Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Diderot : Un philosophe transgenre ?

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Diderot : Un philosophe transgenre ?

    Hostile à l’esprit de système, Diderot ose tous les genres : essai, entretien, dialogue, théâtre, réfutation ou articles de l’Encyclopédie… Il brouille les distinctions entre le corps et l’âme, entre les espèces et même, plus étonnant, entre les hommes et les femmes. Une conception « transgenre » au sens le plus actuel.

    Denis Diderot n’est pas le philosophe d’un genre ; à l’instar des penseurs de son temps, il hait les systèmes et l’esprit de système. Et quoi de mieux pour lutter contre l’esprit de système que de montrer par l’exemple qu’il faut oser tous les genres. Comme Diderot ne se bat pas à l’épée mais à la plume, il vole effectivement dans les plumes de ses adversaires dogmatiques en s’essayant à tous les genres : le corpus de Diderot fourmille de textes extrêmement variés souvent en tension les uns par rapport aux autres ou en tension par rapport aux ouvrages d’autres penseurs. Toute son œuvre est, à l’instar de la stratégie subversive de l’Encyclopédie, un système subtil de renvois.

    Le style de Diderot est constitué d’une intertextualité qu’il tisse et retisse en multipliant et combinant à l’envi les formes d’écriture : pensées (Pensées philosophiques), interprétations (Interprétation de la nature), promenade (Promenade du sceptique), salons (Salons), essai (Essai sur la peinture), regrets (Regrets sur ma vieille robe de chambre), éloges (Éloge de Richardson), apologies (Apologie de l’abbé de Prades), suppléments (Supplément au Voyage de Bougainville), correspondance (avec Sophie Volland), lettres (Lettre sur les sourds et muets), entretiens (Entretien d’un père avec ses enfants), paradoxes (Paradoxe sur le comédien), dialogues et rêves (Le Rêve de d’Alembert), théâtre (Est-il bon ? Est-il méchant ?), romans (Les Bijoux indiscrets), réfutations (Réfutation suivi de l’ouvrage d’Helvétius intitulé L’Homme), prospectus et articles de l’Encyclopédie, la liste est déjà longue et pourtant loin d’être exhaustive.

    Pourquoi Diderot s’est-il ainsi exercé dans tous les genres ? Sans doute parce que toute sa philosophie est hantée par la peur du dogmatisme, sans doute parce que philosopher pour Diderot signifie avant tout essayer, risquer : « Il vaut encore mieux risquer des conjectures chimériques que d’en laisser perdre d’utiles (1). » Diderot revendique l’extravagance, « car quel autre nom donner à cet enchaînement de conjectures fondées sur des oppositions ou des ressemblances si éloignées, si imperceptibles, que les rêves d’un malade ne paraissent ni plus bizarres ni plus décousus (2) ? »

    L’œuvre de Diderot où il laisse libre cours, avec le plus de virtuosité, aux extravagances, aux rêves d’un malade, est sans aucun doute Le Rêve de d’Alembert (3) qui met en scène le personnage de d’Alembert rêvant et délirant. La philosophie de Diderot y est véritablement transgenre, hors norme, fricote entre les normes : entre le corps et l’âme, entre les êtres, entre les espèces, entre les règnes, entre les figures du moi et même entre les sexes.

    La continuité des règnes

    Dans ces dialogues extraordinairement vivants, Diderot décline sa philosophie de l’interpénétration au gré de la transsubstantiation immanente et permanente du vivant qui se nourrit du vivant. Dans l’entretien entre d’Alembert et Diderot, le personnage Diderot explique au personnage d’Alembert que la chair et l’âme s’interpénètrent, que les êtres s’interpénètrent, que les espèces s’interpénètrent, que les règnes s’interpénètrent et que tout cela se fait par un acte simple, l’acte de manger : « Car en mangeant, que faites-vous ? Vous levez les obstacles qui s’opposaient à la sensibilité active de l’aliment. Vous l’assimilez à vous-même, vous en faites de la chair ; vous l’animalisez ; vous le rendez sensible (4). » Le phénomène de la nutrition permet ainsi de penser l’unité et la continuité des règnes : les végétaux se nourrissent de minéraux, les animaux de végétaux et, par la mort, toutes les molécules organiques en masse dans un corps humain ou animal ou dans une plante se dispersent et rejoignent ce que Diderot appelle « le grand sédiment inerte » qui fournit les aliments minéraux des plantes.

    Est-il alors justifié de distinguer trois règnes ?

    Non, car « toute chose est plus ou moins une chose quelconque, plus ou moins terre, plus ou moins eau, plus ou moins air, plus ou moins feu ; plus ou moins d’un règne ou d’un autre (5) ». Ainsi, pour Diderot, le savoir, le monde est héraclitéen, mais aussi la nature, l’écriture et même l’individu : « Vivant, j’agis et je réagis en masse… Mort, j’agis et je réagis en molécules… Je ne meurs donc point ? Non, sans doute, je ne meurs point en ce sens, ni moi, ni quoi que ce soit… Naître, vivre et passer, c’est changer de formes (6). » On tient peut-être ici, dans cette parole de d’Alembert rêvant, la raison des diverses formes d’écriture de Diderot. En effet, si le mouvement héraclitéen contamine même le moi, comment mieux l’exprimer sinon par l’acte de changer de formes ? Qui dit moi multiple, dit voix multiple, dit écriture multiple.

    Dans Le Rêve de d’Alembert, la polygraphie de Diderot devient polyphonie : la voix de Diderot se mêle à celle des autres et, bien sûr, comme dans les rêves, sa voix est toutes les autres. La question – qui parle ? – n’a plus de pertinence. Chaque personnage est tous les autres ou peut l’être puisque même la différence sexuelle est annulée dans le dénominateur commun du monstre et par l’opération d’inversion. Quand mademoiselle de Lespinasse dit : « L’homme n’est peut-être que le monstre de la femme et la femme le monstre de l’homme », Bordeu réplique : « Cette idée vous serait venue bien plus vite encore, si vous eussiez su que la femme a toutes les parties de l’homme, et que la seule différence qu’il y ait est celle d’une bourse pendante en dehors, ou d’une bourse retournée en dedans (7). »

    C’est sans doute dans cette liberté de penser un sexe protéiforme qui, à l’envers ou à l’endroit, se montre ou « se monstre » en homme ou en femme, que Diderot est un philosophe transgenre au sens le plus actuel du terme.

    NOTES :
    (1) D. Diderot, « Encyclopédie », in D; Diderot et J. d’Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, t. V, Briasson, David, Le Breton et Durand, 35 vol., 1751-1780.
    (2) D. Diderot, Pensées sur l’interprétation de la nature, 1753, rééd. Flammarion, coll. « GF », 2006.
    (3) Le Rêve de d’Alembert regroupe les trois dialogues de 1769, publiés de manière posthume en 1830.
    (4) D. Diderot, Le Rêve de d’Alembert, 1769, rééd. Flammarion, coll. « GF », 2002.
    (5) Ibid.
    (6) Ibid.
    (7) Ibid.

    Sciences humaines


    Denis Diderot (1713-1784)
    Né à Langres, Denis Diderot y fait ses études chez les jésuites avant de poursuivre à Paris où il est reçu maître ès arts de l’université en 1732. Jusqu’en 1745, il mène une vie de bohème, va dans les cafés, lit beaucoup, fait des dettes, exerce différents métiers. Diderot rencontre Étienne de Condillac en 1744 (discussions sur la critique des systèmes et sur l’origine des idées). En 1746, il publie anonymement Pensées philosophiques. Avec Jean Le Rond d’Alembert, il s’engage dans le projet de traduction de la Cyclopedia d’Ephraïm Chambers, projet qui se transformera en la publication de l’Encyclopédie (17 volumes de texte de 1751 à 1765 et 11 volumes de planches de 1762 à 1772). En 1749, il publie anonymement la Lettre sur les aveugles qui lui vaut d’être emprisonné trois mois à Vincennes. De 1750 à 1757, paraissent les sept premiers volumes de l’Encyclopédie mais en 1758-1759 celle-ci est interdite. Malgré la démission de d’Alembert, Diderot ne lâche pas prise et les 10 derniers volumes de texte paraîtront en 1765. Il mène de front une activité intense d’écriture et rédige des ouvrages dans tous les genres : un roman La Religieuse, des critiques sur la peinture (Essais sur la peinture, 1765, les Salons 1761, 1763, 1765, 1767, 1769), des dialogues (Le Rêve de d’Alembert, 1769), des entretiens (Entretien d’un père avec ses enfants), des essais (Principes philosophiques sur la matière et le mouvement). En 1773 et 1774, il voyage en Russie où il est reçu à la cour de Catherine II. De retour à Paris, Diderot recommence à écrire et à travailler d’arrache-pied, publiant aussi bien du théâtre Est-il bon ? Est-il méchant ? (1781) que des essais (Éléments de physiologie, Essai sur les règnes de Claude et de Néron, 1782). Il meurt en 1784, à l’âge de 71 an

  • #2
    C'est joli Langres, un petit Carcassonne...

    C'est entouré de fortifications et c'est en hauteur...

    Commentaire


    • #3
      ..........
      Dernière modification par absente, 10 septembre 2015, 19h31.

      Commentaire


      • #4
        nannou, Denis Diderot, j'ai étudié au collège, j'ai aimé car ce philosophe avait une approche atypique...

        Commentaire


        • #5
          ...........
          Dernière modification par absente, 10 septembre 2015, 19h27.

          Commentaire


          • #6
            nannou, moi j'ai beaucoup aimé Denis Diderot car j'ai une vision du monde...assez atypique, je suis anti-conformiste et je me méfie de l'effet de masse et du bêlement des moutons...

            Commentaire

            Chargement...
            X