(Article dédié à tous ceux qui aiment où qui ont aimé l'errance nocturne à Alger
Et qui ont un jour ressenti son cœur palpitant )
Et qui ont un jour ressenti son cœur palpitant )
Ville et arts .Le quartier Ben M'hidi à Alger.
De l’âme à la rue.
Il y a là de quoi constituer un véritable pôle culturel au cœur de la ville.
La réouverture de la Cinémathèque d’Alger a lancé quelques discussions passionnantes – hélas encore en cercles fermés – sur la place de la culture dans la ville. Le succès de cette institution, dans les années soixante-dix, revenait, certes, d’abord à sa dynamique et à sa programmation : à sa tête une équipe de connaisseurs, un fonds cinématographique impressionnant, des échanges très actifs avec les musées du cinéma dans le monde et les plus grands réalisateurs régulièrement présents… Ce palmarès d’activités, qui faisait dire aux spécialistes que la Cinémathèque d’Alger était au moins la seconde au monde, explique l’aura qu’elle avait alors. Mais on ne peut pourtant pas négliger l’apport d’un environnement urbain favorable.
Située en plein cœur de la rue Larbi Ben M’hidi, la mythique salle de répertoire bénéficiait également de l’activité florissante du quartier, de ses commerces courus par tous, de ses grands magasins, de ses trottoirs bien aménagés et ombragés où l’on venait déambuler, de ses cafés et restaurants, etc. Il y avait en outre la présence, toute proche, de l’Université d’Alger, à cette époque la seule de la ville, ce qui assurait un réservoir permanent de passionnés de cinéma, entre étudiants et professeurs, lesquels, après chaque séance, se retrouvaient autour d’une boisson ou d’un repas pour discuter, échanger leurs avis sur un film ou un cinéaste, etc.
De plus, divers facteurs contribuaient à cet engouement : le trafic automobile était bien moindre, les possibilités de stationnement plus aisées et les transports publics, bien que déjà insuffisants, permettaient néanmoins des déplacements jusqu’à une 1h30 du matin. La luminosité même de la rue était bien plus puissante, l’éclairage public étant appuyé par les enseignes et les vitrines qui restaient allumées la nuit. Enfin, il y régnait une parfaite sécurité, ce qui permettait même aux familles, voire à des femmes seules de s’y rendre en soirée.
Quand on a planté ce décor, on peut se rendre compte combien le succès d’une institution culturelle peut dépendre de son environnement urbain. Si l’on doit considérer, aujourd’hui, la situation de ce même quartier, on aura vite fait de conclure que la plupart des observations précédentes peuvent être mises à l’envers. Qu’on en juge.
L’Université a éclaté en plusieurs campus en périphérie et l’intérêt culturel des étudiants et professeurs a beaucoup diminué ou s’est déporté sur d’autres moyens (télévision satellitaire, Internet, téléchargements de films et musiques…). Le commerce a périclité et la plupart des magasins ouvrent à 9h30 pour fermer à 19h au mieux, moins encore durant la saison hivernale, selon un couvre-feu tacite scrupuleusement observé. Les magasins, qui étaient des enseignes établies avec de véritables traditions familiales et professionnelles, se sont transformés, pour la plupart, en commerces rapides, au turn-over effarant, vitrines béantes sur la rue, enseignes en tirage numérique collées sur des alucobons. Les grandes surfaces ont fermé, tel le Bon Marché qui s’est transformé en verrue.
A lors qu’il était considéré à son ouverture comme un modèle international de modernité, il continue à étaler sa crasse et ses dépôts de gravats. Le Monoprix, concédé à un privé un temps, est utilisé actuellement comme annexe de l’APC, sans que l’on sache si cela est provisoire ou définitif. Les prestigieuses Galeries algériennes, véritable monument de l’architecture néo-mauresque, a failli également connaître un sort funeste, avant de connaître une seconde vie en tant que Musée national d’art moderne et contemporain. Ne parlons pas des cafés et restaurants. Quand ils n’ont pas été remplacés par des fast-foods, ils ont simplement disparu. La rampe Ben Boulaïd alignait un nombre impressionnant de restaurants de qualité. Ce n’est plus le cas. On comptait aussi l’Alhambra, sur la terrasse du Bon Marché, où la Cinémathèque recevait les grands réalisateurs du monde, au point que son maître d’hôtel pouvait se targuer d’avoir servi plusieurs titulaires de la Palme d’or du Festival de Cannes.
Le Café anglais, sous l’hôtel d’Angleterre, est parti en cendres suite à un attentat à la bombe et il n'en reste plus qu’un terrain vague. Le fameux Novelty, dit l’annexe de la Cinémathèque, a été acquis par une chaîne internationale de fast-food et respire la tristesse. Stationner dans le quartier exige une foi de charbonnier ou une chance de gagnant du loto. L’éclairage, comme d’ailleurs dans presque toute la capitale, est glauque, blafard et les magasins, claquemurés derrière des plaques métalliques, se gardent bien de laisser une ampoule allumée. Enfin, il y règne, dès la fermeture de ces derniers, une ambiance plutôt inquiétante (à tort ou à raison d’ailleurs) qui n’incite pas à la déambulation et aux sorties.
En voilà le tableau, pourrait-on dire. Il permet d’illustrer une réalité qui, en matière d’activité culturelle et de loisirs, est loin d’être incitative. Cette situation peut s’expliquer, bien sûr, par l’évolution de la ville. Le quartier Ben M’hidi ainsi que la rue Didouche Mourad et toutes les zones riveraines de la Grande Poste, repères centraux de la ville, ont constitué pendant près d’un siècle le centre d’Alger. Aujourd’hui, ce centre n’en est plus un, ne serait-ce que parce que les limites de la ville ont changé. Le développement faramineux des périphéries a entraîné l’éparpillement des zones d’habitation collectives ou individuelles, ainsi que celui des fonctions commerciales, éducatives, institutionnelles même (cela va s’accroître avec le déplacement de l’APN et du Sénat vers le quartier des Fusillés au Ruisseau).
La création d’hyper-centres commerciaux a commencé avec Bab Ezzouar. La recherche de la proximité multiplie les commerces dans cette périphérie, ce qui explique en partie que les commerces du centre, ne disposant plus que d’une clientèle diurne, ferment aussi tôt.
Faute d’une véritable démarche d’urbanisme, cette périphérie s’accroît sans répondre aux besoins de la ville et de ses habitants, tandis que le centre-ville se nécrose, autant par l’usure de ses cadres bâtis que la perte de son attractivité et de son statut urbain. Ainsi, si l’on peut constater une répartition sur la périphérie de plusieurs fonctions, celle de l’activité culturelle y est dramatiquement absente.
Les zones d’habitation individuelles n’ont pas pour vocation d’accueillir des équipements culturels ou non, mais il est anormal que les immenses concentrations de cités collectives de la première et seconde ceinture d’Alger en soient dépourvues. Il n’y a pas un seul cinéma ou centre culturel dans les nombreuses cités du Plateau des Annassers, des zones de Aïn Naâdja, Bab Ezzouar, Dergana, etc. Pendant ce temps, le centre-ville concentre de nombreuses – relativement s’entend – institutions ou équipements culturels.
Devant ce paradoxe, il faut donc envisager à la fois un programme de prise en charge culturelle des banlieues et périphéries et un programme de réhabilitation de la fonction culturelle du centre-ville, qui permettrait de dynamiser, du même coup, les autres fonctions.
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