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Mémoire de déracinés, La satire chantée des Afro-Américains

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  • Mémoire de déracinés, La satire chantée des Afro-Américains

    La mémoires des millions de jeunes hommes et femmes arrachés de force à leur terre pour servir d’esclaves au service des Blancs, en Amérique…..

    La satire chantée est un genre littéraire de type populaire, mis au point par les Nègres vendus aux enchères publiques, pour faire part comme dans un journal intime, de leur vécu collectif, sur un continent où seul le profit des Européens comptait et où les Nègres étaient soumis à un traitement inhumain.

    C’est tout ce patrimoine culturel qui fait l’objet aujourd’hui d’investigations en ethnolinguistique, anthropologie, ethnologie, histoire, sous la direction des professeurs universitaires de Californie, de Louisiane ou d’ailleurs et sous le titre de «Catégorie de chants populaires afro-américains».

    Les Blancs étaient loin d’imaginer le ridicule que comportaient ces textes à leur intention. Et infliger aux exploiteurs toute cette dérision satirique était pour les Nègres une forme d’exutoire aux frustrations éprouvantes que leur réservaient leurs maîtres qui ont cherché à les dépersonnaliser, à les acculturer en essayant d’effacer toute survivance d’africanité de leur mémoire.
    Un support efficace
    pour des revendications légitimes et une satire justifiée
    En effet, le choix de la chanson n’est pas fortuit. C’est le meilleur canal pour faire passer le message, doucement mais sûrement, exercer des pressions sur les oppresseurs en usant de la conviction. Les africanistes reconnaissent le rôle déterminant de la satire chez les Afro-Américains et son impact lorsqu’elle s’exprime par la chanson moqueuse souvent improvisée. Elle a cette particularité d’être vivante, directe, naturelle, persuasive, subreptice. Ces chansons pour lesquelles les Afro-Américains avaient une réelle vocation étaient composées individuellement ou collectivement sous forme ironique, adressées à des chefs tyranniques, voisins racistes, dirigeants. Aussi, à tous les faibles, vulnérables, opprimés de la société américaine, il était désormais possible, moyennant la parole chantée, la musique vocale ou instrumentale, d’ étaler sur la place publique, reproches, critiques, revendications. On s’est attaqué aux Blancs sans trop les heurter et en gardant quelque chance d’avoir gain de cause.
    Déjà, en Afrique, la satire a fait partie des traditions populaires. Cela relève quelque peu de l’esprit de tolérance si cher aux Africains qui ont admis que l’on plaisante à leurs dépens et que la victime cherche à tirer vengeance d’une injure ou d’une injustice, en formulant pour des journées de fête ou des occasions déterminées, des satires chantées exprimant des commérages et griefs personnels, ciblant telle ou telle personne jugée fautive. Depuis les origines, les sociétés africaines ont évolué à l’ombre des griots, maîtres du verbe, des récits à caractère didactique et pédagogique, et de la satire qu’ils ont cultivée en tant que bardes, sous la forme de chants aussi élogieux que redoutés en raison des critiques acerbes qui ont toujours porté leurs fruits.
    Des chansons satiriques
    pour l’équilibre social,
    des rappels à l’ordre
    Les plus ciblés par la satire sont les vaniteux, tyranniques, inhumains ainsi que par tous ceux qui négligent leurs devoirs. Tout individu fautif devait accepter de se corriger face à un village dressé contre lui par la chanson à plusieurs voix et accompagnée de musique, chacun prenant part du mieux qu’il peut à la moquerie. Y a-t-il de pires sanctions que la dérision dite sur un ton sévère contre quiconque a exercé maladroitement une responsabilité ou attenté à l’ordre moral de la communauté. Et là-dessus, l’Afrique n’a jamais été en retard par rapport aux autres continents. William D. Persen dont les informations concernant la satire africaine nous ont été précieuses, parle d’un certain William Bosman qui a étudié une fête organisée à Axim (Côte de l’Or) au début du XVIIIe siècle. La fête, qui donnait à chacun l’autorisation de chansonner à loisir, a duré huit jours, dont voici quelques aspects qui font la force de cette cérémonie : «La médisance est tellement prisée qu’ils peuvent librement chansonner toutes les fautes, scélératesses et tromperies de leurs supérieurs comme de leurs inférieurs, sans être punis, ni même être le moins du monde interrompus ; et la seule façon de leur fermer la bouche est de leur verser force rasades, ce qui peut aussitôt changer le ton et transformer leurs ballades satiriques en chants à la louange des qualités de celui qui les a généreusement traités.» Il faut relever qu’en Afrique, la satire n’était pas que politique, en Sierra Léone, en 1721, John Atkins raconte que les habitants constituaient des cercles de rieurs qui passaient des moments de réjouissances pour railler, blâmer tous ceux qui le méritaient : mauvais voisins, villageois marginaux, notables. Les Africains les ridiculisaient pour leurs querelles domestiques, leurs différends de voisinage, moyennant des chansons satiriques. Cette manière de blâmer ou de louer se traduit par des résultats concluants. Les chansons satiriques africaines rappellent tous ceux qui ménagent les hommes de plume ou de parole capables de leur asséner de mauvais coups, comme les Africains qui appréhendent le ridicule ou les traitements inhumains.
    La satire du Sierra Léone
    ou du Libéria semblable à celle des Afro-Américains
    Nous sommes dans des sociétés à longue tradition orale où le chanteur satirique compose ses paroles non seulement pour les faire entendre dans des ambiances musicales, mais aussi sur les lieux de travail favorables à ce genre de pratiques. Tel a été le cas du batelier ou du cultivateur qui ont cultivé l’esprit satirique fondé sur l’allusion, l’ironie, la subtilité et le détour. Il arrivait que ces chants fussent destinés à des hommes qui méritaient l’éloge au lieu du ridicule.

    [...]

  • #2
    [...]

    Cette glose africaine et le maniement de la satire, expression d’un règlement de compte ou d’une frustration, s’est répandue en Amérique comme une survivance de l’esprit des ancêtres. Nous en avons des preuves concrètes : des textes satiriques enregistrés auprès des femmes travaillant dans les plantations de café et de quinquina au Congo, présentant toutes les particularités des chants de travail des plantations dans le nouveau monde. Les jeunes femmes, choisies pour leur force, en vue de ce travail pénible visaient en chantant leur patron qui, par méchanceté ou mépris, refusait parfois de verser à ces ouvrières leurs rations de sel et d’huile de palme ou d’arachide en compensation d’une avance sur leurs salaires.
    Le chant est organisé de manière à décrire, dans une note d’introduction, la plantation, avant d’aborder les flatteries, puis la question des rations de sel et d’huile, et enfin, dans une phase finale, en couplet, la menace d’aller travailler ailleurs si on ne leur donnait pas leur dû. Les ouvrières avaient donc coutume de se plaindre de leur sort en se conformant, à leur corps défendant, à une progression. Les chansons satiriques impromptues, c’est-à-dire composées sur le champ pour la circonstance réussissaient à ridiculiser, par exemple, les missionnaires portugais, français, espagnols, lors des divertissements offerts à l’occasion des fêtes. Il en fut de même des négociants et de tous ceux qui ont tiré profit de l’esclavage. Un chercheur, Mungo Park, rapporte les paroles d’une jeune fileuse de coton du Niger, en 1796. Nous reproduisons ces paroles chantées, dans leur intégralité : «Le vent rugissait et la pluie tombait. Le pauvre homme blanc, faible et fatigué, est venu s’asseoir au pied de notre arbre. Il n’a pas de mère pour lui apporter du lait ; pas de femme pour lui piler son mil. Ayons pitié du pauvre homme blanc ; il n’a pas de mère.» On n’a pas d’explication à faire pour laisser à chacun le soin de faire une analyse, mais chaque phrase est à repenser avec beaucoup d’attention pour en mesurer le contenu, comme pour : «il n’a pas de mère». Des Blancs d’origines diverses ont pu découvrir les capacités étonnantes d’improvisation des Noirs esclaves et ce, malgré leurs conditions matérielles des plus déplorables et le manque de considération de leurs maîtres à leur égard. On a fini par se rendre compte de l’hérédité de leur génie dans l’improvisation de chansons satiriques pour dénoncer leurs traitements cruels et injustes.
    Les Noirs des Antilles maniaient un genre de production orale appelé ballade par laquelle ils s’adonnaient dans le défoulement des réunions à des scènes chantées, aux dépens de leurs propriétaires, qui finissaient après réflexion par savoir qu’il s’agissait de reproches fondés qui leur étaient adressés de manière allusive. En Jamaïque, l’allusion risible était, à chaque fois, inspirée des incidents récents. Les Blancs avaient à comprendre la gravité de leurs actes. Richard R. Madden, qui avait observé les Afro-Américains dans leur quotidien, avait fini par reconnaître leur don extraordinaire pour improviser des chansons et des parodies comiques. «Ce sont par nature des observateurs vifs et perspicaces qui aiment imiter et y réussissent admirablement. A mon avis, ajoute-t-il, ils sont, de tous les gens que j’ai rencontrés, les plus sensibles aux ridicules des autres.» Clément Caines, quant à lui, parle des Noirs de l’île britannique de Saint Christopher. Les poèmes des esclaves sont pour lui d’un niveau de langue médiocre, mais leurs contenus sont admirablement adaptés aux circonstances. Il le dit en des termes plus précis : «Les Noirs font du moindre événement un poème, aux vers frustes certes mais bien adaptés à leurs intentions moqueuses et sarcastiques.» Les femmes noires vivant en Jamaïque accueillaient les Blancs qui arrivaient de voyage par des chants assez significatifs pour qui pouvait y prêter attention. En voici un exemple, choisi pour sa brièveté et son contenu d’une densité inimaginable : «Buckra, nouveau venu (homme blanc) / Il gagne maladie / Il gagne fièvre / Il gagne la mort / Il gagne la mort : / Buckra, nouveau venu. / Il gagne maladie.» Et la satire est d’autant plus cruelle que les femmes esclaves viennent chanter en offrant des fruits à leurs tyrans.
    Il arrivait que le sarcasme fut orienté vers l’inhumanité des Blancs qui n’hésitaient pas à jeter les esclaves malades dans les ravins. Monk Lewis a transcrit : «Emmène-le au ravin ! Emmène-le au ravin ! Mais rapporte la chemise et la planche. Oh maît, maît, moi pas mort encore ! Emmène-le au ravin ! Emmène-le au ravin ! Emporte-le !»

    - Par : Le jeune Independant

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