Dans cette industrie du meurtre, les 3 Procès de Moscou ne sont en partie des événements paravent produisant un écran sur de multiples d'opérations secrètes dont le meurtre du maréchal Toukhatchevski, signal du début d'une massive destruction du commandement de l'Armée rouge.
Affaire Toukhatchevski
Le 12 juin 1937, sept grands chefs militaires soviétiques sont fusillés en plein jour dans la cour du bâtiment du NKVD, la police secrète de Staline. Parmi eux, le maréchal Toukhatchevski.
Les moteurs des camions tournent à plein régime. Nous sommes le 12 juin 1937. Il fait beau. Au milieu de la cour du NKVD, les policiers ont traîné sept hommes que deux semaines d'interrogatoires poussés ont considérablement abîmés. Hier, ces hommes étaient parmi les plus hauts dignitaires de l'Armée rouge. Aujourd'hui, ils ne sont plus rien. Dans quelques instants, ils seront morts. Leur crime ? Radio Moscou n'a pas été avare de détails la veille : “ Ces détenus sont accusés d'infraction au devoir militaire, de trahison envers la patrie, de trahison envers les peuples de l'URSS, de trahison envers l'Armée rouge ouvrière et paysanne ”.
Mais encore ? “ Les éléments recueillis au cours de l'instruction ont permis d'établir la participation des accusés, ainsi que celle de Gamarnik qui s'est suicidé récemment, à une entreprise contre l'Etat, en liaison avec les milieux militaires dirigeants d'un des Etats étrangers qui mènent une politique inamicale envers l'URSS. Se trouvant au service de l'espionnage militaire de cet Etat, les accusés remettaient systématiquement des renseignements sur l'état de l'Armée rouge et accomplissaient un travail de sabotage pour l'affaiblissement de la puissance militaire soviétique ”.
L'objectif poursuivi selon Radio Moscou? “ Préparer ainsi, en cas d'agression militaire contre l'URSS, la défaite de l'Armée rouge, dans le dessein final de contribuer à un rétablissement en URSS d'un pouvoir de grands propriétaires terriens et de capitalistes ”. Les auditeurs de Radio Moscou n'en croyaient pas leurs oreilles : les plus grands chefs de l'Armée rouge dont Toukhatchevski, le héros de la guerre civile, le principal organisateur de ladite armée, auraient organisé un complot afin de faire battre l'une des forces militaires les plus puissantes au monde ? Justement, les accusés auraient reconnu les faits: “ Tous les inculpés se sont reconnus entièrement coupables des accusations relevées contre eux ”.
Moyennant quoi, l'examen de l'affaire - à huis clos, bien entendu - aurait lieu le jour même par le Tribunal judiciaire spécial de la Cour suprême de l'URSS. Une juridiction exceptionnelle pour une affaire exceptionnelle entièrement téléguidée par Staline, maître absolu de l'URSS depuis 1927; un Staline qui a banni Trotski en 1929, épuré toute la vieille garde bolchévique en 1934/35.
A l'occasion des procès de Moscou, le monde entier a assisté à un spectacle incroyable : de vieux révolutionnaires chevronnés s'accusant publiquement des crimes les plus invraisemblables. Zinoviev, Kamenev et Smirnov ont été condamnés et exécutés il n'y a pas longtemps, en 1936. Alors, après les “déviationnistes de gauche ”, les militaires ? A l'audience du tribunal judiciaire spécial, le maréchal Toukhatchevski - après lecture de l'accusation - a lancé aux juges : “ Vous n'avez pas rêvé cela, par hasard?” Après lecture de la sentence, le général Iakir - communiste fervent - a écrit à Staline: “ Je suis un loyal soldat, dévoué au parti, à l'Etat, au peuple.
Toute ma vie consciente s'est écoulée dans un travail honnête, plein d'abnégation, sous les yeux du parti et de ses dirigeants. Je suis honnête dans chacune de mes paroles. Je mourrai en prononçant des paroles d'amour pour vous, pour le parti et pour le pays, avec une foi inébranlable en la victoire du communisme ”. Impitoyable, Staline a annoté la lettre: “Scélérat et prostitué”. Membres de son entourage le plus étroit, Vorochilov, Molotov et Kaganovitch se sont empressés d'approuver et de proclamer que décidément pour ce “traître”, cette “crapule ”, le seul châtiment possible, c'était la mort.
La mort des sept chefs de l'armée ne constitue que le premier épisode d'une gigantesque purge militaire dont seront victimes trois maréchaux sur cinq, soixante-quinze des quatre-vingts membres du Conseil supérieur de la guerre ; treize sur quinze des commandants d'armée, trente-cinq mille officiers soit la moitié de l'encadrement de l'Armée rouge.
Lorsque Hitler attaquera l'URSS, la capacité de celle-ci à se défendre, en sera tragiquement amoindrie. Pourquoi Staline a-t-il éliminé ses meilleurs chefs militaires? Et comment? La réponse à la première question est relativement facile à donner : la mégalomanie de Staline lui faisait voir des rivaux et des adversaires partout.
Sa prédisposition à les éliminer avec brutalité, par des moyens expéditifs, commençait à être connue. Ce qui ne dispense pas de rechercher une cause officielle à peu près plausible. En tous les cas ce que l'on appela dès lors l'affaire Toukhatchevski ne constituait que l'ultime épisode d'un véritable enchevêtrement de manipulations policières et internationales dont l'infortuné maréchal avait été le jouet le plus célèbre.
Toukhatchevski était né près de Smolensk en 1893. Militaire par vocation, il était sous-lieutenant à la veille de la guerre de 1914. Engagé sur le front de Galicie, il s'était bien battu mais avait été fait prisonnier par les Allemands en 1915. A la forteresse d'Ingolstadt - prison qui accueillait particulièrement les officiers alliés particulièrement friands d'évasions - il avait eu pour compagnon de captivité un certain capitaine Charles de Gaulle.
Le Russe avait tout de même réussi en 1917 à s'enfuir. Rejoignant Pétrograd, il est d'entrée du côté des bolcheviks et de Lénine. Lorsque la guerre civile éclate et que Trotski organise l'Armée rouge des ouvriers et des paysans, Toukhatchevski est naturellement de la partie. A vingt-cinq ans, il prend le commandement de la 1re Armée.
Quatre années durant, il assumera tous les commandements contre les contre-offensives des Russes blancs menées par Koltchak, Miller, Denikine ou Wrangel, toujours avec succès. Ce héros de la guerre civile allait poursuivre son ascension une fois la paix revenue. Tour à tour commandant de l'Académie militaire de l'Armée rouge, chef d'état-major, ministre adjoint de la Défense, responsable des armements et finalement maréchal, Toukhatchevski est connu, apprécié, admiré dans le monde entier.
L'historien Benoist-Méchin, peu suspect de russophilie, écrit : “En 1936, l'Armée rouge est devenue une des plus fortes armées du continent. Elle est dotée d'un équipement très moderne et ses effectifs sont remarquablement aguerris ”. Irréprochable donc dangereux : c'est le raisonnement de Staline. C'est aussi celui de l'Allemagne hitlérienne. Car les Allemands connaissent bien le maréchal soviétique.
D'abord parce qu'il a sollicité et obtenu l'aide de spécialistes allemands pour l'organisation de l'Armée rouge. Ensuite, parce que - par un juste retour d'ascenseur - il a permis à la Reichswehr d'entraîner ses unités blindés et son aviation en URSS, toutes choses interdites aux Allemands par le traité de Versailles. Ceci se passait avant Hitler, avant 1933. Mais le tribunal qui condamne le maréchal et les autres chefs militaires les accuse justement d'intelligence avec l'Allemagne.
Et cette accusation peut paraître à certains égards plausible. Pour autant, elle est totalement fausse : Toukhatchevski tombe victime d'une double machination. Tout commence en décembre 1936. Un certain Skobline rend visite à Berlin à Reinhard Heydrich, l'adjoint d'Himmler à la tête de la Gestapo. Qui est Skobline? Officiellement, il est général de l'armée blanche commandée par le général Miller, président de l'Organisation mondiale des militaires russes émigrés ; son adjoint en l'occurrence.
La suite...
Affaire Toukhatchevski
Le 12 juin 1937, sept grands chefs militaires soviétiques sont fusillés en plein jour dans la cour du bâtiment du NKVD, la police secrète de Staline. Parmi eux, le maréchal Toukhatchevski.
Les moteurs des camions tournent à plein régime. Nous sommes le 12 juin 1937. Il fait beau. Au milieu de la cour du NKVD, les policiers ont traîné sept hommes que deux semaines d'interrogatoires poussés ont considérablement abîmés. Hier, ces hommes étaient parmi les plus hauts dignitaires de l'Armée rouge. Aujourd'hui, ils ne sont plus rien. Dans quelques instants, ils seront morts. Leur crime ? Radio Moscou n'a pas été avare de détails la veille : “ Ces détenus sont accusés d'infraction au devoir militaire, de trahison envers la patrie, de trahison envers les peuples de l'URSS, de trahison envers l'Armée rouge ouvrière et paysanne ”.
Mais encore ? “ Les éléments recueillis au cours de l'instruction ont permis d'établir la participation des accusés, ainsi que celle de Gamarnik qui s'est suicidé récemment, à une entreprise contre l'Etat, en liaison avec les milieux militaires dirigeants d'un des Etats étrangers qui mènent une politique inamicale envers l'URSS. Se trouvant au service de l'espionnage militaire de cet Etat, les accusés remettaient systématiquement des renseignements sur l'état de l'Armée rouge et accomplissaient un travail de sabotage pour l'affaiblissement de la puissance militaire soviétique ”.
L'objectif poursuivi selon Radio Moscou? “ Préparer ainsi, en cas d'agression militaire contre l'URSS, la défaite de l'Armée rouge, dans le dessein final de contribuer à un rétablissement en URSS d'un pouvoir de grands propriétaires terriens et de capitalistes ”. Les auditeurs de Radio Moscou n'en croyaient pas leurs oreilles : les plus grands chefs de l'Armée rouge dont Toukhatchevski, le héros de la guerre civile, le principal organisateur de ladite armée, auraient organisé un complot afin de faire battre l'une des forces militaires les plus puissantes au monde ? Justement, les accusés auraient reconnu les faits: “ Tous les inculpés se sont reconnus entièrement coupables des accusations relevées contre eux ”.
Moyennant quoi, l'examen de l'affaire - à huis clos, bien entendu - aurait lieu le jour même par le Tribunal judiciaire spécial de la Cour suprême de l'URSS. Une juridiction exceptionnelle pour une affaire exceptionnelle entièrement téléguidée par Staline, maître absolu de l'URSS depuis 1927; un Staline qui a banni Trotski en 1929, épuré toute la vieille garde bolchévique en 1934/35.
A l'occasion des procès de Moscou, le monde entier a assisté à un spectacle incroyable : de vieux révolutionnaires chevronnés s'accusant publiquement des crimes les plus invraisemblables. Zinoviev, Kamenev et Smirnov ont été condamnés et exécutés il n'y a pas longtemps, en 1936. Alors, après les “déviationnistes de gauche ”, les militaires ? A l'audience du tribunal judiciaire spécial, le maréchal Toukhatchevski - après lecture de l'accusation - a lancé aux juges : “ Vous n'avez pas rêvé cela, par hasard?” Après lecture de la sentence, le général Iakir - communiste fervent - a écrit à Staline: “ Je suis un loyal soldat, dévoué au parti, à l'Etat, au peuple.
Toute ma vie consciente s'est écoulée dans un travail honnête, plein d'abnégation, sous les yeux du parti et de ses dirigeants. Je suis honnête dans chacune de mes paroles. Je mourrai en prononçant des paroles d'amour pour vous, pour le parti et pour le pays, avec une foi inébranlable en la victoire du communisme ”. Impitoyable, Staline a annoté la lettre: “Scélérat et prostitué”. Membres de son entourage le plus étroit, Vorochilov, Molotov et Kaganovitch se sont empressés d'approuver et de proclamer que décidément pour ce “traître”, cette “crapule ”, le seul châtiment possible, c'était la mort.
La mort des sept chefs de l'armée ne constitue que le premier épisode d'une gigantesque purge militaire dont seront victimes trois maréchaux sur cinq, soixante-quinze des quatre-vingts membres du Conseil supérieur de la guerre ; treize sur quinze des commandants d'armée, trente-cinq mille officiers soit la moitié de l'encadrement de l'Armée rouge.
Lorsque Hitler attaquera l'URSS, la capacité de celle-ci à se défendre, en sera tragiquement amoindrie. Pourquoi Staline a-t-il éliminé ses meilleurs chefs militaires? Et comment? La réponse à la première question est relativement facile à donner : la mégalomanie de Staline lui faisait voir des rivaux et des adversaires partout.
Sa prédisposition à les éliminer avec brutalité, par des moyens expéditifs, commençait à être connue. Ce qui ne dispense pas de rechercher une cause officielle à peu près plausible. En tous les cas ce que l'on appela dès lors l'affaire Toukhatchevski ne constituait que l'ultime épisode d'un véritable enchevêtrement de manipulations policières et internationales dont l'infortuné maréchal avait été le jouet le plus célèbre.
Toukhatchevski était né près de Smolensk en 1893. Militaire par vocation, il était sous-lieutenant à la veille de la guerre de 1914. Engagé sur le front de Galicie, il s'était bien battu mais avait été fait prisonnier par les Allemands en 1915. A la forteresse d'Ingolstadt - prison qui accueillait particulièrement les officiers alliés particulièrement friands d'évasions - il avait eu pour compagnon de captivité un certain capitaine Charles de Gaulle.
Le Russe avait tout de même réussi en 1917 à s'enfuir. Rejoignant Pétrograd, il est d'entrée du côté des bolcheviks et de Lénine. Lorsque la guerre civile éclate et que Trotski organise l'Armée rouge des ouvriers et des paysans, Toukhatchevski est naturellement de la partie. A vingt-cinq ans, il prend le commandement de la 1re Armée.
Quatre années durant, il assumera tous les commandements contre les contre-offensives des Russes blancs menées par Koltchak, Miller, Denikine ou Wrangel, toujours avec succès. Ce héros de la guerre civile allait poursuivre son ascension une fois la paix revenue. Tour à tour commandant de l'Académie militaire de l'Armée rouge, chef d'état-major, ministre adjoint de la Défense, responsable des armements et finalement maréchal, Toukhatchevski est connu, apprécié, admiré dans le monde entier.
L'historien Benoist-Méchin, peu suspect de russophilie, écrit : “En 1936, l'Armée rouge est devenue une des plus fortes armées du continent. Elle est dotée d'un équipement très moderne et ses effectifs sont remarquablement aguerris ”. Irréprochable donc dangereux : c'est le raisonnement de Staline. C'est aussi celui de l'Allemagne hitlérienne. Car les Allemands connaissent bien le maréchal soviétique.
D'abord parce qu'il a sollicité et obtenu l'aide de spécialistes allemands pour l'organisation de l'Armée rouge. Ensuite, parce que - par un juste retour d'ascenseur - il a permis à la Reichswehr d'entraîner ses unités blindés et son aviation en URSS, toutes choses interdites aux Allemands par le traité de Versailles. Ceci se passait avant Hitler, avant 1933. Mais le tribunal qui condamne le maréchal et les autres chefs militaires les accuse justement d'intelligence avec l'Allemagne.
Et cette accusation peut paraître à certains égards plausible. Pour autant, elle est totalement fausse : Toukhatchevski tombe victime d'une double machination. Tout commence en décembre 1936. Un certain Skobline rend visite à Berlin à Reinhard Heydrich, l'adjoint d'Himmler à la tête de la Gestapo. Qui est Skobline? Officiellement, il est général de l'armée blanche commandée par le général Miller, président de l'Organisation mondiale des militaires russes émigrés ; son adjoint en l'occurrence.
La suite...
Commentaire