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«Le FLN soummamien a posé les premiers jalons d’un Etat et d’une Nation modernes»

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  • «Le FLN soummamien a posé les premiers jalons d’un Etat et d’une Nation modernes»

    Le professeur Belaïd Abane, à propos du Congrès de la Soummam:

    L’Algérie a célébré deux dates phares de son histoire. Le 20 août 1955 et le 20 août 1956. Deux dates charnières, dont la première était le signe de l’engagement du pays dans sa libération, et la seconde, une étape nécessaire pour organiser cette révolte. Belaïd Abane, médecin et chercheur en histoire, explique dans cet entretien l’apport et les fondamentaux du Congrès de la Soummam. Il donne des éclairages sur une réunion des chefs du FLN qui suscite toujours des questionnements, des critiques et des éloges.

    Reporters : Nous venons de célébrer le 20 août, une date marquante de l’histoire de notre pays : le 20 août 1955, ce fut l’insurrection populaire du Nord-Constantinois sous le commandement de Zighout Youcef. Une année après, jour pour jour, eut lieu le Congrès de la Soummam, voulu par les dirigeants de l’intérieur et tout particulièrement Abane qui en fut le principal initiateur et concepteur. Près de deux ans après le déclenchement de la Révolution, qu’est-ce qui a rendu nécessaire la tenue de ce Congrès ?

    Professeur Belaïd Abane : Un congrès, pourquoi faire ? C’est exactement la question que je m’étais posée dans mon livre quand j’ai commencé à travailler sur le Congrès de la Soummam. Et la question est tout à fait légitime : fallait-il tenir un congrès ou laisser la Révolution se poursuivre sur la base de la Proclamation du 1er-Novembre ? Il faut rappeler que le 1er-Novembre, même s’il est l’acte fondateur de notre lutte de Libération nationale, n’énonçait rien de plus que le principe de mettre fin au colonialisme par la lutte armée. Bien entendu, c’est considérable, car le 1er-Novembre est le moment de rupture dans l’histoire coloniale de notre pays. Mais sur son contenu, ses principes, ses objectifs, sa direction, pas grand-chose. Certes, les hommes qui avaient pris les armes avaient une foi profonde dans la justesse de leur cause, mais ils étaient également en proie à la question obsédante de l’efficacité et de l’issue de leur combat. Ne fallait-il pas clarifier et évaluer ? Une réunion était du reste prévue pour janvier 1955, qui n’aura pas lieu. L’autre question que je m’étais posée est : est-ce qu’il y aurait eu un congrès de la Révolution si Abane n’était pas arrivé au début de l’année 1955 ? Sans doute que non. Pas en tout cas sous la forme du congrès qui se tiendra le 20 août 1956, c’est-à-dire une réunion d’évaluation, de clarification et d’institutionnalisation de la Révolution. Ça veut dire quoi tout ça ? Tout simplement que les dirigeants de l’intérieur (Abane, Krim, Ouamrane que rejoindront les centralistes Ben Khedda et Dahlab, puis Ben M’hidi revenu du Caire) voulaient mettre en conformité la violence révolutionnaire avec les idées et les hommes et surtout qu’ils ambitionnaient de jeter les premières fondations de l’Etat et de la Nation algériens déjà en Révolution. Ce qui correspond tout à fait à l’esprit cartésien d’Abane et surtout à sa vision, certes jacobine, mais aussi nationale, du pouvoir et de la Révolution. « La Révolution doit grandir », selon le mot d’Abane. Elle devait donner l’image crédible d’un projet national coordonné, ayant à sa tête une direction politique unifiée. Il faut rappeler également deux événements importants qui vont amener les dirigeants de l’intérieur et tout particulièrement Abane à la nécessité de politiser, unifier et harmoniser la lutte et les maquis : les événements du 20 août 1955, dont on n’avait pas clairement perçu les tenants et aboutissants politiques, et la fragmentation tribale de la lutte dans les Aurès, qui furent pourtant le berceau de la Révolution, depuis l’arrestation de Ben Boulaïd et après sa mort. Pour les Soummamiens, il fallait également coûte que coûte sortir du tête-à-tête avec la puissance coloniale et du piège de la question interne française en mettant sur pied un contre-modèle algérien de la Nation et de l’Etat colonial français. De fait, alors que le 1er-Novembre, c’est la démarche transgressive d’une avant-garde qui s’adresse aux militants et au peuple algériens, la Soummam, c’est l’Algérie dominée qui met en accusation aux yeux du monde la puissance occupante. La Soummam, c’était aussi une volonté de combler le vide politique propice à toutes les dérives qui allaient immanquablement émailler le combat de tous les jeunes révolutionnaires, certes prêts au sacrifice, mais aussi, comme on le verra parfois, aux pires excès. A ce titre, la Soummam était également nécessaire pour unifier, discipliner et organiser les maquis en une armée révolutionnaire moderne respectueuse de l’éthique et des lois de la guerre. Pour être complet, il faut également ajouter à la nécessité d’un congrès national de la Révolution, le besoin pour le FLN de se définir, d’avoir une ligne claire, pour être le véritable interlocuteur de la puissance occupante et face à un front républicain fraîchement porté au pouvoir sur un programme de « paix en Algérie », mais aussi pour se distinguer du MNA de Messali, son rival auquel il est violemment confronté.

    Le congrès a organisé la révolte armée des Algériens contre le colonialisme. Quels ont été les apports déterminants du congrès pour la lutte de Libération nationale ?

    Outre les aspects politiques et techniques que je viens d’évoquer (politisation, institutionnalisation, unification, création d’une armée harmonisée et structurée pour la guérilla…), je dirais que l’apport le plus déterminant, qui à mon sens, n’a pas été suffisamment souligné, c’est la modernité. Si Novembre est l’acte de naissance de la modernité algérienne, la Soummam en est l’ère de sa maturité. Même si l’Islam reste un des puissants leviers de la lutte, le ciment de la cohésion collective est l’union politique du peuple sur la base de critères temporels : une lutte nationale et non une guerre religieuse… une République démocratique et sociale, et non une monarchie ou une théocratie. Tous ces mots on les trouve dans la plateforme de la Soummam. Ce sont un discours et un état d’esprit nouveaux. De même ce qui était la masse indigène dans la rhétorique coloniale est démassifié dans le discours soummamien. La société algérienne émerge à la modernité. Elle est présentée, pour la première fois dans le discours nationaliste, en catégories et classes sociales. Le fort grossissement fait ainsi apparaître comme dans toute société moderne des paysans, des prolétaires, des femmes, des jeunes, des intellectuels, des commerçants, des artisans… Participent également de cette modernité, l’évitement de l’identité arabe, (l’amazigh étant à cette époque-là encore une catégorie taboue) et toute référence à l’Islam. Seule constante martelée, l’Algérie. Si on y ajoute la primauté du politique, on peut dire qu’à la Soummam, pointait du nez déjà une catégorie éminemment moderne : la citoyenneté en tant qu’essence politique placée au-dessus des croyances et des identités. Dans l’esprit de rupture avec le passé et ce qui était alors considéré comme un archaïsme (culte de la personnalité), on érige la direction collégiale comme principe de commandement. Un autre gage de la modernité soummamienne : les Algériens vont s’approprier la rationalité de leur vainqueur. D’abord, l’organisation rigoureuse. L’ALN conçue à la Soummam, même si elle fonctionne comme une armée de guérilla, est la contre-copie organique de l’armée française contre laquelle elle lutte. On découvre avec étonnement en lisant les livres publiés récemment par d’anciens maquisards, notamment ceux de la Kabylie et de l’Algérois, la rigueur disciplinaire et organisationnelle de l’ALN dans les maquis. On en reste bouche bée. Car l’ALN, c’est tout le contraire de ce que la propagande coloniale appelait alors « les groupe armés », « les bandes rebelles, les fellaghas ». Autre signe de la modernité soummamienne, l’acharnement du monde algérien à apparaître au grand jour et à s’installer dans l’universel. Ainsi, « l’internationalisation du problème algérien » devient dans la plateforme de la Soummam un véritable programme de séduction de l’opinion internationale. Au-delà de ses apports indéniables pour l’organisation de la lutte et la clarification des objectifs, le Congrès de la Soummam est donc aussi une étape essentielle du cheminement algérien vers la modernité et l’universalité. Le FLN soummamien pose, en effet, les premiers jalons d’un Etat et d’une Nation modernes : système républicain démocratique et social, cohabitation certes silencieuse et tacite de courants politiques et idéologiques divers, citoyenneté primant sur les identités et les confessions, prééminence de la raison politique sur l’esprit militaire… Le congrès du 20 août est à ce titre une étape déterminante du processus révolutionnaire, un formidable bond en avant de la modernité algérienne.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    La réunion du Caire d’août 1957 a remis en question les fondamentaux de la Soummam, notamment la primauté du politique et de l’intérieur. Selon vous, qu’est-ce qui a motivé ces responsables à prendre de telles décisions ? Et qu’elles étaient les motivations d’Abane et ses amis de prendre de telles résolutions ?

    D’abord, si, vous le permettez, en quelques mots, c’est quoi ces primautés pour répondre à la deuxième partie de votre question ? L’intérieur doit primer sur l’extérieur et le politique sur le militaire. Ces deux primats sur lesquels vont s’affronter la direction intérieure (Abane) et la délégation extérieure (Ben Bella), mais aussi les politiques (Abane) et les militaires (Krim, Boussouf, Ben Tobbal), sont encore d’actualité. La règle de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, dont la paternité revient, il faut le rappeler, aux « hommes de Novembre », signifie la primauté de l’action sur le territoire même qu’on projette de reconquérir, et par voie de conséquence, le statut prééminent des dirigeants et des combattants de l’intérieur, auxquels revient le dernier mot. Quant à la primauté du politique sur le militaire, elle traduit le caractère fondamentalement politique de la Lutte de libération. Politique dans son esprit, dans ses objectifs et dans les modalités d’exercice de la violence qui est devenue par nécessité de l’histoire le moyen le plus approprié pour se libérer du colonialisme. Mais cette violence, si elle n’est pas régulée et guidée par la raison politique, elle risque d’être contreproductive. La règle est donc que toute action à caractère militaire doit avoir une résonnance politique bénéfique pour la cause. Par exemple, tuer des femmes et des enfants dessert et discrédite la cause qu’on veut défendre. Infliger une défaite militaire à l’ennemi plus puissant a au contraire une très forte plus-value politique. Tel est le credo soummamien de la primauté politique. Vous évoquiez la remise en cause des primautés soummamiennes par le CNRA au cours de sa session d’août 1957. Il faut d’abord rappeler que les manœuvres et les tensions politiques qui couvaient à Alger vont éclater au grand jour dès que les quatre rescapés du CCE (Abane, Krim, Ben Khedda, Dahlab) se retrouvent à Tunis. Krim a avalisé les primautés soummamiennes à Ifri sans broncher. C’est le même Krim qui déclenchera la campagne pour les dénoncer. Pourquoi ? Le reniement de la primauté politique lui permettait de rassembler autour de lui tout ce que le microcosme algérien de Tunis comptait de chefs militaires influents. Quant à la relégation de la primauté intérieure, c’était jouer sur du velours. C’était exactement ce que voulaient tous les militaires installés à l’extérieur, désormais agrégés autour de Krim dans la méfiance et l’hostilité à l’égard des politiques et tout particulièrement d’Abane. Ainsi, les primautés soummamiennes étaient définitivement reconfigurées en hégémonisme militaire établi à l’extérieur. Dans l’effacement et la soumission totale du politique, après l’assassinat d’Abane.

    Quelle était l’origine de la contestation des résolutions de la Soummam menée par le tandem Ben Bella-Mahsas ?

    Les oppositions aux résolutions de la Soummam, il y a grosso modo deux types qui vont d’ailleurs finir par faire cause commune, même si au départ, leurs motivations étaient en tous points dissemblables. D’abord, celle des chefs de la délégation extérieure qui étaient absents lors de la réunion de la Soummam et qui ont été écartés du CCE, l’instance nationale de direction. Il s’agit en fait de Ben Bella et de manière moins rageuse et plus politique, de Boudiaf. Mahsas s’était entièrement fondu dans l’hostilité de Ben Bella à la Soummam et à Abane, son principal initiateur. Pour Ben Bella et son affidé, discrètement et efficacement aiguillonnés par les autorités égyptiennes, c’est essentiellement la frustration de pouvoir travestie en opposition à ces modérés centralistes, oulémas et UDMistes, auxquels Abane, dans sa démarche unitaire, avait «imprudemment » facilité l’accès aux instances dirigeantes du CCE et du CNRA. Ben Bella contestera également la représentativité du congrès. On peut revenir plus en détails sur ce problème de représentativité. Il y a aussi la question identitaire et religieuse. Ben Bella, qui sait faire feu de tout bois, reprochera aux Soummamiens d’avoir éludé les principes islamiques de la future République algérienne, ainsi que son appartenance «naturelle» à l’espace arabo-islamique. Les congressistes ne voulaient sans doute pas restreindre les soutiens de la cause algérienne à la sphère arabo-islamique, ni surtout jeter le sort d’une fatalité identitaire sur une société encore subjuguée et en devenir. La surenchère était gratuite et pouvait être payante.

    D’autres « contestations » se sont fait jour aussi du côté des responsables de la wilaya des Aurès/Nememcha. Qu’en était-il ?

    Les chefs militaires des Aurès/Nememcha étaient également opposés à l’arrivée des centralistes, des oulémas et des UDMistes dans les organes dirigeants de la Révolution et contestaient surtout et de bonne foi la primauté du politique sur le militaire. Ils se considéraient, en effet, comme des militants en armes. Dans les Aurès et les Nememcha, on avait commencé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à stocker des armes de guerre en provenance de Libye et de Tunisie. Il faut dire que la passion des armes en pays chaoui et nemouchi était telle qu’on pouvait vendre vaches et chèvres de subsistance pour s’acheter des armes de guerre. Il s’agissait de se défendre, car la région était une zone de passage, mais aussi de se préparer à la lutte armée contre le colonialisme. Ce sont ces armes qui ont permis d’équiper tous les militants de l’OS dans les Aurès. Pour tous les hommes armés qui vont intégrer l’ALN dès novembre 1954, la Révolution, c’est l’ALN, pas le FLN. C’est la principale pomme de discorde entre les Aurésiens et les Soummamiens. Après, la fitna qui couvait dans les Aurès depuis l’arrestation de Ben Boulaïd (bien avant la Soummam), et qui va s’amplifier après sa mort, sera instrumentalisée par Ben Bella puis par Mahsas. Le jusqu-auboutisme de ce dernier va mener les maquisards de la Wilaya I, tout particulièrement les chefs nemouchis, vers une confrontation violente avec le CCE, qui connaîtra son épilogue tragique au procès de Téboursouk en juillet 1957.
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    • #3
      Mais indépendamment de ce différend politique, n’y avait-il pas un problème de représentativité de toutes les forces nationales en lutte pour la libération ? C’est en tout cas un reproche qui sera fait au congrès du 20 août 1956 ?

      Naturellement, mais quand on y regarde de très près, on constate que les chefs de l’intérieur ont fait avec ce qu’ils avaient. Et qu’est-ce qu’il y avait alors ? En France, il y avait un consensus colonial, peuple et classe politique toutes tendances confondues avec vote des « pouvoirs spéciaux ». La gauche mollétiste avait jeté tout son poids dans la guerre de reconquête coloniale désignée du doux nom de « pacification ». Il y avait un quadrillage serré du territoire algérien par une armée coloniale aussi importante numériquement que la Grande armée de Napoléon partie à la conquête de la Russie. Et plus puissante logistiquement. Et qui « jouait à domicile », si on peut se permettre cette métaphore sportive, car l’Algérie, c’était trois départements français à une heure de vol de la métropole. Et c’était au cœur de cette conjoncture que les dirigeants de l’intérieur avaient décidé de tenir une réunion nationale d’évaluation et de clarification politique et doctrinaire. Pour autant, la question de la légitimité du congrès n’est pas hors de propos. On reprochera de fait au congrès de la Soummam sa non-représentativité. La Base de l’est n’y était pas représentée. Certes, mais la Base de l’est, ou ce qu’on appellera la « Zone de Souk Ahras », n’avait pas vocation à être représentée, car dans le découpage du 1er-Novembre, elle faisait partie de la Zone II, future Wilaya II, englobant tout le Nord-Constantinois. Même si Amara Bouglez et ses hommes étaient légitimement portés à croire que leur région avait tous les attributs d’une entité politico-militaire pour se constituer en wilaya affranchie de l’ensemble nord-constantinois érigé en Wilaya II. On finira du reste par trouver un compromis en en faisant une sorte de zone autonome, comme Alger, pour ménager sa situation stratégique pour l’acheminement des armes. On dira aussi de mauvaise foi que l’Oranie n’était pas représentée, alors que Ben M’hidi était au jour du congrès le chef en titre de la Zone future Wilaya V. Il est vrai aussi qu’il y était venu seul, après avoir chargé Boussouf de réceptionner un arrivage important d’armes en provenance du Proche-Orient. La faiblesse de la Soummam est sans conteste l’absence des Aurès/Nememcha et de la délégation extérieure. Disons de prime abord qu’il est inimaginable qu’Abane, Ben M’hidi ou Krim aient tenté d’écarter sciemment Ben Boulaïd, ses compagnons, et le pays chaoui-nemouchi qui fut à la fois le berceau de l’insurrection et son aiguillon. Difficile de donner crédit à une telle hypothèse quand on sait que Krim entretenait des liens privilégiés avec Ben Boulaïd, et à quel point Abane et Ben M’hidi étaient préoccupés d’unifier et de coordonner toutes les potentialités nationales de la Révolution. C’est dès février 1956 qu’Abane avait tenté de prendre contact avec Ben Boulaïd en dépêchant Saâd Dahlab. Ce dernier apprendra de Zighout que le chef chaoui a trouvé la mort le 23 mars 1956 en manœuvrant un poste émetteur piégé. On sait ce qu’il adviendra par la suite des Aurès/Nememcha minés par les rivalités de chefs et les dissensions tribales qui avaient du reste commencé bien avant le Congrès de la Soummam. Il faut rappeler que Bachir Chihani, l’une des plus grandes figures de notre Révolution, a été liquidé pour des raisons fallacieuses en octobre 1955, soit près de dix mois avant le congrès de la Soummam. Et que les rivalités entre les principaux chefs des Aurès/Nememcha (Adjoul, l’organisateur machiavélique, Omar Ben Boulaïd, l’ambitieux sans le charisme du frère, Abbas Laghrour, le baroudeur fou de patriotisme, Lazhar Cheriet, le vieux guerrier puritain, Messaoud Benaïssa, le chef de guerre sans état d’âme…) se sont tendues dès le départ de Ben Boulaïd au Proche-Orient, pour s’exacerber après la liquidation du flamboyant Chihani, et dégénérer en règlements de comptes sanglants après le retour et la mort de Ben Boulaïd. Les chefs aurésiens étaient trop occupés à s’entretuer pour s’intéresser à un conclave politique auquel on les avait pourtant maintes fois conviés. Les témoignages abondent dans ce sens. Quant à la délégation extérieure, mis à part Ben Bella qui n’en dormait plus, ni Aït Ahmed, ni Khider ni même Boudiaf n’étaient vraiment intéressés par ce qui se jouait alors à Ifri. Les questions diplomatiques les occupaient largement. Ben Bella, qui subodorait que Ben M’hidi et Abane allaient l’écarter de l’instance exécutive du FLN, avait décidé de ne pas faire le voyage soummamien. Son mentor égyptien le lui avait fermement déconseillé, craignant que les dirigeants soummamiens ne lui demandent des comptes sur l’affaire de l’OS dénoncée à la police française au cours de son interrogatoire. Plusieurs témoins m’ont affirmé que Ben Bella avait échappé à un procès en règle qu’Abane et Ben M’hidi lui auraient concocté pour sa « félonie » dans l’affaire de l’OS, sa collusion avec une puissance étrangère (l’Egypte), fut-elle amie, et sa défaillance en matière d’approvisionnement en armes des maquis de l’intérieur.
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      • #4
        La question identitaire semble avoir été évacuée du discours soummamien. Quelle a été, en fait, la position des congressistes vis-à-vis de la question amazighe ? L’on impute à Abane la décision d’éliminer, physiquement, les animateurs de la crise berbériste de 1949. Qu’en était-il exactement ?

        J’avais dit plus haut que les Soummamiens, probablement sous l’impulsion d’Abane et par nécessité politique, et pour gagner les soutiens de l’opinion occidentale, avaient éludé la question identitaire (arabité) et la dimension islamique de la Révolution. On imagine difficilement qu’ils puissent remettre sur le tapis la question de l’amazighité qui avait fait l’objet d’une crise politique sans précédent dans le mouvement national quelques années auparavant. Fallait-il raviver la blessure ? Se tirer une balle dans le pied et risquer de saborder le mouvement de Libération nationale, arrivé à l’un de ses moments les plus cruciaux ? Les congressistes ont donc décidé avec sagesse : ni arabité, ni islamité, ni amazighité : tout pour l’algérianité. Concernant l’élimination physique des berbéristes, Abane a bon dos. Reprenons l’affaire à ses débuts. Rappelons d’abord qu’Abane, comme tout produit du PPA qu’il était, avait sacralisé la lutte et l’unité nationales pour la fin de la domination coloniale, érigées en valeurs absolues auxquelles chacun doit se conformer et se soumettre. Si on ajoute à cela les leviers d’une démarche propre au personnage : la rationalisation autoritaire de la lutte (faire ce qui est programmé et programmer ce qui doit être fait) ; l’institutionnalisation du pouvoir (le pouvoir apparent doit coïncider avec le pouvoir réel) ; la centralisation/jacobinisation du pouvoir versus wilayisme et pouvoir des coteries… on comprend qu’il n’y avait place ni à l’improvisation ni à la dissonance. Selon Mabrouk Belhocine, qui l’avait rencontré quelques mois après la crise de 1949, pour Abane, l’ennemi principal, le problème prioritaire, c’est le colonialisme. L’histoire des peuples colonisés après la Seconde Guerre mondiale était en train de passer le plat de la libération des peuples. Il ne fallait surtout pas la laisser passer sans se servir. La question de l’identité nationale est une question algérienne interne. La poser avant la fin du colonialisme et a fortiori en pleine lutte était prématuré et risquait de paralyser le mouvement de Libération nationale. Il faut rappeler également qu’à l’origine, les militants et les cadres kabyles n’avaient aucune prévention contre l’arabité (culture et langue) et encore moins contre l’islam et l’islamité. Il ne faut pas oublier que l’islam a joué pour tous les Algériens, Kabyles compris, le rôle de « sentinelle dans la nuit coloniale », pour reprendre la belle expression de Jacques Berque. Il faut rappeler également que les mosquées et les écoles coraniques fleurissaient dans tous les villages kabyles. Donc, jusqu’au début des années 1930, il n’y avait jamais eu de crispation autour de la question arabo-islamique en Kabylie. C’est un fait d’histoire incontestable. Les choses ont commencé à se crisper lorsque, avec la naissance et la cristallisation du nationalisme arabe et l’émergence du mouvement réformiste oulémiste algérien, l’identité amazighe est devenue un obstacle à l’uniformisation arabo-islamique, et le kabyle, une langue indésirable, voire une opposition et un défi, quasi blasphématoires à la langue liturgique qu’est l’arabe coranique. Puis est venu le Mémorandum de Messali à l’ONU : « L’Algérie est une nation arabe et musulmane depuis le VIIe siècle. » : un monolithisme arabo-islamique en dehors duquel point de salut. Inacceptable pour les responsables de la Kabylie, notamment, Bennai Ouali, Amar Ould Hamouda, responsables politico-militaires (MTLD OS) de la Kabylie qui réagissent tout logiquement sur le mode : « Si tu ne m’aimes pas, je ne t’aime pas. Si tu refuses ma langue, mon histoire et mon identité, je n’ai que faire des tiennes. » Sourde aux appels au dialogue et usant de manipulations diverses et variées, la direction du parti réagit brutalement. Bennaï, Ould Hammouda et Aït Ahmed, pour ne citer que les plus en vue des responsables kabyles, tombent en disgrâce. Nous sommes à l’acmé de la crise de l’identité nationale qui a ébranlé le PPA en 1949 et dont les répliques traverseront le mouvement de Libération nationale déclenché en 1954 et laisseront des cicatrices encore vives et douloureuses à ce jour. Concernant le rôle d’Abane par rapport à la crise de 1949, il faut rappeler qu’il avait milité dans le Constantinois et n’était donc pas directement impliqué, même s’il a sans doute pris position, comme me l’avait rappelé Mabrouk Belhocine. Et dès 1950, il est arrêté dans l’affaire de l’OS, jugé et déporté en France. Krim est désigné à la tête de la Kabylie, chargé de restaurer l’ordre PPA dans ce qu’il avait de plus intolérant. On attente ainsi à la vie de Ferhat Ali, un vieux militant de la cause nationale, qui se pose des questions sur le bienfondé du monolithisme identitaire et linguistique. D’autres militants feront également les frais de la discipline PPA, de manière plus ou moins interlope. Plus tard, début 1956, Amar Ould Hamouda et M’barek Aït Menguellet sont jugés par un tribunal composé de Krim, Ouamrane, Mohammedi Saïd, Amar Aït Cheikh, et exécutés à Aït Ouabane, en Kabylie, sans qu’on sache à ce jour pour quel chef d’accusation. C’était avant le Congrès de la Soummam. Il n’y avait alors ni CCE, ni CNRA, ni pouvoir révolutionnaire clairement désigné, même si les dirigeants installés à Alger avaient constitué une direction de fait. Abane était-il au courant ? On ne saurait le dire, mais sans doute. Il faut cependant ajouter que ses relations avec Krim étaient déjà largement détériorées et que la concertation n’en était sans doute pas le point le plus fort. L’ordre d’éliminer les berbéristes ? C’est un fait documenté dans une lettre datée du 20 août 1956 et signée par (dans l’ordre) Krim, Abane, Ouamrane, Zighout, Ben Tobbal et Si Chérif (Ali Mellah). Mais ce n’était pas, loin s’en faut, un ordre de nettoyage ethnique, comme tentent de le faire accroire certains. Il est dit en effet que « les responsables… après avoir pris connaissance de votre rapport général (dans lequel sont signalés de prétendus troubles berbéristes, je précise pour le lecteur)…
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        • #5
          vous assurent d’un appui total dans votre travail de clarification, de consolidation du FLN en France et de liquidation des berbéristes, des messalistes et autres contrerévolutionnaires (la suite de la phrase est souvent escamotée) qui continuent leur travail de sape et de division au sein de l’émigration algérienne ». On encourage donc non pas à éliminer systématiquement, mais seulement ceux qui… Il faut restituer les choses dans le contexte de l’époque en rappelant l’affaire Mazourine, du nom de ce militant PPA/MTLD entré en conflit avec les membres du comité fédéral, dont la direction avait été désignée par le CCE. Ces derniers (dont Ahmed Doum, principal colporteur d’accusations) avaient usé de l’accusation de déviation berbériste pour évincer leurs adversaires. Mazourine, principal accusé, était pourtant sur la même ligne anti-berbériste que Krim, dont il avait été un proche en Kabylie. Doum, que j’ai rencontré, reconnaît aujourd’hui qu’il avait fait feu de tout bois pour discréditer ses adversaires auprès du CCE. Ce dernier, alerté et induit en erreur, met dans le même sac berbéristes et messalistes, pour ne pas donner l’impression de pratiquer le deux poids, deux mesures en luttant implacablement contre les messalistes « araboislamistes », tout en épargnant les berbéristes. Il faut également replacer la décision du CCE dans le contexte d’une guerre exacerbée qui avait atteint avec ce qui était en train de se passer à Alger son point de non retour. L’automne 1956 était également le point d’acmé de la guerre FLN-MNA, notamment en France. Il ne faut pas oublier qu’à la même époque, Ben Bella, contestataire irréductible du Congrès de la Soummam, se préparait à réunir un contre-congrès avec l’appui des autorités égyptiennes. Et tentait un rapprochement avec le MNA au Caire, encouragé par les Egyptiens qu’inquiètent une nouvelle direction « dominée par les Kabyles ». Venons à l’affaire Bennaï Ouali et au prétendu ordre donné par Abane. Rappelons d’abord que ce dernier ne connaissait pas Bennaï. Rappelons également qu’après la mort d’Amar Ould Hamouda et de M’barek Aït Menguellet, Si Ouali avait insisté pour voir Krim et Mohammedi Saïd afin de leur demander des explications sur le sort de ses deux amis. Et qu’il les rencontra. Il faillit y laisser sa vie ce jour-là après une discussion orageuse avec Mohammedi Saïd qui le menaça de sa mitraillette en jurant d’avoir sa peau. Sachant son sort scellé, Bennaï n’eut d’autre choix que de recourir à l’arbitrage d’Abane. D’où la fameuse formule d’Ali Yahia maintes fois répétée : « En creusant ma tombe, tu es en train de creuser la tienne. » Ali Yahia Abdenour, qui insinue l’ordre donné par Abane, ne sait sans doute pas ce qui s’était passé avant ou se garde de le dire. Il ne dit pas non plus que Bennaï avait rencontré le « général » messaliste Bellounis qui lui proposa de prendre la direction de son armée et de son mouvement. Que Bennaï s’était empressé d’informer Krim en lui offrant l’armée messaliste sur un plateau d’argent et en manifestant son désir de rejoindre le FLN. Ce à quoi Krim avait opposé une fin de non-recevoir. Ce dernier ne voulait sans doute pas prendre le risque de recruter son ancien chef qui risquerait de lui faire de l’ombre. Toujours est-il que Bennaï est abattu le 19 février 1957 dans son village natal en Kabylie sur ordre de Mohammedi Saïd. C’était au moment où Krim se préparait avec les autres membres du CCE à quitter l’Algérie. Ajoutons qu’en février 1957, les rapports entre Abane et Krim étaient dégradés au point où il était impossible pour l’un ou l’autre de suggérer et encore moins d’ordonner quoi que ce soit à l’autre. Gageons que si Abane avait ordonné son exécution, Bennaï aurait eu sans doute la vie sauve. Je reviendrai dans le détail sur tous ces aspects dans mon prochain livre.

          58 ans après la célèbre réunion qui a mis en place les fondamentaux de la Révolution et même du futur Etat algérien, que reste-t-il aujourd’hui de l’esprit de la Soummam ?
          Il reste l’exigence récurrente depuis 1962 de faire de l’individu algérien un citoyen, c’est-à-dire un acteur politique responsable, conscient de ses droits et de ses devoirs et capable de faire des choix politiques rationnels basés non pas sur le rapport de force militaire, identitaire ou religieux (choix du plus fort, comportements tribaux, segmentaires, identitaires, métaphysiques…), mais sur une synthèse entre le destin individuel proprement dit (l’intérêt privé) et le destin collectif (le bien commun ou l’intérêt général) : en somme, un choix bon pour soi-même et pour le pays. La citoyenneté suppose bien entendu d’entrer pleinement dans l’ère et l’esprit démocratiques. Le passage au système parlementaire et à l’alternance d’équipes choisies et sanctionnées sur la base de programmes et de résultats concrets et quantifiables, contribuera à mettre fin à cette mentalité qui attend tout de l’homme providentiel, prégnante sous nos latitudes. Et à sortir de la culture du chef perçu comme un démiurge dont on attend qu’il change le monde. Cela suppose également, autre exigence aux racines soummamiennes, un système dans lequel n’interfère en aucune façon la force militaire, une définition claire du rôle de l’armée et sa mise en conformité avec la Constitution. L’armée doit assumer pleinement ses prérogatives constitutionnelles, mais uniquement celles-là. Tel ancien Premier ministre ne cesse d’appeler l’armée à s’impliquer de nouveau dans la sphère politique.
          Ça c’est le retour à l’archaïsme et au degré zéro de la pratique politique. L’armée a vocation à défendre le pays, nation et territoire, en obéissant au pouvoir issu de la volonté populaire. Elle est actuellement dans son rôle. Et elle le remplit bien, à l’abri de toutes les turpitudes politiques. Le retour à la prééminence du politique est un pas considérable.

          Auteur: OUIZA K
          reporters.dz
          The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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