Les circonstances historiques ont créé entre les Algériens, notamment leur élite1, et la Turquie un sentiment de proximité tel que l’on peut en retrouver des indices dans tous les domaines de la vie sociale2. Cette turcophilie, qui devient une sorte d’idéologie en Algérie3 pendant la période coloniale4,touche toutes les couches de la population5. Elle s’exprime tant dans la vie culturelle6 qu’à travers des actions à caractère humanitaire7. Bien qu’elle semble être animée beaucoup plus par l’esprit de solidarité religieuse et l’attachement sentimental au califat que par une option politique consciente8, elle traduit tout de même le refus des Algériens d’être assimilés à l’occupant9. Le phénomène est si important que certains observateurs de la société algérienne en ont fait le facteur qui explique tous les mouvements qui agitent l’Algérie. La confiance que les indigènes de l’Algérie font à la Sublime Porte, écrit l’un d’eux, est l’une des causes principales de l’opposition que nous rencontrons dans leurs âmes10. Le jugement est certainement exagéré mais aucunement totalement erroné. Il n’est que de rappeler que les départs des Algériens vers l’Orient entre 1830 et 191111 se situent dans la mouvance ottomane et que ce sont les espérances de transformation de l’Empire ottoman… qui suscitent l’attirance12. L’exode des Algériens vers les territoires encore sous l’autorité du sultan où ils exercent parfois de hautes fonctions dans l’administration13, dans l’armée14 ou comme travailleurs qualifiés15 (ingénieurs, médecins ou professeurs16) participe au maintien de cette relation privilégiée avec les Turcs. Certains s’engagent même dans la vie politique de l’Empire, notamment lorsque les Jeunes Turcs arrivent au pouvoir17.
2Ce phénomène est allé en s’amplifiant à un point tel qu’en 1941 l’idée de créer un mouvement en vue de rattacher à nouveau ces deux pays circule en Algérie18. Certes, cette démarche tend à exprimer le désir de se dégager de l’emprise française, mais suggère aussi de se demander, au moment où le mouvement national apparaît en Algérie, s’il a été plus ou moins pénétré par cette turcophilie et comment elle s’est manifestée. La question se pose même si la trajectoire de ce mouvement est telle qu’elle témoigne que le prix que les « communautés algériennes » attachèrent toujours à la préservation de leur indépendance… a une valeur sacrée19.
3Il est certainement vrai que le refus des peuples d’être soumis à une autorité étrangère est quasi instinctif et qu’il n’a nul besoin d’être stimulé de l’extérieur. Il n’en demeure pas moins toutefois que le discours et les idées qui accompagnent l’action peuvent trouver leurs origines, au moins en partie, dans l’expérience vécue ailleurs. Ainsi, les Jeunes Turcs sont imités partout dans le monde musulman et l’on retrouve un mouvement similaire en Algérie20 où, non seulement les discours sont repris, mais aussi les méthodes de protestation comme la pratique du boycott de certains produits coloniaux… pour aller jusqu’à imaginer une république algérienne, sœur en république de la république française mais qui se réclame aussi des symboles ottomans21.
4Au sein de ce mouvement à l’élan communautaire à ses premiers débuts mais qui se transforme relativement vite en mouvement national dès l’instant où il vise à définir l’algérianité et au fur et à mesure qu’il se développe en ampleur et en diversité avant d’être monopolisé à travers un discours politique fortement idéologisé22, on observe que parmi les principaux leaders algériens certains ne cachent pas leur admiration pour les Turcs et plus particulièrement pour Mustafa Kemal Atatürk23. Essayer donc de s’interroger sur les rapports entre le mouvement national algérien et la pensée politique de Mustafa Kemal Atatürk semble tout à fait opportun et c’est ce que nous nous proposons de tenter dans cette étude en essayant de montrer comment s’est construit ce rapport privilégié entre l’Algérie et la Turquie puis de démontrer l’influence des idées politiques du fondateur de la Turquie moderne sur quelques personnalités du mouvement national.
- 18 Abderrahmane Kiouane, Moments du mouvement national, Dahlab, Alger, 1999, p. 21.
- 19 Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN. 1954 – 1962, Casbah éd., Alger, 2003, p. 40 – 41. (...)
2Ce phénomène est allé en s’amplifiant à un point tel qu’en 1941 l’idée de créer un mouvement en vue de rattacher à nouveau ces deux pays circule en Algérie18. Certes, cette démarche tend à exprimer le désir de se dégager de l’emprise française, mais suggère aussi de se demander, au moment où le mouvement national apparaît en Algérie, s’il a été plus ou moins pénétré par cette turcophilie et comment elle s’est manifestée. La question se pose même si la trajectoire de ce mouvement est telle qu’elle témoigne que le prix que les « communautés algériennes » attachèrent toujours à la préservation de leur indépendance… a une valeur sacrée19.
- 20 Sur le mouvement des Jeunes Algériens voir Charles – Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la F (...)
- 21 R. Galissot, Problématique nationale…, article précité, p. 382. Il semble que l’élite musulmane d’A (...)
3Il est certainement vrai que le refus des peuples d’être soumis à une autorité étrangère est quasi instinctif et qu’il n’a nul besoin d’être stimulé de l’extérieur. Il n’en demeure pas moins toutefois que le discours et les idées qui accompagnent l’action peuvent trouver leurs origines, au moins en partie, dans l’expérience vécue ailleurs. Ainsi, les Jeunes Turcs sont imités partout dans le monde musulman et l’on retrouve un mouvement similaire en Algérie20 où, non seulement les discours sont repris, mais aussi les méthodes de protestation comme la pratique du boycott de certains produits coloniaux… pour aller jusqu’à imaginer une république algérienne, sœur en république de la république française mais qui se réclame aussi des symboles ottomans21.
- 22 Si l’on se limite aux principaux personnages du mouvement national
- 23 Nahas M. Mahieddin, L’influence des idées de Mustafa Kemal Atatürk sur l’élite politique et culture (...)
4Au sein de ce mouvement à l’élan communautaire à ses premiers débuts mais qui se transforme relativement vite en mouvement national dès l’instant où il vise à définir l’algérianité et au fur et à mesure qu’il se développe en ampleur et en diversité avant d’être monopolisé à travers un discours politique fortement idéologisé22, on observe que parmi les principaux leaders algériens certains ne cachent pas leur admiration pour les Turcs et plus particulièrement pour Mustafa Kemal Atatürk23. Essayer donc de s’interroger sur les rapports entre le mouvement national algérien et la pensée politique de Mustafa Kemal Atatürk semble tout à fait opportun et c’est ce que nous nous proposons de tenter dans cette étude en essayant de montrer comment s’est construit ce rapport privilégié entre l’Algérie et la Turquie puis de démontrer l’influence des idées politiques du fondateur de la Turquie moderne sur quelques personnalités du mouvement national.
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