Fidèle aussi bien à la lumière qu’à l’obscurité de ce lieu où il a élu demeure, la Méditerranée, Jean-Claude Villain ne cesse d’interroger cette terre qui promet de nouveaux signes. Son dernier livre, Ithaques, publié aux éditions Le Cormier, vient prolonger une réflexion et un travail poétique entrepris depuis des décennies.Dès le départ, la Méditerranée a constitué pour lui un lieu essentiel, lieu non de vaines aventures mais de plongées poétiques où chaque ressac redouble d’obscurité ce chant à déchiffrer, où chaque signe provoque non pas une fuite mais un questionnement, une œuvre à venir.
Entamé par deux citations qui disent bien le ton et le paysage, Constantin Cavafy «sage comme tu es devenu après tant d’épreuves, tu as enfin compris ce que signifient les ithaques» dont l’esprit en est le credo et Camus dont la phrase célèbre en dit long sur «notre tâche qui est de réhabiliter la Méditerranée», «je sais que la mer me précède et me suit». Le poète continue sa quête faite de lumière, de clarté et du désir de saisir l’alphabet de la mer et de la lumière.
A travers une écriture limpide, dépouillée de toute emphase, une écriture qui tend vers la blancheur du silence, le poète se fait le sismographe du monde.
Un art avec lequel le poète capte les lumières de ce pays bleu. Dans l’entretien qu’il a eu l’amitié de nous accorder, le poète parle de cet art qui le passionne et nous fait part d’une vision généreuse du monde.
La Tribune : Une des questions qui revient sans cesse dans votre travail de poète est la question du lieu. Pour vous, quel est le sens du lieu et quelle est sa place dans le poème ?
Jean-Claude Villain : Chez moi, la question du lieu s’articule autour de plusieurs plans. Je reprendrai d’Edouard Glissant, «Pays rêvé, pays réel». Tout rêve de lieu exprime une frustration et l’attente d’un lieu idéalisé. Il y a chez moi des lieux qui varient selon que ma vie m’amène à les subir et les quitter, les rêver et les rejoindre. Méditerranéen, non de naissance mais d’élection, j’ai d’abord vécu en des lieux qui ont inspiré mes premiers poèmes, même si ceux-ci disaient le manque, le malaise, tant en raison d’une rusticité archaïque qui me pesait plus qu’elle pouvait m’inspirer, que d’un déficit de lumière amplifiant la fadeur des couleurs ternes des paysages me portant alors à la mélancolie. La mer Méditerranée a longtemps été mon lieu rêvé par excellence ; j’ai mis tout le poids de ma liberté et de ma volonté à en faire un lieu réel puisque, depuis bientôt quarante ans, je vis sur les rivages de cette mer bénie.
Pour autant, d’autres lieux continuent d’habiter mon rêve et mon désir : une permanente attraction solaire me porte à des «îles Fortunées», archipels proches comme la Grèce par exemple, ou lointains comme les Marquises où flotte cette «douceur de vivre» évoquée par Baudelaire et que connut son contemporain Gauguin. Mais le lieu n’est pas que celui que notre vie réelle peut embrasser après que le rêve a donné la direction. Il est aussi celui qui se vit dans un légendaire personnel irrigué par les mythes. La poésie est nourrie d’intuitions, de «visions», parfois de prémonitions, de prescience. Cette dimension transcende le temps et l’espace et permet de se projeter en des lieux inconnus devenant cependant familiers. Ainsi pour moi l’expérience poétique de lieux où je ne suis pas allé avant d’écrire, telle celle du désert (Parole, exil), ou celle, douloureuse, de la traite des Noirs exilés aux Amériques et qui me permit de «fréquenter» les Antilles (Leur Dit). En tant que poète, il faut toujours clamer la puissance du rêve et dire que, oui, nos désirs les plus profonds deviennent réalité. J’habite aujourd’hui pour partie une petite maison de poète sur la colline inspirée de Sidi Bou Saïd, de tradition soufie, fréquentée par de nombreux artistes au cours du XXe siècle. Mon inscription en ce lieu, comme préparée par mon itinéraire, a cependant été conduite par un mystère qui renforce ma croyance en l’opération alchimique qui se joue entre un poète et le(s) lieu(x) : ils se façonnent, s’appellent et se reconnaissent mutuellement. A une époque si riche d’échanges et de voyages, de déplacements de toutes sortes, causes et conséquences d’une mondialisation irréversible, il est capital de sentir ses pieds bien posés quelque part. Cette assise est nécessaire à tous les envols, tous les nomadismes; elle fournit tout à la fois sécurité et élan au poète. In fine cependant, celui-ci doit n’avoir plus comme «lieu» que le poème, territoire symbolique, socle auquel seul, finalement, le poète appartient. Le poème n’est donc pas la métaphore finale du lieu mais les lieux – réels ou rêvés - sont métaphores initiales du poème, lui-même en éternel façonnement.
On peut qualifier votre travail de géopoétique?
Oui ce concept introduit par Kenneth White s’applique totalement à mon travail. Au-delà des préférences personnelles (variables selon le temps), il y a un sens poétique à la rose des vents, aux quatre points cardinaux. Un certain type d’interrogation du monde ne peut être conduit que par la poésie parallèlement à la science, tout comme la poésie, aussi abstraite qu’elle puisse paraître parfois, va au monde, y retourne.
Il y a aussi quelque chose de très puissant chez vous, c’est l’opposition en quelque sorte de la ville, lieu de malédiction par excellence et du territoire qu’on peut dire village, bourg, etc., en tout cas marge, lieu du possible, une poésie en marge de la ville, peut-on dire...
Je ne suis pas, il est vrai, un citadin. Cela par choix depuis toujours. J’ai donc toujours habité des lieux à la campagne, retirés et silencieux, au contact direct de la nature. C’est une question de sensibilité instinctive, pas réfléchie, de «nature» en somme. Toutefois, je n’oppose pas de façon manichéenne comme tu le suggères, la ville-malédiction et le village-marge. J’aime certaines capitales même si je ne projette pas d’y vivre durablement. Ma poésie se nourrit du monde, c’est-à-dire autant d’un cosmos où l’homme pourrait être absent, que d’un monde qui serait orphelin sans la sensibilité, la présence, le regard humains. La ville est essentiellement pour moi rencontre des visages ; ils sont là par multitudes et me parlent de la variété infinie de l’humain. J’essaie sans cesse de le comprendre, le connaître, l’accompagner, parfois dans l’empathie, parfois dans le désemparement. Ma poésie, il est vrai, n’est pas une poésie référée au monde urbain (quoiqu’un recueil ancien et resté inédit titre «Erotique de la ville»).
Entamé par deux citations qui disent bien le ton et le paysage, Constantin Cavafy «sage comme tu es devenu après tant d’épreuves, tu as enfin compris ce que signifient les ithaques» dont l’esprit en est le credo et Camus dont la phrase célèbre en dit long sur «notre tâche qui est de réhabiliter la Méditerranée», «je sais que la mer me précède et me suit». Le poète continue sa quête faite de lumière, de clarté et du désir de saisir l’alphabet de la mer et de la lumière.
A travers une écriture limpide, dépouillée de toute emphase, une écriture qui tend vers la blancheur du silence, le poète se fait le sismographe du monde.
Un art avec lequel le poète capte les lumières de ce pays bleu. Dans l’entretien qu’il a eu l’amitié de nous accorder, le poète parle de cet art qui le passionne et nous fait part d’une vision généreuse du monde.
La Tribune : Une des questions qui revient sans cesse dans votre travail de poète est la question du lieu. Pour vous, quel est le sens du lieu et quelle est sa place dans le poème ?
Jean-Claude Villain : Chez moi, la question du lieu s’articule autour de plusieurs plans. Je reprendrai d’Edouard Glissant, «Pays rêvé, pays réel». Tout rêve de lieu exprime une frustration et l’attente d’un lieu idéalisé. Il y a chez moi des lieux qui varient selon que ma vie m’amène à les subir et les quitter, les rêver et les rejoindre. Méditerranéen, non de naissance mais d’élection, j’ai d’abord vécu en des lieux qui ont inspiré mes premiers poèmes, même si ceux-ci disaient le manque, le malaise, tant en raison d’une rusticité archaïque qui me pesait plus qu’elle pouvait m’inspirer, que d’un déficit de lumière amplifiant la fadeur des couleurs ternes des paysages me portant alors à la mélancolie. La mer Méditerranée a longtemps été mon lieu rêvé par excellence ; j’ai mis tout le poids de ma liberté et de ma volonté à en faire un lieu réel puisque, depuis bientôt quarante ans, je vis sur les rivages de cette mer bénie.
Pour autant, d’autres lieux continuent d’habiter mon rêve et mon désir : une permanente attraction solaire me porte à des «îles Fortunées», archipels proches comme la Grèce par exemple, ou lointains comme les Marquises où flotte cette «douceur de vivre» évoquée par Baudelaire et que connut son contemporain Gauguin. Mais le lieu n’est pas que celui que notre vie réelle peut embrasser après que le rêve a donné la direction. Il est aussi celui qui se vit dans un légendaire personnel irrigué par les mythes. La poésie est nourrie d’intuitions, de «visions», parfois de prémonitions, de prescience. Cette dimension transcende le temps et l’espace et permet de se projeter en des lieux inconnus devenant cependant familiers. Ainsi pour moi l’expérience poétique de lieux où je ne suis pas allé avant d’écrire, telle celle du désert (Parole, exil), ou celle, douloureuse, de la traite des Noirs exilés aux Amériques et qui me permit de «fréquenter» les Antilles (Leur Dit). En tant que poète, il faut toujours clamer la puissance du rêve et dire que, oui, nos désirs les plus profonds deviennent réalité. J’habite aujourd’hui pour partie une petite maison de poète sur la colline inspirée de Sidi Bou Saïd, de tradition soufie, fréquentée par de nombreux artistes au cours du XXe siècle. Mon inscription en ce lieu, comme préparée par mon itinéraire, a cependant été conduite par un mystère qui renforce ma croyance en l’opération alchimique qui se joue entre un poète et le(s) lieu(x) : ils se façonnent, s’appellent et se reconnaissent mutuellement. A une époque si riche d’échanges et de voyages, de déplacements de toutes sortes, causes et conséquences d’une mondialisation irréversible, il est capital de sentir ses pieds bien posés quelque part. Cette assise est nécessaire à tous les envols, tous les nomadismes; elle fournit tout à la fois sécurité et élan au poète. In fine cependant, celui-ci doit n’avoir plus comme «lieu» que le poème, territoire symbolique, socle auquel seul, finalement, le poète appartient. Le poème n’est donc pas la métaphore finale du lieu mais les lieux – réels ou rêvés - sont métaphores initiales du poème, lui-même en éternel façonnement.
On peut qualifier votre travail de géopoétique?
Oui ce concept introduit par Kenneth White s’applique totalement à mon travail. Au-delà des préférences personnelles (variables selon le temps), il y a un sens poétique à la rose des vents, aux quatre points cardinaux. Un certain type d’interrogation du monde ne peut être conduit que par la poésie parallèlement à la science, tout comme la poésie, aussi abstraite qu’elle puisse paraître parfois, va au monde, y retourne.
Il y a aussi quelque chose de très puissant chez vous, c’est l’opposition en quelque sorte de la ville, lieu de malédiction par excellence et du territoire qu’on peut dire village, bourg, etc., en tout cas marge, lieu du possible, une poésie en marge de la ville, peut-on dire...
Je ne suis pas, il est vrai, un citadin. Cela par choix depuis toujours. J’ai donc toujours habité des lieux à la campagne, retirés et silencieux, au contact direct de la nature. C’est une question de sensibilité instinctive, pas réfléchie, de «nature» en somme. Toutefois, je n’oppose pas de façon manichéenne comme tu le suggères, la ville-malédiction et le village-marge. J’aime certaines capitales même si je ne projette pas d’y vivre durablement. Ma poésie se nourrit du monde, c’est-à-dire autant d’un cosmos où l’homme pourrait être absent, que d’un monde qui serait orphelin sans la sensibilité, la présence, le regard humains. La ville est essentiellement pour moi rencontre des visages ; ils sont là par multitudes et me parlent de la variété infinie de l’humain. J’essaie sans cesse de le comprendre, le connaître, l’accompagner, parfois dans l’empathie, parfois dans le désemparement. Ma poésie, il est vrai, n’est pas une poésie référée au monde urbain (quoiqu’un recueil ancien et resté inédit titre «Erotique de la ville»).
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