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La Bulgarie, avant et après, dans la perception des générations qui vécurent le tsunami capitaliste : extrait d’un article publié dans Political Affairs, revue en ligne du Parti Communiste des USA, sous la signature abrégée : FS. Une adaptation raccourcie a été publiée dans le numéro 2 de la revue « Unir les Communistes ». Traduction AQ. Mis en ligne le 5 mars 2014. Texte original ici : An experiment in living socialism: Bulgaria then and now
« Le Manifeste du Parti Communiste pourrait être lu aujourd'hui comme s'il avait été rédigé il y a quelques semaines ... L'expérience de l'Europe de l'Est et du Tiers-Monde montre le besoin vital d'une gauche universaliste en tant que véritable alternative aux nouvelles formes de barbarie. » [1]
Jeter les bases d'une « histoire des peuples » du socialisme 1.0
Dans cette conjoncture critique, étant donné l’urgence actuelle, il est temps pour la gauche de prêter une attention nouvelle à l'expérience socialiste qui eut lieu en Europe de l'Est. Il faut la réexaminer en profondeur pour déterminer tout ce qui, dans la gauche radicale d'Amérique du Nord, d'Europe et d'ailleurs, était progressiste et efficace, dans les ex-économies du « socialisme-réel » en Europe de l'Est – en particulier les États socialistes de petite dimension comme la Bulgarie- ainsi que leurs faiblesses, erreurs, contradictions et les myriades de problèmes engendrés par l'impact durable de la Guerre froide.
Les pays socialistes sont devenus le « champ d'essai d'une forme extrêmement agressive d'ingénierie sociale néolibérale », dans une tentative plus large d'imposer un bouleversement du paradigme social. [2]»
Nous sommes en train d’assister à une métamorphose des paradigmes politiques et économiques, par l’action du FMI, de l’UE- avec l’aide d’une bourgeoisie compradore de nouveaux riches et d’une clique d’oligarques - qui a transformé la plus grande partie du continent postsocialiste en un grand hospice de pauvres.
Des chercheurs défendent la thèse que le tsunami néocolonial au lendemain de la guerre froide a amené des versions ultra-capitalistes du néo-libéralisme dans les pays d’Europe de l’Est, avec des conséquences dévastatrices pour l’éducation et la protection sociale. [3] L’ironie de l’histoire bourgeoise – ou peut-être sa « ruse de la Raison » dans le sens classique hégélien du terme – étant que les réussites majeures du socialisme “réellement existant” du 20e siècle sont devenues ce pour quoi combattent les gens aujourd’hui, sous un capitalisme d’austérité.
Ma thèse centrale est la suivante: les récits des gens ordinaires qui ont grandi sous le socialisme et qui désormais vivent et travaillent dans des sociétés postsocialistes, au beau milieu de l’anomie généralisée et d’une sévère pauvreté, leur dignité piétinée, doivent être collectés, discutés et largement diffusés. Cela fournira le procès verbal d’une expérience authentique et d’une mémoire radicale de la réalité même.
De tels récits peuvent préciser notre vision du “socialisme démocratique” du 21e siècle. Un tel projet devrait être orienté vers une histoire orale et une enquête biographique, examinant ce qu’était réellement la vie dans ces États, telle qu’elle était vue par des citoyens ordinaires survivants aujourd’hui dans le chaos du capitalisme restauré.
On défend ici la thèse que la restauration des économies de marché et la démocratie bourgeoise à travers l’Europe de l’Est, avec la massive dé-collectivisation de l’agriculture et la privation de l’industrie, ont saccagé la dignité humaine et détruit les acquis de la protection sociale du « socialisme réel » obtenus pendant de nombreuses décennies.
La colonisation économique et idéologique de la part de l’Occident s’est intensifiée à une échelle massive pour la vaste majorité des familles qui travaillent. Récemment, un auteur a observé que:
"Le démantèlement du socialisme a été, en un mot, une catastrophe, une immense escroquerie qui n’a non seulement rien apporté de ce qui était promis, mais qui a en outre semé un mal irréparable....D’innombrables voix en Russie, Roumanie, Allemagne de l’Est et ailleurs se lamentent sur ce qu’il leur a été volé – et à l’humanité dans son ensemble: « Nous vivions mieux sous le communisme. Nous avions du travail. Nous avions la sécurité. »" [4]
Parlant du “socialisme 2.0” pour le 21e siècle, Peter Mertens, président du Parti des Travailleurs de Belgique, faisait remarquer en, 2012 dans une interview: "Nous ne sommes pas non plus dans le cas de tout ignorer du sujet ou de devoir commencer à partir d'une feuille vierge. Il y a eu des expériences, il y a eu un socialisme 1.0, avec ses points forts et ses points faibles, avec ses réalisations fantastiques, mais aussi avec ses graves erreurs. Et nous vivons à une époque différente."
La Guerre froide est finie, cependant elle persiste chez certains socialistes dans une sorte de temps idéologique biaisé. Pour forger l’unité de la gauche, les débats sur la question de la manière de construire un large parti marxiste ont besoin d’un « contre-champ » empirique sur ce qu’était le vécu réel des travailleurs et des familles ordinaires des pays socialistes d’Europe de l’Est, et leur vécu actuel au prises avec le chaos des contradictions du capitalisme restauré dans ces mêmes sociétés.
Leurs histoires authentiques - ancrées dans l’histoire et la mémoire – sont pertinentes pour la lutte actuelle et reflètent les réalités d’autrefois, qui ont aujourd’hui été vidées de leur sens, et dont de nombreux socialistes nord-américains semblent être remarquablement inconscients. Mais c’est précisément ce contraste entre hier et aujourd’hui dans les sociétés postsocialistes d’Europe de l’Est qui est hautement instructif.
Nous pouvons apprendre beaucoup des réalisations passées telles qu’elles étaient expérimentées et vécues. Cela peut servir à neutraliser le "danger d’une histoire unique" dans nos conceptions persistantes de ce qu’était (et n’était pas) le socialisme en Europe de l’Est.
La Bulgarie : un pays exemplaire de la chute libre postsocialiste
Aujourd’hui, en 2013, l’économie bulgare est traversée de contradictions massives sous l’effet de la « thérapie de choc » du capitalisme néolibéral.
La Bulgarie est aujourd’hui l’Etat postsocialiste au plus bas revenu, avec les plus hauts niveaux d’émigration, reflétant la « course vers le bas » du capitalisme en UE. Comme l’a noté un chercheur en 2009:
"L’incapacité du capitalisme à améliorer les niveaux de vie, à imposer l’autorité de la loi, à endiguer une corruption et un népotisme florissants, a entraîné la nostalgie du temps où le taux de chômage était de zéro, la nourriture était bon marché et la protection sociale solide ".[5]
De nombreux Bulgares nés dans les années 1970 ou avant voient la période socialiste comme un "âge d’or" par rapport à l’époque actuelle.
Il y a une blague populaire bulgare qui circule où il est question d'une femme qui se réveille pendant la nuit et court dans toute la maison, regardant dans l’armoire à pharmacie, le réfrigérateur et enfin à travers la fenêtre donnant sur la rue. Soulagée, elle se remet au lit. Son mari lui demande "Qu’est ce qui ne va pas?" "J’ai fait un terrible cauchemar," dit-elle. "J’ai rêvé que nous pouvions nous payer des médicaments, que le réfrigérateur était complètement rempli et que les rues étaient sûres et propres. "Mais comment cela peut-il être un cauchemar?" demande le mari. La femme hoche la tête, "Je pensais que les communistes étaient revenus au pouvoir.” [6]
Une part considérable de la population bulgare de plus de 40 ans demeure convaincue qu’il y a 25-35 ans, le système de protection socialiste en Bulgarie offrait les biens et les services essentiels à la plupart des familles dans un système largement égalitaire fermement enraciné dans le développement économique, et l'accès à des prestations sociales universelles.
Une recherche plus empirique est nécessaire, dont une enquête qualitative sur « la subjectivité et la mémoire des travailleurs postsocialistes, » des analyses sur « l’histoire orale du socialisme réel », des études biographiques à utiliser comme un traceur lumineux pour éclairer les réalités du passé social communautaire. Rien n’est tout noir ou tout blanc, et chaque point évoqué peut être exploré davantage. Une très faible minorité de Bulgares privilégiés ou beaucoup plus jeunes seront bien évidemment en désaccord.[7]
Les récits bulgares peuvent être complétées par des histoires venant de Russie, d’Ukraine, de Roumanie, de Serbie et d’ailleurs.
La Bulgarie, avant et après, dans la perception des générations qui vécurent le tsunami capitaliste : extrait d’un article publié dans Political Affairs, revue en ligne du Parti Communiste des USA, sous la signature abrégée : FS. Une adaptation raccourcie a été publiée dans le numéro 2 de la revue « Unir les Communistes ». Traduction AQ. Mis en ligne le 5 mars 2014. Texte original ici : An experiment in living socialism: Bulgaria then and now
« Le Manifeste du Parti Communiste pourrait être lu aujourd'hui comme s'il avait été rédigé il y a quelques semaines ... L'expérience de l'Europe de l'Est et du Tiers-Monde montre le besoin vital d'une gauche universaliste en tant que véritable alternative aux nouvelles formes de barbarie. » [1]
Jeter les bases d'une « histoire des peuples » du socialisme 1.0
Dans cette conjoncture critique, étant donné l’urgence actuelle, il est temps pour la gauche de prêter une attention nouvelle à l'expérience socialiste qui eut lieu en Europe de l'Est. Il faut la réexaminer en profondeur pour déterminer tout ce qui, dans la gauche radicale d'Amérique du Nord, d'Europe et d'ailleurs, était progressiste et efficace, dans les ex-économies du « socialisme-réel » en Europe de l'Est – en particulier les États socialistes de petite dimension comme la Bulgarie- ainsi que leurs faiblesses, erreurs, contradictions et les myriades de problèmes engendrés par l'impact durable de la Guerre froide.
Les pays socialistes sont devenus le « champ d'essai d'une forme extrêmement agressive d'ingénierie sociale néolibérale », dans une tentative plus large d'imposer un bouleversement du paradigme social. [2]»
Nous sommes en train d’assister à une métamorphose des paradigmes politiques et économiques, par l’action du FMI, de l’UE- avec l’aide d’une bourgeoisie compradore de nouveaux riches et d’une clique d’oligarques - qui a transformé la plus grande partie du continent postsocialiste en un grand hospice de pauvres.
Des chercheurs défendent la thèse que le tsunami néocolonial au lendemain de la guerre froide a amené des versions ultra-capitalistes du néo-libéralisme dans les pays d’Europe de l’Est, avec des conséquences dévastatrices pour l’éducation et la protection sociale. [3] L’ironie de l’histoire bourgeoise – ou peut-être sa « ruse de la Raison » dans le sens classique hégélien du terme – étant que les réussites majeures du socialisme “réellement existant” du 20e siècle sont devenues ce pour quoi combattent les gens aujourd’hui, sous un capitalisme d’austérité.
Ma thèse centrale est la suivante: les récits des gens ordinaires qui ont grandi sous le socialisme et qui désormais vivent et travaillent dans des sociétés postsocialistes, au beau milieu de l’anomie généralisée et d’une sévère pauvreté, leur dignité piétinée, doivent être collectés, discutés et largement diffusés. Cela fournira le procès verbal d’une expérience authentique et d’une mémoire radicale de la réalité même.
De tels récits peuvent préciser notre vision du “socialisme démocratique” du 21e siècle. Un tel projet devrait être orienté vers une histoire orale et une enquête biographique, examinant ce qu’était réellement la vie dans ces États, telle qu’elle était vue par des citoyens ordinaires survivants aujourd’hui dans le chaos du capitalisme restauré.
On défend ici la thèse que la restauration des économies de marché et la démocratie bourgeoise à travers l’Europe de l’Est, avec la massive dé-collectivisation de l’agriculture et la privation de l’industrie, ont saccagé la dignité humaine et détruit les acquis de la protection sociale du « socialisme réel » obtenus pendant de nombreuses décennies.
La colonisation économique et idéologique de la part de l’Occident s’est intensifiée à une échelle massive pour la vaste majorité des familles qui travaillent. Récemment, un auteur a observé que:
"Le démantèlement du socialisme a été, en un mot, une catastrophe, une immense escroquerie qui n’a non seulement rien apporté de ce qui était promis, mais qui a en outre semé un mal irréparable....D’innombrables voix en Russie, Roumanie, Allemagne de l’Est et ailleurs se lamentent sur ce qu’il leur a été volé – et à l’humanité dans son ensemble: « Nous vivions mieux sous le communisme. Nous avions du travail. Nous avions la sécurité. »" [4]
Parlant du “socialisme 2.0” pour le 21e siècle, Peter Mertens, président du Parti des Travailleurs de Belgique, faisait remarquer en, 2012 dans une interview: "Nous ne sommes pas non plus dans le cas de tout ignorer du sujet ou de devoir commencer à partir d'une feuille vierge. Il y a eu des expériences, il y a eu un socialisme 1.0, avec ses points forts et ses points faibles, avec ses réalisations fantastiques, mais aussi avec ses graves erreurs. Et nous vivons à une époque différente."
La Guerre froide est finie, cependant elle persiste chez certains socialistes dans une sorte de temps idéologique biaisé. Pour forger l’unité de la gauche, les débats sur la question de la manière de construire un large parti marxiste ont besoin d’un « contre-champ » empirique sur ce qu’était le vécu réel des travailleurs et des familles ordinaires des pays socialistes d’Europe de l’Est, et leur vécu actuel au prises avec le chaos des contradictions du capitalisme restauré dans ces mêmes sociétés.
Leurs histoires authentiques - ancrées dans l’histoire et la mémoire – sont pertinentes pour la lutte actuelle et reflètent les réalités d’autrefois, qui ont aujourd’hui été vidées de leur sens, et dont de nombreux socialistes nord-américains semblent être remarquablement inconscients. Mais c’est précisément ce contraste entre hier et aujourd’hui dans les sociétés postsocialistes d’Europe de l’Est qui est hautement instructif.
Nous pouvons apprendre beaucoup des réalisations passées telles qu’elles étaient expérimentées et vécues. Cela peut servir à neutraliser le "danger d’une histoire unique" dans nos conceptions persistantes de ce qu’était (et n’était pas) le socialisme en Europe de l’Est.
La Bulgarie : un pays exemplaire de la chute libre postsocialiste
Aujourd’hui, en 2013, l’économie bulgare est traversée de contradictions massives sous l’effet de la « thérapie de choc » du capitalisme néolibéral.
La Bulgarie est aujourd’hui l’Etat postsocialiste au plus bas revenu, avec les plus hauts niveaux d’émigration, reflétant la « course vers le bas » du capitalisme en UE. Comme l’a noté un chercheur en 2009:
"L’incapacité du capitalisme à améliorer les niveaux de vie, à imposer l’autorité de la loi, à endiguer une corruption et un népotisme florissants, a entraîné la nostalgie du temps où le taux de chômage était de zéro, la nourriture était bon marché et la protection sociale solide ".[5]
De nombreux Bulgares nés dans les années 1970 ou avant voient la période socialiste comme un "âge d’or" par rapport à l’époque actuelle.
Il y a une blague populaire bulgare qui circule où il est question d'une femme qui se réveille pendant la nuit et court dans toute la maison, regardant dans l’armoire à pharmacie, le réfrigérateur et enfin à travers la fenêtre donnant sur la rue. Soulagée, elle se remet au lit. Son mari lui demande "Qu’est ce qui ne va pas?" "J’ai fait un terrible cauchemar," dit-elle. "J’ai rêvé que nous pouvions nous payer des médicaments, que le réfrigérateur était complètement rempli et que les rues étaient sûres et propres. "Mais comment cela peut-il être un cauchemar?" demande le mari. La femme hoche la tête, "Je pensais que les communistes étaient revenus au pouvoir.” [6]
Une part considérable de la population bulgare de plus de 40 ans demeure convaincue qu’il y a 25-35 ans, le système de protection socialiste en Bulgarie offrait les biens et les services essentiels à la plupart des familles dans un système largement égalitaire fermement enraciné dans le développement économique, et l'accès à des prestations sociales universelles.
Une recherche plus empirique est nécessaire, dont une enquête qualitative sur « la subjectivité et la mémoire des travailleurs postsocialistes, » des analyses sur « l’histoire orale du socialisme réel », des études biographiques à utiliser comme un traceur lumineux pour éclairer les réalités du passé social communautaire. Rien n’est tout noir ou tout blanc, et chaque point évoqué peut être exploré davantage. Une très faible minorité de Bulgares privilégiés ou beaucoup plus jeunes seront bien évidemment en désaccord.[7]
Les récits bulgares peuvent être complétées par des histoires venant de Russie, d’Ukraine, de Roumanie, de Serbie et d’ailleurs.
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