Je témoigne de ce que je sais et de ce que je crois être vrai. Comme ce témoignage s’apparente à une réflexion personnelle, il s’expose, à ce titre, à l’exercice de la critique et de la controverse. J’appartiens entièrement à cette génération qui, de vieillesse naturelle et de désenchantement politique, se meure un peu plus chaque jour. Elle a vécu et connu les trois dernières périodes importantes de l’histoire contemporaine de l’Algérie : la période coloniale, celle de la guerre de Libération, et celle actuelle, de la souveraineté nationale recouvrée.
Ce que signifiait l’Indépendance pour notre génération
Les Algériens de ma génération et celle qui l’ont précédée gardent, à n’en point douter, une mémoire vivace des rêves fantastiques à chaque fois ravivés à la seule évocation du mot Indépendance. Elle signifiait pour nous : fraternité, égalité, justice, dignité et solidarité sociale ; elle symbolisait toutes ces nobles valeurs, que bafouait cyniquement et brutalement l’ignoble pouvoir colonial en place. Ceux qui le veulent se souviennent aussi que nos aînés, militants éclairés du Mouvement national, ne concevaient pas l’indépendance comme une simple fin en soi, une rupture d’avec le système colonial, sans autre ambition politique et morale de lui substituer un projet de société répondant aux aspirations profondes et légitimes du peuple algérien. Pour l’ensemble des hommes engagés dans la lutte anticolonialiste, le triomphe devait inaugurer le commencement d’une ère nouvelle : celle d’un renouveau national, celle de l’édification d’une société citoyenne, morale et solidaire, apte à promouvoir et à garantir les droits fondamentaux et le respect de la personne humaine et à œuvrer pour le progrès et la prospérité partagée entre toutes les couches sociales de la nation. Tous les Algériens de ma génération ont en mémoire cette profession de foi, laquelle constituait l’essentiel des déclarations des principes idéologiques et figurait explicitement dans les documents fondateurs du Mouvement nationaliste algérien. «Etre indépendants quitte à se nourrir d’herbe» n’était qu’une métaphore destinée à braver le mauvais sort et à élever le combat au diapason de l’idéal de dignité transcendant les revendications prosaïques.
Quand les rêves virent au cauchemar
Malheureusement, sitôt l’Indépendance arrachée, au prix d’immenses sacrifices, l’idéal politico- moral, cultivé par le nationalisme originel a, hélas, sombré dans un incroyable désarroi et les rêves prometteurs ont tous viré au pires des cauchemars. De dérive en dérive, il s’en est suivi, tout au long des décennies, une interminable tragédie nationale. Les théories censées expliquer la genèse et les causes des malencontreuses dérives de l’histoire algérienne sont nombreuses. Mon intention, fort modeste, n’étant pas de faire l’histoire de l’Algérie, encore moins sa critique, je ne m’attarderai sur aucune de ces théories. Ceci étant, j’avoue n’être pas de ceux qui érigent l’intervention de la fatalité en facteur actif de l’Histoire, comme je ne suis pas aussi de ceux qui, sans mesure scientifique, recourent aux motivations subjectives, lorsqu’il s’agit d’appréhender l’Histoire, particulièrement l’histoire algérienne. En effet, il est fréquent, que les historiens, écrivant notre histoire, se complaisent souvent dans la narration d’évènements où l’anecdotique et le romanesque l’emportent indûment sur l’investigation sérieuse et la rigueur scientifique.
Les causes principales du désordre national
Au risque d’être ou de paraître étrangement réducteur, je tiens, pour cause principale de la tragédie nationale, les deux grandes discordes survenues à des périodes successives cruciales de l’histoire du Mouvement nationaliste algérien.
1- Discorde à propos du leadership en politique.
Cette discorde, qui se voulait de principe, est survenue en 1953 au sein du PPA-MTLD, le parti, il faut le rappeler, à avoir, le premier et le seul, à l’époque, développé un projet et une stratégie de lutte armée pour l’Indépendance nationale. Suite à cette discorde, le parti s’est scindé en deux courants irrémédiablement opposés. Les uns (acquis aux thèses du comité central du parti dirigé par Lahoual Hocine) craignant, à tort ou à raison, les effets négatifs du culte de la personnalité, que génère souvent la pratique d’une direction incarnée par un chef transcendant les instances élues, prônaient la pertinence d’une direction collégiale. Les autres (partisans de Messali Hadj président du parti) militants pragmatiques, conscients des conditions historiques exceptionnelles de la lutte anticolonialiste, plaidaient en faveur d’un chef consensuel apte, avant toute considération doctrinale, à garantir l’unité militante du parti. Peu importe, à présent, la voie impromptue, qu’elle a empruntée, on ne refait pas l’Histoire, au gré de ses désirs. J’aime seulement à imaginer, ce qu’auraient pu être l’histoire de la guerre de Libération nationale, celle des moments décisifs de la proclamation de l’Indépendance, celle de l’Algérie souveraine, si toutes ces périodes historiques avaient été animées et dirigées, comme cela aurait dû l’être par le PPA/MTLD uni et judicieusement préservé des effets débilitants de toute discordance ennemie.
**Remarque : Avec le recul du temps, il est permis de supposer que cette discorde malvenue avait été sûrement inspirée et fomentée quelque part ailleurs qu’au sein du parti, car personne, de la qualité des cadres et militants avertis, ne devait ignorer qu’une entreprise d’envergure fondatrice d’un destin national ne peut être impulsée, d’une manière crédible, que par une alliance d’hommes organisés et puissamment résolus et ne peut être guidée valablement et durablement, sans risque de fractures au niveau des instance dirigeantes, que par un chef fédérateur et unaniment reconnu. Il est ainsi des périodes de densité historique remarquable, des moments exceptionnels durant lesquels un peuple mis au péril existentiel forge et révèle, pour sa propre sauvegarde, des hommes exceptionnels, des personnalités charismatiques, dont la mission essentielle est de fédérer et de guider leur peuple. L’histoire de l’humanité abonde en exemples célèbres et en héros légendaires. Somme toute, dans ces moments hautement historiques, la pratique du culte de la personnalité est certainement moins préjudiciable à une nation que l’incapacité de celle-ci à forger en son sein des hommes de grande qualité et des héros de grande bravoure. «Seul héros, le peuple», clamé à travers toute l’Algérie au lendemain de l’Indépendance est un slogan imaginé par ceux qui avaient pour visée inavouée de dérouter le peuple. Cette expression, d’une singulière perversité politique, exprime un populisme primaire qui, nous le savons, par les expériences inlassablement renouvelées depuis près d’un demi-siècle, constitue le pire ennemi du peuple.
Ce que signifiait l’Indépendance pour notre génération
Les Algériens de ma génération et celle qui l’ont précédée gardent, à n’en point douter, une mémoire vivace des rêves fantastiques à chaque fois ravivés à la seule évocation du mot Indépendance. Elle signifiait pour nous : fraternité, égalité, justice, dignité et solidarité sociale ; elle symbolisait toutes ces nobles valeurs, que bafouait cyniquement et brutalement l’ignoble pouvoir colonial en place. Ceux qui le veulent se souviennent aussi que nos aînés, militants éclairés du Mouvement national, ne concevaient pas l’indépendance comme une simple fin en soi, une rupture d’avec le système colonial, sans autre ambition politique et morale de lui substituer un projet de société répondant aux aspirations profondes et légitimes du peuple algérien. Pour l’ensemble des hommes engagés dans la lutte anticolonialiste, le triomphe devait inaugurer le commencement d’une ère nouvelle : celle d’un renouveau national, celle de l’édification d’une société citoyenne, morale et solidaire, apte à promouvoir et à garantir les droits fondamentaux et le respect de la personne humaine et à œuvrer pour le progrès et la prospérité partagée entre toutes les couches sociales de la nation. Tous les Algériens de ma génération ont en mémoire cette profession de foi, laquelle constituait l’essentiel des déclarations des principes idéologiques et figurait explicitement dans les documents fondateurs du Mouvement nationaliste algérien. «Etre indépendants quitte à se nourrir d’herbe» n’était qu’une métaphore destinée à braver le mauvais sort et à élever le combat au diapason de l’idéal de dignité transcendant les revendications prosaïques.
Quand les rêves virent au cauchemar
Malheureusement, sitôt l’Indépendance arrachée, au prix d’immenses sacrifices, l’idéal politico- moral, cultivé par le nationalisme originel a, hélas, sombré dans un incroyable désarroi et les rêves prometteurs ont tous viré au pires des cauchemars. De dérive en dérive, il s’en est suivi, tout au long des décennies, une interminable tragédie nationale. Les théories censées expliquer la genèse et les causes des malencontreuses dérives de l’histoire algérienne sont nombreuses. Mon intention, fort modeste, n’étant pas de faire l’histoire de l’Algérie, encore moins sa critique, je ne m’attarderai sur aucune de ces théories. Ceci étant, j’avoue n’être pas de ceux qui érigent l’intervention de la fatalité en facteur actif de l’Histoire, comme je ne suis pas aussi de ceux qui, sans mesure scientifique, recourent aux motivations subjectives, lorsqu’il s’agit d’appréhender l’Histoire, particulièrement l’histoire algérienne. En effet, il est fréquent, que les historiens, écrivant notre histoire, se complaisent souvent dans la narration d’évènements où l’anecdotique et le romanesque l’emportent indûment sur l’investigation sérieuse et la rigueur scientifique.
Les causes principales du désordre national
Au risque d’être ou de paraître étrangement réducteur, je tiens, pour cause principale de la tragédie nationale, les deux grandes discordes survenues à des périodes successives cruciales de l’histoire du Mouvement nationaliste algérien.
1- Discorde à propos du leadership en politique.
Cette discorde, qui se voulait de principe, est survenue en 1953 au sein du PPA-MTLD, le parti, il faut le rappeler, à avoir, le premier et le seul, à l’époque, développé un projet et une stratégie de lutte armée pour l’Indépendance nationale. Suite à cette discorde, le parti s’est scindé en deux courants irrémédiablement opposés. Les uns (acquis aux thèses du comité central du parti dirigé par Lahoual Hocine) craignant, à tort ou à raison, les effets négatifs du culte de la personnalité, que génère souvent la pratique d’une direction incarnée par un chef transcendant les instances élues, prônaient la pertinence d’une direction collégiale. Les autres (partisans de Messali Hadj président du parti) militants pragmatiques, conscients des conditions historiques exceptionnelles de la lutte anticolonialiste, plaidaient en faveur d’un chef consensuel apte, avant toute considération doctrinale, à garantir l’unité militante du parti. Peu importe, à présent, la voie impromptue, qu’elle a empruntée, on ne refait pas l’Histoire, au gré de ses désirs. J’aime seulement à imaginer, ce qu’auraient pu être l’histoire de la guerre de Libération nationale, celle des moments décisifs de la proclamation de l’Indépendance, celle de l’Algérie souveraine, si toutes ces périodes historiques avaient été animées et dirigées, comme cela aurait dû l’être par le PPA/MTLD uni et judicieusement préservé des effets débilitants de toute discordance ennemie.
**Remarque : Avec le recul du temps, il est permis de supposer que cette discorde malvenue avait été sûrement inspirée et fomentée quelque part ailleurs qu’au sein du parti, car personne, de la qualité des cadres et militants avertis, ne devait ignorer qu’une entreprise d’envergure fondatrice d’un destin national ne peut être impulsée, d’une manière crédible, que par une alliance d’hommes organisés et puissamment résolus et ne peut être guidée valablement et durablement, sans risque de fractures au niveau des instance dirigeantes, que par un chef fédérateur et unaniment reconnu. Il est ainsi des périodes de densité historique remarquable, des moments exceptionnels durant lesquels un peuple mis au péril existentiel forge et révèle, pour sa propre sauvegarde, des hommes exceptionnels, des personnalités charismatiques, dont la mission essentielle est de fédérer et de guider leur peuple. L’histoire de l’humanité abonde en exemples célèbres et en héros légendaires. Somme toute, dans ces moments hautement historiques, la pratique du culte de la personnalité est certainement moins préjudiciable à une nation que l’incapacité de celle-ci à forger en son sein des hommes de grande qualité et des héros de grande bravoure. «Seul héros, le peuple», clamé à travers toute l’Algérie au lendemain de l’Indépendance est un slogan imaginé par ceux qui avaient pour visée inavouée de dérouter le peuple. Cette expression, d’une singulière perversité politique, exprime un populisme primaire qui, nous le savons, par les expériences inlassablement renouvelées depuis près d’un demi-siècle, constitue le pire ennemi du peuple.
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