Al Andalus première partie: la conquête musulmane
Nous nous étions quittés sur une Hispanie wisigothe en pleine déroute face à « l’envahisseur » musulman. Vous allez me dire « Pourquoi mettez-vous des guillemets au mot « envahisseur »? Il semble clair que les musulmans ont envahi l’Hispanie! ». Certes, mais la réalité est beaucoup plus complexe que cela. Penchons-nous de plus près sur ce qui s’est passé au début de cette longue et complexe période d’al-Ándalus.
La conquête de l’Hispanie (711-716)
L’invasion de l’Hispanie wisigothe par les musulmans se fait ans le cadre de l’expansion de l’islam aux VIIème et VIIIème siècles.
Naissance de l’islam
Mahomet, le dernier prophète du monothéisme sur Terre, a eu la révélation de cette nouvelle religion vers 610 en Arabie, à La Mecque plus exactement. Allah, c’est-à-dire Dieu en arabe, lui communiquait sa parole via l’archange Gabriel. A la mort de Mahomet en 632, la compilation de ces récits a permis d’établir le Coran, texte sacré de l’islam. Depuis la péninsule arabique entièrement convertie en 632, l’islam se propage tout au long du VIIème siècle conquérant tour à tour l’Asie Centrale, l’Afrique maghrébine, l’Europe (Hispanie et France) et allant même jusqu’à l’Inde.
L’expansion africaine.
C’est lors de la conquête-conversion du Maghreb que les musulmans se sont retrouvés confrontés aux farouches tribus berbères qui leur résistent jusqu’en 711, date de la fin de la conquête officielle de l’Afrique du Nord, Ifriqya en arabe. Le gouverneur de cette région, Mûsâ ibn Nusair, ne leur fait pas entièrement confiance, c’est pourquoi il décide d’envoyer 7000 guerriers berbères vers la Bétique toute proche en 711, avec à leur tête le Maure Tariq ibn Ziyad.
L’idée de Mûsâ est d’occuper ces Berbères potentiellement dangereux pour son propre territoire en les envoyant se battre et conquérir d’autres espaces plus lointains. La mission de l’expédition consiste à repérer les lieux et éventuellement opérer quelques rapines mais la conquête n’est pas à l’ordre du jour.
La situation en Hispanie en 711.
A cette époque, comme nous l’avons indiqué dans l’article sur l’Hispanie wisigothe, l’Hispanie est en proie à une grande instabilité politique et dynastique. Le dernier roi wisigoth, Wittiza, est mort en 710 en laissant un fils, Akhila, lequel est renversé par Rodéric, le gouverneur de la province de Bétique (Andalousie actuelle). Akhila se réfugie à Ceuta au Maroc pendant que ses partisans entretiennent dans la péninsule ibérique un climat de guerre civile.
La fragilité politique due aux nombreux retournements d’alliances et aux déchirements entre chefs wisigoths fait aussi le jeu du peuple franc dont la puissance et le territoire ne cessent de grandir et de se renforcer de l’autre côté des Pyrénées. A cela s’ajoutent des épidémies de peste et de famines régulières. En clair, l’Hispanie est fragile, prête à tomber.
La conquête musulmane
D’après les sources dont nous disposons, l’entrée des musulmans dans la péninsule a été facilitée par la trahison d’un allié byzantin des Wisigoths, le comte Julien. Ce personnage à l’identité assez obscure était gouverneur de la ville de Ceuta et de quelques villes de l’extrême sud de la Bétique mais on ignore s’il était un vassal des rois de Tolède ou un seigneur berbère indépendant qui gouvernait ses territoires avec l’accord des Wisigoths. Toujours est-il qu’il était partisan d’Akhila, le fils du roi Wittiza dont nous avons parlé plus haut.
Malgré tout, afin d’être bien vu de Rodéric, Julien envoie sa fille à Tolède pour qu’elle y continue son éducation mais le roi wisigoth la viole. La jeune fille informe son père de l’affront qu’elle a subi et, pour la venger, Julien se met en relation avec le gouverneur de l’Ifriqya Mûsâ et lui explique comment envahir la péninsule: il lui suffit de passer par le détroit de Gibraltar, qui ne porte pas encore ce nom.
En avril 711, Mûsâ envoie donc un contingent d’environ 12 000 soldats, dont les 7 000 Berbères que j’ai mentionnés plus haut, sous le commandement de Tariq ibn Ziyad, le gouverneur de Tanger. Les Wisigoths, désordonnés et fragilisés, se retrouvent encerclés car lorsque Tariq ibn Ziyad attaque l’Hispanie par le sud, Rodéric et ses troupes sont en train de combattre les Francs et les Basques au nord de la péninsule.
Les forces musulmanes et wisigothes s’affrontent en juillet 711 lors de la bataille de Guadalete qui marque la fin de l’Hispanie wisigothe. En effet, Rodéric s’était attiré la haine de nobles très puissants qui l’accusaient d’avoir usurpé le trône en assassinant son prédécesseur Wittiza. Obligés de se battre pour leur nouveau roi, ces nobles wisigoths avaient d’ores et déjà prévu de le trahir lors de la bataille contre les musulmans. Ils pensaient que ces derniers voulaient uniquement piller la région puis repartir dans leurs terres d’origine.
Trahi par les siens, Rodéric meurt au cours de la bataille. Désormais sans chef, l’Hispanie est à la merci des musulmans et de Tariq qui décide d’envahir le territoire, contrairement à l’ordre donné par Mûsâ. Les musulmans sont de plus aidés dans leur entreprise par le peuple des villes dans lesquelles ils passent mais aussi par les Juifs, communauté religieuse opprimée sous les Wisigoths.
La conquête est fulgurante. Abandonnée par sa population, la ville d’Archidona est prise sans peine, de même que Cordoue, livrée aux musulmans par un berger qui indique la brèche par laquelle passer pour entrer dans la ville. Quant à Tolède, la capitale du royaume Wisigoth, ce sont les Juifs qui la livrent aux musulmans. En 714, Séville est prise et Tarragone détruite. Barcelone est occupée entre 716 et 719 et en 719, c’est la Septimanie qui est conquise. Le nom al-Ándalus apparaît pour la première fois sur une pièce de monnaie de 716.
Il faut attendre 732 et la bataille de Poitiers pour que la conquête musulmane s’arrête en Europe. Boutés hors du territoire franc par Charles Martel, les musulmans préfèrent consolider leurs possessions espagnoles. Ils se replient donc vers le sud et organisent la gestion de leurs nouvelles conquêtes.
De l’Hispanie wisigothe à l’émirat de Cordoue (716-756)
La domination arabe en Hispanie
Les débuts de la présence musulmane en Espagne sont chaotiques puisque, comme nous venons de le voir, les envahisseurs sont aussi occupés à conquérir d’autres territoires plus au nord de la péninsule. D’autre part, le centre du pouvoir musulman se situe à Damas, c’est-à-dire assez loin de l’Espagne, qui n’est pas considérée comme un territoire important. Ainsi, très rapidement, les gouverneurs musulmans d’al-Andalus deviennent indépendants du pouvoir central de Damas.
Globalement, la domination arabe est bien acceptée par le peuple hispanique qui a le droit de conserver ses lois. Elle est même considérée comme une source de liberté par certaines couches de la population. Les villes comme Mérida qui se sont rendues sans résister voient leur action récompensée: les nobles wisigoths qui y habitent conservent l’intégralité de leurs biens et de leurs terres. En revanche une cité comme Séville qui a résisté à l’avancée musulmane est punie: les terres des nobles wisigoths sévillans sont démantelées et distribuées à toute la population, serfs et esclaves compris.
Ces deux catégories sociales sont les grandes gagnantes de la conquête musulmane. En effet, les musulmans n’étant pas doués pour l’agriculture, ils laissent les serfs exploiter comme ils le souhaitent leurs parcelles de terre, ce qui améliore la productivité. Quant aux esclaves, il leur suffit de prononcer la profession de foi musulmane pour être immédiatement affranchis.
La suite...
Nous nous étions quittés sur une Hispanie wisigothe en pleine déroute face à « l’envahisseur » musulman. Vous allez me dire « Pourquoi mettez-vous des guillemets au mot « envahisseur »? Il semble clair que les musulmans ont envahi l’Hispanie! ». Certes, mais la réalité est beaucoup plus complexe que cela. Penchons-nous de plus près sur ce qui s’est passé au début de cette longue et complexe période d’al-Ándalus.
La conquête de l’Hispanie (711-716)
L’invasion de l’Hispanie wisigothe par les musulmans se fait ans le cadre de l’expansion de l’islam aux VIIème et VIIIème siècles.
Naissance de l’islam
Mahomet, le dernier prophète du monothéisme sur Terre, a eu la révélation de cette nouvelle religion vers 610 en Arabie, à La Mecque plus exactement. Allah, c’est-à-dire Dieu en arabe, lui communiquait sa parole via l’archange Gabriel. A la mort de Mahomet en 632, la compilation de ces récits a permis d’établir le Coran, texte sacré de l’islam. Depuis la péninsule arabique entièrement convertie en 632, l’islam se propage tout au long du VIIème siècle conquérant tour à tour l’Asie Centrale, l’Afrique maghrébine, l’Europe (Hispanie et France) et allant même jusqu’à l’Inde.
L’expansion africaine.
C’est lors de la conquête-conversion du Maghreb que les musulmans se sont retrouvés confrontés aux farouches tribus berbères qui leur résistent jusqu’en 711, date de la fin de la conquête officielle de l’Afrique du Nord, Ifriqya en arabe. Le gouverneur de cette région, Mûsâ ibn Nusair, ne leur fait pas entièrement confiance, c’est pourquoi il décide d’envoyer 7000 guerriers berbères vers la Bétique toute proche en 711, avec à leur tête le Maure Tariq ibn Ziyad.
L’idée de Mûsâ est d’occuper ces Berbères potentiellement dangereux pour son propre territoire en les envoyant se battre et conquérir d’autres espaces plus lointains. La mission de l’expédition consiste à repérer les lieux et éventuellement opérer quelques rapines mais la conquête n’est pas à l’ordre du jour.
La situation en Hispanie en 711.
A cette époque, comme nous l’avons indiqué dans l’article sur l’Hispanie wisigothe, l’Hispanie est en proie à une grande instabilité politique et dynastique. Le dernier roi wisigoth, Wittiza, est mort en 710 en laissant un fils, Akhila, lequel est renversé par Rodéric, le gouverneur de la province de Bétique (Andalousie actuelle). Akhila se réfugie à Ceuta au Maroc pendant que ses partisans entretiennent dans la péninsule ibérique un climat de guerre civile.
La fragilité politique due aux nombreux retournements d’alliances et aux déchirements entre chefs wisigoths fait aussi le jeu du peuple franc dont la puissance et le territoire ne cessent de grandir et de se renforcer de l’autre côté des Pyrénées. A cela s’ajoutent des épidémies de peste et de famines régulières. En clair, l’Hispanie est fragile, prête à tomber.
La conquête musulmane
D’après les sources dont nous disposons, l’entrée des musulmans dans la péninsule a été facilitée par la trahison d’un allié byzantin des Wisigoths, le comte Julien. Ce personnage à l’identité assez obscure était gouverneur de la ville de Ceuta et de quelques villes de l’extrême sud de la Bétique mais on ignore s’il était un vassal des rois de Tolède ou un seigneur berbère indépendant qui gouvernait ses territoires avec l’accord des Wisigoths. Toujours est-il qu’il était partisan d’Akhila, le fils du roi Wittiza dont nous avons parlé plus haut.
Malgré tout, afin d’être bien vu de Rodéric, Julien envoie sa fille à Tolède pour qu’elle y continue son éducation mais le roi wisigoth la viole. La jeune fille informe son père de l’affront qu’elle a subi et, pour la venger, Julien se met en relation avec le gouverneur de l’Ifriqya Mûsâ et lui explique comment envahir la péninsule: il lui suffit de passer par le détroit de Gibraltar, qui ne porte pas encore ce nom.
En avril 711, Mûsâ envoie donc un contingent d’environ 12 000 soldats, dont les 7 000 Berbères que j’ai mentionnés plus haut, sous le commandement de Tariq ibn Ziyad, le gouverneur de Tanger. Les Wisigoths, désordonnés et fragilisés, se retrouvent encerclés car lorsque Tariq ibn Ziyad attaque l’Hispanie par le sud, Rodéric et ses troupes sont en train de combattre les Francs et les Basques au nord de la péninsule.
Les forces musulmanes et wisigothes s’affrontent en juillet 711 lors de la bataille de Guadalete qui marque la fin de l’Hispanie wisigothe. En effet, Rodéric s’était attiré la haine de nobles très puissants qui l’accusaient d’avoir usurpé le trône en assassinant son prédécesseur Wittiza. Obligés de se battre pour leur nouveau roi, ces nobles wisigoths avaient d’ores et déjà prévu de le trahir lors de la bataille contre les musulmans. Ils pensaient que ces derniers voulaient uniquement piller la région puis repartir dans leurs terres d’origine.
Trahi par les siens, Rodéric meurt au cours de la bataille. Désormais sans chef, l’Hispanie est à la merci des musulmans et de Tariq qui décide d’envahir le territoire, contrairement à l’ordre donné par Mûsâ. Les musulmans sont de plus aidés dans leur entreprise par le peuple des villes dans lesquelles ils passent mais aussi par les Juifs, communauté religieuse opprimée sous les Wisigoths.
La conquête est fulgurante. Abandonnée par sa population, la ville d’Archidona est prise sans peine, de même que Cordoue, livrée aux musulmans par un berger qui indique la brèche par laquelle passer pour entrer dans la ville. Quant à Tolède, la capitale du royaume Wisigoth, ce sont les Juifs qui la livrent aux musulmans. En 714, Séville est prise et Tarragone détruite. Barcelone est occupée entre 716 et 719 et en 719, c’est la Septimanie qui est conquise. Le nom al-Ándalus apparaît pour la première fois sur une pièce de monnaie de 716.
Il faut attendre 732 et la bataille de Poitiers pour que la conquête musulmane s’arrête en Europe. Boutés hors du territoire franc par Charles Martel, les musulmans préfèrent consolider leurs possessions espagnoles. Ils se replient donc vers le sud et organisent la gestion de leurs nouvelles conquêtes.
De l’Hispanie wisigothe à l’émirat de Cordoue (716-756)
La domination arabe en Hispanie
Les débuts de la présence musulmane en Espagne sont chaotiques puisque, comme nous venons de le voir, les envahisseurs sont aussi occupés à conquérir d’autres territoires plus au nord de la péninsule. D’autre part, le centre du pouvoir musulman se situe à Damas, c’est-à-dire assez loin de l’Espagne, qui n’est pas considérée comme un territoire important. Ainsi, très rapidement, les gouverneurs musulmans d’al-Andalus deviennent indépendants du pouvoir central de Damas.
Globalement, la domination arabe est bien acceptée par le peuple hispanique qui a le droit de conserver ses lois. Elle est même considérée comme une source de liberté par certaines couches de la population. Les villes comme Mérida qui se sont rendues sans résister voient leur action récompensée: les nobles wisigoths qui y habitent conservent l’intégralité de leurs biens et de leurs terres. En revanche une cité comme Séville qui a résisté à l’avancée musulmane est punie: les terres des nobles wisigoths sévillans sont démantelées et distribuées à toute la population, serfs et esclaves compris.
Ces deux catégories sociales sont les grandes gagnantes de la conquête musulmane. En effet, les musulmans n’étant pas doués pour l’agriculture, ils laissent les serfs exploiter comme ils le souhaitent leurs parcelles de terre, ce qui améliore la productivité. Quant aux esclaves, il leur suffit de prononcer la profession de foi musulmane pour être immédiatement affranchis.
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