En marge des festivités commémorant le 64ème anniversaire des massacres du 8 mai 1945 à Guelma, nous avons pu rencontrer des natifs de la région qui ont participé à la marche organisée en cette date historique.
Témoignages :«Après la répression aveugle qui s’était abattue sur les populations civiles sans défense dans les régions de Guelma, de Kherrata et de Sétif et les pires atrocités commises, le général Duvall, commandant le Constantinois à l’époque, avait déclaré à l’adresse des autorités : ‘‘Je vous ai assuré la paix pour 10 ans, après je n’en suis pas responsable.’’ Il ne pouvait pas mieux dire car, 9 ans plus tard, le 1er Novembre 1954 a été le détonateur qui a embrasé tout le pays.» Ces mots se détachaient avec beaucoup d’émotion dans la bouche de M. Khelklasi et transportaient l’assistance vers une époque douloureuse vécue par les habitants ; on l’écoutait dans un silence religieux «raconter» le massacre. «J’étais écolier à l’époque, j’avais 12 ans, j’ai vu un grand rassemblement d’hommes au lieudit ‘‘El Kermat’’, je m’en suis rapproché puis tout le monde a commencé à marcher, j’ai marché avec eux, ils portaient des banderoles, des drapeaux étrangers et tout au milieu le drapeau algérien. La marche s’immobilisa près du ‘‘Café de France’’, aujourd’hui, ‘‘Café d’Alger’’, il y avait la gendarmerie française en face, un Français, apparemment, un responsable puisqu’il portait une tenue spéciale, avait crié quelques mots que je n’avais pas compris puis un coup de feu partit, suivi d’autres. Les gens couraient dans tous les sens et fuyaient, des hommes étaient par terre, d’autres étaient blessés, on se réfugiait du mieux qu’on pouvait.» M. Khellasi qui ne put réprimer les larmes qui perlaient dans ses yeux se tut.
M. Bara Abdelaziz, secrétaire général de l’association, prit la parole pour poursuivre : «Il faut placer ces événements douloureux dans le contexte de l’époque pour pouvoir comprendre ce qui s’est passé. En août 1941, Roosevelt et Churchill avaient déclaré qu’après la libération, les peuples qui auront participé à la guerre aux côtés des Alliés contre l’Allemagne nazie pourront avoir la forme de gouvernement qu’ils souhaiteront. La marche pacifique organisée à Guelma le jour des festivités marquant la victoire des Alliés voulait rappeler ces promesses et demander l’indépendance du pays mais elle s’est heurtée à une répression aveugle et des atrocités ont été commises. Le PPA, interdit à l’époque, activait dans la clandestinité et avait noyauté les rangs des amis du ‘‘Manifeste pour la liberté’’ AML.
La veille du 8 mai 45, les 9 représentants de l’AML avaient pris contact avec le sous-préfet André Achiari pour demander l’autorisation d’organiser une marche pacifique à part, demande qui avait été rejetée, le responsable français avait exigé que cette manifestation soit intégrée à celle organisée officiellement. Le lendemain, après avoir su ce qui s’était passé à Sétif et le massacre qui y avait eu lieu, l’AML avait envoyé M. Abdelkader Bousfira à Annaba, pour avoir l’autorisation des responsables du Manifeste dont dépendait Guelma.
Au retour, celui-ci s’arrêta à Pontièvres [aujourd’hui Aïn Berda] pour téléphoner, ici, chez un commerçant- c’était le seul Algérien qui avait le téléphone à l’époque- pour donner le feu vert. A 16 heures, entre 5 000 et 6 000 Algériens ont commencé à marcher après s’être rassemblés au lieudit El Kermat, là où se dresse aujourd’hui la stèle commémorative.»
L’emblème national de main en main
«Banderoles demandant l’indépendance, drapeaux américain, anglais, français et russe étaient portés par les manifestants et, au milieu, bien en vue le drapeau algérien ; le tout avait été cousu sur place et la machine à coudre est conservée jusqu’à aujourd’hui. Les marcheurs, essentiellement des hommes, descendirent jusqu’à la place Salluste [place du 20 Août aujourd’hui] pour emprunter les rues d’Announa, Medjez Amar [Ben Badis], la place et la rue Saint-Augustin [place des Martyrs et rue SNP Abdelhakim] avant d’être stoppés au niveau de la rue Victor Bernès [rue du 8 Mai 45] par la police et la gendarmerie en présence du sinistre Achiari. A la vue du drapeau algérien au milieu des drapeaux des Alliés, il voulut s’en approcher pour le retirer ; Abda Ali, le porte-drapeau, le fit passer derrière lui et l’emblème national vola de main en main pour rester toujours déployé. Le sous-préfet en tenue officielle, bousculé par la foule, vit sa casquette tomber et là un coup de feu fut tiré. Panique, bousculade, cris, des hommes étaient tombés, des blessés, le sang giclait éclaboussant les manifestants qui rebroussèrent chemin en s’échappant par les rues adjacentes. On tirait pour tuer et non pour disperser la foule, la milice créée par le sous-préfet entra en action, c’était l’occasion pour elle d’en découdre avec les populations ; sur place, Abdallah Boumaaza, dit Hamed, était tombé sous les balles de la gendarmerie, Mohamed Seraïdi était décédé à l’hôpital quelques jours plus tard des suites de ses blessures, Abdallah Yelles, Lakhdar Bouchorba, Benyahia Messaoud, pour ne citer que ceux-là, avaient été blessés. Dans la soirée, la répression s’abattit, les 9 membres de l’AML furent fusillés à la caserne sur ordre du sous-préfet. Nous avons en notre possession le document signé par le commandant Buisson de la brigade mobile de Guelma.
Cette nuit-là, on avait procédé à des arrestations un peu partout, ceux qui avaient été emmenés en prison avaient échappé à la torture contrairement aux autres qui avaient eu à en souffrir dans les locaux de la gendarmerie ou à la caserne avant d’être abattus. Le lendemain, les populations rurales, alertées, étaient venues s’enquérir de la situation, elles avaient été mitraillées aux portes de la ville, les exécutions sommaires redoublaient.
Au niveau de la voie ferrée, à Oued Skhoune, Belkheir, Boumahra, Héliopolis, Lekhzara, Oued Cheham, Kef El Boumba, à la carrière, ce fut un véritable génocide, on rassemblait les gens pour les tuer en groupe et on les enterrait dans des fosses communes.»
L’homme, très ému essuya ses yeux pour effacer une larme qu’il ne put réprimer, il s’arrêta un moment pour réciter un verset du Coran avant de poursuivre : «Ce fut une véritable chasse à l’homme, des populations désarmées et sans défense étaient massacrées à huis clos et cela continuait sans aucune protestation. La commission d’enquête envoyée au lendemain de cette tuerie n’avait, semble-t-il, rien trouvé ; les assassins avaient fait procéder à l’incinération des cadavres au four à chaux de la briqueterie, une sorte de four crématoire à la française et dire que ces crimes ont été commis le jour même de la fête de la ‘‘victoire’’ sur le nazisme. Dans toute la région de Guelma, près de 12 000 Algériens ont été lâchement assassinés parce que leur seul tort était qu’ils réclamaient leur liberté, leur seul ‘‘tort’’ était qu’ils étaient Algériens.»
Civilisation ou barbarie
«La barbarie s’était installée en plein XXe siècle, 1 mois de répression, de tueries collectives, de massacres et d’exactions, il fallait mater la rébellion qui grondait à travers tout le pays ; cependant, c’est l’effet contraire qui s’est passé puisque, quelques années plus tard, les enfants des chouhada du 8 Mai 45 étaient aux premiers rangs de la lutte armée. Aujourd’hui, on dit que le chiffre de 45 000 morts est exagéré, ce n’est pas vrai, il fallait vivre l’événement pour en mesurer la dimension ; Louis Planche, un historien-chercheur, avait déclaré il y a 2 ans lors d’un séminaire organisé à Guelma, qu’il y en a eu plus de 30 000, donc le chiffre avancé est exact. Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est que l’Etat algérien définisse un statut juridique pour les morts du 8 mai 45 parce qu’ils sont toujours considérés comme disparus dans les registres d’Etat civil et c’est une aberration quant à demander à la France réparation ou à ce qu’elle exprime son repentir ou demande pardon au peuple algérien pour les crimes commis. Nous voudrions toutefois que les populations françaises sachent que ces crimes odieux et gratuits ont été commis en leur nom alors qu’elles ne le savaient pas.»
Témoignages :«Après la répression aveugle qui s’était abattue sur les populations civiles sans défense dans les régions de Guelma, de Kherrata et de Sétif et les pires atrocités commises, le général Duvall, commandant le Constantinois à l’époque, avait déclaré à l’adresse des autorités : ‘‘Je vous ai assuré la paix pour 10 ans, après je n’en suis pas responsable.’’ Il ne pouvait pas mieux dire car, 9 ans plus tard, le 1er Novembre 1954 a été le détonateur qui a embrasé tout le pays.» Ces mots se détachaient avec beaucoup d’émotion dans la bouche de M. Khelklasi et transportaient l’assistance vers une époque douloureuse vécue par les habitants ; on l’écoutait dans un silence religieux «raconter» le massacre. «J’étais écolier à l’époque, j’avais 12 ans, j’ai vu un grand rassemblement d’hommes au lieudit ‘‘El Kermat’’, je m’en suis rapproché puis tout le monde a commencé à marcher, j’ai marché avec eux, ils portaient des banderoles, des drapeaux étrangers et tout au milieu le drapeau algérien. La marche s’immobilisa près du ‘‘Café de France’’, aujourd’hui, ‘‘Café d’Alger’’, il y avait la gendarmerie française en face, un Français, apparemment, un responsable puisqu’il portait une tenue spéciale, avait crié quelques mots que je n’avais pas compris puis un coup de feu partit, suivi d’autres. Les gens couraient dans tous les sens et fuyaient, des hommes étaient par terre, d’autres étaient blessés, on se réfugiait du mieux qu’on pouvait.» M. Khellasi qui ne put réprimer les larmes qui perlaient dans ses yeux se tut.
M. Bara Abdelaziz, secrétaire général de l’association, prit la parole pour poursuivre : «Il faut placer ces événements douloureux dans le contexte de l’époque pour pouvoir comprendre ce qui s’est passé. En août 1941, Roosevelt et Churchill avaient déclaré qu’après la libération, les peuples qui auront participé à la guerre aux côtés des Alliés contre l’Allemagne nazie pourront avoir la forme de gouvernement qu’ils souhaiteront. La marche pacifique organisée à Guelma le jour des festivités marquant la victoire des Alliés voulait rappeler ces promesses et demander l’indépendance du pays mais elle s’est heurtée à une répression aveugle et des atrocités ont été commises. Le PPA, interdit à l’époque, activait dans la clandestinité et avait noyauté les rangs des amis du ‘‘Manifeste pour la liberté’’ AML.
La veille du 8 mai 45, les 9 représentants de l’AML avaient pris contact avec le sous-préfet André Achiari pour demander l’autorisation d’organiser une marche pacifique à part, demande qui avait été rejetée, le responsable français avait exigé que cette manifestation soit intégrée à celle organisée officiellement. Le lendemain, après avoir su ce qui s’était passé à Sétif et le massacre qui y avait eu lieu, l’AML avait envoyé M. Abdelkader Bousfira à Annaba, pour avoir l’autorisation des responsables du Manifeste dont dépendait Guelma.
Au retour, celui-ci s’arrêta à Pontièvres [aujourd’hui Aïn Berda] pour téléphoner, ici, chez un commerçant- c’était le seul Algérien qui avait le téléphone à l’époque- pour donner le feu vert. A 16 heures, entre 5 000 et 6 000 Algériens ont commencé à marcher après s’être rassemblés au lieudit El Kermat, là où se dresse aujourd’hui la stèle commémorative.»
L’emblème national de main en main
«Banderoles demandant l’indépendance, drapeaux américain, anglais, français et russe étaient portés par les manifestants et, au milieu, bien en vue le drapeau algérien ; le tout avait été cousu sur place et la machine à coudre est conservée jusqu’à aujourd’hui. Les marcheurs, essentiellement des hommes, descendirent jusqu’à la place Salluste [place du 20 Août aujourd’hui] pour emprunter les rues d’Announa, Medjez Amar [Ben Badis], la place et la rue Saint-Augustin [place des Martyrs et rue SNP Abdelhakim] avant d’être stoppés au niveau de la rue Victor Bernès [rue du 8 Mai 45] par la police et la gendarmerie en présence du sinistre Achiari. A la vue du drapeau algérien au milieu des drapeaux des Alliés, il voulut s’en approcher pour le retirer ; Abda Ali, le porte-drapeau, le fit passer derrière lui et l’emblème national vola de main en main pour rester toujours déployé. Le sous-préfet en tenue officielle, bousculé par la foule, vit sa casquette tomber et là un coup de feu fut tiré. Panique, bousculade, cris, des hommes étaient tombés, des blessés, le sang giclait éclaboussant les manifestants qui rebroussèrent chemin en s’échappant par les rues adjacentes. On tirait pour tuer et non pour disperser la foule, la milice créée par le sous-préfet entra en action, c’était l’occasion pour elle d’en découdre avec les populations ; sur place, Abdallah Boumaaza, dit Hamed, était tombé sous les balles de la gendarmerie, Mohamed Seraïdi était décédé à l’hôpital quelques jours plus tard des suites de ses blessures, Abdallah Yelles, Lakhdar Bouchorba, Benyahia Messaoud, pour ne citer que ceux-là, avaient été blessés. Dans la soirée, la répression s’abattit, les 9 membres de l’AML furent fusillés à la caserne sur ordre du sous-préfet. Nous avons en notre possession le document signé par le commandant Buisson de la brigade mobile de Guelma.
Cette nuit-là, on avait procédé à des arrestations un peu partout, ceux qui avaient été emmenés en prison avaient échappé à la torture contrairement aux autres qui avaient eu à en souffrir dans les locaux de la gendarmerie ou à la caserne avant d’être abattus. Le lendemain, les populations rurales, alertées, étaient venues s’enquérir de la situation, elles avaient été mitraillées aux portes de la ville, les exécutions sommaires redoublaient.
Au niveau de la voie ferrée, à Oued Skhoune, Belkheir, Boumahra, Héliopolis, Lekhzara, Oued Cheham, Kef El Boumba, à la carrière, ce fut un véritable génocide, on rassemblait les gens pour les tuer en groupe et on les enterrait dans des fosses communes.»
L’homme, très ému essuya ses yeux pour effacer une larme qu’il ne put réprimer, il s’arrêta un moment pour réciter un verset du Coran avant de poursuivre : «Ce fut une véritable chasse à l’homme, des populations désarmées et sans défense étaient massacrées à huis clos et cela continuait sans aucune protestation. La commission d’enquête envoyée au lendemain de cette tuerie n’avait, semble-t-il, rien trouvé ; les assassins avaient fait procéder à l’incinération des cadavres au four à chaux de la briqueterie, une sorte de four crématoire à la française et dire que ces crimes ont été commis le jour même de la fête de la ‘‘victoire’’ sur le nazisme. Dans toute la région de Guelma, près de 12 000 Algériens ont été lâchement assassinés parce que leur seul tort était qu’ils réclamaient leur liberté, leur seul ‘‘tort’’ était qu’ils étaient Algériens.»
Civilisation ou barbarie
«La barbarie s’était installée en plein XXe siècle, 1 mois de répression, de tueries collectives, de massacres et d’exactions, il fallait mater la rébellion qui grondait à travers tout le pays ; cependant, c’est l’effet contraire qui s’est passé puisque, quelques années plus tard, les enfants des chouhada du 8 Mai 45 étaient aux premiers rangs de la lutte armée. Aujourd’hui, on dit que le chiffre de 45 000 morts est exagéré, ce n’est pas vrai, il fallait vivre l’événement pour en mesurer la dimension ; Louis Planche, un historien-chercheur, avait déclaré il y a 2 ans lors d’un séminaire organisé à Guelma, qu’il y en a eu plus de 30 000, donc le chiffre avancé est exact. Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est que l’Etat algérien définisse un statut juridique pour les morts du 8 mai 45 parce qu’ils sont toujours considérés comme disparus dans les registres d’Etat civil et c’est une aberration quant à demander à la France réparation ou à ce qu’elle exprime son repentir ou demande pardon au peuple algérien pour les crimes commis. Nous voudrions toutefois que les populations françaises sachent que ces crimes odieux et gratuits ont été commis en leur nom alors qu’elles ne le savaient pas.»
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