Par Arezki Metref
arezkimetref@********
Seddik S. Larkeche (1) vient de publier une biographie de Messaoud Zeghar intitulée, Si Zeghar, l’iconoclaste algérien, chez Ena Editions. Sous-titre, La Véritable histoire de Rachid Casa.
Ce travail d’investigation, très documenté, consacré à «cet habile homme d’affaires sétifien qui importait des feux d’artifice par bateaux entiers», est le résultat d’une longue enquête au cours de laquelle l’auteur a rencontré les acteurs et les témoins-clés qui ont tissé — ou assisté — à la grandeur et la décadence de Messaoud Zeghar.
Compte tenu du soufre qu’exhale le personnage, l’auteur précise que son livre «n’est ni une requête de la famille Zeghar ni une commande des services de sécurité algériens ou même d’opposants au régime actuel». Soit. Il était moins utile de le préciser que de le démontrer.
Deux remarques à propos du titre et du sous-titre. Le fait d’appeler ce personnage «Si Zeghar», au lieu de Messaoud Zeghar comme il siérait dans un titre neutre, témoigne d’une forme de déférence qui pourrait laisser croire que cette biographie est un plaidoyer. Elle l’est à bien des égards. Ce n’est certes pas une hagiographie, mais les avis critiques sur Zeghar ne sont pas ici aussi importants qu’il conviendrait à une étude de ce genre. L’équilibre critique n’est pas suffisamment observé.
Quant au sous-titre, un brin aguicheur, il écarte de fait les rares ouvrages qui lui sont consacrés, en promettant «la véritable histoire de Rachid Casa». D’ailleurs, l’auteur recense et rectifie les contre-vérités véhiculées sur le compte de Messaoud Zeghar.
Ceci dit, il faut saluer le sérieux de cette recherche étayée de documents inédits. Elle pénètre dans l’opacité des services de renseignements, et dans celle des affaires, les unes et les autres ayant en commun les coups tordus et chausse-trappes d’usage.
Une fois achevée la lecture de cet ouvrage, on a l’impression qu’il s’agit aussi d’un livre sur Boumediène tant l’omniprésence de ce dernier dans le parcours de Zeghar, depuis la fin des années 1950, est patente. Zeghar doit au pouvoir de Boumediène une partie de son éclat, et vraisemblablement, à la mort de ce dernier, son déclin.
Il est vrai que ce «businessman sulfureux et mystérieux», brasseur d’affaires au carrefour des vendeurs d’armes et des services secrets, est peu connu. Du temps du silence inquiet que faisait peser Boumediène sur l’Algérie, on murmurait le nom de Zeghar, à travers des bribes parvenues par la presse étrangère, comme celui d’un mythe propice à toutes les conjectures et rumeurs.
Ainsi en a-t-il été lors de l’enlèvement rocambolesque de Dalila Zeghar, la sœur de Messaoud, réfugiée à Montréal pour vivre son mariage, désapprouvé par la famille, avec Denis Maschino. En 1978 Messaoud Zeghar la faisait enlever déclenchant un tollé sur le plan international. La presse algérienne n’en soufflait mot sinon pour taper sur les ennemis de la Révolution qui distillaient des rumeurs… Affaibli par la maladie qui devait l’emporter dans l’année, Boumediène ne lâcha pas son ami en cette circonstance.
Que le nom de Zeghar reste lié à celui de Boumediène paraît donc justifié par un indéniable compagnonnage et une amitié reconnue par la plupart des proches de Boumediène.
Quand Zeghar vole au secours de Boumediène
Le 26 avril 1968, un officier des CNS tire sur la voiture de Houari Boumediène devant le Palais du gouvernement, à Alger. Porté au pouvoir par le coup de force du 19 juin 1965, le colonel vient d’échapper à la mort. Il en sort avec une éraflure au visage due aux bris de vitre accompagnée d’une dureté renforcée dans sa détermination à anéantir ses rivaux et opposants planqués dans l’appareil militaire et en dehors.
Une photo prise après l’attentat le montre courroucé, pansement au visage chevauchant sa célèbre moustache brosse, le regard dardant l’airain. Tout ce qui allait guider Boumediène était dorénavant fixé dans ses yeux. Un dogme âpre, sourcilleux. Anthropophage !
Les auteurs de l’attentat arrêtés, il ne fut pas difficile d’établir l’identité des commanditaires. Il s’agissait de deux de ses pairs, membres du Conseil de la Révolution, colonels comme lui et même un moment proches compagnons, Tahar Zbiri et Mohamedi Saïd.
Sentant ses rivaux prêts à prendre le pouvoir par le putsch, leur culture commune, Boumediène préféra la fuite temporaire. Il se volatilisa. Pour d’évidentes raisons de sécurité, sa planque fut tenue secrète.
On le disait à l’étranger, sans que personne sache précisément dans quel pays. Son entourage semblait avoir favorisé cette rumeur.
En vérité, il était reclus dans le plus grand secret là où, non seulement il se sentait en sécurité, mais aussi où personne n’aurait songé à venir le chercher, chez son ami Messaoud Zeghar, chemin Poirson, sur les hauteurs d’Alger.
Un ami sûr ? Boumediène, le solitaire, le méfiant, pouvait-il seulement en avoir ? Amin Mohamed, secrétaire général de la présidence de la République sous Boumediène, le côtoya de ce fait quotidiennement pendant des années.
Il témoigna en 1984, lorsque Messaoud Zeghar, victime de la déboumediénisation, fut traîné devant les tribunaux. Il confirma que ce dernier «était l’ami et le confident du président Boumediène».
Dans sa réclusion ultrasecrète au domicile de Zeghar, Boumediène ne recevait, bien entendu, personne, à l’exception de son ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika. Alors qu’Alger bruissait des rumeurs les plus folles, que les chancelleries et officines conjecturaient, pour occuper Boumediène rongeant son frein dans sa villa, Zeghar eut «une de ces idées originales dont il avait le secret».
C’est Seddik S. Larkeche qui rapporte cette séquence.
arezkimetref@********
Seddik S. Larkeche (1) vient de publier une biographie de Messaoud Zeghar intitulée, Si Zeghar, l’iconoclaste algérien, chez Ena Editions. Sous-titre, La Véritable histoire de Rachid Casa.
Ce travail d’investigation, très documenté, consacré à «cet habile homme d’affaires sétifien qui importait des feux d’artifice par bateaux entiers», est le résultat d’une longue enquête au cours de laquelle l’auteur a rencontré les acteurs et les témoins-clés qui ont tissé — ou assisté — à la grandeur et la décadence de Messaoud Zeghar.
Compte tenu du soufre qu’exhale le personnage, l’auteur précise que son livre «n’est ni une requête de la famille Zeghar ni une commande des services de sécurité algériens ou même d’opposants au régime actuel». Soit. Il était moins utile de le préciser que de le démontrer.
Deux remarques à propos du titre et du sous-titre. Le fait d’appeler ce personnage «Si Zeghar», au lieu de Messaoud Zeghar comme il siérait dans un titre neutre, témoigne d’une forme de déférence qui pourrait laisser croire que cette biographie est un plaidoyer. Elle l’est à bien des égards. Ce n’est certes pas une hagiographie, mais les avis critiques sur Zeghar ne sont pas ici aussi importants qu’il conviendrait à une étude de ce genre. L’équilibre critique n’est pas suffisamment observé.
Quant au sous-titre, un brin aguicheur, il écarte de fait les rares ouvrages qui lui sont consacrés, en promettant «la véritable histoire de Rachid Casa». D’ailleurs, l’auteur recense et rectifie les contre-vérités véhiculées sur le compte de Messaoud Zeghar.
Ceci dit, il faut saluer le sérieux de cette recherche étayée de documents inédits. Elle pénètre dans l’opacité des services de renseignements, et dans celle des affaires, les unes et les autres ayant en commun les coups tordus et chausse-trappes d’usage.
Une fois achevée la lecture de cet ouvrage, on a l’impression qu’il s’agit aussi d’un livre sur Boumediène tant l’omniprésence de ce dernier dans le parcours de Zeghar, depuis la fin des années 1950, est patente. Zeghar doit au pouvoir de Boumediène une partie de son éclat, et vraisemblablement, à la mort de ce dernier, son déclin.
Il est vrai que ce «businessman sulfureux et mystérieux», brasseur d’affaires au carrefour des vendeurs d’armes et des services secrets, est peu connu. Du temps du silence inquiet que faisait peser Boumediène sur l’Algérie, on murmurait le nom de Zeghar, à travers des bribes parvenues par la presse étrangère, comme celui d’un mythe propice à toutes les conjectures et rumeurs.
Ainsi en a-t-il été lors de l’enlèvement rocambolesque de Dalila Zeghar, la sœur de Messaoud, réfugiée à Montréal pour vivre son mariage, désapprouvé par la famille, avec Denis Maschino. En 1978 Messaoud Zeghar la faisait enlever déclenchant un tollé sur le plan international. La presse algérienne n’en soufflait mot sinon pour taper sur les ennemis de la Révolution qui distillaient des rumeurs… Affaibli par la maladie qui devait l’emporter dans l’année, Boumediène ne lâcha pas son ami en cette circonstance.
Que le nom de Zeghar reste lié à celui de Boumediène paraît donc justifié par un indéniable compagnonnage et une amitié reconnue par la plupart des proches de Boumediène.
Quand Zeghar vole au secours de Boumediène
Le 26 avril 1968, un officier des CNS tire sur la voiture de Houari Boumediène devant le Palais du gouvernement, à Alger. Porté au pouvoir par le coup de force du 19 juin 1965, le colonel vient d’échapper à la mort. Il en sort avec une éraflure au visage due aux bris de vitre accompagnée d’une dureté renforcée dans sa détermination à anéantir ses rivaux et opposants planqués dans l’appareil militaire et en dehors.
Une photo prise après l’attentat le montre courroucé, pansement au visage chevauchant sa célèbre moustache brosse, le regard dardant l’airain. Tout ce qui allait guider Boumediène était dorénavant fixé dans ses yeux. Un dogme âpre, sourcilleux. Anthropophage !
Les auteurs de l’attentat arrêtés, il ne fut pas difficile d’établir l’identité des commanditaires. Il s’agissait de deux de ses pairs, membres du Conseil de la Révolution, colonels comme lui et même un moment proches compagnons, Tahar Zbiri et Mohamedi Saïd.
Sentant ses rivaux prêts à prendre le pouvoir par le putsch, leur culture commune, Boumediène préféra la fuite temporaire. Il se volatilisa. Pour d’évidentes raisons de sécurité, sa planque fut tenue secrète.
On le disait à l’étranger, sans que personne sache précisément dans quel pays. Son entourage semblait avoir favorisé cette rumeur.
En vérité, il était reclus dans le plus grand secret là où, non seulement il se sentait en sécurité, mais aussi où personne n’aurait songé à venir le chercher, chez son ami Messaoud Zeghar, chemin Poirson, sur les hauteurs d’Alger.
Un ami sûr ? Boumediène, le solitaire, le méfiant, pouvait-il seulement en avoir ? Amin Mohamed, secrétaire général de la présidence de la République sous Boumediène, le côtoya de ce fait quotidiennement pendant des années.
Il témoigna en 1984, lorsque Messaoud Zeghar, victime de la déboumediénisation, fut traîné devant les tribunaux. Il confirma que ce dernier «était l’ami et le confident du président Boumediène».
Dans sa réclusion ultrasecrète au domicile de Zeghar, Boumediène ne recevait, bien entendu, personne, à l’exception de son ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika. Alors qu’Alger bruissait des rumeurs les plus folles, que les chancelleries et officines conjecturaient, pour occuper Boumediène rongeant son frein dans sa villa, Zeghar eut «une de ces idées originales dont il avait le secret».
C’est Seddik S. Larkeche qui rapporte cette séquence.
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