Pratique centrale du bouddhisme et des religions orientales,
la méditation se pratique de plus en plus en Occident,
à des fins thérapeutiques ou de développement personnel.
Mais quels en sont les principes ?
Depuis une vingtaine d’années, la méditation bouddhiste connaît en Occident un engouement considérable. Dans les années 1970, il était difficile de trouver un enseignant de méditation ou un ouvrage sur le sujet. Mais aujourd’hui, les publications se multiplient. Des enseignants de méditation qualifiés de toutes les traditions bouddhistes propo*sent des conférences, stages et retraites dont la fréquentation est en augmentation constante. Sous le nom de « pleine conscience », la pratique de la méditation se répand jusque dans les hôpitaux et les écoles. Un autre indice révélateur de cet intérêt est l’accélération des recherches scientifiques sur ses effets. Mais qu’est-ce au juste que la méditation ? Une méthode thérapeutique ? Une voie de connaissance, un art de pensée ? Un art de vivre ? En quoi consiste cette pratique ?
Le terme sanskrit que l’on traduit par « méditation » signifie « entraînement ». Méditer, c’est s’entraîner à voir « les choses comme elles sont ». Il s’agit de reconnaître et d’entrer en relation avec ce qui est là : l’expérience que nous vivons, instant après instant. Mais comment se fait-il qu’un tel entraînement soit nécessaire ? Notre expérience n’est-elle pas ce qui est le plus proche de nous, le plus intime ? Qu’est-ce qui pourrait nous y rendre aveugles ? Pourtant, ce que le méditant découvre, et n’en finit pas de découvrir au fil de sa pratique, c’est ce fait incompréhensible et choquant : son expérience lui échappe, il y est absent.
Accéder à la « pleine conscience »
La première cause d’absence est ce que l’on appelle aujourd’hui la « dérive attentionnelle ». Combien de fois nous arrive-t-il de réaliser, arrivés au bas d’une page, que nous l’avons lue sans la lire, ou arrivés à destination, que nous avons été « absents » à la plus grande partie du voyage ? Comme des études récentes le montrent (1), nous passons au moins la moitié de notre temps à quitter la situation que nous sommes en train de vivre pour rejouer en pensée des scènes du passé ou nous projeter dans l’avenir, sans même nous en rendre compte. Un mot, une odeur, trois notes suffisent à nous emporter. Mais même lorsque nous ne sommes pas ainsi égarés dans le passé ou dans l’avenir, nous nous coupons de notre expérience immédiate de multiples manières. L’une d’elles consiste à glisser vers des registres abstraits : commentaires, jugements ou justifications qui nous éloignent de ce que nous éprouvons concrètement ici et maintenant. Bien souvent, ce sont de subtiles tensions qui font écran à l’expérience immédiate. Si par exemple nous éprouvons une douleur ou une émotion désagréable, nous cherchons immédiatement à nous en protéger, et sans même nous en rendre compte interposons subrepticement une tension pour éviter de la ressentir. Si au contraire nous rencontrons une expérience agréable, nous nous efforçons de la maintenir, par une subtile anticipation qui nous empêche d’y être complètement présents. La tension vers un objectif ou l’absorption dans un contenu, en créant un étroit tunnel attentionnel, jouent aussi un rôle occultant. Par exemple au cours d’une conversation, absorbés dans le contenu de l’échange, nous n’avons pas clairement conscience des émotions qu’il suscite en nous. Si nous marchons pour nous rendre à un rendez-vous, nous ne sommes pas conscients des sensations corporelles que suscite la marche. Absorbés dans notre activité professionnelle, nous ne remarquons pas les tensions physiques et signes de fatigue qui s’installent, et en prenons conscience seulement lorsque nous sommes épuisés. Même les raisons de nos décisions échappent en grande partie à notre conscience (2). Nous passons notre temps à nous quitter nous-mêmes, à nous perdre.
En quoi consiste l’entraînement méditatif ?
Les techniques bouddhistes de méditation ont toutes le même but : apprendre à arrêter de se quitter soi-même, à revenir à soi. Elles se divisent en deux groupes : shamatha et vipashyanâ (7), pour reprendre les termes de la langue sanskrite qui était celle du Bouddha.
Shamatha est la pratique du « calme mental ». Elle a pour objectif d’apaiser le flot des pensées grâce à la concentration de l’esprit sur un unique objet. La posture du corps est importante car elle a une incidence directe sur la clarté et la stabilité de l’esprit. Elle consiste à se tenir assis le dos bien droit, la tête droite, le menton légèrement rentré. Le méditant peut être assis sur un coussin de méditation, les jambes disposées en lotus ou en demi-lotus, mais aussi sur une chaise, pieds posés à plat sur le sol. Les mains sont disposées soit sur les genoux, soit dans un geste de méditation dont il existe quelques variantes. Les yeux sont fermés ou mi-clos, le regard détendu, dirigé vers le bas, dans le prolongement de l’arête nasale. Le support de concentration le plus courant est le souffle. La méditation consiste à poser son attention sur la respiration, sans la transformer, sans tension ni effort. Si vous-mêmes faites cet exercice pendant quelques minutes, il est fort probable que très rapidement, des pensées vont surgir dans votre esprit. Ces pensées vont tellement vous absorber que vous mettrez un certain temps avant de prendre conscience que votre attention a quitté votre souffle, que vous êtes « parti ». Et au même instant, vous réaliserez que pendant ce temps, vous étiez distrait mais n’aviez pas conscience de l’être. Lorsque le méditant prend ainsi conscience qu’il s’est laissé entraîner par ses pensées, et que son attention a quitté le souffle, il a pour consigne de « lâcher » ce train de pensées, puis de ramener doucement l’attention sur le souffle. Ce « geste intérieur », caractéristique de shamatha, consistant à abandonner les pensées au lieu de les poursuivre, est essentiel dans l’entraînement méditatif. Cessant de s’éparpiller dans le passé et l’avenir, le méditant dépose ses préoccupations et objectifs pour se rassembler ici, dans son corps, dans le présent. En s’entraînant ainsi de manière régulière, il devient capable d’une concentration de plus en plus soutenue, analogue à celle qui est nécessaire pour « traverser un torrent sur un pont fait d’un seul tronc d’arbre », ou encore « transporter un récipient empli d’eau sans en renverser une seule goutte ». Dans le même temps, l’esprit s’apaise. D’abord semblable à une cascade, il devient comme un torrent, puis comme une rivière. Dès lors, les conditions sont réunies pour pratiquer vipashyanâ.
Vipashyanâ, la « vision pénétrante », consiste à appliquer l'attention aiguisée par shamatha au flux des phénomènes ainsi apaisé. Alors que dans shamatha, l’attention est focalisée sur un seul point, dans vipashyanâ, elle s’ouvre largement : elle se porte d’abord sur les sensations corporelles, pour s’étendre progressivement à tout ce qui se produit, sans chercher à le refouler ou le maintenir, ou à générer un état particulier. Cette attention ouverte et néanmoins très fine est réceptive : il ne s'agit pas de se tendre vers les phénomènes pour les scruter et les identifier, mais de les accueillir, avec bienveillance. Contrairement à ce que le terme « vision » pourrait laisser supposer, vipashyanâ ne consiste pas à observer l’expérience comme on observe un objet extérieur. Il ne s’agit pas de prendre de la distance pour la regarder, mais au contraire d’entrer en contact avec elle, de la ressentir, de l’éprouver.
Le plus souvent, le méditant novice est d’abord surpris par l’importance de son bavardage intérieur. Il découvre aussi, accompagnant cette rumeur incessante, un flot rapide de « films » intérieurs, joués et rejoués sans relâche, qui contribuent à entretenir un flux d’émotions rarement interrompu. La pratique méditative consiste à y rester présent. Il ne s’agit pas d’arrêter les pensées, comme on a pu le dire, mais de rester conscient des pensées qui apparaissent. Si par exemple le souvenir d’une situation désagréable surgit, et qu’il génère spontanément un train de commentaires négatifs, il ne s’agit pas d’inhiber cette réaction, mais de ne pas se laisser emporter par elle sans même le remarquer, comme c’est ordinairement le cas. Cessant de se perdre, le méditant apprend peu à peu à rester au plus près, au centre de son expérience. Le terme « méditation » est en ce sens parfaitement adapté : le méditant est celui qui se tient au milieu.
Plus l’attention du méditant s’ouvre et s’affine, plus les tensions ordinairement inaperçues dont il prend conscience sont subtiles. Si par exemple une émotion de tristesse apparaît, et qu’une tension s’interpose pour l’éviter, il la reconnaît rapidement. La tension étant reconnue pour ce qu’elle est, elle se dissout, ce qui lui permet d’entrer en contact avec la « texture » particulière de cette expérience. Lorsqu’il cesse de s’en protéger, l’accepte, la tristesse perd sa solidité, sa lourdeur. Le méditant découvre ainsi qu’il est possible de s’ouvrir et d’entrer en relation, de manière précise et douce, avec toute expérience, même douloureuse. Ce contact le rassemble, lui rend son intégrité. Son espace vital se décloisonne, se désencombre, se libère.
Depuis une vingtaine d’années, la méditation bouddhiste connaît en Occident un engouement considérable. Dans les années 1970, il était difficile de trouver un enseignant de méditation ou un ouvrage sur le sujet. Mais aujourd’hui, les publications se multiplient. Des enseignants de méditation qualifiés de toutes les traditions bouddhistes propo*sent des conférences, stages et retraites dont la fréquentation est en augmentation constante. Sous le nom de « pleine conscience », la pratique de la méditation se répand jusque dans les hôpitaux et les écoles. Un autre indice révélateur de cet intérêt est l’accélération des recherches scientifiques sur ses effets. Mais qu’est-ce au juste que la méditation ? Une méthode thérapeutique ? Une voie de connaissance, un art de pensée ? Un art de vivre ? En quoi consiste cette pratique ?
Le terme sanskrit que l’on traduit par « méditation » signifie « entraînement ». Méditer, c’est s’entraîner à voir « les choses comme elles sont ». Il s’agit de reconnaître et d’entrer en relation avec ce qui est là : l’expérience que nous vivons, instant après instant. Mais comment se fait-il qu’un tel entraînement soit nécessaire ? Notre expérience n’est-elle pas ce qui est le plus proche de nous, le plus intime ? Qu’est-ce qui pourrait nous y rendre aveugles ? Pourtant, ce que le méditant découvre, et n’en finit pas de découvrir au fil de sa pratique, c’est ce fait incompréhensible et choquant : son expérience lui échappe, il y est absent.
Accéder à la « pleine conscience »
La première cause d’absence est ce que l’on appelle aujourd’hui la « dérive attentionnelle ». Combien de fois nous arrive-t-il de réaliser, arrivés au bas d’une page, que nous l’avons lue sans la lire, ou arrivés à destination, que nous avons été « absents » à la plus grande partie du voyage ? Comme des études récentes le montrent (1), nous passons au moins la moitié de notre temps à quitter la situation que nous sommes en train de vivre pour rejouer en pensée des scènes du passé ou nous projeter dans l’avenir, sans même nous en rendre compte. Un mot, une odeur, trois notes suffisent à nous emporter. Mais même lorsque nous ne sommes pas ainsi égarés dans le passé ou dans l’avenir, nous nous coupons de notre expérience immédiate de multiples manières. L’une d’elles consiste à glisser vers des registres abstraits : commentaires, jugements ou justifications qui nous éloignent de ce que nous éprouvons concrètement ici et maintenant. Bien souvent, ce sont de subtiles tensions qui font écran à l’expérience immédiate. Si par exemple nous éprouvons une douleur ou une émotion désagréable, nous cherchons immédiatement à nous en protéger, et sans même nous en rendre compte interposons subrepticement une tension pour éviter de la ressentir. Si au contraire nous rencontrons une expérience agréable, nous nous efforçons de la maintenir, par une subtile anticipation qui nous empêche d’y être complètement présents. La tension vers un objectif ou l’absorption dans un contenu, en créant un étroit tunnel attentionnel, jouent aussi un rôle occultant. Par exemple au cours d’une conversation, absorbés dans le contenu de l’échange, nous n’avons pas clairement conscience des émotions qu’il suscite en nous. Si nous marchons pour nous rendre à un rendez-vous, nous ne sommes pas conscients des sensations corporelles que suscite la marche. Absorbés dans notre activité professionnelle, nous ne remarquons pas les tensions physiques et signes de fatigue qui s’installent, et en prenons conscience seulement lorsque nous sommes épuisés. Même les raisons de nos décisions échappent en grande partie à notre conscience (2). Nous passons notre temps à nous quitter nous-mêmes, à nous perdre.
En quoi consiste l’entraînement méditatif ?
Les techniques bouddhistes de méditation ont toutes le même but : apprendre à arrêter de se quitter soi-même, à revenir à soi. Elles se divisent en deux groupes : shamatha et vipashyanâ (7), pour reprendre les termes de la langue sanskrite qui était celle du Bouddha.
Shamatha est la pratique du « calme mental ». Elle a pour objectif d’apaiser le flot des pensées grâce à la concentration de l’esprit sur un unique objet. La posture du corps est importante car elle a une incidence directe sur la clarté et la stabilité de l’esprit. Elle consiste à se tenir assis le dos bien droit, la tête droite, le menton légèrement rentré. Le méditant peut être assis sur un coussin de méditation, les jambes disposées en lotus ou en demi-lotus, mais aussi sur une chaise, pieds posés à plat sur le sol. Les mains sont disposées soit sur les genoux, soit dans un geste de méditation dont il existe quelques variantes. Les yeux sont fermés ou mi-clos, le regard détendu, dirigé vers le bas, dans le prolongement de l’arête nasale. Le support de concentration le plus courant est le souffle. La méditation consiste à poser son attention sur la respiration, sans la transformer, sans tension ni effort. Si vous-mêmes faites cet exercice pendant quelques minutes, il est fort probable que très rapidement, des pensées vont surgir dans votre esprit. Ces pensées vont tellement vous absorber que vous mettrez un certain temps avant de prendre conscience que votre attention a quitté votre souffle, que vous êtes « parti ». Et au même instant, vous réaliserez que pendant ce temps, vous étiez distrait mais n’aviez pas conscience de l’être. Lorsque le méditant prend ainsi conscience qu’il s’est laissé entraîner par ses pensées, et que son attention a quitté le souffle, il a pour consigne de « lâcher » ce train de pensées, puis de ramener doucement l’attention sur le souffle. Ce « geste intérieur », caractéristique de shamatha, consistant à abandonner les pensées au lieu de les poursuivre, est essentiel dans l’entraînement méditatif. Cessant de s’éparpiller dans le passé et l’avenir, le méditant dépose ses préoccupations et objectifs pour se rassembler ici, dans son corps, dans le présent. En s’entraînant ainsi de manière régulière, il devient capable d’une concentration de plus en plus soutenue, analogue à celle qui est nécessaire pour « traverser un torrent sur un pont fait d’un seul tronc d’arbre », ou encore « transporter un récipient empli d’eau sans en renverser une seule goutte ». Dans le même temps, l’esprit s’apaise. D’abord semblable à une cascade, il devient comme un torrent, puis comme une rivière. Dès lors, les conditions sont réunies pour pratiquer vipashyanâ.
Vipashyanâ, la « vision pénétrante », consiste à appliquer l'attention aiguisée par shamatha au flux des phénomènes ainsi apaisé. Alors que dans shamatha, l’attention est focalisée sur un seul point, dans vipashyanâ, elle s’ouvre largement : elle se porte d’abord sur les sensations corporelles, pour s’étendre progressivement à tout ce qui se produit, sans chercher à le refouler ou le maintenir, ou à générer un état particulier. Cette attention ouverte et néanmoins très fine est réceptive : il ne s'agit pas de se tendre vers les phénomènes pour les scruter et les identifier, mais de les accueillir, avec bienveillance. Contrairement à ce que le terme « vision » pourrait laisser supposer, vipashyanâ ne consiste pas à observer l’expérience comme on observe un objet extérieur. Il ne s’agit pas de prendre de la distance pour la regarder, mais au contraire d’entrer en contact avec elle, de la ressentir, de l’éprouver.
Le plus souvent, le méditant novice est d’abord surpris par l’importance de son bavardage intérieur. Il découvre aussi, accompagnant cette rumeur incessante, un flot rapide de « films » intérieurs, joués et rejoués sans relâche, qui contribuent à entretenir un flux d’émotions rarement interrompu. La pratique méditative consiste à y rester présent. Il ne s’agit pas d’arrêter les pensées, comme on a pu le dire, mais de rester conscient des pensées qui apparaissent. Si par exemple le souvenir d’une situation désagréable surgit, et qu’il génère spontanément un train de commentaires négatifs, il ne s’agit pas d’inhiber cette réaction, mais de ne pas se laisser emporter par elle sans même le remarquer, comme c’est ordinairement le cas. Cessant de se perdre, le méditant apprend peu à peu à rester au plus près, au centre de son expérience. Le terme « méditation » est en ce sens parfaitement adapté : le méditant est celui qui se tient au milieu.
Plus l’attention du méditant s’ouvre et s’affine, plus les tensions ordinairement inaperçues dont il prend conscience sont subtiles. Si par exemple une émotion de tristesse apparaît, et qu’une tension s’interpose pour l’éviter, il la reconnaît rapidement. La tension étant reconnue pour ce qu’elle est, elle se dissout, ce qui lui permet d’entrer en contact avec la « texture » particulière de cette expérience. Lorsqu’il cesse de s’en protéger, l’accepte, la tristesse perd sa solidité, sa lourdeur. Le méditant découvre ainsi qu’il est possible de s’ouvrir et d’entrer en relation, de manière précise et douce, avec toute expérience, même douloureuse. Ce contact le rassemble, lui rend son intégrité. Son espace vital se décloisonne, se désencombre, se libère.
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