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Quand les Anciens priaient pour la pluie

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  • Quand les Anciens priaient pour la pluie

    L’aridité constituait une forte contrainte naturelle pour les peuples libycoberbères des marges du désert. C’est pourtant dans les vallées fertiles des espaces faiblement arrosés par la pluie que l’agriculture est née.

    Dans les années 40 du premier siècle de l’ère chrétienne, au temps de l’intégration du royaume maurétanien à l’empire romain, l’armée romaine s’est avancée dans les déserts brûlants du sud de l’Atlas. Quelque temps avant cette expédition, le dernier roi de Maurétanie, Ptolémée, a été assassiné à Lyon lors d’un complot ourdi par l’empereur Caligula. Rome entre alors en possession du vaste royaume maurétanien et le divise en deux provinces que sépare le fleuve Moulouya. À l’est, la Maurétanie Césarienne, et à l’ouest, la Maurétanie Tingitane, avec respectivement pour capitales provinciales Caesare (Cherchell) et Tingi (Tanger).

    Cependant, Ædemon, un affranchi du roi Ptolémée, refuse la tutelle romaine et prend le commandement d’une armée rebelle. Aux côtés de l’insurgé, ont certainement marché une partie des Maures, en particulier les populations périphériques des mondes urbains, les tribus pastorales et nomades, menacées dans leurs intérêts économiques immédiats, par une intégration au monde méditerranéen et surtout par les conséquences fiscales d’une allégeance à Rome. Les rebelles ont certainement été appuyés par les peuples libycoberbères du sud que les textes anciens regroupent sous l’appellation de Gétules Autololes. En revanche, Rome a reçu le concours de populations déjà intégrées à l’économie méditerranéenne, magistrats des cités, commerçants, citoyens de villes prospères comme Volubilis, qui ont vu dans l’implantation de la paix romaine des perspectives de développement et d’enrichissement.

    Vers la hamada du Guir

    Lors de ces événements, Pline l’Ancien nous apprend que les résistants à l’intégration ont trouvé refuge dans le désert pour échapper à la puissance de l’armée romaine venue les combattre. « Suétonius Paulinus est le premier chef romain qui ait dépassé l’Atlas de milliers de pas ». Puis, s’avançant à la poursuite des insurgés, il est arrivé à un fleuve « qui serait appelé Ger, en traversant des déserts d’un sable noir, où émergent de place en place des rochers comme brûlés ; ce pays est rendu inhabitable par la chaleur, même en hiver, comme il en a fait l’expérience ». (in Histoire naturelle, V). Le préteur Caius Suetonius Paulinus, à la tête d’une fraction de l’armée romaine, a poursuivi les insurgés dans le désert jusqu’à la hamada de l’oued Guir, appelé Ger dans l’Antiquité. À cette occasion, Pline l’Ancien ne résiste pas à la tentation de décrire ces terres brûlées par le soleil, infestées de serpents et de fauves, et peuplées d’hommes au mode de vie étrange.

    L’éclatante expédition a eu un écho retentissant à Rome puisqu’en 43, Caius Suetonius Paulinus est promu consul suffect. Le fait d’aller poursuivre des combattants n’aurait sans doute pas eu un tel écho si justement il ne s’était agi des environs du mont Atlas, dont tout le monde connaît l’existence par le mythe, mais que personne n’a vu. Pour les Anciens, Atlas portait la voute céleste, avait été combattu par Hercule et enfin avait été pétrifié en montagne à l’aide de la tête de Méduse brandie par le héros Persée. On découvre alors que l’Atlas existe vraiment et que ce massif montagneux émerge d’un désert aride.

    Le successeur de Caius Suetonius Paulinus, le préteur Cnaeus Hosidius Geta, poursuit la tâche d’éteindre la flambée insurrectionnelle dans la nouvelle province romaine de Maurétanie tingitane. Lui aussi doit poursuivre les insurgés dans le désert de sable, qui complique la logistique et l’approvisionnement des armées traditionnelles, mais favorise en revanche la guérilla de combattants maîtrisant parfaitement les contraintes de cet espace, sachant localiser les points d’eau et les réserves de nourriture.

    Dion Cassius, un brillant haut fonctionnaire du temps de Septime Sévère, rappelle encore au IIe siècle la vaillance des insurgés libycoberbères et retient le nom d’un chef de guerre, l’aguellide (chef de tribu) Sabal. « Sabal, après avoir laissé une arrière garde chargée d’arrêter les troupes romaines à sa poursuite, s’était réfugié dans les régions sablonneuses. Hosidius Geta osa l’y suivre en emportant avec lui la plus grande quantité d’eau qu’il put. Mais, quand cette eau vint à manquer et qu’il n’en trouva plus d’autre, il fut en proie à toute sorte de tourments. Les Barbares, habitués à résister pendant longtemps à la soif, et réussissant, grâce à leur connaissance des lieux, à se procurer de l’eau, prolongeaient leur résistance, tandis qu’il était impossible aux Romains d’avancer et qu’il leur était difficile de revenir en arrière. Dans cet embarras, un Maure allié décida Hosidius à recourir aux incantations et à la magie, affirmant que souvent un pareil moyen avait amené de l’eau en grande quantité : en effet, il en tomba du ciel une si grande abondance que l’armée put éteindre sa soif et que les ennemis furent effrayés, pensant que c’était un secours divin survenu à leurs adversaires » (Dion Cassius, Histoire romaine, LX, 9).

    Le préteur Hodidius Geta prend le soin de partir avec des réserves d’eau qui s’avèrent vite insuffisantes. L’armée romaine n’utilise pas encore le dromadaire, qui commence pourtant à faire son apparition au Maghreb. Les chevaux, mal adaptés à l’aridité, sont malgré tout utilisés par les peuples libycoberbères pour s’enfoncer dans le désert. Les Pharusiens par exemple, que Strabon localise au sud du Maroc antique, attachent « sous le ventre de leurs chevaux des outres pleines d’eau » (Strabon, Géographie, XVII).

    Dans le désert, Hodidius Geta et son armée atteignent le point de non-retour. Pour éviter de périr, il fait pratiquer un rite magique de l’eau par un Maure à son service. Les peuples antiques sont superstitieux et Hosidius Geta tente de se concilier les faveurs du génie du lieu à l’aide d’un rite local qui fera effectivement tomber la pluie en abondance, car les précipitations sont brèves et très violentes dans les espaces présahariens.La réussite du rite est perçue comme un signe propice aux Romains et, par conséquent, défavorable à la cause des insurgés libycoberbères.

    Le texte de Don Cassius ne nous informe pas hélas sur la nature du rite pratiqué, mais il est probable qu’il s’apparente à ceux que l’on voit représentés sur les gravures rupestres dans le sud du Maroc. Dans le seul site d’Aït Ouazik, à quelques kilomètres de Tazarine, une dizaine de figures nous montrent des ovins, caprins et surtout bovins urinant. La puissante mixtion des animaux donne même parfois naissance à des oueds gonflés d’eau. Si les précipitations sont rares dans les espaces présahariens, les orages donnent naissance à des oueds temporaires parfois ravageurs.

    Une aridité croissante

    Des rites de la pluie analogues sont encore largement pratiqués dans nombre de villages du Maroc (Taghounja). Le rite de la vache noire, par exemple, consiste en une procession de l’animal autour du village. Les villageois se vêtent de haillons et promènent un épouvantail dans le but d’exposer leur misère. C’est une circonstance heureuse, un présage de pluie si la bête vient à uriner pendant la procession. La couleur noire de la robe de la vache n’est pas anodine car elle rappelle celle des nuages chargés de pluie. La vache peut ensuite être sacrifiée sur l’aire à battre le blé comme les prémices à de bonnes récoltes.

    Lorsqu’on franchit les cimes de l’Atlas en direction du sud, l’haleine chaude du Sahara vient tout brûler, même si l’aridité est tempérée par les oasis qui prospèrent dans le lit des fleuves descendus des montagnes en direction du sud et du désert. Les oueds qui prennent leur source dans l’Atlas permettent de maintenir une économie rurale adaptée à l’aridité dans le paysage des palmeraies. C’est dans les espaces arides faiblement arrosés par la pluie ou dans les vallées fertiles des fleuves que l’agriculture est née pendant un « optimum climatique » qu’on situe entre le VIIe millénaire et la fin du IIe millénaire avant J.C. La « révolution néolithique » est sans doute la réponse des hommes à une aridité croissante qui les ont amenés à domestiquer des espèces végétales et animales devenues rares. Les gravures rupestres du cœur du Sahara montrent une faune des steppes arborées, là où aujourd’hui il n’y a que des ergs de sable brûlés de soleil dans une aridité absolue.

    Les nombreuses gravures rupestres du sud du Maroc attestent elles aussi d’une histoire de la désertification, puisque ces gravures se trouvent dans des zones aujourd’hui désertes. L’étude des pollens fossiles et de l’histoire du climat permet de savoir que le climat de l’Antiquité était plus frais, plus humide que de nos jours. Si on comprend le mécanisme de la désertification, il est plus difficile en revanche de dater son évolution. Pourtant, les gravures montrant des animaux urinant pour annoncer la pluie pourraient être datées du moment où l’aridité s’est accrue, réduisant par là même les espaces cultivés et la taille des troupeaux, autrement dit à l’époque évoquée par les textes de Pline l’Ancien et Dion Cassius cités plus haut. De toute façon, les documents iconographiques, les textes antiques et les pratiques actuelles du rite de la pluie attestent d’un rapport constant des populations du Maroc à l’aridité.

    Rite de la pluie et rite de la crue
    Le site protégé des gravures d’Aït Ouazik se trouve à quelques kilomètres de piste de la ville étape de Tazarine, entre le Tafilalet et la vallée du Draâ. Deux lits de rivières, aujourd’hui à sec, confluent au pied d’une faible éminence ourlée de dalles sombres fragmentées en gros rochers. Une centaines de gravures y sont rassemblées. Parmi elles, se trouvent plusieurs femelles cornues en train d’uriner.

    Sur l’une d’elles, une vache aux membres démesurément allongés urine. Le jet puissant de sa mixtion qui se divise en de nombreuses ramifications représente la violence des eaux de pluie d’un orage. Les membres qui s’allongent placent la vache au rang de symbole céleste des nuages chargés de pluie. Une autre représentation montrent deux vaches opposées en train d’uriner. Des deux croupes émergent des volutes qui serpentent à l’intérieur d’un espace délimité par un sillon de forme allongée. Il s’agit probablement de la symbolisation d’un orage violent donnant naissance à une crue d’oued après la réalisation du vœu d’un rite de la pluie.

    Zamane
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