Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Récits de la Bataille d’Alger par Yacef Saâdi : Un émissaire à Tunis

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Récits de la Bataille d’Alger par Yacef Saâdi : Un émissaire à Tunis

    Dans ce récit, Yacef Saâdi, chef de la Zone Autonome d’Alger, évoque un « deal » avec Germaine Tillion, célèbre ethnologue française et résistante anti-nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait d’établir des contacts avec le CCE à Tunis. El-Hadi Hadj Smaïn était l’émissaire désigné pour cette tâche.Yacef Saâdi lève le voile sur le rôle qu’a joué cette femme durant notre lutte de Libération. C’est un aspect assez méconnu de l’histoire qui est abordé partiellement.



    Le voyage de El-Hadi Hadj Smaïn en Tunisie entrait dans la catégorie des urgences à traiter, mais avant de suivre dans ses pérégrinations le clerc de justice, une brève halte sur la Zone Autonome d’Alger me paraît nécessaire.
    Après la mort de Ramel et ses compagnons, il restait à vrai dire peu de monde. Il y avait Ali la Pointe, Abderrahmane Benhamida, le traître Gendriche et moi-même pour ce qui était du commandement. Le reste, peu fourni, se composait de jeunes peu expérimentés récemment recrutés. Quant aux anciens, comme P’tit Omar, trop jeune, ils n’avaient aucune chance de se faire obéir au cas où nous disparaitrions. Il y avait aussi Hassiba Ben Bouali, Zohra Drif, Mahmoud Bouhamidi et quelques autres. Autant dire, pas grand monde. J’attendais surtout le retour des anciens fidaîs de Boualem Abaza, comme Ahmed Chicha, Khelifa Boukhalfa, Moh Seghir, et d’autres qui étaient au maquis de la Wilaya III chez le colonel Amirouche.
    A moins d’un sursaut de dernière minute, ou un miracle, la Z. A. A, pouvait résister plus longtemps aux coups de boutoir du corps expéditionnaire français.
    — Ne vous en faites pas pour Hadj Smaïn, nous avait assuré Germaine Tillion en quittant la Casbah. Il n’a qu’à se tenir prêt et tout ira pour le mieux. Rien de plus facile. Les amis de Germaine Tillion disposaient de mille et un moyens pour acheminer n’importe qui et n’importe quoi, quelque que soit la destination envisagée. C’est ce que j’ai dû expliquer à Hadj Smaïn en le recevant au 3, rue Caton avant son départ. Je lui parlais également de la conduite à suivre en présence des gens de Tunis... Surtout pas de surenchère ni d’estimation surfaite sur nos capacités réelles. T’en tenir à la vérité. Il faut qu’ils sachent que nous sommes en panne, que nous avons un besoin urgent de plastic, d’armes et des munitions pour repartir à l’offensive.
    Je lui souhaitais bonne chance en me levant pour lui signifier la fin de l’entretien et l’heure de partir. Il se leva à son tour et se dirigea vers la porte de sortie mais, au moment où il allait la franchir un guetteur installé à la terrasse de la maison donna l’alerte.
    - Les paras sont là tout proches ! cria-t-il.
    Ils étaient là, en effet, ratissant les toits, à quelques mètres de notre bâtisse. Par chance, Hadj Smaïn n’était pas sorti. Natif de Constantine et travaillant dans une instance judiciaire éloignée de la rue Caton, il se serait non seulement fait arrêter mais il aurait passé de mauvais moments pour la simple raison qu’au regard du dispositif (DPU) installé par le colonel Trinquier, il n’avait pas le droit de se trouver au cœur de la Casbah sans autorisation dûment signée par les autorités militaires.
    On imagine les conséquences d’une telle arrestation : report du voyage de Tunisie, torture et, peut-être, déballage de certaines confidences.
    Je fus donc contraint de l’accueillir dans ma cachette jusqu’à la fin du ratissage. Mais je venais de me rendre compte que j’avais commis une grave erreur par le simple fait de lui avoir fait partager mon réduit souterrain. Un refuge jusque-là inviolé. Mon initiative eut pu aisément être assimilée à de l’amateurisme. Initiative hasardeuse, dangereuse même dont je risquais à terme de pâtir. Mais quelle attitude adopter dans de telles circonstances ? L’alerte nous avait pris de court et il m’était impossible de l’évacuer sans risque pour sa personne et pour nous-mêmes.
    Après cela, une chose importante restait à faire. Il fallait le persuader, quoi qu’il en coûta, d’oublier, de gommer de sa mémoire s’il le fallait jusqu’à l’existence-même de la rue Caton et du ratissage qui nous avait conduit à partager le même sort pendant deux longues heures.
    Je te demande par conséquent, si jamais il devait t’arriver malheur, ce que je ne te souhaite pas, d’avoir le comportement de quelqu’un qui n’aurait jamais mis les pieds ici.
    Hadj Smaïn était visiblement décidé à accomplir sa mission mais sûrement encore sous le choc du ratissage.
    Une semaine s’écoula puis un message, aussi bref que précis, m’apprit qu’un contact avec Hadj Smaïn venait d’être noué, la connexion ayant eu lieu au domicile-même du clerc de justice, rue du-Petit Thouars. Le messager était un certain lieutenant Singlar ou Singard. Sûrement un nom d’emprunt pour brouiller les pistes.
    Singlar était muni d’un document de voyage officiel qu’il avait remis à Hadj Smaïn en même temps qu’il lui a indiqué la conduite à suivre. Précaution supplémentaire, de routine. De toute façon « le terrain serait balisé et le voyage se ferait sans encombre », avait sous-entendu Germaine Tillion à son départ de la vieille ville.
    Qu’à cela ne tienne ! Hadj Smaïn était donc parti.
    Première escale : Paris. Plus exactement le domicile de Germaine Tillion à Saint-Mandé dans le 12e arrondissement, à proximité du bois de Vincennes.
    Là, on ne perd pas de temps. Sitôt débarqué, Hadj Smaïn, grâce à l’entregent de Germaine Tillion, est mis en présence de Mangin et d’André Bouloche, tous deux membres influents du cabinet du président du Conseil. Les dîners en ville se succèdent, on mange, on apprécie et on discute. Mangin et Bouloche se relayant pour « convaincre » Hadj Smaïn de persuader à son tour les autres, (le CCE) que cette fois ce sera la bonne !
    Enfin, arrive l’heure du départ vers Tunis. On s’offre un dernier dîner pour conclure. L’euphorie est débridée et Hadj Smaïn s’étonne que sa personne ait pu attirer autant de sollicitations.
    Il atterrit le lendemain à l’aéroport de Tunis-Carthage. Dans son petit hôtel de la rue de Yougoslavie à Tunis, le clerc de justice se réveille tôt le matin. Se sentant d’attaque, il se lance à la recherche du CCE. Et à peine sorti de l’hôtel, il est intercepté, par quelqu’un qui le conduit tout droit auprès d’un certain commandant Si Tayeb, lequel se présente à lui en qualité d’adjoint de Krim Belkacem, l’ancien chef de la Wilaya III devenu ministre de la Guerre au sein du CCE. Hadj Smaïn délivre ses messages et attend. Deux jours passent. Puis le voilà nanti d’une longue lettre que lui remet Si Tayeb à notre intention. Une lettre écrite de la main de Krim Belkacem.
    — Tu peux à présent retourner à Alger. Tout est consigné dans la lettre que voici. 
    Heureux de quitter Tunis après sa mission, Hadj Smaïn s’embarque vers le 11 septembre 1957 pour Paris. Il refait le chemin inverse sans avoir réglé la question du plastic, des armes...
    Hadj Smaïn atterrit à Orly-Sud après deux heures et demie de vol, et à peine sorti de l’aérogare, un taxi le conduit moins d’une demi-heure plus tard à Saint-Mandé, chez Germaine Tillion.
    Contente de son retour, l’ethnologue des Aurès en avertit aussitôt Mangin et Bouloche. Des dîners s’ensuivent, des palabres, on parle évidemment de Tunis et des perspectives d’avenir. Comme les Français ont fait la demande, ils espèrent une rencontre positive avec le CCE pour un règlement définitif de la fin de la guerre d’Algérie.
    Quant à Hadj Smaïn, il se limite dans son compte-rendu aux collaborateurs de Bourgès Maunoury à relater ce qu’il vient de vivre sans parler de la lettre que m’adressait Krim belkacem.
    Quant au rétablissement des contacts avec les Algériens de Tunisie, il ne fait que répéter ce qu’on lui a dit : « Il appartient au CCE d’aviser ».
    Le lendemain, il est à nouveau dans l’avion. Direction Alger ! Arrivée à la rue du Petit Thouars dans la journée, il me rejoint au 3, rue Caton pour me donner un compte-rendu complet de sa mission : son double séjour à Paris et ses discussions avec les agents du président du Conseil sans rien improviser. Après cela, il retire de sa poche la lettre de Krim Belkacem et me la tend. Notre mission est terminée, dis-je pour réconforter Hadj Smaïn.
    Ceci étant, le « deal » conclu avec Germaine Tillion avait été réalisé. Quant aux suites à lui donner, il ne nous appartenait pas même de les imaginer. Au CCE d’y pourvoir !
    La balle était dans les deux camps, à eux de transformer ou de laisser choir. Quant à nous, la guerre continue, comme avant. Puis, j’invitais Hadj Smaïn à partir. Il était temps.”
    Y. S.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
Chargement...
X