Alors voilà encore un auteur que j'aime bien en cadeau pour Petite Brise ,Mégane ,Zwina ,Cherry ,notre petite rocailleuse malpolie préférée , and co
Je suis profondément touchée par votre accueil .
Et puis à propos de sagesse ,aucun être en particulier n'est indispensable ,elle est partout .Voici un texte qui illustre bien la façon dont je vois la vie et Dieu en tout et partout .
Je vous embrasse bien chaleureusement .
Alexandre Jollien,
Ecrivain, philosophe
Et Socrate sauva la vie d'un anormal...
Il y eut un cordon ombilical mal positionné et je suis né, handicapé. La vie s'est annoncée sous le signe d'un combat pour l'existence, d'une lutte contre la mort. Placé très vite dans un centre spécialisé, le petit être, secondé par une armée de thérapeutes, s'est employé à gommer le handicap, à effacer la tare pour tenter de devenir comme les autres, pour rentrer fièrement dans la norme. Les efforts se multiplièrent. En vain. La mission demeurait à jamais impossible. Je ne suis pas né normal, je ne le suis pas devenu. Devant l'impuissance et la douleur, une phrase a retenti, s'est faite insistante, pour s'imposer enfin avec force. " Connais-toi toi-même ! " Dès lors l'infirmité a perdu de son poids sans pourtant que le combat cesse. La lutte s'est poursuivie et a envahi bientôt le terrain tortueux de l'esprit. Avec gourmandise, je me suis jeté sur les Platon, les Pascal, les Nietzsche avec, pour seule clé de lecture, celle-ci : ne retenir que ce qui est utile à la vie, ce qui élève.
Georg Christoph Lichtenberg dit un jour : " L'Américain qui le premier a découvert Christophe Colomb a fait une fâcheuse découverte. " La mienne fut délicieuse. Délivré de mon institution pour personnes que la société décrète anormales, je me suis livré à une recherche que je poursuis encore aujourd'hui. Pendant dix-sept ans, j'avais vécu en vase clos, et il me tardait de connaître l'extérieur, de côtoyer les êtres normaux. à ce jour, je n'ai pas trouvé le spécimen. à la bonne heure. L'être humain étonne, fascine, émerveille. Jamais il ne se laisse enfermer dans des étiquettes. Toujours, il demeure délicieusement anormal.
La différence semble bien caractériser l'homme. On la trouve à la source de mille découvertes, de bien d'inventions. Chaque existence innove, emprunte un chemin que nul pas n'a jamais foulé. Pourtant, être différent sous le regard d'autrui reste un poids pour beaucoup. Comment prendre en charge la différence, comment l'assumer au quotidien ? à l'heure où pèse une démagogie de la différence qui exige qu'on dissimule toute distinction ou qu'on l'affiche, au contraire, avec un pathos épais, peut-on encore vivre une singularité ?
Marie de Gournay, première éditrice de Montaigne, résumait le vaste programme entrepris par l'auteur gascon par ce mot d'ordre sans cesse actuel : désenseigner la bêtise. N'est-ce pas l'acte suprême de la subversion ? Dynamiter les préjugés. S'opposer à l'équation qui postule que chaque marginal est un malheureux, un fardeau.
Socrate m'a formé. Boèce, du fond de sa geôle, m'a enseigné que la culture nous maintient debout dans l'adversité, Nietzsche m'a montré la nécessité de la lutte. Jérôme, le paralysé, le compagnon d'infortune, m'a tout appris. Tandis que la vie désertait par petites étapes cet être bien-aimé, un sourire errait sur le visage crispé par la douleur. Avec violence, le paralysé qui avait accompagné mon enfance me léguait une redoutable exigence : jubiler devant l'existence, tirer profit de tout, et cela avec joie.
Assumer sa différence, vivre pleinement sa singularité, requiert donc un changement radical, une conversion du regard. Le paumé, le handicapé, le clochard peuvent devenir, pour l'oeil avisé, des maîtres. Ils enseignent l'humain, ce qui le fonde et lui confère prix et valeur, ce qui nous fait tous semblables devant la différence.
(1) Vient de publier le Métier d'homme. Ed. du Seuil, octobre 2002.
Le bonheur en 6 1/2 étapes ?
· l'heure où l'on commence à célébrer en grandes pompes Alexandre Dumas, j'ai parcouru quelques-unes de ses pages pour tomber sur ce constat un brin assommant : " Comment se fait-il que les enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient si bêtes ? Ça doit tenir à l'éducation. " J'aime son " la plupart ", qui vient non sans ironie nuancer le coup de massue assené par le père du Comte de Monte Cristo.
L'être humain dans son rapport au monde répertorie, classe, trie, sélectionne les informations utiles à son épanouissement, à son évolution , dirait le vieux Darwin. D'abord, il y a l'apprentissage, celui de la déglutition, de l'équilibre, puis l'enfant commence avec force péripéties sa carrière de bipède. L'école prend le relais, elle dispense les rudiments du savoir et jette les bases de ce qui deviendra plus tard une culture. Pour ma part, j'ai consacré les premières années de vie à tenter de répondre à de pressantes questions nées d'un environnement peu clément. Dans cette quête insolite, je me sentais soutenu, épaulé par mes camarades d'infortunes. Parmi mes compagnons d'épreuves, je pouvais allégrement compter sur un nain, un boiteux, une muette - fort peu discrète au demeurant -, un simplet et autres " chatouillés du cerveau ". Ensemble nous tentions d'assumer l'existence, nous nous formions, essayions de répondre au caractère tragique de notre condition. Voilà l'ultime devoir, voilà l'intuition viscérale qui animait les " handicapés " du foyer. L'école était celle de l'existence. Nos maîtres, ceux qui parvenaient à arracher à cette condition le plus de joie. Non pas la joie de fin de soirées, non pas l'hilarité qui pèse dans les merguez parties, mais une joie authentique qui parvient à percer les souffrances, demeurait intacte, indemne au cour du tourment. Long travail ! Cependant, tout nous invitait à nous lancer dans ce joyeux combat. Nos manques, nos faiblesses appelaient le remède de toutes leurs " forces ". Le tragique était là, nous aussi. Entre deux, il s'agirait de bâtir.
Aujourd'hui, lorsque j'arpente les librairies, les titres de certains rayonnages me consternent : Réussir sa vie, le Bonheur en dix étapes, Comment s'épanouir, être bien avec soi. Toujours cette volonté de tout maîtriser. Stupides recettes prétentieuses qui veulent refuser le tragique. Elles oublient que le nier c'est le faire revenir au galop. La formation, l'éducation ne consistent-elles pas plutôt à nous préparer, à développer ressources et ingéniosité pour livrer combat et construire sur un sol que l'on sait fragile ?
Parfois la vie blesse, ouvre des plaies. Dès lors, la crainte, les blessures accumulées interdisent de rester sobre et léger à l'endroit de ce qui nous échappe. Les habitudes opèrent, la méfiance sévit. Peut-être la véritable audace en ce cas exige-t-elle de se redéformer ? Tout commence à l'école, veillons pour que tout ne s'y termine pas. Nouveau casse-tête pour Luc Ferry !
(1) Vient de publier le Métier d'homme, Ed. du Seuil, octobre 2002.
Je suis profondément touchée par votre accueil .
Et puis à propos de sagesse ,aucun être en particulier n'est indispensable ,elle est partout .Voici un texte qui illustre bien la façon dont je vois la vie et Dieu en tout et partout .
Je vous embrasse bien chaleureusement .
Alexandre Jollien,
Ecrivain, philosophe
Et Socrate sauva la vie d'un anormal...
Il y eut un cordon ombilical mal positionné et je suis né, handicapé. La vie s'est annoncée sous le signe d'un combat pour l'existence, d'une lutte contre la mort. Placé très vite dans un centre spécialisé, le petit être, secondé par une armée de thérapeutes, s'est employé à gommer le handicap, à effacer la tare pour tenter de devenir comme les autres, pour rentrer fièrement dans la norme. Les efforts se multiplièrent. En vain. La mission demeurait à jamais impossible. Je ne suis pas né normal, je ne le suis pas devenu. Devant l'impuissance et la douleur, une phrase a retenti, s'est faite insistante, pour s'imposer enfin avec force. " Connais-toi toi-même ! " Dès lors l'infirmité a perdu de son poids sans pourtant que le combat cesse. La lutte s'est poursuivie et a envahi bientôt le terrain tortueux de l'esprit. Avec gourmandise, je me suis jeté sur les Platon, les Pascal, les Nietzsche avec, pour seule clé de lecture, celle-ci : ne retenir que ce qui est utile à la vie, ce qui élève.
Georg Christoph Lichtenberg dit un jour : " L'Américain qui le premier a découvert Christophe Colomb a fait une fâcheuse découverte. " La mienne fut délicieuse. Délivré de mon institution pour personnes que la société décrète anormales, je me suis livré à une recherche que je poursuis encore aujourd'hui. Pendant dix-sept ans, j'avais vécu en vase clos, et il me tardait de connaître l'extérieur, de côtoyer les êtres normaux. à ce jour, je n'ai pas trouvé le spécimen. à la bonne heure. L'être humain étonne, fascine, émerveille. Jamais il ne se laisse enfermer dans des étiquettes. Toujours, il demeure délicieusement anormal.
La différence semble bien caractériser l'homme. On la trouve à la source de mille découvertes, de bien d'inventions. Chaque existence innove, emprunte un chemin que nul pas n'a jamais foulé. Pourtant, être différent sous le regard d'autrui reste un poids pour beaucoup. Comment prendre en charge la différence, comment l'assumer au quotidien ? à l'heure où pèse une démagogie de la différence qui exige qu'on dissimule toute distinction ou qu'on l'affiche, au contraire, avec un pathos épais, peut-on encore vivre une singularité ?
Marie de Gournay, première éditrice de Montaigne, résumait le vaste programme entrepris par l'auteur gascon par ce mot d'ordre sans cesse actuel : désenseigner la bêtise. N'est-ce pas l'acte suprême de la subversion ? Dynamiter les préjugés. S'opposer à l'équation qui postule que chaque marginal est un malheureux, un fardeau.
Socrate m'a formé. Boèce, du fond de sa geôle, m'a enseigné que la culture nous maintient debout dans l'adversité, Nietzsche m'a montré la nécessité de la lutte. Jérôme, le paralysé, le compagnon d'infortune, m'a tout appris. Tandis que la vie désertait par petites étapes cet être bien-aimé, un sourire errait sur le visage crispé par la douleur. Avec violence, le paralysé qui avait accompagné mon enfance me léguait une redoutable exigence : jubiler devant l'existence, tirer profit de tout, et cela avec joie.
Assumer sa différence, vivre pleinement sa singularité, requiert donc un changement radical, une conversion du regard. Le paumé, le handicapé, le clochard peuvent devenir, pour l'oeil avisé, des maîtres. Ils enseignent l'humain, ce qui le fonde et lui confère prix et valeur, ce qui nous fait tous semblables devant la différence.
(1) Vient de publier le Métier d'homme. Ed. du Seuil, octobre 2002.
Le bonheur en 6 1/2 étapes ?
· l'heure où l'on commence à célébrer en grandes pompes Alexandre Dumas, j'ai parcouru quelques-unes de ses pages pour tomber sur ce constat un brin assommant : " Comment se fait-il que les enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient si bêtes ? Ça doit tenir à l'éducation. " J'aime son " la plupart ", qui vient non sans ironie nuancer le coup de massue assené par le père du Comte de Monte Cristo.
L'être humain dans son rapport au monde répertorie, classe, trie, sélectionne les informations utiles à son épanouissement, à son évolution , dirait le vieux Darwin. D'abord, il y a l'apprentissage, celui de la déglutition, de l'équilibre, puis l'enfant commence avec force péripéties sa carrière de bipède. L'école prend le relais, elle dispense les rudiments du savoir et jette les bases de ce qui deviendra plus tard une culture. Pour ma part, j'ai consacré les premières années de vie à tenter de répondre à de pressantes questions nées d'un environnement peu clément. Dans cette quête insolite, je me sentais soutenu, épaulé par mes camarades d'infortunes. Parmi mes compagnons d'épreuves, je pouvais allégrement compter sur un nain, un boiteux, une muette - fort peu discrète au demeurant -, un simplet et autres " chatouillés du cerveau ". Ensemble nous tentions d'assumer l'existence, nous nous formions, essayions de répondre au caractère tragique de notre condition. Voilà l'ultime devoir, voilà l'intuition viscérale qui animait les " handicapés " du foyer. L'école était celle de l'existence. Nos maîtres, ceux qui parvenaient à arracher à cette condition le plus de joie. Non pas la joie de fin de soirées, non pas l'hilarité qui pèse dans les merguez parties, mais une joie authentique qui parvient à percer les souffrances, demeurait intacte, indemne au cour du tourment. Long travail ! Cependant, tout nous invitait à nous lancer dans ce joyeux combat. Nos manques, nos faiblesses appelaient le remède de toutes leurs " forces ". Le tragique était là, nous aussi. Entre deux, il s'agirait de bâtir.
Aujourd'hui, lorsque j'arpente les librairies, les titres de certains rayonnages me consternent : Réussir sa vie, le Bonheur en dix étapes, Comment s'épanouir, être bien avec soi. Toujours cette volonté de tout maîtriser. Stupides recettes prétentieuses qui veulent refuser le tragique. Elles oublient que le nier c'est le faire revenir au galop. La formation, l'éducation ne consistent-elles pas plutôt à nous préparer, à développer ressources et ingéniosité pour livrer combat et construire sur un sol que l'on sait fragile ?
Parfois la vie blesse, ouvre des plaies. Dès lors, la crainte, les blessures accumulées interdisent de rester sobre et léger à l'endroit de ce qui nous échappe. Les habitudes opèrent, la méfiance sévit. Peut-être la véritable audace en ce cas exige-t-elle de se redéformer ? Tout commence à l'école, veillons pour que tout ne s'y termine pas. Nouveau casse-tête pour Luc Ferry !
(1) Vient de publier le Métier d'homme, Ed. du Seuil, octobre 2002.
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