KATEB Yacine
Né le 6 août 1929 à Constantine. Son père est oukil judiciaire, homme de double culture. Sa mère l'initie à la poésie et au théâtre. En 1936, il entre à l'école française après avoir été à l'école coranique. Mutations du père, nombreux déplacements. En 3e au lycée de Sétif, le 8 mai 1945, il participe aux manifestations. Expérience déterminante à tous points de vue. Sa mère, le croyant fusillé, devient folle et sera internée de longues années. Renvoyé du collège. En 1946, il publie à Bône (Annaba) son premier recueil de poèmes, Soliloques. Il rencontre alors à Constantine son père spirituel, Si Mohamed Tahar Ben Lounissi, qui se charge de la diffusion du recueil que les libraires n'ont pas voulu exposer. Au cours de l'année 1946-1947, Kateb milite dans les milieux du P.P.A. et donne à Bône des sortes de cours du soir pour illettrés, prenant conscience que, s'il est important de se faire lire, il faut aussi parler aux gens: conférences politico-littéraires dont le texte conservé de la conférence sur Abdelkader donne une idée. Le premier voyage à Paris date de 1947 Y. Chataigneau, alors gouverneur général de l'Algérie (trop favorable aux « indigènes ", il est mal vu des colons; il sera remplacé en 1947 par Naegelen), a eu connaissance de Soliloques et assure au jeune poète ce voyage. Kateb est à Paris en contact constant avec les émigrés et fait connaissance avec les milieux littéraires de gau*che : il publie ainsi pour la première fois, en France, un poème dans le numéro du 16 mai 1947 des Lettres françaises, Ouverte la voix, puis au Mercure de France en janvier 1948, Nedjma ou le Poème au couteau.
De 1948 à 1950, il est journaliste à Alger-Républicain (Henri Alleg, Mohammed Dib) : il publiera de nombreux articles dont un reportage vers La Mecque, suivant le pèlerinage pour le journal. Le 14 août, il part pour son premier voyage en U.R.S.S, où il retournera souvent par la suite (Redha Houhou, Tahar Ghomri, Bachir Merad). C'est en 1950 que son père meurt. Kateb emmène à Alger sa mère et ses sœurs. Il décide de partir en France (nomadisme à la recherche de petits boulots : voir les pages du Polygone étoilé du périple de Lakhdar). Il revient ensuite à Alger où, après une période de chômage, il est docker quelque temps. C'est à partir de 1952 et du nouveau départ pour la France que la vie errante de l'écrivain commence. Nous ne pouvons pas rendre compte de tous les déplacements reconstitués par J. Arnaud (voir son étude). Ils le mèneront en Italie, en Belgique, en Suède, en Yougoslavie. Notons les deux séjours qu'il fait à Tunis : premier séjour lorsque J.-M. Serreau y monte Le Cadavre encerclé, dont la première représentation a lieu le 4 août 1958, et le second séjour de novembre 1960 à septembre 1961 (publie de nombreux textes dans Afrique-Action). Début 1962, il est en Allemagne; en février 1962, il participe, en Égypte, au congrès des écrivains afro-asiatiques.
Il rentre en Algérie, peu après les fêtes de (indépendance, en juillet 1962. Il repart à Paris, en novembre, pour la mise en scène de La Femme sauvage. En 1963, nouveau voyage en U.R.S.S., pour raisons de santé. Les voyages et déplacements vont se poursuivre entre la France, l'Algérie et l'U.R.S.S. Kateb Yacine est à Alger de mars à septembre 1965; puis, à nouveau de mars à octobre 1966. Il y revient à la mi-novembre et fait une expérience à la R.T.A. d'émissions, dont « Poussières de juillet a, dont il écrit le texte et qu'illustre son ami Issiakhem. En juin 1967, après un voyage à Moscou, il pousse jusqu'à Pékin et Hanoi. Le Viêt-Nam est une expérience déterminante et lui permet de se remettre à l'écriture pendant deux années. Il ne fera alors que de brèves apparitions à Paris, Lyon, Grenoble. En juillet 1968, il fait un séjour d'un mois en Algérie. En janvier 1971, il fait partie d'une délégation invitée au Viêt-Nam.
A partir d'avril 1971, Kateb est à Alger; il ne revient en France qu'en mars 1972 pour accompagner la tournée de la troupe qui joue sa nouvelle pièce sur l'émigration. Il passe ensuite l'été à Tlemcen, puis il constitue sa troupe de théâtre qui sera prise en charge par le ministère du Travail et des Affaires Sociales (A.C.T.:Action culturelle des travailleurs). Séjour dans le Caucase pour repos de juin à août 1977. En avril 1978, il est nommé directeur du Théâtre régional de Sidi*Bel-Abbès ; en mars-avril 1980, il revient s'installer à Alger pour ne pas rester éloigné du centre de décision (sa mère meurt en octobre 1980). En 1981, il donne un cycle de conférences aux étudiants. En 1982, il revient à Bel-Abbès pour quelques mois ; il participe, à Oran, au colloque organisé en hommage à M. Feraoun, en mars 1982. Kateb, qui a peu quitté l'Algérie depuis neuf années, accepte de ressortir pour différentes activités culturelles. En septembre 1983, il est revenu résider à Alger et fait des va-et-vient avec Bel-Abbès. Le 22 mars 1985, c'est l'avant-première du film de Dominique Colonna qui lui est consacré et qui sort sur le petit écran, le 22 août. C'est véritablement un redémarrage pour l'écrivain que vient assombrir la mort de deux amis essentiels : M. Issiakhem et J. Arnaud (en 1986 et 1987). En avril 1987, le département de français de l'université d'Alger organise un hommage en l'honneur des trente ans de la publication de Nedjma, auquel l'écrivain assiste : l'enthousiasme de la salle est à la mesure de sa popularité. En janvier 1987, il a reçu le Grand Prix national des lettres, décerné par la ministère français de la Culture. Il meurt en octobre 1989.
(Nous ne pouvons ici que reprendre les publications d'ouvrages) : Nedjma (Paris, le Seuil, 1956) ; Le Cercle des représailles (Paris, le Seuil, 1959) ; Le Polygone étoilé (Paris, le Seuil,1966) ; L'Homme aux sandales de caoutchouc (Paris, le Seuil, 1970) ; L'Œuvre en fragments (Paris, Sindbad,1986).
LES FOURMIS ROUGES
Fallait pas partir. Si j'étais resté au collège, ils ne m'auraient pas arrêté. Je serais encore étudiant, pas manoeuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde fois, pour un coup de tête. Fallait rester au collège, comme disait le chef de district.
Fallait rester au collège, au poste.
Fallait écouter le chef de district.
Mais les Européens s'étaient groupés.
Ils avaient déplacé les lits.
Ils se montraient les armes de leurs papas.
Y avait plus ni principal ni pions.
L'odeur des cuisines n'arrivait plus.
Le cuisinier et l'économe s'étaient enfuis.
Ils avaient peur de nous, de nous, de nous !
Les manifestants s'étaient volatilisés.
le suis passé à l'étude. J'ai pris les tracts.
J'ai caché la Vie d'Abdelkader .
J'ai ressenti la force des idées.
J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration...
La respiration de l'Algérie suffisait.
Suffisait à chasser les mouches.
Puis l'Algérie elle même est devenue...
Devenue traîtreusement une mouche.
Mais les fourmis, les fourmis rouges,
Les fourmis rouges venaient à la rescousse.
Je suis parti avec les tracts.
Je les enterrés dans la rivière.
J'ai tracé sur le sable un plan...
Un plan de manifestation future.
Qu'on me donne cette rivière, et je me battrai.
je me battrai avec du sable et de l'eau.
De l'eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.
J'étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.
Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.
Je l'appelai, mais il ne vint pas. Il me fit signe.
Il me fit signe qu'il était en guerre.
En guerre avec son estomac, Tout le monde sait...
Tout le monde sait qu'un paysan n'a pas d'esprit.
Un paysan n'est qu'un estomac. Une catapulte.
Moi j'étais étudiant. J'étais une puce.
Un puce sentimentale... Les fleurs des peupliers...
Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.
Moi j'étais en guerre. je divertissais le paysan.
Je voulais qu'il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant
mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.
Né le 6 août 1929 à Constantine. Son père est oukil judiciaire, homme de double culture. Sa mère l'initie à la poésie et au théâtre. En 1936, il entre à l'école française après avoir été à l'école coranique. Mutations du père, nombreux déplacements. En 3e au lycée de Sétif, le 8 mai 1945, il participe aux manifestations. Expérience déterminante à tous points de vue. Sa mère, le croyant fusillé, devient folle et sera internée de longues années. Renvoyé du collège. En 1946, il publie à Bône (Annaba) son premier recueil de poèmes, Soliloques. Il rencontre alors à Constantine son père spirituel, Si Mohamed Tahar Ben Lounissi, qui se charge de la diffusion du recueil que les libraires n'ont pas voulu exposer. Au cours de l'année 1946-1947, Kateb milite dans les milieux du P.P.A. et donne à Bône des sortes de cours du soir pour illettrés, prenant conscience que, s'il est important de se faire lire, il faut aussi parler aux gens: conférences politico-littéraires dont le texte conservé de la conférence sur Abdelkader donne une idée. Le premier voyage à Paris date de 1947 Y. Chataigneau, alors gouverneur général de l'Algérie (trop favorable aux « indigènes ", il est mal vu des colons; il sera remplacé en 1947 par Naegelen), a eu connaissance de Soliloques et assure au jeune poète ce voyage. Kateb est à Paris en contact constant avec les émigrés et fait connaissance avec les milieux littéraires de gau*che : il publie ainsi pour la première fois, en France, un poème dans le numéro du 16 mai 1947 des Lettres françaises, Ouverte la voix, puis au Mercure de France en janvier 1948, Nedjma ou le Poème au couteau.
De 1948 à 1950, il est journaliste à Alger-Républicain (Henri Alleg, Mohammed Dib) : il publiera de nombreux articles dont un reportage vers La Mecque, suivant le pèlerinage pour le journal. Le 14 août, il part pour son premier voyage en U.R.S.S, où il retournera souvent par la suite (Redha Houhou, Tahar Ghomri, Bachir Merad). C'est en 1950 que son père meurt. Kateb emmène à Alger sa mère et ses sœurs. Il décide de partir en France (nomadisme à la recherche de petits boulots : voir les pages du Polygone étoilé du périple de Lakhdar). Il revient ensuite à Alger où, après une période de chômage, il est docker quelque temps. C'est à partir de 1952 et du nouveau départ pour la France que la vie errante de l'écrivain commence. Nous ne pouvons pas rendre compte de tous les déplacements reconstitués par J. Arnaud (voir son étude). Ils le mèneront en Italie, en Belgique, en Suède, en Yougoslavie. Notons les deux séjours qu'il fait à Tunis : premier séjour lorsque J.-M. Serreau y monte Le Cadavre encerclé, dont la première représentation a lieu le 4 août 1958, et le second séjour de novembre 1960 à septembre 1961 (publie de nombreux textes dans Afrique-Action). Début 1962, il est en Allemagne; en février 1962, il participe, en Égypte, au congrès des écrivains afro-asiatiques.
Il rentre en Algérie, peu après les fêtes de (indépendance, en juillet 1962. Il repart à Paris, en novembre, pour la mise en scène de La Femme sauvage. En 1963, nouveau voyage en U.R.S.S., pour raisons de santé. Les voyages et déplacements vont se poursuivre entre la France, l'Algérie et l'U.R.S.S. Kateb Yacine est à Alger de mars à septembre 1965; puis, à nouveau de mars à octobre 1966. Il y revient à la mi-novembre et fait une expérience à la R.T.A. d'émissions, dont « Poussières de juillet a, dont il écrit le texte et qu'illustre son ami Issiakhem. En juin 1967, après un voyage à Moscou, il pousse jusqu'à Pékin et Hanoi. Le Viêt-Nam est une expérience déterminante et lui permet de se remettre à l'écriture pendant deux années. Il ne fera alors que de brèves apparitions à Paris, Lyon, Grenoble. En juillet 1968, il fait un séjour d'un mois en Algérie. En janvier 1971, il fait partie d'une délégation invitée au Viêt-Nam.
A partir d'avril 1971, Kateb est à Alger; il ne revient en France qu'en mars 1972 pour accompagner la tournée de la troupe qui joue sa nouvelle pièce sur l'émigration. Il passe ensuite l'été à Tlemcen, puis il constitue sa troupe de théâtre qui sera prise en charge par le ministère du Travail et des Affaires Sociales (A.C.T.:Action culturelle des travailleurs). Séjour dans le Caucase pour repos de juin à août 1977. En avril 1978, il est nommé directeur du Théâtre régional de Sidi*Bel-Abbès ; en mars-avril 1980, il revient s'installer à Alger pour ne pas rester éloigné du centre de décision (sa mère meurt en octobre 1980). En 1981, il donne un cycle de conférences aux étudiants. En 1982, il revient à Bel-Abbès pour quelques mois ; il participe, à Oran, au colloque organisé en hommage à M. Feraoun, en mars 1982. Kateb, qui a peu quitté l'Algérie depuis neuf années, accepte de ressortir pour différentes activités culturelles. En septembre 1983, il est revenu résider à Alger et fait des va-et-vient avec Bel-Abbès. Le 22 mars 1985, c'est l'avant-première du film de Dominique Colonna qui lui est consacré et qui sort sur le petit écran, le 22 août. C'est véritablement un redémarrage pour l'écrivain que vient assombrir la mort de deux amis essentiels : M. Issiakhem et J. Arnaud (en 1986 et 1987). En avril 1987, le département de français de l'université d'Alger organise un hommage en l'honneur des trente ans de la publication de Nedjma, auquel l'écrivain assiste : l'enthousiasme de la salle est à la mesure de sa popularité. En janvier 1987, il a reçu le Grand Prix national des lettres, décerné par la ministère français de la Culture. Il meurt en octobre 1989.
(Nous ne pouvons ici que reprendre les publications d'ouvrages) : Nedjma (Paris, le Seuil, 1956) ; Le Cercle des représailles (Paris, le Seuil, 1959) ; Le Polygone étoilé (Paris, le Seuil,1966) ; L'Homme aux sandales de caoutchouc (Paris, le Seuil, 1970) ; L'Œuvre en fragments (Paris, Sindbad,1986).
LES FOURMIS ROUGES
Fallait pas partir. Si j'étais resté au collège, ils ne m'auraient pas arrêté. Je serais encore étudiant, pas manoeuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde fois, pour un coup de tête. Fallait rester au collège, comme disait le chef de district.
Fallait rester au collège, au poste.
Fallait écouter le chef de district.
Mais les Européens s'étaient groupés.
Ils avaient déplacé les lits.
Ils se montraient les armes de leurs papas.
Y avait plus ni principal ni pions.
L'odeur des cuisines n'arrivait plus.
Le cuisinier et l'économe s'étaient enfuis.
Ils avaient peur de nous, de nous, de nous !
Les manifestants s'étaient volatilisés.
le suis passé à l'étude. J'ai pris les tracts.
J'ai caché la Vie d'Abdelkader .
J'ai ressenti la force des idées.
J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration...
La respiration de l'Algérie suffisait.
Suffisait à chasser les mouches.
Puis l'Algérie elle même est devenue...
Devenue traîtreusement une mouche.
Mais les fourmis, les fourmis rouges,
Les fourmis rouges venaient à la rescousse.
Je suis parti avec les tracts.
Je les enterrés dans la rivière.
J'ai tracé sur le sable un plan...
Un plan de manifestation future.
Qu'on me donne cette rivière, et je me battrai.
je me battrai avec du sable et de l'eau.
De l'eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.
J'étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.
Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.
Je l'appelai, mais il ne vint pas. Il me fit signe.
Il me fit signe qu'il était en guerre.
En guerre avec son estomac, Tout le monde sait...
Tout le monde sait qu'un paysan n'a pas d'esprit.
Un paysan n'est qu'un estomac. Une catapulte.
Moi j'étais étudiant. J'étais une puce.
Un puce sentimentale... Les fleurs des peupliers...
Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.
Moi j'étais en guerre. je divertissais le paysan.
Je voulais qu'il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant
mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.
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