Sadek Hadjeres prône une ouverture sur tous les parlers et sur le...
«Le peuple avili clame la liberté et s’enthousiasme pour elle quand il ressent violemment les pressions qui s’exercent sur sa vie. Mais, ordinairement, il se flatte d’être proche de ses gouvernants et sensible à leurs promesses trompeuses, il leur permet d’avoir un pouvoir absolu sur lui.» Tahar Haddad (Philosophe tunisien, 1884-1935)
J’avais le choix de raconter sa vie à travers son livre-bilan Quand une nation s’éveille, fraîchement sorti aux éditions Ines, exercice peu ardu vous en conviendrez, ou aller à sa rencontre. J’ai pris le parti de m’entretenir de vive voix avec cet homme de 86 ans, affable, intelligent qui a fait de sa vie un chapelet de luttes parfois perdues, mais toujours renouvelées. D’entrée le ton est donné. Sadek convoque un vieux dicton. Entre l’honneur et la perte (Nif oual khsara) qu’il abhorre, il choisit Nif oual fhama, (L’honneur et l’intelligence).
C’est la philosophie de la vie de ce militant invétéré plus politique que médecin. Son parcours est celui des ruptures, si l’on en juge par son refus de trahir ses convictions et ses idées. A 20 ans, il a claqué la porte du PPA parce qu’à ses yeux le parti n’avait pas été juste dans la crise dite berbèriste de 1949. Il a aussi quitté le PAGS dont il était le premier secrétaire. Autant d’escales mal vécues qui ont marqué un parcours heurté, mais dont il tirera des enseignements utiles. «Il est des moments où il vaut mieux lutter avec soi-même qu’avec les autres», commente un des anciens camarades qui avoue ne pas cerner toutes les facettes de Sadek, qu’il a pourtant longtemps côtoyé.
Il est des fois où autour de soi on trouve qu’il n’y a plus grand monde. Alors on convoque sa mémoire. C’est ce qu’a fait Sadek dans son nouveau livre qui porte en lui les traces d’une blessure souvent rouverte… «J’ai vécu mon enfance au gré des mutations de mon père Khider, instituteur. Ainsi, j’ai passé quatre années à Taguine, petit hameau dans la wilaya de Tiaret, pas loin de Ksar Chellala.» Il se souvient qu’il s’y trouve une stèle française symbolisant la prise de la smala de l’Emir Abdelkader.
Puis, ce fut Berrouaghia de 1932 à 1940, et Larbaâ Beni Moussa en 1941. «C’est là que j’ai vécu les années les plus intenses de ma socialisation. J’ai fait le collège de Blida, après qu’il eut servi d’hôpital militaire pendant la Deuxième Guerre mondiale. J’ y ai connu comme condisciples Abane Ramdane, Ali Boumendjel, M’hamed Yazid, etc. J’ai aussi fait des études par correspondance. C’est au lycée de Ben Aknoun que j’ai obtenu mes deux bacs en 1946. Puis, ce fut la faculté de médecine d’Alger. Mon éveil politique s’est réellement effectué à l’Arba, où j’étais responsable du mouvement scout musulman à l’époque où Keddache et Louanchi officiaient à Alger dans les SMA».
Sadek évoque deux personnages emblématiques de l’Algérie : «Le respect consensuel envers Ben Badis faisait bon voisinage avec la fascination exceptionnelle envers Messali, zaïm, leader national Dans nos premières années activistes, nous retenions de Messali le mot d’ordre fulgurant d’indépendance, assorti parfois de l’Assemblée constituante et la parole au peuple. La devise sacrée émanait d’un monument vivant qui incarnait l’attachement inflexible à une cause qui lui avait valu tant de persécutions. Bien qu’ignorants de son itinéraire et de son œuvre, nous retenions de Ben Badis les quelques formules les plus répandues.» Sadek qui a le souci de la précision parle doucement en choisissant les mots appropriés. Lorsqu’on évoque avec lui la crise dite berbèriste, il l’aborde sur le même ton avec sérénité.
Militant acharné
«J’ai vécu la crise bien avant qu’elle survienne dans le mouvement étudiant. Il faut dire que j’étais membre de l’Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (AEMAN), et à partir de 1948 j’étais responsable de la section universitaire du PPA auquel j’avais adhéré en 1943 à 15 ans ! Je me rappelle qu’après le départ de Henine, ils voulaient parachuter Kiouane. On avait exigé des élections. J’ai été élu responsable et président de l’AEMAN, dont la présidence était tournante, par souci de démocratie compte tenu des différentes sensibilités qui la composaient. Mais toutes les décisions importantes étaient prises en assemblée générale.»
Praticien à El Harrach au début de l’année 1954, Sadek exerçait au sein du cabinet commun partagé avec le professeur Réda Zemirli… «Nous étions les deux seuls chercheurs, moi en bactériologie et Taleb Slimane de Tlemcen en histologie. Après l’indépendance, j’ai repris le laboratoire d’hygiène de bactériologie à l’université d’Alger. Je devais prendre la chaire de bactériologie en octobre 1965.» Mais, entre-temps, la prise de pouvoir par Boumediène en juin avait tout chamboulé.
Sur le plan politique et après avoir quitté le PPA en 1949 après des différends idéologiques et des questions relevant de l’identité algérienne, Sadek adhère au Parti communiste algérien en 1951. «J’ai estimé que j’avais fait le bon choix, galvanisé par l’élan patriotique qui animait le parti. J’avais dit à Akkache que l’indépendance devait être la pierre angulaire de la lutte. Il m’a rassuré à ce propos. Et puis, j’y ai trouvé l’éclairage politique qui n’existait pas au PPA.»
Près des pauvres
«Bref, j’étais comblé dans mes aspirations», confie Sadek, visiblement heureux, convaincu que le parti était pleinement engagé dans la Révolution malgré les réticences de certains dirigeants du FLN qui n’en voulaient pas. La déclaration du 2 novembre 1954 du PCA était sans ambiguïté. «Pourtant, certains dirigeants du FLN, pendant 3 mois, refusaient de nous contacter. L’insurrection n’était pas une surprise pour nous. Une semaine avant le 1er Novembre, j’étais avec Bachir Hadj Ali à Tizi Rached. Jacques Galland y était aussi.
On avait estimé qu’après Dien Bien Phu et la déconfiture française, la lutte était irréversible, imminente ! Ne voyant rien venir en mars 1955, on a donné des directives à nos militants de participer individuellement au combat. Il y avait un modus vivendi tacite. Les combattants de la libération mêlés aux autres étaient côte à côte, mais ne se parlaient pas ! En ce qui me concerne, j’ai rencontré Ben M’hidi dans le restaurant de Saïd Ali, rue Auber (à Meissonnier), il m’avait sollicité pour un appui médical. J’ai sollicité à mon tour le Dr Georges Hadjadj, ami de la Révolution, toujours vivant, qui s’est engagé. Pour revenir à Ben M’hidi, j’ai apprécié grandement son ouverture d’esprit, ses analyses et son engagement sans faille.
J’en étais impressionné alors que je venais juste de faire sa connaissance». Le Parti communiste algérien interdit au lendemain de l’indépendance, ses membres forment un autre pôle de lutte clandestine, en créant le Parti d’avant-garde socialiste (PAGS), dont Sadek a été le premier responsable en janvier 1966. «C’était la remise en route du Mouvement communiste après la répression, se souvient Sadek. Après l’arrestation de Hocine Zahouane, Mohamed Harbi et Bachir Hadj Ali et d’autres camarades, nous avons estimé nécessaire de créer le cadre de lutte, même si la clandestinité a été très dure».
«Le peuple avili clame la liberté et s’enthousiasme pour elle quand il ressent violemment les pressions qui s’exercent sur sa vie. Mais, ordinairement, il se flatte d’être proche de ses gouvernants et sensible à leurs promesses trompeuses, il leur permet d’avoir un pouvoir absolu sur lui.» Tahar Haddad (Philosophe tunisien, 1884-1935)
J’avais le choix de raconter sa vie à travers son livre-bilan Quand une nation s’éveille, fraîchement sorti aux éditions Ines, exercice peu ardu vous en conviendrez, ou aller à sa rencontre. J’ai pris le parti de m’entretenir de vive voix avec cet homme de 86 ans, affable, intelligent qui a fait de sa vie un chapelet de luttes parfois perdues, mais toujours renouvelées. D’entrée le ton est donné. Sadek convoque un vieux dicton. Entre l’honneur et la perte (Nif oual khsara) qu’il abhorre, il choisit Nif oual fhama, (L’honneur et l’intelligence).
C’est la philosophie de la vie de ce militant invétéré plus politique que médecin. Son parcours est celui des ruptures, si l’on en juge par son refus de trahir ses convictions et ses idées. A 20 ans, il a claqué la porte du PPA parce qu’à ses yeux le parti n’avait pas été juste dans la crise dite berbèriste de 1949. Il a aussi quitté le PAGS dont il était le premier secrétaire. Autant d’escales mal vécues qui ont marqué un parcours heurté, mais dont il tirera des enseignements utiles. «Il est des moments où il vaut mieux lutter avec soi-même qu’avec les autres», commente un des anciens camarades qui avoue ne pas cerner toutes les facettes de Sadek, qu’il a pourtant longtemps côtoyé.
Il est des fois où autour de soi on trouve qu’il n’y a plus grand monde. Alors on convoque sa mémoire. C’est ce qu’a fait Sadek dans son nouveau livre qui porte en lui les traces d’une blessure souvent rouverte… «J’ai vécu mon enfance au gré des mutations de mon père Khider, instituteur. Ainsi, j’ai passé quatre années à Taguine, petit hameau dans la wilaya de Tiaret, pas loin de Ksar Chellala.» Il se souvient qu’il s’y trouve une stèle française symbolisant la prise de la smala de l’Emir Abdelkader.
Puis, ce fut Berrouaghia de 1932 à 1940, et Larbaâ Beni Moussa en 1941. «C’est là que j’ai vécu les années les plus intenses de ma socialisation. J’ai fait le collège de Blida, après qu’il eut servi d’hôpital militaire pendant la Deuxième Guerre mondiale. J’ y ai connu comme condisciples Abane Ramdane, Ali Boumendjel, M’hamed Yazid, etc. J’ai aussi fait des études par correspondance. C’est au lycée de Ben Aknoun que j’ai obtenu mes deux bacs en 1946. Puis, ce fut la faculté de médecine d’Alger. Mon éveil politique s’est réellement effectué à l’Arba, où j’étais responsable du mouvement scout musulman à l’époque où Keddache et Louanchi officiaient à Alger dans les SMA».
Sadek évoque deux personnages emblématiques de l’Algérie : «Le respect consensuel envers Ben Badis faisait bon voisinage avec la fascination exceptionnelle envers Messali, zaïm, leader national Dans nos premières années activistes, nous retenions de Messali le mot d’ordre fulgurant d’indépendance, assorti parfois de l’Assemblée constituante et la parole au peuple. La devise sacrée émanait d’un monument vivant qui incarnait l’attachement inflexible à une cause qui lui avait valu tant de persécutions. Bien qu’ignorants de son itinéraire et de son œuvre, nous retenions de Ben Badis les quelques formules les plus répandues.» Sadek qui a le souci de la précision parle doucement en choisissant les mots appropriés. Lorsqu’on évoque avec lui la crise dite berbèriste, il l’aborde sur le même ton avec sérénité.
Militant acharné
«J’ai vécu la crise bien avant qu’elle survienne dans le mouvement étudiant. Il faut dire que j’étais membre de l’Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (AEMAN), et à partir de 1948 j’étais responsable de la section universitaire du PPA auquel j’avais adhéré en 1943 à 15 ans ! Je me rappelle qu’après le départ de Henine, ils voulaient parachuter Kiouane. On avait exigé des élections. J’ai été élu responsable et président de l’AEMAN, dont la présidence était tournante, par souci de démocratie compte tenu des différentes sensibilités qui la composaient. Mais toutes les décisions importantes étaient prises en assemblée générale.»
Praticien à El Harrach au début de l’année 1954, Sadek exerçait au sein du cabinet commun partagé avec le professeur Réda Zemirli… «Nous étions les deux seuls chercheurs, moi en bactériologie et Taleb Slimane de Tlemcen en histologie. Après l’indépendance, j’ai repris le laboratoire d’hygiène de bactériologie à l’université d’Alger. Je devais prendre la chaire de bactériologie en octobre 1965.» Mais, entre-temps, la prise de pouvoir par Boumediène en juin avait tout chamboulé.
Sur le plan politique et après avoir quitté le PPA en 1949 après des différends idéologiques et des questions relevant de l’identité algérienne, Sadek adhère au Parti communiste algérien en 1951. «J’ai estimé que j’avais fait le bon choix, galvanisé par l’élan patriotique qui animait le parti. J’avais dit à Akkache que l’indépendance devait être la pierre angulaire de la lutte. Il m’a rassuré à ce propos. Et puis, j’y ai trouvé l’éclairage politique qui n’existait pas au PPA.»
Près des pauvres
«Bref, j’étais comblé dans mes aspirations», confie Sadek, visiblement heureux, convaincu que le parti était pleinement engagé dans la Révolution malgré les réticences de certains dirigeants du FLN qui n’en voulaient pas. La déclaration du 2 novembre 1954 du PCA était sans ambiguïté. «Pourtant, certains dirigeants du FLN, pendant 3 mois, refusaient de nous contacter. L’insurrection n’était pas une surprise pour nous. Une semaine avant le 1er Novembre, j’étais avec Bachir Hadj Ali à Tizi Rached. Jacques Galland y était aussi.
On avait estimé qu’après Dien Bien Phu et la déconfiture française, la lutte était irréversible, imminente ! Ne voyant rien venir en mars 1955, on a donné des directives à nos militants de participer individuellement au combat. Il y avait un modus vivendi tacite. Les combattants de la libération mêlés aux autres étaient côte à côte, mais ne se parlaient pas ! En ce qui me concerne, j’ai rencontré Ben M’hidi dans le restaurant de Saïd Ali, rue Auber (à Meissonnier), il m’avait sollicité pour un appui médical. J’ai sollicité à mon tour le Dr Georges Hadjadj, ami de la Révolution, toujours vivant, qui s’est engagé. Pour revenir à Ben M’hidi, j’ai apprécié grandement son ouverture d’esprit, ses analyses et son engagement sans faille.
J’en étais impressionné alors que je venais juste de faire sa connaissance». Le Parti communiste algérien interdit au lendemain de l’indépendance, ses membres forment un autre pôle de lutte clandestine, en créant le Parti d’avant-garde socialiste (PAGS), dont Sadek a été le premier responsable en janvier 1966. «C’était la remise en route du Mouvement communiste après la répression, se souvient Sadek. Après l’arrestation de Hocine Zahouane, Mohamed Harbi et Bachir Hadj Ali et d’autres camarades, nous avons estimé nécessaire de créer le cadre de lutte, même si la clandestinité a été très dure».
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