Entretien de Tassadit Yacine (1987).
Cet entretien est considéré par certains comme celui où Kateb Yacine s’est montré le plus virulent. Il serait l’entretien où il a été le plus loin dans sa condamnation de l’arabo-islamisme. Les origines amazighes de l’Afrique du Nord sont revendiquées avec force.
L’on retrouve les propos tenus dans l’entretien filmé accordé à Stéphane Gatti (Kateb Yacine, poète en trois langues, film documentaire produit par "La Parole Errante", 2001).
Dans cet entretien, il revient également sur la condition de la femme nord-africaine. Il estime que "c’est l’arabo-islamisme qui a abouti à l’asservissement et à la dégradation de la femme chez nous".
Nous reprenons l’intégralité de l’entretien accordé par Kateb Yacine à Tassadit Yacine en 1987. Cet entretien a été publié dans la revue AWAL (n° 9).
Tassadit Yacine. - Si vous voulez bien, essayons de définir ce que vous apelez la "patrie", l’Algérie.
Kateb yacine. - Nedjma, c’est l’Algérie, la quête de l’Algérie. Est-ce que nous l’avons trouvée ? A mon avis, non. Nous ne sommes même pas capables d’appeler notre pays par son nom. "L’Algérie", ce n’est pas le vrai nom de notre pays. C’est un terme touristique. Ldjazaïr, c’est quoi ?
- "Les Iles"...
- Vous avez vu un pays s’appeler "les Iles" ? Ce sont les Arabes qui l’ont appelé ainsi.
- Oui.
- Nous continuons à nous désigner en termes étrangers, parfois hostiles et même méprisants ou sinon indifférents.
- Vous l’auriez appelé comment ?
- Moi, je préférerais l’appeler Tamazight...
- Tamezgha, c’est le lieu où se pratique le tamazight, qui est la langue... Je crois que Tamezgha a déjà été employé par quelques-uns pour désigner, semble-t-il, un ensemble plus vaste.
- Ldjazaïr ne peut pas être le nom de notre patrie ! C’est touristique.
- Même par rapport au nom ancien de l’Algérie, il y a eu comme une amputation. Au Xe siècle, c’était Djazaïr-Bani-Mazghena, "les Iles" ou "les Ilots des Mazghena" (qui est la forme arabisée d’Imazighen,). [...] Avec le temps, Mazghena a complètement disparu, seul le terme El-Djazaïr est resté.
- Un jour, l’Algérie retrouvera son véritable nom.
- Vous pensez réellement qu’il est bon de revenir sur un fait établi et largement admis...
- Nécessairement. Il suffit de le savoir.
- De ne pas rester dans l’ignorance, c’est bien cela ?
- L’ignorance n’est rien quand on commence à savoir. L’ignorance, c’est quelque chose qu’il faut secouer. Jusque-là, il y a des gens, ça ne leur venait même pas a l’idée Notre tâche, c’est de leur mettre la puce a 1 oreille. C’est de poser enfin ces problèmes-là. Autrefois, on nous disait : "Non, ce n’est pas le moment." Les gens qui nous disaient cela le disaient au nom de quoi ? Au nom de l’unité. On nous disait : "Il ne faut pas diviser." On parle toujours d’unité... Je veux régler ce problème une fois pour toutes.
- Sur quelles bases voulait-on réaliser cette union ? De plus, parler d’"union" voulait dire qu’il y avait désunion. Je ne comprends pas pourquoi ce problème s est pose à votre génération en ces termes...
- Est-ce qu’on doit s’unir sur la base du mensonge et de l’ignorance ou bien sur celle de la connaissance et de l’espérance ? Il faut poser le problème comme ça. Est-ce qu’on doit s’unir pour tuer une langue ou pour la taire vivre ? Est-ce qu’on doit s’unir pour connaître son histoire ou pour l’ignorer ? C’est nous qui sommes pour l’unité, ce ne sont pas eux. Encore faut-il qu’elle se fasse sur quelque chose de vrai ! A ce moment-là, tous ces pseudo-nationalistes apparaissent comme de faux patriotes comme des ennemis même de l’Algérie, parce que, s ils étaient des patriotes, il ne leur viendrait pas à l’idée de se mer eux-mêmes, de nier l’essence même de la patrie ; justement, en tant que bourgeois, ils ont besoin de l’arabo-islamisme parce qu’ils sont complices des envahisseurs étrangers, pour la bonne raison qu’ils veulent continuer à dominer ce peuple. Ils ne veulent pas que ce peuple comprenne parce qu’ils savent que la conscience est une chose qui va loin. Si la conscience s’éveille, elle aboutira nécessairement à la perte de leur pouvoir. Mais la conscience commence à s’éveiller, ça y est, c’est parti.
- Vous êtes peut-être optimiste.
- C’est sûr, c’est parti.
- Vous voulez dire que la méconnaissance de l’histoire, c’est une méconnaissance de soi ?
- C’est un complexe d’infériorité.
- Il est peut-être difficile de voir les choses en face...
- Justement dans ce cas.
- Votre Nedjma, c’est à la fois le pays, l’histoire, la conscience. En arabe, Nedjma, c’est le nom d’une femme. Dans le même ordre d’idée, on peut dire que l’histoire est aussi niée. Comme on a oublié aussi le rôle des femmes pendant la guerre, ils nient l’existence des femmes comme êtres humains. Il y a par conséquent, à mon avis, ce refus de voir les femmes chez nous telles qu’elles sont. Le refus de reconnaître les femmes participe aussi de ce refus de soi. On ne peut pas bâtir une société, une nation, sans l’autre qui est aussi une partie de soi. Comment amputer une partie de soi ? Comment amputer ce pays de ce qui le fait ? Ça revient, comme vous le disiez tout à l’heure, à le nier et à se nier soi-même par la même occasion.
- Qu’est-ce qui est à la base de ça ? Pourquoi en sommes-nous là ? Comment a commencé le malheur ? Il a commencé par les invasions étrangères, et c’a été une suite d’invasions étrangères... Les Romains. Commençons par là, car c’est une période relativement connue. N’oublions pas qu’à un certain moment l’Algérie a été dite "romaine".
Combien de temps les Romains sont-ils restés ?
- Cinq siècles.
- L’Algérie romaine. L’Algérie chrétienne, on en a parlé. On a présenté Saint-Augustin comme un Algérien et, moi, j’ai eu la terrible surprise, après l’indépendance, de voir des personnages officiels faire des conférences à Souk-Ahras sur Saint-Augustin.
- Et alors ? Est-ce une surprise agréable ou désagréable ?
- Moi, j’ai ressenti ça comme un crachat. Pour moi, saint Augustin, c’est Massu, parce qu’il a massacré les Donatistes, ceux qui étaient des chrétiens sincères. Ils avaient pris position pour les insurgés et les ouvriers agricoles qui se battaient contre les latifundia, contre les colons romains, exactement comme nous contre les Français. Saint Augustin a appelé à la répression et la répression a été atroce. C’a été des massacres. Fêter Saint-Augustin, qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi ? Parce qu’il est né en Algérie ? Dans ce cas-là, Camus aussi est né en Algérie. Et beaucoup de gouverneurs généraux...
- Vous pensez toujours la même chose ? Dans tous les pays du monde, il n’y a pas que les bons, les purs, les courageux qui soient citoyens...
- Bien sûr. Mais, pour moi, c’est un ennemi et c’est tout. Il faut rejeter ça avec la plus grande énergie. Bien sur qu’il ne suffit pas de naître en Algérie pour être un Algérien, surtout si on a travaillé contre son histoire, contre ceux qui l’étaient vraiment.
- A vous entendre, il y aurait encore de nombreux Saint-Augustin aujourd’hui...
- Et l’aliénation vient de la religion, encore une fois. De la même manière, quand on présente la Kahina comme une juive, qu’est-ce que cela veut dire ? Ça, c’est une invention des Arabes.
- Ce serait donc une reconstruction d’après la vision dominante, la vision des vainqueurs ?
- Oui, parce que, pour les Arabes et pour les musulmans, être juif, c’est être le diable. C’est une manière de lui coller une autre religion. Et, de toute façon, elle n’est pas entrée dans l’histoire comme ça. Si elle était entrée dans l’histoire comme juive, ça se saurait. La Kahina n’est pas entrée dans l’histoire parce qu’elle aurait lutté pour le judaïsme... A ma connaissance, non. Elle est entrée dans l’histoire comme nationaliste.
- Lutter pour une religion peut être aussi une forme de nationalisme. Pour ceux qui ont la foi, c’est déterminant.
- II faut réfuter ça énergiquement. C’est pour ça que je suis contre les mythes. Il y a l’histoire, quand même !
- De toute façon, il faut aussi admettre que ce peuple a connu avant l’islam les religions qui étaient là.
- Mais ces religions ont toujours joué un rôle néfaste. Il faut s’y opposer avec la dernière énergie. On les voit maintenant à l’œuvre. On les voit en Israël, en Palestine, on les voit partout. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité. Ce sont des facteurs d’aliénation profonde. Voyez le Liban. Ça se passe devant nous. Regardez le rôle des chrétiens, des musulmans et des juifs. Il n’y a pas besoin de dessin. Ces religions sont profondément néfastes et le malheur de nos peuples vient de là. Le malheur de l’Algérie a commencé là. Nous avons parlé des Romains et des chrétiens. Maintenant, parlons de la relation arabo-islamique ; la plus longue, la plus dure, la plus difficile à combattre.
- Parce qu’elle est constitutive de la culture du peuple ?
- C’est dur de lutter contre une telle couche d’aliénation. Pendant ces treize siècles, on a arabisé le pays mais on a en même temps écrasé le tamazight, forcément. Ça va ensemble. L’arabisation ne peut jamais être autre chose que l’écrasement du tamazight. L’arabisation, c’est imposer à un peuple une langue qui n’est pas la sienne, et donc combattre la sienne, la tuer.
Comme les Français quand ils interdisaient aux écoliers algériens de parler arabe ou tamazight parce qu’ils voulaient faire l’Algérie française. L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même, une Algérie étrangère à elle-même. C’est une Algérie imposée par les armes, parce que l’islam ne se fait pas avec des bonbons et des rosés. Il s’est fait dans les larmes et le sang, il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puisse supporter un peuple. On voit le résultat.
Quand on prend Ibn Khaldoun... pourquoi on n’a jamais fait une édition populaire d’Ibn Khaldoun ? Je vous propose ça, maintenant : prenez L’Histoire des Berbères, faites une édition populaire d’Ibn Khaldoun. On me dit que c’est dur, etc. Il y a des côtés un peu ardus : les origines des tribus. Si on enlève ces pages-là, il y a des pages lumineuses sur l’histoire. Tenez, par exemple, quand on dit que ce peuple a apostasie douze fois... Ça prouve bien que la pilule n’est jamais passée.
Cet entretien est considéré par certains comme celui où Kateb Yacine s’est montré le plus virulent. Il serait l’entretien où il a été le plus loin dans sa condamnation de l’arabo-islamisme. Les origines amazighes de l’Afrique du Nord sont revendiquées avec force.
L’on retrouve les propos tenus dans l’entretien filmé accordé à Stéphane Gatti (Kateb Yacine, poète en trois langues, film documentaire produit par "La Parole Errante", 2001).
Dans cet entretien, il revient également sur la condition de la femme nord-africaine. Il estime que "c’est l’arabo-islamisme qui a abouti à l’asservissement et à la dégradation de la femme chez nous".
Nous reprenons l’intégralité de l’entretien accordé par Kateb Yacine à Tassadit Yacine en 1987. Cet entretien a été publié dans la revue AWAL (n° 9).
Tassadit Yacine. - Si vous voulez bien, essayons de définir ce que vous apelez la "patrie", l’Algérie.
Kateb yacine. - Nedjma, c’est l’Algérie, la quête de l’Algérie. Est-ce que nous l’avons trouvée ? A mon avis, non. Nous ne sommes même pas capables d’appeler notre pays par son nom. "L’Algérie", ce n’est pas le vrai nom de notre pays. C’est un terme touristique. Ldjazaïr, c’est quoi ?
- "Les Iles"...
- Vous avez vu un pays s’appeler "les Iles" ? Ce sont les Arabes qui l’ont appelé ainsi.
- Oui.
- Nous continuons à nous désigner en termes étrangers, parfois hostiles et même méprisants ou sinon indifférents.
- Vous l’auriez appelé comment ?
- Moi, je préférerais l’appeler Tamazight...
- Tamezgha, c’est le lieu où se pratique le tamazight, qui est la langue... Je crois que Tamezgha a déjà été employé par quelques-uns pour désigner, semble-t-il, un ensemble plus vaste.
- Ldjazaïr ne peut pas être le nom de notre patrie ! C’est touristique.
- Même par rapport au nom ancien de l’Algérie, il y a eu comme une amputation. Au Xe siècle, c’était Djazaïr-Bani-Mazghena, "les Iles" ou "les Ilots des Mazghena" (qui est la forme arabisée d’Imazighen,). [...] Avec le temps, Mazghena a complètement disparu, seul le terme El-Djazaïr est resté.
- Un jour, l’Algérie retrouvera son véritable nom.
- Vous pensez réellement qu’il est bon de revenir sur un fait établi et largement admis...
- Nécessairement. Il suffit de le savoir.
- De ne pas rester dans l’ignorance, c’est bien cela ?
- L’ignorance n’est rien quand on commence à savoir. L’ignorance, c’est quelque chose qu’il faut secouer. Jusque-là, il y a des gens, ça ne leur venait même pas a l’idée Notre tâche, c’est de leur mettre la puce a 1 oreille. C’est de poser enfin ces problèmes-là. Autrefois, on nous disait : "Non, ce n’est pas le moment." Les gens qui nous disaient cela le disaient au nom de quoi ? Au nom de l’unité. On nous disait : "Il ne faut pas diviser." On parle toujours d’unité... Je veux régler ce problème une fois pour toutes.
- Sur quelles bases voulait-on réaliser cette union ? De plus, parler d’"union" voulait dire qu’il y avait désunion. Je ne comprends pas pourquoi ce problème s est pose à votre génération en ces termes...
- Est-ce qu’on doit s’unir sur la base du mensonge et de l’ignorance ou bien sur celle de la connaissance et de l’espérance ? Il faut poser le problème comme ça. Est-ce qu’on doit s’unir pour tuer une langue ou pour la taire vivre ? Est-ce qu’on doit s’unir pour connaître son histoire ou pour l’ignorer ? C’est nous qui sommes pour l’unité, ce ne sont pas eux. Encore faut-il qu’elle se fasse sur quelque chose de vrai ! A ce moment-là, tous ces pseudo-nationalistes apparaissent comme de faux patriotes comme des ennemis même de l’Algérie, parce que, s ils étaient des patriotes, il ne leur viendrait pas à l’idée de se mer eux-mêmes, de nier l’essence même de la patrie ; justement, en tant que bourgeois, ils ont besoin de l’arabo-islamisme parce qu’ils sont complices des envahisseurs étrangers, pour la bonne raison qu’ils veulent continuer à dominer ce peuple. Ils ne veulent pas que ce peuple comprenne parce qu’ils savent que la conscience est une chose qui va loin. Si la conscience s’éveille, elle aboutira nécessairement à la perte de leur pouvoir. Mais la conscience commence à s’éveiller, ça y est, c’est parti.
- Vous êtes peut-être optimiste.
- C’est sûr, c’est parti.
- Vous voulez dire que la méconnaissance de l’histoire, c’est une méconnaissance de soi ?
- C’est un complexe d’infériorité.
- Il est peut-être difficile de voir les choses en face...
- Justement dans ce cas.
- Votre Nedjma, c’est à la fois le pays, l’histoire, la conscience. En arabe, Nedjma, c’est le nom d’une femme. Dans le même ordre d’idée, on peut dire que l’histoire est aussi niée. Comme on a oublié aussi le rôle des femmes pendant la guerre, ils nient l’existence des femmes comme êtres humains. Il y a par conséquent, à mon avis, ce refus de voir les femmes chez nous telles qu’elles sont. Le refus de reconnaître les femmes participe aussi de ce refus de soi. On ne peut pas bâtir une société, une nation, sans l’autre qui est aussi une partie de soi. Comment amputer une partie de soi ? Comment amputer ce pays de ce qui le fait ? Ça revient, comme vous le disiez tout à l’heure, à le nier et à se nier soi-même par la même occasion.
- Qu’est-ce qui est à la base de ça ? Pourquoi en sommes-nous là ? Comment a commencé le malheur ? Il a commencé par les invasions étrangères, et c’a été une suite d’invasions étrangères... Les Romains. Commençons par là, car c’est une période relativement connue. N’oublions pas qu’à un certain moment l’Algérie a été dite "romaine".
Combien de temps les Romains sont-ils restés ?
- Cinq siècles.
- L’Algérie romaine. L’Algérie chrétienne, on en a parlé. On a présenté Saint-Augustin comme un Algérien et, moi, j’ai eu la terrible surprise, après l’indépendance, de voir des personnages officiels faire des conférences à Souk-Ahras sur Saint-Augustin.
- Et alors ? Est-ce une surprise agréable ou désagréable ?
- Moi, j’ai ressenti ça comme un crachat. Pour moi, saint Augustin, c’est Massu, parce qu’il a massacré les Donatistes, ceux qui étaient des chrétiens sincères. Ils avaient pris position pour les insurgés et les ouvriers agricoles qui se battaient contre les latifundia, contre les colons romains, exactement comme nous contre les Français. Saint Augustin a appelé à la répression et la répression a été atroce. C’a été des massacres. Fêter Saint-Augustin, qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi ? Parce qu’il est né en Algérie ? Dans ce cas-là, Camus aussi est né en Algérie. Et beaucoup de gouverneurs généraux...
- Vous pensez toujours la même chose ? Dans tous les pays du monde, il n’y a pas que les bons, les purs, les courageux qui soient citoyens...
- Bien sûr. Mais, pour moi, c’est un ennemi et c’est tout. Il faut rejeter ça avec la plus grande énergie. Bien sur qu’il ne suffit pas de naître en Algérie pour être un Algérien, surtout si on a travaillé contre son histoire, contre ceux qui l’étaient vraiment.
- A vous entendre, il y aurait encore de nombreux Saint-Augustin aujourd’hui...
- Et l’aliénation vient de la religion, encore une fois. De la même manière, quand on présente la Kahina comme une juive, qu’est-ce que cela veut dire ? Ça, c’est une invention des Arabes.
- Ce serait donc une reconstruction d’après la vision dominante, la vision des vainqueurs ?
- Oui, parce que, pour les Arabes et pour les musulmans, être juif, c’est être le diable. C’est une manière de lui coller une autre religion. Et, de toute façon, elle n’est pas entrée dans l’histoire comme ça. Si elle était entrée dans l’histoire comme juive, ça se saurait. La Kahina n’est pas entrée dans l’histoire parce qu’elle aurait lutté pour le judaïsme... A ma connaissance, non. Elle est entrée dans l’histoire comme nationaliste.
- Lutter pour une religion peut être aussi une forme de nationalisme. Pour ceux qui ont la foi, c’est déterminant.
- II faut réfuter ça énergiquement. C’est pour ça que je suis contre les mythes. Il y a l’histoire, quand même !
- De toute façon, il faut aussi admettre que ce peuple a connu avant l’islam les religions qui étaient là.
- Mais ces religions ont toujours joué un rôle néfaste. Il faut s’y opposer avec la dernière énergie. On les voit maintenant à l’œuvre. On les voit en Israël, en Palestine, on les voit partout. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité. Ce sont des facteurs d’aliénation profonde. Voyez le Liban. Ça se passe devant nous. Regardez le rôle des chrétiens, des musulmans et des juifs. Il n’y a pas besoin de dessin. Ces religions sont profondément néfastes et le malheur de nos peuples vient de là. Le malheur de l’Algérie a commencé là. Nous avons parlé des Romains et des chrétiens. Maintenant, parlons de la relation arabo-islamique ; la plus longue, la plus dure, la plus difficile à combattre.
- Parce qu’elle est constitutive de la culture du peuple ?
- C’est dur de lutter contre une telle couche d’aliénation. Pendant ces treize siècles, on a arabisé le pays mais on a en même temps écrasé le tamazight, forcément. Ça va ensemble. L’arabisation ne peut jamais être autre chose que l’écrasement du tamazight. L’arabisation, c’est imposer à un peuple une langue qui n’est pas la sienne, et donc combattre la sienne, la tuer.
Comme les Français quand ils interdisaient aux écoliers algériens de parler arabe ou tamazight parce qu’ils voulaient faire l’Algérie française. L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même, une Algérie étrangère à elle-même. C’est une Algérie imposée par les armes, parce que l’islam ne se fait pas avec des bonbons et des rosés. Il s’est fait dans les larmes et le sang, il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puisse supporter un peuple. On voit le résultat.
Quand on prend Ibn Khaldoun... pourquoi on n’a jamais fait une édition populaire d’Ibn Khaldoun ? Je vous propose ça, maintenant : prenez L’Histoire des Berbères, faites une édition populaire d’Ibn Khaldoun. On me dit que c’est dur, etc. Il y a des côtés un peu ardus : les origines des tribus. Si on enlève ces pages-là, il y a des pages lumineuses sur l’histoire. Tenez, par exemple, quand on dit que ce peuple a apostasie douze fois... Ça prouve bien que la pilule n’est jamais passée.
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