Brahim Adjami, né le 16 novembre 1928 à Annaba, est pour l’histoire de l’Algérie contemporaine le témoin clé d’un incident à l’origine du démantèlement par les forces coloniales en 1950 de l’Organisation secrète (OS).
Homme pieux, Brahim Adjami est resté fidèle à ses idéaux et continue à vouer, à ce jour, un véritable culte à Messali Hadj, le père du nationalisme algérien. Avec sa carrure imposante, Brahim Adjami est connu également pour avoir été un boxeur professionnel, un vrai homme de poigne. Durant sa jeunesse, il n’a eu de cesse à se battre contre la bestialité de l’ordre colonial. Des années durant, il a côtoyé des héros de la Révolution algérienne, des pères fondateurs qui ont pour noms : Didouche Mourad, Zighoud Youcef ou encore Mohamed Boudiaf. A ce titre, on peut affirmer sans ambages que Brahim Adjami a «tutoyé», d’une certaine manière, l’histoire du mouvement national — ou tout au moins — l’une de ses péripéties les plus palpitantes. Un événement d’apparence anodine qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Pour nos lecteurs, ce protagoniste de premier plan, accepte, aujourd’hui, de lever un coin du voile. Un témoignage exclusif.
La Nouvelle République :
Evoquez-nous, en quelques mots, les circonstances de votre engagement en faveur de la cause nationale.
Brahim Adjami : Dès ma prime enfance, j’avais conscience de cette abjection que représentait le colonialisme, un ordre injuste, immoral,... Les Français étaient, à mes yeux de gosse, des occupants étrangers…Dès 1939, je rejoins les scouts musulmans. En 1943, je deviens sympathisant des Amis du Manifeste et du PPA…
Il y eut ensuite les événements du 8 Mai 1945. Où étiez vous ce jour-là ?
A l’instar de plusieurs autres villes du pays, Annaba s’était soulevée ce jour là. Il y eut des morts et des dizaines de blessés. Je participais dans le centre-ville à un défilé avec les scouts musulmans lorsque des jeunes ont érigé sur le Cours Bertagna, (actuellement Cours de la Révolution ndlr) l’emblème national qu’un renégat nommé Belhaït, a arraché. Il s’ensuivit un affrontement avec la police à l’issue duquel je fus arrêté et brutalisé au commissariat du 1er arrondissement.
Vous étiez connu pour être un «bagarreur»…
Oui, je faisais partie de la section boxe de la JBAC (Jeunesse bônoise athletic club), un club prestigieux qui avait été consacré en 1938, champion d’Afrique du Nord. J’évoluais dans la catégorie poids moyens. A la création de l’USMB (Union sportive musulmane de Bône), j’ai adhéré à cette nouvelle formation qui affichait alors plus clairement ses aspirations nationalistes.
Vous activiez toujours ?
Bien sûr, plus que jamais ! Je deviens un militant à part entière et je contribue à faire élire Mehdaoui, un candidat du MTLD à l’Assemblée algérienne. Au cours de la campagne électorale, j’ai été arrêté pour «coups et blessures». Grâce à un avocat, Me Abdelhamid Benotmane qui m’avait brillamment défendu, je serais relâché.
Les poings nus constituaient alors vos seules armes. N’est-ce pas ?
Oui, à l’époque, on n’avait pas le choix. Le manque d’armes nous incitait à nous battre par n’importe quel moyen. Nous apprenions, ainsi, le close-combat. Et je dois dire, par ailleurs, que souvent je prenais part, personnellement, à des combats de rue car j’ai toujours détesté
«el hogra»…
A la même période, il y eut la création de l’OS. Parlez nous de votre premier contact.
En 1947, la première réunion secrète prévue à Annaba devait avoir lieu initialement au cimetière de Zaghouan mais un contre-ordre de Mohamed Boudiaf a porté finalement le choix sur le domicile de mes parents, au 4 rue Tabarka, dans le quartier populaire de la Place d’armes. Mon père qui s’en était rendu compte était alors dans tous ses états. Il s’était mis à implorer le ciel pour que personne ne s’en aperçoive. Quant à moi, je jubilais à l’idée de recevoir, chez moi, des responsables de l’Organisation secrète.
Qui avait assisté à cette réunion et quel avait été son objectif ?
La réunion a été ouverte par Mohamed Boudiaf. Il y avait également Didouche Mourad et Chergui Brahim. Tous les trois portaient des cagoules. De notre côté, il y avait Bekkouche Abdelbaki, Hocine Benzaïm, Amar Benaouda et moi-même. La réunion a porté sur divers sujets liés à la formation paramilitaire, aux techniques de la guérilla…
Il y avait, paraît- il, une sorte de rituel…
Oui, peut être mais je me souviens que cette première réunion n’avait pas été tout à fait sereine…
Pourquoi donc ?
A un moment donné, j’ai eu une «prise de bec» avec Mohamed Boudiaf qui avait affiché, à ma grande stupéfaction, une certaine hostilité à l’égard de Messali Hadj et de Mohamed Belouizdad…Avec beaucoup de tact et de persuasion, Didouche Mourad a pu ramener le calme et mis fin à la dispute. L’incident était clos. Pour lui témoigner de ma confiance, je suis allé chercher, séance tenante, dans le coffre de mon père, un «Magnum» et des munitions que j’ai remis à «Si Abdelkader» pour qui, dès lors, j’étais pris d’affection.
Didouche Mourad semble vous avoir marqué…
Oui, je garde de ce grand homme un souvenir impérissable. J’ai même une photo qu’il m’a dédicacée…
(Il exhibe une photo du Chahid avec son écriture manuscrite «Au frère Brahim Adjami. En souvenir de notre lutte commune. 1947-1950»).
Et Mohamed Belouizdad, l’aviez-vous rencontré ?
Oui, j’ai même été félicité, un jour, par lui, sur le pont Sidi Rached à Constantine et ce, après avoir mené avec succès une opération à Aouinet el foul. «Si Abdelkader» qui était également présent semblait lui avoir raconté, en outre, comment on avait réussi à déjouer, au cours de la matinée, un barrage de la gendarmerie, non loin de Smendou.
Que s’était il passé ?
Une fois l’autocar, où nous avions pris place, immobilisé, Didouche Mourad qui était, semble-t-il, recherché me remet discrètement deux armes. Un soldat français, muni d’une photo à la main, monte à bord pour procéder à la vérification de l’identité des passagers.
Arrivé à mon niveau, je le surprends en manœuvrant une arme automatique que je pointe directement sur lui. Apeuré, il me chuchote à voix basse, «Je ne suis qu’un Français de France… Je n’ai pas l’intention de mourir ici…».
Et puis, il lâche à l’adresse de son chef : «R.A.S. !». Très satisfait, «Si Abdelkader», me félicite chaleureusement en me faisant remarquer toutefois que «c’était très risqué mais, Dieu merci, cela a été un soulagement».
Homme pieux, Brahim Adjami est resté fidèle à ses idéaux et continue à vouer, à ce jour, un véritable culte à Messali Hadj, le père du nationalisme algérien. Avec sa carrure imposante, Brahim Adjami est connu également pour avoir été un boxeur professionnel, un vrai homme de poigne. Durant sa jeunesse, il n’a eu de cesse à se battre contre la bestialité de l’ordre colonial. Des années durant, il a côtoyé des héros de la Révolution algérienne, des pères fondateurs qui ont pour noms : Didouche Mourad, Zighoud Youcef ou encore Mohamed Boudiaf. A ce titre, on peut affirmer sans ambages que Brahim Adjami a «tutoyé», d’une certaine manière, l’histoire du mouvement national — ou tout au moins — l’une de ses péripéties les plus palpitantes. Un événement d’apparence anodine qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Pour nos lecteurs, ce protagoniste de premier plan, accepte, aujourd’hui, de lever un coin du voile. Un témoignage exclusif.
La Nouvelle République :
Evoquez-nous, en quelques mots, les circonstances de votre engagement en faveur de la cause nationale.
Brahim Adjami : Dès ma prime enfance, j’avais conscience de cette abjection que représentait le colonialisme, un ordre injuste, immoral,... Les Français étaient, à mes yeux de gosse, des occupants étrangers…Dès 1939, je rejoins les scouts musulmans. En 1943, je deviens sympathisant des Amis du Manifeste et du PPA…
Il y eut ensuite les événements du 8 Mai 1945. Où étiez vous ce jour-là ?
A l’instar de plusieurs autres villes du pays, Annaba s’était soulevée ce jour là. Il y eut des morts et des dizaines de blessés. Je participais dans le centre-ville à un défilé avec les scouts musulmans lorsque des jeunes ont érigé sur le Cours Bertagna, (actuellement Cours de la Révolution ndlr) l’emblème national qu’un renégat nommé Belhaït, a arraché. Il s’ensuivit un affrontement avec la police à l’issue duquel je fus arrêté et brutalisé au commissariat du 1er arrondissement.
Vous étiez connu pour être un «bagarreur»…
Oui, je faisais partie de la section boxe de la JBAC (Jeunesse bônoise athletic club), un club prestigieux qui avait été consacré en 1938, champion d’Afrique du Nord. J’évoluais dans la catégorie poids moyens. A la création de l’USMB (Union sportive musulmane de Bône), j’ai adhéré à cette nouvelle formation qui affichait alors plus clairement ses aspirations nationalistes.
Vous activiez toujours ?
Bien sûr, plus que jamais ! Je deviens un militant à part entière et je contribue à faire élire Mehdaoui, un candidat du MTLD à l’Assemblée algérienne. Au cours de la campagne électorale, j’ai été arrêté pour «coups et blessures». Grâce à un avocat, Me Abdelhamid Benotmane qui m’avait brillamment défendu, je serais relâché.
Les poings nus constituaient alors vos seules armes. N’est-ce pas ?
Oui, à l’époque, on n’avait pas le choix. Le manque d’armes nous incitait à nous battre par n’importe quel moyen. Nous apprenions, ainsi, le close-combat. Et je dois dire, par ailleurs, que souvent je prenais part, personnellement, à des combats de rue car j’ai toujours détesté
«el hogra»…
A la même période, il y eut la création de l’OS. Parlez nous de votre premier contact.
En 1947, la première réunion secrète prévue à Annaba devait avoir lieu initialement au cimetière de Zaghouan mais un contre-ordre de Mohamed Boudiaf a porté finalement le choix sur le domicile de mes parents, au 4 rue Tabarka, dans le quartier populaire de la Place d’armes. Mon père qui s’en était rendu compte était alors dans tous ses états. Il s’était mis à implorer le ciel pour que personne ne s’en aperçoive. Quant à moi, je jubilais à l’idée de recevoir, chez moi, des responsables de l’Organisation secrète.
Qui avait assisté à cette réunion et quel avait été son objectif ?
La réunion a été ouverte par Mohamed Boudiaf. Il y avait également Didouche Mourad et Chergui Brahim. Tous les trois portaient des cagoules. De notre côté, il y avait Bekkouche Abdelbaki, Hocine Benzaïm, Amar Benaouda et moi-même. La réunion a porté sur divers sujets liés à la formation paramilitaire, aux techniques de la guérilla…
Il y avait, paraît- il, une sorte de rituel…
Oui, peut être mais je me souviens que cette première réunion n’avait pas été tout à fait sereine…
Pourquoi donc ?
A un moment donné, j’ai eu une «prise de bec» avec Mohamed Boudiaf qui avait affiché, à ma grande stupéfaction, une certaine hostilité à l’égard de Messali Hadj et de Mohamed Belouizdad…Avec beaucoup de tact et de persuasion, Didouche Mourad a pu ramener le calme et mis fin à la dispute. L’incident était clos. Pour lui témoigner de ma confiance, je suis allé chercher, séance tenante, dans le coffre de mon père, un «Magnum» et des munitions que j’ai remis à «Si Abdelkader» pour qui, dès lors, j’étais pris d’affection.
Didouche Mourad semble vous avoir marqué…
Oui, je garde de ce grand homme un souvenir impérissable. J’ai même une photo qu’il m’a dédicacée…
(Il exhibe une photo du Chahid avec son écriture manuscrite «Au frère Brahim Adjami. En souvenir de notre lutte commune. 1947-1950»).
Et Mohamed Belouizdad, l’aviez-vous rencontré ?
Oui, j’ai même été félicité, un jour, par lui, sur le pont Sidi Rached à Constantine et ce, après avoir mené avec succès une opération à Aouinet el foul. «Si Abdelkader» qui était également présent semblait lui avoir raconté, en outre, comment on avait réussi à déjouer, au cours de la matinée, un barrage de la gendarmerie, non loin de Smendou.
Que s’était il passé ?
Une fois l’autocar, où nous avions pris place, immobilisé, Didouche Mourad qui était, semble-t-il, recherché me remet discrètement deux armes. Un soldat français, muni d’une photo à la main, monte à bord pour procéder à la vérification de l’identité des passagers.
Arrivé à mon niveau, je le surprends en manœuvrant une arme automatique que je pointe directement sur lui. Apeuré, il me chuchote à voix basse, «Je ne suis qu’un Français de France… Je n’ai pas l’intention de mourir ici…».
Et puis, il lâche à l’adresse de son chef : «R.A.S. !». Très satisfait, «Si Abdelkader», me félicite chaleureusement en me faisant remarquer toutefois que «c’était très risqué mais, Dieu merci, cela a été un soulagement».
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