Aziz Degga. Comedien,animateur,auteur,conteur
Les Algériens ne sont pas prêts à mourir de rire…
Pourquoi les Algériens ont-ils désappris à rire ? La question posée aux psychologues, sociologues et autres spécialistes du comportement a donné lieu à d’innombrables thèses tout aussi intéressantes les unes que les autres, mais la résultante est la même. Le rire et la bonne humeur, devenus denrée rare, sont difficiles à afficher dans une conjoncture morose et triste.
Pour Aziz Degga dont le métier est de faire rire les autres : « Quand le cœur n’y est pas, on a beau gesticuler dans tous les sens, on n’arrivera pas à déclencher ce déclic chez les autres. Aujourd’hui, les situations ont changé, les mentalités aussi. Les espaces d’expression sont rares pour se décompresser. Les gens sont gagnés par l’angoisse quotidienne et ne peuvent de ce fait se laisser aller. » Les Algériens sont-ils tristes à ce point ? « La monotonie et la grisaille ont donné un sacré coup à la bonne humeur. Les gens, harassés par les éprouvantes conditions de vie, perdent le réflexe de s’amuser et d’oublier par là même leurs souffrances », explique Aziz, l’artiste débonnaire « mélancolique » qui peut se targuer d’avoir beaucoup fait rire les adultes, tout en sachant se faire aimer des enfants à qui il consacre désormais le plus clair de son temps.
Aziz, qui affectionne le comique, le cocasse et le burlesque, est bien dans son rôle, mais on décèle dans son discours une bonne dose d’amertume. « J’ai joué dans de nombreux films, mais j’avais par le passé refusé de m’engager avec plusieurs réalisateurs pour la simple raison qu’ils voulaient me confiner dans le rôle de ‘’Moh Smina’’, comme s’il n’y avait que ce personnage dans l’univers. Je n’ai pas refusé par mépris du personnage que j’ai d’ailleurs campé dans ‘’Omar Gatlatou’’. Cela fait longtemps que je n’ai pas été sollicité. C’est pourquoi, je me suis consacré aux sketches et aux gags tout en m’adonnant à l’écriture », résume-t-il, l’air déçu.
Un don,une évocation
Aziz Degga est né le 10 novembre 1945 à El Biar. Dans sa carte de visite, on peut lire « Artiste de carrière, comédien animateur culturel, auteur conteur depuis 1966 ». Il garde des souvenirs furtifs de sa tendre enfance à Climat de France, où il fait ses études primaires. « Je n’ai pas pu aller très loin dans ce domaine à cause de la guerre. » A la fin des années 1950, il commence à travailler comme coursier dans une société française, SVP multi services. Il y restera jusqu’en 1965. L’année suivante, il intègre une troupe théâtrale qui activait à la rue Mogador sous la houlette de Samir Bencherifa.
« Au départ, j’assistais en spectateur aux répétitions, puis Samir me donna un rôle dans un thème muet. En 1967, débarqua Kris Réda, un ancien du Conservatoire d’Alger, qui venait de terminer ses études à l’école de la rue Blanche à Paris et créa ‘’Théâtre et culture’’ avec une pléiade d’acteurs talentueux, Guenanèche, Benassir, Meziane, rejoints par les ‘’confirmés’’ Azzedine Medjoubi, Madjid Bey, Noredine Lamèche et Abdallah Bouzida. C’est dans cet environnement que Aziz allait évoluer, même si son père Mohamed, docker, voyant d’un mauvais œil son rejeton côtoyer ‘’ces artistes qui se fardent et se travestissent’’, les vouait aux gémonies, car ce qu’ils font, selon lui, est contraire à nos valeurs et à nos traditions. » « Mais avec le temps, mon père a fini par s’y faire et accepter mon choix. »
Aziz prend du galon et sa famille y voyait même un sujet de fierté. Sa tante maternelle ira même jusqu’à le surnommer Fernandel, alors que sa mère l’avait comparé à Smaïl Yacine. Bien évidement, ces comparaisons étaient considérées par Aziz comme des éloges. En mettant en pratique ses connaissances acquises au Conservatoire d’Alger, qu’il fréquente dès 1966 auprès du professeur Miloud Riahi, Aziz s’affirme peu à peu en jouant dans des pièces aussi diverses que L’Exception et la Règle, de Bertold Brecht, Les Perses, Echaâb echaâb, La Poudre d’intelligence, de Kateb Yacine. Puis, il intègre la troupe du Théâtre de la mer, dirigée par Kaddour Naïmi (1972). Avec Mohamed prends ta valise, de Kateb Yacine, c’est l’apothéose pour la troupe qui effectuera une tournée de plusieurs mois en France. « Kateb est sans doute un auteur de génie, mais il avait son caractère, ce qui explique nos rapports parfois tendus et ombrageux, mais au plan professionnel, je pense avoir joué mon rôle pleinement. »
Après avoir été animateur culturel à Sonatour et à la Cinémathèque algérienne, Aziz est sollicité pour le petit et grand écran Les Déracinés (Lamine Mesbah) Omar Gatlatou (Allouache) Sombreros (Bouberas), feuilleton TV El Khamissa de Belkacem Haddad, Sahara Blues de Bouberas, De Tam à Hollywood, de Zemmouri, Le Clandestin, de Benamar Bakhti et d’autres apparitions dans de longs métrages. Aziz a été l’un des initiateurs du Festival national et international du rire, lancé à Bou Ismaïl en 1984. Depuis, il se consacre à l’animation pour les enfants. Ayant plusieurs cordes à son arc, Aziz, qui a horreur qu’on le surnomme « Moh Smina » ou encore « Isawa » pour son rôle de l’Indien dans le film Le Clandestin, sait exécuter avec un brio incomparable des numéros de bruitage avec une panoplie de sons de motos, d’instruments de musique, de bendir, digne des bruitages utilisés dans les films à succès.
Plusieurs cordes à son arc
Quant à l’imitation des cheikhs de chaâbi, Aziz en a fait l’une de ses spécialités, même si parfois il a tendance à les brocarder, agaçant les mélomanes assidus choqués par ce « sacrilège ». « Il faut toujours se mettre à jour, être à l’écoute des frémissements de la société pour les traiter avec dérision. L’Algérie a évolué et il faut être au diapason », soutient notre artiste qui fait un clin d’œil à ses devanciers dans cet art que sont Ali Kahlaoui et Amar Ouhadda, dépositaires du legs de Rachid Ksentini ou de Mohamed Touri. Mais Aziz s’est tracé un beau sillon dans le conte qu’il affectionne à merveille. « J’ai plus de 300 contes destinés aux enfants. N’est-ce pas là un véritable trésor », s’interroge l’artiste qui avoue tirer son inspiration auprès de ses enfants Rym et Brahim. « Je me laisse tellement bercer par leurs histoires que je m’y perds complètement. Je prends très au sérieux ce qu’ils disent et c’est, en partie, en développant leurs propres idées si invraisemblables soient-elles, que j’écris tel ou tel conte. » Mais Aziz ne s’arrête pas à ce constat innocent et combien révélateur.
Il n’hésite pas à avancer que son choix est aussi dicté par d’autres considérations moins agréables. Il a l’élégance et le devoir de dire qu’au terme de son parcours cinématographique, il a compris combien le monde des adultes est pourri, plein d’intrigues, d’envie, de cupidité et de méchanceté... Le rire qui lui colle à la peau ne transparaît pas hélas à travers les gens qu’il côtoie chaque jour. Il faudra repasser pour voir le rire, instiller son virus contagieux dans une société plongée dans l’ombre, alors qu’il lui suffit d’un déclic pour débusquer cette part de lumière qui sommeille dans notre inconscient.
à suivre...
Les Algériens ne sont pas prêts à mourir de rire…
Pourquoi les Algériens ont-ils désappris à rire ? La question posée aux psychologues, sociologues et autres spécialistes du comportement a donné lieu à d’innombrables thèses tout aussi intéressantes les unes que les autres, mais la résultante est la même. Le rire et la bonne humeur, devenus denrée rare, sont difficiles à afficher dans une conjoncture morose et triste.
Pour Aziz Degga dont le métier est de faire rire les autres : « Quand le cœur n’y est pas, on a beau gesticuler dans tous les sens, on n’arrivera pas à déclencher ce déclic chez les autres. Aujourd’hui, les situations ont changé, les mentalités aussi. Les espaces d’expression sont rares pour se décompresser. Les gens sont gagnés par l’angoisse quotidienne et ne peuvent de ce fait se laisser aller. » Les Algériens sont-ils tristes à ce point ? « La monotonie et la grisaille ont donné un sacré coup à la bonne humeur. Les gens, harassés par les éprouvantes conditions de vie, perdent le réflexe de s’amuser et d’oublier par là même leurs souffrances », explique Aziz, l’artiste débonnaire « mélancolique » qui peut se targuer d’avoir beaucoup fait rire les adultes, tout en sachant se faire aimer des enfants à qui il consacre désormais le plus clair de son temps.
Aziz, qui affectionne le comique, le cocasse et le burlesque, est bien dans son rôle, mais on décèle dans son discours une bonne dose d’amertume. « J’ai joué dans de nombreux films, mais j’avais par le passé refusé de m’engager avec plusieurs réalisateurs pour la simple raison qu’ils voulaient me confiner dans le rôle de ‘’Moh Smina’’, comme s’il n’y avait que ce personnage dans l’univers. Je n’ai pas refusé par mépris du personnage que j’ai d’ailleurs campé dans ‘’Omar Gatlatou’’. Cela fait longtemps que je n’ai pas été sollicité. C’est pourquoi, je me suis consacré aux sketches et aux gags tout en m’adonnant à l’écriture », résume-t-il, l’air déçu.
Un don,une évocation
Aziz Degga est né le 10 novembre 1945 à El Biar. Dans sa carte de visite, on peut lire « Artiste de carrière, comédien animateur culturel, auteur conteur depuis 1966 ». Il garde des souvenirs furtifs de sa tendre enfance à Climat de France, où il fait ses études primaires. « Je n’ai pas pu aller très loin dans ce domaine à cause de la guerre. » A la fin des années 1950, il commence à travailler comme coursier dans une société française, SVP multi services. Il y restera jusqu’en 1965. L’année suivante, il intègre une troupe théâtrale qui activait à la rue Mogador sous la houlette de Samir Bencherifa.
« Au départ, j’assistais en spectateur aux répétitions, puis Samir me donna un rôle dans un thème muet. En 1967, débarqua Kris Réda, un ancien du Conservatoire d’Alger, qui venait de terminer ses études à l’école de la rue Blanche à Paris et créa ‘’Théâtre et culture’’ avec une pléiade d’acteurs talentueux, Guenanèche, Benassir, Meziane, rejoints par les ‘’confirmés’’ Azzedine Medjoubi, Madjid Bey, Noredine Lamèche et Abdallah Bouzida. C’est dans cet environnement que Aziz allait évoluer, même si son père Mohamed, docker, voyant d’un mauvais œil son rejeton côtoyer ‘’ces artistes qui se fardent et se travestissent’’, les vouait aux gémonies, car ce qu’ils font, selon lui, est contraire à nos valeurs et à nos traditions. » « Mais avec le temps, mon père a fini par s’y faire et accepter mon choix. »
Aziz prend du galon et sa famille y voyait même un sujet de fierté. Sa tante maternelle ira même jusqu’à le surnommer Fernandel, alors que sa mère l’avait comparé à Smaïl Yacine. Bien évidement, ces comparaisons étaient considérées par Aziz comme des éloges. En mettant en pratique ses connaissances acquises au Conservatoire d’Alger, qu’il fréquente dès 1966 auprès du professeur Miloud Riahi, Aziz s’affirme peu à peu en jouant dans des pièces aussi diverses que L’Exception et la Règle, de Bertold Brecht, Les Perses, Echaâb echaâb, La Poudre d’intelligence, de Kateb Yacine. Puis, il intègre la troupe du Théâtre de la mer, dirigée par Kaddour Naïmi (1972). Avec Mohamed prends ta valise, de Kateb Yacine, c’est l’apothéose pour la troupe qui effectuera une tournée de plusieurs mois en France. « Kateb est sans doute un auteur de génie, mais il avait son caractère, ce qui explique nos rapports parfois tendus et ombrageux, mais au plan professionnel, je pense avoir joué mon rôle pleinement. »
Après avoir été animateur culturel à Sonatour et à la Cinémathèque algérienne, Aziz est sollicité pour le petit et grand écran Les Déracinés (Lamine Mesbah) Omar Gatlatou (Allouache) Sombreros (Bouberas), feuilleton TV El Khamissa de Belkacem Haddad, Sahara Blues de Bouberas, De Tam à Hollywood, de Zemmouri, Le Clandestin, de Benamar Bakhti et d’autres apparitions dans de longs métrages. Aziz a été l’un des initiateurs du Festival national et international du rire, lancé à Bou Ismaïl en 1984. Depuis, il se consacre à l’animation pour les enfants. Ayant plusieurs cordes à son arc, Aziz, qui a horreur qu’on le surnomme « Moh Smina » ou encore « Isawa » pour son rôle de l’Indien dans le film Le Clandestin, sait exécuter avec un brio incomparable des numéros de bruitage avec une panoplie de sons de motos, d’instruments de musique, de bendir, digne des bruitages utilisés dans les films à succès.
Plusieurs cordes à son arc
Quant à l’imitation des cheikhs de chaâbi, Aziz en a fait l’une de ses spécialités, même si parfois il a tendance à les brocarder, agaçant les mélomanes assidus choqués par ce « sacrilège ». « Il faut toujours se mettre à jour, être à l’écoute des frémissements de la société pour les traiter avec dérision. L’Algérie a évolué et il faut être au diapason », soutient notre artiste qui fait un clin d’œil à ses devanciers dans cet art que sont Ali Kahlaoui et Amar Ouhadda, dépositaires du legs de Rachid Ksentini ou de Mohamed Touri. Mais Aziz s’est tracé un beau sillon dans le conte qu’il affectionne à merveille. « J’ai plus de 300 contes destinés aux enfants. N’est-ce pas là un véritable trésor », s’interroge l’artiste qui avoue tirer son inspiration auprès de ses enfants Rym et Brahim. « Je me laisse tellement bercer par leurs histoires que je m’y perds complètement. Je prends très au sérieux ce qu’ils disent et c’est, en partie, en développant leurs propres idées si invraisemblables soient-elles, que j’écris tel ou tel conte. » Mais Aziz ne s’arrête pas à ce constat innocent et combien révélateur.
Il n’hésite pas à avancer que son choix est aussi dicté par d’autres considérations moins agréables. Il a l’élégance et le devoir de dire qu’au terme de son parcours cinématographique, il a compris combien le monde des adultes est pourri, plein d’intrigues, d’envie, de cupidité et de méchanceté... Le rire qui lui colle à la peau ne transparaît pas hélas à travers les gens qu’il côtoie chaque jour. Il faudra repasser pour voir le rire, instiller son virus contagieux dans une société plongée dans l’ombre, alors qu’il lui suffit d’un déclic pour débusquer cette part de lumière qui sommeille dans notre inconscient.
à suivre...
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