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Le Miroir des aveugles de Aïssa Hirèche

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  • Le Miroir des aveugles de Aïssa Hirèche

    Ce n’est pas donné à tout le monde d’unir ce que l’on voit et ce que l’on a vu.

    Et il en est de même du scrupule d’éviter d’étaler ses recherches pseudo-littéraires pour montrer ses qualités d’écrivain. Il y a une technique du rêve, je crois, qui prouve que les images inventées doivent leur âme à la sincérité de dire, plus qu’à la densité de l’imagination. Je note bien, comme beaucoup ailleurs, que l’ambition trop jalouse de tout ce que l’on fait est une monstrueuse vésanie.

    Mais dans ce que je lis dans Le Miroir des aveugles (*) de Aïssa Hirèche, je découvre un écrivain de Biskra qui n’a rien du schizophrène. Sa sensibilité pure d’enfant simple de la Reine des Zibans (malikat ez-Zibân, la reine des «oasis»), sa passion pleine d’humour et de vérité, sa connaissance et son expérience des différents milieux humains, sa naïveté d’homme intelligent et pudique, révèlent un auteur d’avenir.

    Dans le préambule de son livre, Aïssa Hirèche annonce ses intentions: dénoncer les rétenteurs «ces individus [que l’on] reconnaît aux lambeaux de vêtements qu’ils gardent sous leurs ongles tachés de sang parce qu’ils ne peuvent même pas épargner la chair de ceux qu’ils retiennent collés au sol malgré leur propre volonté. On les reconnaît au mal qu’ils ressentent au cou à force de surveiller les hauteurs. Et on les reconnaît aussi aux puissantes serres qui leurs servent de doigts.»

    Quelle juste observation! Quelle juste flamme rédemptrice dans le regard de l’incorruptible! Quelle juste image hideuse qui marque toute une vie! Et quelle juste démonstration de la misère de l’homme, ici-bas, l’homme perdu au milieu de ceux qui, dans notre société devenue sauvage, sont «frappés par l’inaptitude à reconnaître valeurs et vertus, [et qui] excellent dans l’art de couper les cordes et de brouiller les aspirations»!

    Aïssa Hirèche, comme tant d’Algériens, en a gros sur le coeur, néanmoins, il agit, restant bravement fidèle à ses convictions: poursuivre les charlatans et les sots, ces deux espèces du genre humain qui n’agissent que pour faire bon usage de leur incompétence et de leur malhonnêteté. Pour en parler, Hirèche, qui est docteur en économie et professeur à l’université de Biskra, fait l’économie de son expression en donnant la parole à des personnages de contes tels que Sidi Taya (qui ne peut s’empêcher d’aider Ba Guémou et ses roses), Tayeh (homme pieux depuis toujours qui n’aime pas tricher), Niyyu (qui se torture l’esprit pour rester intègre, même devant le vizir), Haniya de la parabole de «Ichemoul, la crête du coeur», Inji et les monstres de Laho,...et Allou, le cordonnier d’El-Moudawwarah - qui sait observer les chaussures pour confondre l’assassin. Ces «contes» (ou ces fables) se présentent comme des «nouvelles» dont la première «Le Miroir des aveugles» donne le ton à l’ensemble qui évoque des fragments de vie. Parlant de «pudeur», de «justice» et de «sagesse», Hirèche nous place en plein dans le songe pour augmenter notre imagination et, par ainsi, notre esprit. Nous vivons en quelque sorte dans un va-et-vient constant, entre «réalité» et «imagination».

    Dans les situations, impeccablement parsemées d’images, de paraboles, d’allusions, de bon sens (philosophie, morale, politique,...), dominent des principes d’éducation civique et de formation du caractère. L’intention première de ces contes est de véhiculer des valeurs qui sont, il faut bien le dire, de plus en plus rares dans notre société et à notre époque. La diversité des thèmes, des lieux, des personnages ainsi que des sources, par exemple certains contes ont été recueillis par l’auteur auprès d’un ami grec (à Bucarest), d’un étudiant yéménite (un étudiant qui devait prendre le train pour Belgrade), d’un ami turc (un soir d’été 1977, à la place San Marco de Venise).

    Tout l’ouvrage de Aïssa Hirèche court sur cet axe tracé par lui: «La pudeur, la justice et la sagesse, écrit-il, tels m’ont toujours semblé être les piliers du pouvoir des hommes parce que la pudeur apporte sérénité et honnêteté, la justice empêche les abus, et la sagesse procure compétence et intégrité. Et il suffit que l’un de ces trois piliers manque pour que le pouvoir soit altéré, dévié, voire déplacé.».

    Cette réflexion est illustrée par le premier conte Le Miroir des aveugles dont voici un fort résumé:

    Un petit garçon remarquait que son grand-père ne sortait jamais sans se regarder dans le miroir. Or il avait perdu la vue après la guerre un certain été 1945 lorsque son chien qu’il sortait alors en promenade, comme chaque soir, sauta sur une des innombrables mines oubliées. Plus d’une fois, le petit garçon essaya de découvrir le secret de son grand-père. Celui-ci finit par le lui révéler en lui expliquant que les miroirs n’existent que lorsqu’on veut bien les regarder.

    Mais afin que nos lecteurs apprécient la parabole de ce conte - et celles de tous les autres contes -, je les engage vivement à ouvrir le recueil Le Miroir des aveugles de Aïssa Hirèche et à se recueillir devant tant de vérités intimes, nuancées et troublantes qui font notre existence.

    Quant à «la technique de l’écriture» et au ton précieux dont nous rebattent les oreilles certains auteurs qui cherchent à tout prix à briller, nous n’en avons pas besoin ici.

    (*) Le Miroir des aveugles de Aïssa Hirèche, Éditions Alpha, Alger, 2009, 219 pages.

    Par L'Expression
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