Alors que son invention remonte à 1450, l'utilisation de l'imprimerie en Islam a été très tardive, les premières impression en arabe étant des ouvrages... chrétiens. Une histoire où le facteur religieux est central, lié essentiellement à la structure de la société ottomane, dans un État multiconfessionnel aux premières loges de la modernité.
Le président du Diyanet, Mehmet Görmez, a récemment déclaré que le Directoire des affaires religieuses allait «imprimer 24 heures sur 24 des versions du Livre saint pour les envoyer [de par le monde aux musulmans] qui en ont besoin».
Le Coran, l’ouvrage le plus diffusé parmi les musulmans à travers les âges, n’est imprimé en terre d’islam que depuis deux siècles, − quand l’invention de l’imprimerie remonte à 1450. Ce n’est pas là le moindre paradoxe de l’histoire de l’imprimerie en Islam. Une histoire où le facteur religieux est central, lié essentiellement à la structure de la société ottomane, dans un État multiconfessionnel aux premières loges de la modernité.
Le premier des paradoxes est le fait que l’Islam est, dès l’origine, une civilisation de l’écrit, qu’il a développé l’industrie du papier jusqu’à en faire un média de masse, qu’à partir du Xe siècle, il utilise une technique d’impression rudimentaire, la xylographie, qu’il abandonne enfin cinq siècles plus tard quand apparaît l’imprimerie… mais sans tirer parti de l’invention de Gutenberg.
L'impression de la langue arabe interdite par le sultan
Dans un firman de Bayezid II datant de 1485, le sultan interdit aux musulmans l’impression de textes en caractères arabes. Cette interdiction ne concerne pas les autres millets (communautés confessionnelles) : à Istanbul, les juifs David et Samuel Nahmias publient dès 1515 un traité en hébreu intitulé Arba‘ah Turim.
En 1567, c’est le Pokir keraganutyan gam ayppenaran (Alphabet élémentaire arménien) qui est imprimé à Istanbul sous les auspices du catholicos Michel Ier de Sivas. Enfin, le premier ouvrage en langue grecque est un pamphlet antijuif imprimé en 1627 sous les auspices du patriarche œcuménique Cyril Lucaris, soucieux de combattre la propagande jésuite et de réformer son église.
Ses presses seront détruites par les Janissaires un an plus tard, convaincus par les jésuites qu’il s’agissait là d’une bid‘a (innovation blâmable)… Des textes imprimés en caractères arabes circulaient pourtant, et de manière légale, dans l’empire ottoman, mais ils n’étaient pas le fait de musulmans ; dès 1587, un firman de Murad III autorisait la vente des ouvrages en arabe, turc ou persan imprimés… en Europe.
C’est là un autre paradoxe symbolique que le premier ouvrage imprimé en arabe l’ait été en Europe – un livre de prière de l’Eglise alexandrine, en 1514 – et que le premier ouvrage imprimé dans le monde arabe soit non pas un coran, mais un psautier (couvent de Mâr Antûniyus au Liban, 1610).
Le prosélytisme chrétien sera ainsi, au XVIe siècle, à l’origine de nombreuses publications en arabe en Europe, notamment celle produites par la Typographia Medicea linguarum externarum, imprimerie fondée en 1585 par le cardinal Ferdinand de Medicis.
La réforme tardive de Said Effendi et Ibrahim Müteferrika
Il faudra attendra 1727, − soit sous l’ère des Tulipes, la révolution industrielle ottomane − pour que des ouvrages en caractères arabes soient imprimés par des musulmans. Deux hommes en sont à l’origine : Said Effendi et Ibrahim Müteferrika.
Le projet qu’ils soumettent au Grand Vizir vise à «diffuser le savoir jusque dans les campagnes», à «promouvoir l’islam» et à «accroître le prestige de l’Etat». Il est appuyé par une fatwa du shaykh al-islâm ‘Abd Allâh Rumî Effendi qui pense que diffuser par ce biais des «ouvrages non-religieux» tels que ceux traitant du «lexique, de la logique, de la philosophie ou de l’astronomie» est «une bonne chose».
Le sultan Ahmed III promulgue alors un firman qui autorise les musulmans à imprimer des ouvrages, mais uniquement à caractère profane.
Le lobbying exercé par la caste des ulémas, copistes et autres lettrés pour empêcher l’impression des ouvrages religieux n’était pas uniquement motivé par des raisons économiques, même si l’imprimerie aurait probablement ruiné les quelque 80 000 copistes d’Istanbul au XVIIe siècle, soit une partie non négligeable de l’élite intellectuelle de l’empire.
Il visait plus profondément à préserver leur statut : le nouveau procédé risquait en effet de remettre en question leur contrôle sur le savoir et plus généralement leur autorité intellectuelle et morale.
SEYFEDDINE BEN MANSOUR
PARIS
Le premier Coran imprimé connu à ce jour (Venise : Paganino & Alessandro Paganini entre le 9 août 1537 et le 9 août 1538)
Le président du Diyanet, Mehmet Görmez, a récemment déclaré que le Directoire des affaires religieuses allait «imprimer 24 heures sur 24 des versions du Livre saint pour les envoyer [de par le monde aux musulmans] qui en ont besoin».
Le Coran, l’ouvrage le plus diffusé parmi les musulmans à travers les âges, n’est imprimé en terre d’islam que depuis deux siècles, − quand l’invention de l’imprimerie remonte à 1450. Ce n’est pas là le moindre paradoxe de l’histoire de l’imprimerie en Islam. Une histoire où le facteur religieux est central, lié essentiellement à la structure de la société ottomane, dans un État multiconfessionnel aux premières loges de la modernité.
Le premier des paradoxes est le fait que l’Islam est, dès l’origine, une civilisation de l’écrit, qu’il a développé l’industrie du papier jusqu’à en faire un média de masse, qu’à partir du Xe siècle, il utilise une technique d’impression rudimentaire, la xylographie, qu’il abandonne enfin cinq siècles plus tard quand apparaît l’imprimerie… mais sans tirer parti de l’invention de Gutenberg.
L'impression de la langue arabe interdite par le sultan
Dans un firman de Bayezid II datant de 1485, le sultan interdit aux musulmans l’impression de textes en caractères arabes. Cette interdiction ne concerne pas les autres millets (communautés confessionnelles) : à Istanbul, les juifs David et Samuel Nahmias publient dès 1515 un traité en hébreu intitulé Arba‘ah Turim.
En 1567, c’est le Pokir keraganutyan gam ayppenaran (Alphabet élémentaire arménien) qui est imprimé à Istanbul sous les auspices du catholicos Michel Ier de Sivas. Enfin, le premier ouvrage en langue grecque est un pamphlet antijuif imprimé en 1627 sous les auspices du patriarche œcuménique Cyril Lucaris, soucieux de combattre la propagande jésuite et de réformer son église.
Ses presses seront détruites par les Janissaires un an plus tard, convaincus par les jésuites qu’il s’agissait là d’une bid‘a (innovation blâmable)… Des textes imprimés en caractères arabes circulaient pourtant, et de manière légale, dans l’empire ottoman, mais ils n’étaient pas le fait de musulmans ; dès 1587, un firman de Murad III autorisait la vente des ouvrages en arabe, turc ou persan imprimés… en Europe.
C’est là un autre paradoxe symbolique que le premier ouvrage imprimé en arabe l’ait été en Europe – un livre de prière de l’Eglise alexandrine, en 1514 – et que le premier ouvrage imprimé dans le monde arabe soit non pas un coran, mais un psautier (couvent de Mâr Antûniyus au Liban, 1610).
Le prosélytisme chrétien sera ainsi, au XVIe siècle, à l’origine de nombreuses publications en arabe en Europe, notamment celle produites par la Typographia Medicea linguarum externarum, imprimerie fondée en 1585 par le cardinal Ferdinand de Medicis.
La réforme tardive de Said Effendi et Ibrahim Müteferrika
Il faudra attendra 1727, − soit sous l’ère des Tulipes, la révolution industrielle ottomane − pour que des ouvrages en caractères arabes soient imprimés par des musulmans. Deux hommes en sont à l’origine : Said Effendi et Ibrahim Müteferrika.
Le projet qu’ils soumettent au Grand Vizir vise à «diffuser le savoir jusque dans les campagnes», à «promouvoir l’islam» et à «accroître le prestige de l’Etat». Il est appuyé par une fatwa du shaykh al-islâm ‘Abd Allâh Rumî Effendi qui pense que diffuser par ce biais des «ouvrages non-religieux» tels que ceux traitant du «lexique, de la logique, de la philosophie ou de l’astronomie» est «une bonne chose».
Le sultan Ahmed III promulgue alors un firman qui autorise les musulmans à imprimer des ouvrages, mais uniquement à caractère profane.
Le lobbying exercé par la caste des ulémas, copistes et autres lettrés pour empêcher l’impression des ouvrages religieux n’était pas uniquement motivé par des raisons économiques, même si l’imprimerie aurait probablement ruiné les quelque 80 000 copistes d’Istanbul au XVIIe siècle, soit une partie non négligeable de l’élite intellectuelle de l’empire.
Il visait plus profondément à préserver leur statut : le nouveau procédé risquait en effet de remettre en question leur contrôle sur le savoir et plus généralement leur autorité intellectuelle et morale.
SEYFEDDINE BEN MANSOUR
PARIS
Le premier Coran imprimé connu à ce jour (Venise : Paganino & Alessandro Paganini entre le 9 août 1537 et le 9 août 1538)
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