitutionnel.
Dans sa version droitière qui invoque le passé chrétien de la France, la laïcité radicale repose de plus sur une contradiction historique et idéologique. Car la laïcité est précisément ce qui permet à la République de fonder le « vouloir vivre ensemble » (Renan) sur autre chose que le fait religieux. Or si, n’en déplaise à Pierre Moscovici, la France a historiquement des racines en grande partie chrétiennes, son identité ne se confond pas avec elles.
Elles en constituent certes une dimension importante mais d’autres éléments y ont pris leur part, à commencer par le rationalisme des Lumières, d’où procède précisément la laïcité. Le discours laïc radical qui invoque le christianisme d’hier pour rejeter l’islam d’aujourd’hui opère donc une instrumentalisation historique grossière et entre en contradiction avec lui-même ! En réalité, il tourne le dos aux valeurs de la République qu’il prétend défendre et relève du corpus idéologique de l’extrême droite.
La laïcité radicale, une erreur politique ?
Mais dira-t-on, l’islam, quand il prétend régenter certains comportements publics défie ouvertement la République et ses valeurs, d’autant qu’il se distingue parfois mal de l’islamisme radical. La question qui est posée est donc de savoir si, face à la menace islamiste sous toutes ses formes, la laïcité radicale est une réponse aux défis qui se posent à la France et à ses dirigeants ? L’épisode récent du burkini a en tout cas montré qu’elle était, sous une forme ou sous une autre, une tentation forte de part et d’autre de l’échiquier politique.
La laïcité radicale dans sa version droitière n’est manifestement pas adaptée à la situation. La droite républicaine n’a rien à gagner à suivre l’extrême droite sur ce terrain. De manière significative du reste, les plus concernés par la référence aux racines chrétiennes de la France, les catholiques, ont, à l’occasion des drames récents, affirmé fortement leur refus des amalgames et leur volonté de poursuivre le dialogue inter-religieux. Le ton a été donné par la réaction remarquable de l’archevêque de Rouen, Mgr Lebrun, précisément au moment de l’assassinat du Père Hamel à Saint-Étienne-du Rouvray, et le Père Thomassin invitait récemment dans La Croix les chrétiens à « déminer le discours en dénonçant ces instrumentalisations (de l’identité chrétienne) »1.
Plus largement, la résistance du corps social français aux attentats peut s’analyser comme un refus des amalgames des laïcités radicales. Car dans sa version républicaine, étrangement, elle aboutit finalement au même résultat que dans sa version droitière alors qu’elle n’invoque pas la culture chrétienne française : les signes religieux qu’elle dénonce comme menaçant l’esprit républicain sont en effet exclusivement musulmans.
Or la société française, imprégnée de l’esprit de la République libérale, refuse largement cette stigmatisation. Non pas que les Français ne fassent pas de la sécurité l’une de leurs préoccupations majeures, non pas que les Français sous-estiment le grave problème posé par la radicalisation d’une frange de la population musulmane, non pas même que les Français ne s’interrogent pas sur l’identité de leur pays.
Simplement, tout se passe comme si la société française n’acceptait ni les simplifications abusives ni les instrumentalisations grossières : elle refuse clairement le piège de la division qui lui est tendu par ses adversaires. Qui pourrait ne pas s’en réjouir ?
La République se trouve donc confrontée à un singulier dilemme : peut-elle au nom de la défense de ses valeurs de liberté, d’égalité et de liberté, sembler en retirer le bénéfice à une partie de sa population sensée les menacer ? La réponse est manifestement non.
Dans le fond, ni les laïcités radicales, ni naturellement la négation coupable du problème posé par un certain islam ne constituent la bonne réponse. Il y a donc urgence à nouer le dialogue avec la communauté musulmane et ses représentants. Il y a urgence à organiser, enfin, un islam de France.
Mais cette politique a besoin de consensus et de sérénité. Elle a besoin aussi de temps — le ralliement des catholiques a pris plusieurs décennies —, un temps long bien peu compatible avec les urgences et les outrances d’une campagne électorale…
Vincent Feré