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Muscler sa volonté, un leurre scientifique

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  • Muscler sa volonté, un leurre scientifique

    La volonté est comme un muscle : on peut l’entraîner pour la fortifier, mais elle s’épuise quand on la sollicite trop. Cette belle leçon de psychologie vient d’être sévèrement remise en cause, provoquant un émoi dans la communauté des chercheurs. Mais, au fait, la psychologie est-elle si scientifique qu’elle le prétend ?

    La volonté est comme un muscle : à force d’être sollicitée, elle finit par s’épuiser. Voilà ce que pense avoir démontré le psychologue Roy Baumeister au cours d’une expérience réalisée à la fin des années 1990, qui lui a valu la célébrité.

    Trois groupes d’étudiants sont invités à résoudre un casse-tête logique. Ce qu’ils ne se savent pas, c’est qu’il n’existe pas de solution au problème posé. Question : combien de temps leur faudra-t-il pour renoncer ? Réponse : 19 minutes, en moyenne. Sauf pour un groupe qui abandonne beaucoup plus vite, au bout de 8 minutes. Ce groupe-là avait dû se soumettre un peu plus tôt à un autre test, où leur volonté était aussi en jeu. Il s’agissait de rester dans une pièce, en présence d’un plat de cookies au chocolat tout chauds placés à côté d’un plat de radis, la consigne étant de ne goûter que les radis (sans toucher aux cookies). Leur self-control ayant été mis à l’épreuve, ce groupe a abandonné plus rapidement face au casse-tête qui suivait. La conclusion semblait évidente : face à un effort prolongé, la volonté finit par s’effondrer. Mais à cette mauvaise nouvelle s’en ajoute une bonne : si la volonté s’épuise face aux efforts, on peut aussi l’entraîner comme on entraîne un muscle. Grâce à des exercices progressifs, on peut renforcer son self-control et muscler sa volonté.

    L’article de 1998 qui relatait cette expérience (1) titrait sur « l’épuisement du moi » (« ego depletion »). Il allait faire la fortune de son auteur. Dans les années suivantes, des équipes de psychologues se sont emparées de cette notion et l’ont appliquée dans différents domaines impliquant la volonté : des régimes alimentaires au travail scolaire, de la lutte contre les addictions à l’entraînement sportif.

    En 2011, dans son livre Willpower. Rediscovering the greatest humain strenght, (Volonté. Redécouvrir la plus grande force humaine), R. Baumeister présentait une synthèse de ces recherches et en tirait quelques bons conseils en vue de « muscler son moi ».

    L’effondrement…des résultats !

    Or, voilà qu’au printemps 2016, une publication jette un pavé dans la mare. À l’initiative de l’APS (Association for Psychological Science), les expériences sur l’ego depletion ont été refaites en suivant un protocole rigoureux dans deux douzaines de laboratoire dans le monde. Et les conclusions sont sans appel : les équipes ont massivement échoué à reproduire les résultats antérieurs (2) !

    « Nada. Zéro. Rien ! (3) », voilà comment Michael Inzlicht, professeur à l’université de Toronto, résume dans un tweet vengeur l’absence d’effets reproductibles de l’ego depletion.

    À vrai dire, pour Martin Hagger (4), qui a piloté ces nouvelles études, le phénomène de l’épuisement du moi n’est ni tout à fait vrai ni tout à fait faux. En fait, l’affaire se révèle terriblement plus complexe. Dans l’ensemble, la contre-enquête n’a pu repérer aucun effet mesurable en croisant toutes les données ; mais dans le détail, on constate surtout de grosses variations de résultats selon les procédures d’enquête : selon que l’on utilise des petits ou de grands échantillons, selon que l’expérience est réalisée dans tel ou tel laboratoire ou même selon que l’expérience est menée dans telle ou telle langue ! Cette hypersensibilité aux conditions expérimentales pose un grave problème pour la validité des expériences. « Cela signifie que même avec un contrôle très strict des protocoles, les psychologues de différents laboratoires échouent à s’accorder sur la façon de faire », note M. Hagger, avant d’ajouter que « cela a des implications plus générales sur la science psychologique ».

    64 % des résultats en psychologie non reproductibles !

    La remise en cause d’un pan entier des recherches dans ce domaine très en vogue qu’est la maîtrise de soi est déjà en soi une nouvelle troublante. D’autant qu’elle s’inscrit dans un contexte plus global de suspicion à l’égard des recherches en psychologie. Depuis quelques années, des chercheurs se sont lancés dans un grand projet de vérification des expériences. 270 psychologues du monde entier se sont réunis dans un « Consortium Open Source » (OSC) à l’initiative de Brian Nosek, professeur à l’université de Virginie. Ils se sont livrés à un exercice sévère mais salutaire : reproduire 100 études respectant les canons de la recherche scientifique et ayant fait l’objet de publications dans des revues de psychologie très sérieuses. Or, le résultat de leur contre-enquête est accablant : dans les deux tiers des cas (64 %), les résultats ne sont pas reproductibles ! Un tiers seulement (36 %) des études reproduites confirme les résultats initiaux (5).


    Ce pavé dans la mare, publié dans Science (6) en août 2015 a, on l’imagine, suscité des remous dans la communauté des psychologues. S’en est suivie une polémique qui est encore en cours (7). Début 2016, des chercheurs de Harvard ont riposté dans la revue Science, en contestant les résultats de l’OSC. Leur tribune a aussitôt été suivie d’une réponse à la réplique puis d’une réponse à la réponse, etc.

    En gros, le débat, ressemble à l’échange suivant :

    OSC : « Nous avons prouvé que les deux tiers des d’études ne sont pas reproductibles. »
    Harvard : « Vous vous trompez : 1) vous avez violé les règles de l’échantillonnage dans le choix de vos 100 études en ciblant des études suspectes ; 2) une partie de vos études de réplication ne sont pas de bonne qualité et vous avez fait des erreurs statistiques. »
    OSC : « Non, nous n’avons pas fait d’erreurs statistiques. »
    Harvard : « Si ! vous êtes nuls en stats ! »
    OSC : « Pourquoi vous prenez un ton si agressif ? »…

    Nul ne sait qui sortira vainqueur de ce que certains appellent déjà « The Great Replication Debate ». Les blogs avec des arguments très techniques se poursuivent. Une chose est sûre, il va falloir, poursuivre ce débat de près, s’armer de rigueur, de patience et donc d’une solide bonne volonté.

    NOTES

    1. Roy Baumeister et al., « Ego depletion. Is the active self a limited resource ? », Journal of Personality and Social Psychology, vol. LXXIV, n° 5, mai 1998.
    2. APS, « A multi-lab pre-registered replication of the ego-depletion paradigm reported », à paraître dans Persepective of Psychological Science
    3. Michael Inzlicht, « Big news : RRR of ego depletion reveals no effect. Nada. Zip. Nothing », tweet envoyé le 29 janvier 2016.
    4. Martin Hagger, « Rumours of the demise of ego-depletion are (somewhat) exaggerated ». www.martinhagger.com
    5. Mathieu Nowak, « Près des deux tiers des études en psychologie ne peuvent pas être reproduites ». http://www.sciencesetavenir.fr/sante...produites.html
    6. Brian Nosek, « Estimating the reproducibility of psychological science », Science, vol. CCCXLIX, n° 6251, 28 août 2015.
    7. Voir David Larousserie, « La psychologie est-elle en crise ? », 5 avril 2016. http://www.lemonde.fr/sciences/artic...VSvY0jVQ2jx.99


    SH
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