Dans la plus grande ville de l’Oriental, le raï est omniprésent. Ses habitants ont véritablement cette musique dans la peau, et cela depuis plus d’une vingtaine d’années.
Samedi 25 juillet, 4 heures. Le rideau vient de tomber sur la troisième édition du Festival international de raï d’Oujda. Pendant trois jours, la capitale de l’Oriental a vibré sur la musique d’artistes marocains et algériens, comme Rachid Berriah, Faudel, Zehouania. Ou encore Bilal qui clôt le Festival, devant un public hystérique (lire encadré), composé de 250 000 spectateurs, venus de tout le Maroc et d’Algérie. Depuis sa création, la programmation du festival attire des amateurs de raï au-delà de nos frontières. Chaque année, des Algériens – en grande majorité de Tlemcen et Oran - traversent illégalement la frontière entre les deux pays, au niveau de Trik El Wahda (La route de l’unité) pour profiter des concerts. Devant la scène, aucun moyen de faire la différence entre Algériens et Oujdis. Ils ont le même accent, dansent de la même manière et connaissent par cœur les mêmes chansons. Comme à Oran –berceau historique du raï –, Oujda ne jure que par ce style musical, et cela ne date pas d’hier.
Influences algériennes
Comme en Algérie, c’est au milieu des années 1980 que le raï explose à Oujda. Avec des artistes tels que Mimoun El Oujdi, son frère Kamal, Mohamed Raï ou encore Rachid Berriah qui popularisent cette musique dans le reste du Maroc. A cette époque, les frontières ouvertes permettent beaucoup d’échanges entre les artistes des deux pays. Boussouar El Maghnawi, le premier producteur de raï de la ville signe des artistes aussi bien en Algérie qu’au Maroc. Très souvent, ils jouent durant les mêmes concerts, des deux côtés de la frontière. Vingt ans plus tard, les liens entre les artistes des deux pays sont restés intacts.“Heureusement, la grande famille du raï n’a pas souffert des divergences politiques qui déchirent les deux pays. Il y a encore une énorme solidarité entre les artistes algériens et marocains, en particulier en France”, explique Noureddine Gafaiti, connu dans le milieu musical pour avoir produit et managé plusieurs stars du raï, comme les défunts Cheikha Rimitti et Cheb Hasni. Les artistes continuent donc toujours à travailler ensemble, malgré la fermeture des frontières en 1994.“Actuellement, la moitié des musiciens qui jouent avec Khaled, Faudel ou encore Bilal sont marocains, majoritairement originaires de la région d’Oujda”, précise Moumen El M’barki, directeur artistique du Festival d’Oujda et ancien chanteur de raï.
Raï fever
Un petit tour dans la ville suffit pour s’apercevoir qu’à Oujda, le raï est plus qu’un style musical : il fait partie intégrante de la culture de la ville et de la vie de ses habitants, qui ont tous grandi en écoutant cette musique. Les marchands de CD ne vendent presque que du raï. En plus des albums de Khaled, Mami, Hasni ou encore Bilal, ils proposent des dizaines de CD de“cheb” et de“chebbate” inconnus en dehors d’Oujda. Et la ville compte plusieurs studios d’enregistrements qui voient défiler régulièrement des jeunes, qui rêvent de suivre les traces des stars du raï. Lors de sa première édition, le Festival a même organisé un concours pour dénicher des talents et les faire découvrir au public. Plus d’une centaine de filles et de garçons se sont présentés au casting et le choix s’est avéré plus difficile que prévu.“La majorité étaient très bons. Nous avons été très impressionnés par leur niveau, mais nous ne pouvions malheureusement en choisir que trois”, se rappelle Moumen El M’barki. A Oujda, il y a souvent un musicien ou un chanteur raï dans chaque famille. D’autres jeunes, pâles copies des grands noms du raï, préfèrent tenter leur chance dans les cabarets de la ville. Même les endroits qui ressemblent à première vue à des boîtes de nuit ne diffusent que du raï. Techno, house ou autres musiques électroniques n’ont pas droit de cité dans les établissements nocturnes de la ville. A la place des DJ et de leurs platines, ce sont des mini-orchestres de raï qui assurent le show, en reprenant des standards qui font danser les clients jusqu’à l’aube.
Un public connaisseur
A force de baigner dans le raï depuis plus de vingt ans, les Oujdis sont devenus de véritables connaisseurs. Et cela, les artistes programmés lors du Festival le ressentent clairement. “Nous sommes toujours super-excités de venir jouer à Oujda, devant un public qui comprend et qui se retrouve dans notre musique”, affirme Nabil, percussionniste de Zehouania “Lorsque je joue à Oujda, j’ai vraiment l’impression d’être à Oran ou à Sidi Belabbès, villes où il existe une vraie culture raï et où il y a toujours une osmose totale avec le public”, explique Bilal, programmé pour la troisième fois consécutive au Festival d’Oujda. La plupart des habitants attendent avec impatience cet événement, pour voir sur scène des artistes qu’ils écoutent depuis plusieurs années. Aujourd’hui, ce Festival a atteint une grande notoriété dans le milieu du raï au point, presque, de remplacer Oran dans les cœurs de ces passionnés. “Ce Festival a inauguré une nouvelle ère. Je suis persuadé que dans les prochaines années, il va devenir un label international pour la musique raï, et attirer un public venant du monde entier”, prédit Noureddine Gafaiti. L’ouverture d’Oujda sur le reste du monde n’est donc qu’une question de temps.
Phénomène. Bilal, superstar du raï
Agé de 43 ans, Bilal est actuellement l’un des plus gros vendeurs de disques au Maghreb. Et l’un des rares artistes à pouvoir attirer plus de 100 000 personnes à chacun de ses impressionnants concerts au Maroc. Lors de la première édition du Festival de Casablanca en 2005, le chanteur algérien a attiré 160 000 spectateurs devant la scène de Bernoussi. Cette année-là, l’artiste américain Wyclef Jean (ex-membre des Fugees) aurait assisté à sa prestation, et aurait été complètement ébahi par la réaction du public, qui connaissait par cœur tout son répertoire. Quatre ans plus tard, les concerts de Bilal dans les quatre coins du Maroc attirent toujours autant de spectateurs, que les autorités ont très souvent du mal à gérer. Chacune de ses apparitions provoque une hystérique collective. Et des réactions incroyables. Beaucoup pleurent, certains deviennent très violents, et vont même jusqu’à s’automutiler sur ses chansons les plus dépressives, qui parlent de “l’miseria”, “l’hogra”, ou encore “l’ghorba”. Des thèmes dans lesquels se reconnaît une grande partie de la population marocaine, se sentant très proche de ce chanteur qui a été sans-papiers pendant dix ans en France avant de se faire un nom dans le raï. “Cela me brise le cœur de voir ces jeunes se faire du mal. Mais ce n’est pas ma musique qui les a rendus comme cela, c’est leur quotidien. Mes morceaux sont juste un défouloir pour eux”, explique l’artiste oranais. Et lorsqu’il les croise dans la rue – où Bilal ne s’aventure presque jamais par crainte de provoquer une émeute–, ces jeunes ne peuvent s’empêcher de le remercier. Parce qu’ils le considèrent comme le seul qui se soucie d’eux. “Bilal a comblé un vide dans le cœur de la jeunesse maghrébine désemparée qui se sent abandonnée par la société”, analyse Noureddine Gafaiti, producteur et manager de plusieurs stars du raï. A Oujda, le public était complètement acquis à sa cause. Algériens et Marocains chantaient à l’unisson, se retrouvant dans les paroles de cet artiste qui a toujours les pieds sur terre, malgré son succès. Un concert de clôture riche en émotions, qui prouve que malgré tous les différends politiques, Algériens et Marocains peuvent être unis le temps d’une soirée. Grâce à Bilal.
© 2009 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés
Samedi 25 juillet, 4 heures. Le rideau vient de tomber sur la troisième édition du Festival international de raï d’Oujda. Pendant trois jours, la capitale de l’Oriental a vibré sur la musique d’artistes marocains et algériens, comme Rachid Berriah, Faudel, Zehouania. Ou encore Bilal qui clôt le Festival, devant un public hystérique (lire encadré), composé de 250 000 spectateurs, venus de tout le Maroc et d’Algérie. Depuis sa création, la programmation du festival attire des amateurs de raï au-delà de nos frontières. Chaque année, des Algériens – en grande majorité de Tlemcen et Oran - traversent illégalement la frontière entre les deux pays, au niveau de Trik El Wahda (La route de l’unité) pour profiter des concerts. Devant la scène, aucun moyen de faire la différence entre Algériens et Oujdis. Ils ont le même accent, dansent de la même manière et connaissent par cœur les mêmes chansons. Comme à Oran –berceau historique du raï –, Oujda ne jure que par ce style musical, et cela ne date pas d’hier.
Influences algériennes
Comme en Algérie, c’est au milieu des années 1980 que le raï explose à Oujda. Avec des artistes tels que Mimoun El Oujdi, son frère Kamal, Mohamed Raï ou encore Rachid Berriah qui popularisent cette musique dans le reste du Maroc. A cette époque, les frontières ouvertes permettent beaucoup d’échanges entre les artistes des deux pays. Boussouar El Maghnawi, le premier producteur de raï de la ville signe des artistes aussi bien en Algérie qu’au Maroc. Très souvent, ils jouent durant les mêmes concerts, des deux côtés de la frontière. Vingt ans plus tard, les liens entre les artistes des deux pays sont restés intacts.“Heureusement, la grande famille du raï n’a pas souffert des divergences politiques qui déchirent les deux pays. Il y a encore une énorme solidarité entre les artistes algériens et marocains, en particulier en France”, explique Noureddine Gafaiti, connu dans le milieu musical pour avoir produit et managé plusieurs stars du raï, comme les défunts Cheikha Rimitti et Cheb Hasni. Les artistes continuent donc toujours à travailler ensemble, malgré la fermeture des frontières en 1994.“Actuellement, la moitié des musiciens qui jouent avec Khaled, Faudel ou encore Bilal sont marocains, majoritairement originaires de la région d’Oujda”, précise Moumen El M’barki, directeur artistique du Festival d’Oujda et ancien chanteur de raï.
Raï fever
Un petit tour dans la ville suffit pour s’apercevoir qu’à Oujda, le raï est plus qu’un style musical : il fait partie intégrante de la culture de la ville et de la vie de ses habitants, qui ont tous grandi en écoutant cette musique. Les marchands de CD ne vendent presque que du raï. En plus des albums de Khaled, Mami, Hasni ou encore Bilal, ils proposent des dizaines de CD de“cheb” et de“chebbate” inconnus en dehors d’Oujda. Et la ville compte plusieurs studios d’enregistrements qui voient défiler régulièrement des jeunes, qui rêvent de suivre les traces des stars du raï. Lors de sa première édition, le Festival a même organisé un concours pour dénicher des talents et les faire découvrir au public. Plus d’une centaine de filles et de garçons se sont présentés au casting et le choix s’est avéré plus difficile que prévu.“La majorité étaient très bons. Nous avons été très impressionnés par leur niveau, mais nous ne pouvions malheureusement en choisir que trois”, se rappelle Moumen El M’barki. A Oujda, il y a souvent un musicien ou un chanteur raï dans chaque famille. D’autres jeunes, pâles copies des grands noms du raï, préfèrent tenter leur chance dans les cabarets de la ville. Même les endroits qui ressemblent à première vue à des boîtes de nuit ne diffusent que du raï. Techno, house ou autres musiques électroniques n’ont pas droit de cité dans les établissements nocturnes de la ville. A la place des DJ et de leurs platines, ce sont des mini-orchestres de raï qui assurent le show, en reprenant des standards qui font danser les clients jusqu’à l’aube.
Un public connaisseur
A force de baigner dans le raï depuis plus de vingt ans, les Oujdis sont devenus de véritables connaisseurs. Et cela, les artistes programmés lors du Festival le ressentent clairement. “Nous sommes toujours super-excités de venir jouer à Oujda, devant un public qui comprend et qui se retrouve dans notre musique”, affirme Nabil, percussionniste de Zehouania “Lorsque je joue à Oujda, j’ai vraiment l’impression d’être à Oran ou à Sidi Belabbès, villes où il existe une vraie culture raï et où il y a toujours une osmose totale avec le public”, explique Bilal, programmé pour la troisième fois consécutive au Festival d’Oujda. La plupart des habitants attendent avec impatience cet événement, pour voir sur scène des artistes qu’ils écoutent depuis plusieurs années. Aujourd’hui, ce Festival a atteint une grande notoriété dans le milieu du raï au point, presque, de remplacer Oran dans les cœurs de ces passionnés. “Ce Festival a inauguré une nouvelle ère. Je suis persuadé que dans les prochaines années, il va devenir un label international pour la musique raï, et attirer un public venant du monde entier”, prédit Noureddine Gafaiti. L’ouverture d’Oujda sur le reste du monde n’est donc qu’une question de temps.
Phénomène. Bilal, superstar du raï
Agé de 43 ans, Bilal est actuellement l’un des plus gros vendeurs de disques au Maghreb. Et l’un des rares artistes à pouvoir attirer plus de 100 000 personnes à chacun de ses impressionnants concerts au Maroc. Lors de la première édition du Festival de Casablanca en 2005, le chanteur algérien a attiré 160 000 spectateurs devant la scène de Bernoussi. Cette année-là, l’artiste américain Wyclef Jean (ex-membre des Fugees) aurait assisté à sa prestation, et aurait été complètement ébahi par la réaction du public, qui connaissait par cœur tout son répertoire. Quatre ans plus tard, les concerts de Bilal dans les quatre coins du Maroc attirent toujours autant de spectateurs, que les autorités ont très souvent du mal à gérer. Chacune de ses apparitions provoque une hystérique collective. Et des réactions incroyables. Beaucoup pleurent, certains deviennent très violents, et vont même jusqu’à s’automutiler sur ses chansons les plus dépressives, qui parlent de “l’miseria”, “l’hogra”, ou encore “l’ghorba”. Des thèmes dans lesquels se reconnaît une grande partie de la population marocaine, se sentant très proche de ce chanteur qui a été sans-papiers pendant dix ans en France avant de se faire un nom dans le raï. “Cela me brise le cœur de voir ces jeunes se faire du mal. Mais ce n’est pas ma musique qui les a rendus comme cela, c’est leur quotidien. Mes morceaux sont juste un défouloir pour eux”, explique l’artiste oranais. Et lorsqu’il les croise dans la rue – où Bilal ne s’aventure presque jamais par crainte de provoquer une émeute–, ces jeunes ne peuvent s’empêcher de le remercier. Parce qu’ils le considèrent comme le seul qui se soucie d’eux. “Bilal a comblé un vide dans le cœur de la jeunesse maghrébine désemparée qui se sent abandonnée par la société”, analyse Noureddine Gafaiti, producteur et manager de plusieurs stars du raï. A Oujda, le public était complètement acquis à sa cause. Algériens et Marocains chantaient à l’unisson, se retrouvant dans les paroles de cet artiste qui a toujours les pieds sur terre, malgré son succès. Un concert de clôture riche en émotions, qui prouve que malgré tous les différends politiques, Algériens et Marocains peuvent être unis le temps d’une soirée. Grâce à Bilal.
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