Un mois après l’assassinat de Mouloud Feraoun, Jean El Mouhoub Amrouche meurt d’une leucémie le 16 avril 1962.
Jean El Mouhoub Amrouche ce grand écrivain, à qui revient le mérite de sonder dans les profondeurs de la culture kabyle orale les raisons d’un salut individuel et collectif et la rampe de lancement d’une nouvelle réflexion sur la réhabilitation et la libération de l’être, est aussi un grand poète qui, dans l’univers francophone de son époque, s’est imposé d’une façon magistrale.
Même si l’élite et le monde associatif de Kabylie rendent régulièrement hommage à l’auteur de ‘’L’Éternel Jugurtha’’, il n’en demeure pas moins que l’effort demeure insuffisant d’autant plus que les structures officielles de l’État n’ont pas encore pris en charge, ni par la symbolique ni par des manifestations littéraires ou culturelles, cette figure exceptionnelle du paysage culturel et historique algérien.
L’intérêt que présente Jean Amrouche pour l’Algérie se trouve inévitablement multiplié par les autres membres de la famille qui, à un niveau ou un autre, ont apporté leur pierre à l’édifice culturel kabyle et algérien. Il s’agit en fait de la saga des Amrouche où les figures les plus emblématiques sont Fadhma Ath Mansour (la mère de Jean El Mouhouv et auteur de ‘’Histoire de ma vie’’) Taous Amrouche (sœur de Jean, première romancière algérienne de langue française, anthropologue et chanteuse).
Lui qui a lutté à sa manière pour l’indépendance de l’Algérie mourut un mois après le cessez-le-feu et deux mois et demi avant la fête de l’Indépendance. " Jean Amrouche compte parmi les premiers intellectuels qui se sont exprimés sur l’Algérie colonisée par la France, et plus particulièrement sur la position de l’intellectuel dans le drame algéro-français ", écrit Tassadit Yacine dans La Tribune du 17 avril 1999. Elle ajoute : " Autrement dit, Jean Amrouche qui, dans ses écrits, avoue son ambiguïté, va se dire, se dévoiler, car les deux pays dont il se réclame au plan de la culture, et donc de l’identité, vont vivre dans l’affrontement, en particulier après 1954, avec le début de la guerre d’Algérie ".
Poète et essayiste accompli, ayant fréquenté les grands penseurs et écrivains du 20e siècle- il a eu même avec certains d’entre eux (à l’image de Paul Claudel et André Gide) des entretiens radiophoniques devenus historiques- Jean Amrouche était un artisan sincère d’un dialogue franco-algérien.
Il agit dans le sens de la modération, mais sera déçu par l’incompréhension, l’intransigeance et les atermoiements des milieux officiels français qui rendent chaque jour un plus intolérable le joug de la domination coloniale qui ligote tout un peuple évoluant rapidement sous le pression des événements. Amrouche se découvre irréductiblement algérien. Déjà, en 1946, cherchant à définir le tempérament maghrébin, il a intitulé son essai sur le génie africain L’Éternel Jugurtha, en référence à l’ennemi des Romains, figure de la résistance et de la révolte.
En 1958, il prend parti avec éclat, mais non sans profond déchirement, pour l’insurrection algérienne par des conférences et de nombreux articles publiés dans la presse. D’après le professeur Henri Lemaître, ses derniers poèmes- des ‘’chants de guerre’’- dénoncent le mirage d’une impossible intégration qui l’a exilé de sa seule patrie, l’Algérie.
Promis à une existence dépareillée
Jean El Mouhoub Amrouche est né le 7 février 1906 à Ighil Ali, dans la tribu des Ath Abbas, dans la wilaya de Béjaïa. Avec son style iconoclaste, Abdelkrim Djaâd, issu du même village que la famille Amrouche, parle ainsi de la venue au monde de Jean : " Février 1906, Fadhma avait gâché cet hiver-là. Ni la récolte satisfaisante d’olives, ni les amandiers qui précocement éclataient en fleurs blanches n’arrivaient à nourrir la chronique. Dans les oliveraies et les chemins vicinaux, à l’estaminet du village et dans l’entrepôt boueux du pressoir, une seul attente préoccupait les paysans madrés et les femmes vipérines. Celle de l’enfant qui va naître. Un monstre attendu qui jaillira d’un ventre infâme. Celui d’une chrétienne kabyle, Fadhma Aït Mansour Amrouche. Une gosse décharnée, bâtarde de son état, qui naquit au siècle dernier sur le versant nord du Djurdjura. Autre enfant de la honte recueillie à l’heure aurorale, sous un olivier noueux, par des Sœurs-Blanches qui la baptisèrent sous le prénom de Marie. Fadhma, enfant illégitime dans une Kabylie bigote, devint donc chrétienne sans le savoir (…) Février 1906, et Ighil Ali attendait dans ce silence enveloppant qui ne fut déchiré que le 7 par les cris d’un enfant nouveau parce qu’il s’appellera Jean et accessoirement El Mouhoub.
Premier enfant qui portera un prénom étrange comme une verrue de la grosseur d’une bille sur le visage.
Les Kabyles d’en haut, murés dans l’islam, gémissaient et se lacéraient les joues et la poitrine. Ceux d’en bas, une poignée, promus fraîchement à une chrétienté factuelle, buvaient leur honte en s’en allant tête baissée, par une venelle, vers la petite chapelle qui faisant sonner les mâtines
De Tunis aux cimes de reconnaissance intellectuelle
La famille Amrouche émigre à Tunis où le père Belkacem trouva un emploi dans les chemins de fer. Jean entame ses études au collège Allaoui. Par la suite, il entrera à l’École normale de Saint-Cloud. En 1930, il devient professeur et exerce à Sousse où il aura comme élève le grand écrivain juif tunisien Albert Memmi.
On trouve, dans un roman de ce dernier, sous le titre La Statue de sel, la trace de Jean Amrouche sous le nom de Marrou. Il donnera des conférences au Cercle de l’Essor à Tunis et liera une forte amitié avec Armand Guibert avec il voyagera dans plusieurs pays d’Europe. Guibert publie en 1985 aux éditions Gaston Lachurié à Paris une belle biographie de Jean, riche en renseignements, intitulée Jean Amrouche (1906-1962) par un témoin de sa vie.
En 1943, Jean Amrouche entre au ministère de l’Information à Alger, puis à la Radiodiffusion française. La même année, sous le patronage d’André Gide, Amrouche fonde avec Lassaigne la revue L’Arche.
Il se retrouvera en 1945, directeur littéraire des éditions Charlot et, en 1958, rédacteur en chef du journal parlé de l’ORTF. Dans une émission qu’il animait à la radio sous le titre ‘’Des idées et des hommes’’, il aura des entretiens célèbres et de haute facture avec des écrivains et des penseurs qui ont marqué leur époque, à l’exemple de François Mauriac, Paul Claudel, André Gide, Giuseppe Ungaretti. À cause de ses positions politiques en faveur de l’Algérie combattante, il fut contraint de démissionner des services de la radio en 1959. il servira de médiateur entre le général de Gaulle et Ferhat Abbas, président du GPRA. Mort le 16 avril 1962 d’une leucémie, il fut inhumé à Sargé-sur-Braye, dans le département de Loir-et-Cher.
Dans l’ouvrage collectif Hommes et femmes de Kabylie (Edisud-2001) dirigé par Salem Chaker, Daniel Morella, professeur à l’université de Leyde/INALCO-CRB, écrit à propos de Jean Amrouche : " C’est de sa mère et de sa famille maternelle que lui vient la sensibilité au langage poétique : sa grand-mère Aïni se rattachait à une famille d’aèdes de Taourirt-Moussa-Ouamar, et elle avait transmis à sa fille Fadhma les chants, les poèmes et les contes du pays Zouaoua. Fadhma Amrouche, à son tour, léguera à ses enfants, les chants maternels et ceux des Aït Abbas, le pays de la famille de son mari Belkacem, et quelques-uns des du pays des Aït Aïdel où la famille Amrouche avait des biens (…). Le père de Jean qui avait étudié chez les Pères-Blancs et qui s’était converti au catholicisme, fut contraint d’émigrer en Tunisie.
En 1910, sa famille le rejoint, mais en raison de la guerre, ils reviennent à Ighil Ali en 1914. L’année suivante, ils retournent à Tunis où Jean étudie au collège de Saint-Cloud ". Professeur à Sousse, puis à Annaba, il commencera à publier des recueils de poèmes.
Jean El Mouhoub Amrouche ce grand écrivain, à qui revient le mérite de sonder dans les profondeurs de la culture kabyle orale les raisons d’un salut individuel et collectif et la rampe de lancement d’une nouvelle réflexion sur la réhabilitation et la libération de l’être, est aussi un grand poète qui, dans l’univers francophone de son époque, s’est imposé d’une façon magistrale.
Même si l’élite et le monde associatif de Kabylie rendent régulièrement hommage à l’auteur de ‘’L’Éternel Jugurtha’’, il n’en demeure pas moins que l’effort demeure insuffisant d’autant plus que les structures officielles de l’État n’ont pas encore pris en charge, ni par la symbolique ni par des manifestations littéraires ou culturelles, cette figure exceptionnelle du paysage culturel et historique algérien.
L’intérêt que présente Jean Amrouche pour l’Algérie se trouve inévitablement multiplié par les autres membres de la famille qui, à un niveau ou un autre, ont apporté leur pierre à l’édifice culturel kabyle et algérien. Il s’agit en fait de la saga des Amrouche où les figures les plus emblématiques sont Fadhma Ath Mansour (la mère de Jean El Mouhouv et auteur de ‘’Histoire de ma vie’’) Taous Amrouche (sœur de Jean, première romancière algérienne de langue française, anthropologue et chanteuse).
Lui qui a lutté à sa manière pour l’indépendance de l’Algérie mourut un mois après le cessez-le-feu et deux mois et demi avant la fête de l’Indépendance. " Jean Amrouche compte parmi les premiers intellectuels qui se sont exprimés sur l’Algérie colonisée par la France, et plus particulièrement sur la position de l’intellectuel dans le drame algéro-français ", écrit Tassadit Yacine dans La Tribune du 17 avril 1999. Elle ajoute : " Autrement dit, Jean Amrouche qui, dans ses écrits, avoue son ambiguïté, va se dire, se dévoiler, car les deux pays dont il se réclame au plan de la culture, et donc de l’identité, vont vivre dans l’affrontement, en particulier après 1954, avec le début de la guerre d’Algérie ".
Poète et essayiste accompli, ayant fréquenté les grands penseurs et écrivains du 20e siècle- il a eu même avec certains d’entre eux (à l’image de Paul Claudel et André Gide) des entretiens radiophoniques devenus historiques- Jean Amrouche était un artisan sincère d’un dialogue franco-algérien.
Il agit dans le sens de la modération, mais sera déçu par l’incompréhension, l’intransigeance et les atermoiements des milieux officiels français qui rendent chaque jour un plus intolérable le joug de la domination coloniale qui ligote tout un peuple évoluant rapidement sous le pression des événements. Amrouche se découvre irréductiblement algérien. Déjà, en 1946, cherchant à définir le tempérament maghrébin, il a intitulé son essai sur le génie africain L’Éternel Jugurtha, en référence à l’ennemi des Romains, figure de la résistance et de la révolte.
En 1958, il prend parti avec éclat, mais non sans profond déchirement, pour l’insurrection algérienne par des conférences et de nombreux articles publiés dans la presse. D’après le professeur Henri Lemaître, ses derniers poèmes- des ‘’chants de guerre’’- dénoncent le mirage d’une impossible intégration qui l’a exilé de sa seule patrie, l’Algérie.
Promis à une existence dépareillée
Jean El Mouhoub Amrouche est né le 7 février 1906 à Ighil Ali, dans la tribu des Ath Abbas, dans la wilaya de Béjaïa. Avec son style iconoclaste, Abdelkrim Djaâd, issu du même village que la famille Amrouche, parle ainsi de la venue au monde de Jean : " Février 1906, Fadhma avait gâché cet hiver-là. Ni la récolte satisfaisante d’olives, ni les amandiers qui précocement éclataient en fleurs blanches n’arrivaient à nourrir la chronique. Dans les oliveraies et les chemins vicinaux, à l’estaminet du village et dans l’entrepôt boueux du pressoir, une seul attente préoccupait les paysans madrés et les femmes vipérines. Celle de l’enfant qui va naître. Un monstre attendu qui jaillira d’un ventre infâme. Celui d’une chrétienne kabyle, Fadhma Aït Mansour Amrouche. Une gosse décharnée, bâtarde de son état, qui naquit au siècle dernier sur le versant nord du Djurdjura. Autre enfant de la honte recueillie à l’heure aurorale, sous un olivier noueux, par des Sœurs-Blanches qui la baptisèrent sous le prénom de Marie. Fadhma, enfant illégitime dans une Kabylie bigote, devint donc chrétienne sans le savoir (…) Février 1906, et Ighil Ali attendait dans ce silence enveloppant qui ne fut déchiré que le 7 par les cris d’un enfant nouveau parce qu’il s’appellera Jean et accessoirement El Mouhoub.
Premier enfant qui portera un prénom étrange comme une verrue de la grosseur d’une bille sur le visage.
Les Kabyles d’en haut, murés dans l’islam, gémissaient et se lacéraient les joues et la poitrine. Ceux d’en bas, une poignée, promus fraîchement à une chrétienté factuelle, buvaient leur honte en s’en allant tête baissée, par une venelle, vers la petite chapelle qui faisant sonner les mâtines
De Tunis aux cimes de reconnaissance intellectuelle
La famille Amrouche émigre à Tunis où le père Belkacem trouva un emploi dans les chemins de fer. Jean entame ses études au collège Allaoui. Par la suite, il entrera à l’École normale de Saint-Cloud. En 1930, il devient professeur et exerce à Sousse où il aura comme élève le grand écrivain juif tunisien Albert Memmi.
On trouve, dans un roman de ce dernier, sous le titre La Statue de sel, la trace de Jean Amrouche sous le nom de Marrou. Il donnera des conférences au Cercle de l’Essor à Tunis et liera une forte amitié avec Armand Guibert avec il voyagera dans plusieurs pays d’Europe. Guibert publie en 1985 aux éditions Gaston Lachurié à Paris une belle biographie de Jean, riche en renseignements, intitulée Jean Amrouche (1906-1962) par un témoin de sa vie.
En 1943, Jean Amrouche entre au ministère de l’Information à Alger, puis à la Radiodiffusion française. La même année, sous le patronage d’André Gide, Amrouche fonde avec Lassaigne la revue L’Arche.
Il se retrouvera en 1945, directeur littéraire des éditions Charlot et, en 1958, rédacteur en chef du journal parlé de l’ORTF. Dans une émission qu’il animait à la radio sous le titre ‘’Des idées et des hommes’’, il aura des entretiens célèbres et de haute facture avec des écrivains et des penseurs qui ont marqué leur époque, à l’exemple de François Mauriac, Paul Claudel, André Gide, Giuseppe Ungaretti. À cause de ses positions politiques en faveur de l’Algérie combattante, il fut contraint de démissionner des services de la radio en 1959. il servira de médiateur entre le général de Gaulle et Ferhat Abbas, président du GPRA. Mort le 16 avril 1962 d’une leucémie, il fut inhumé à Sargé-sur-Braye, dans le département de Loir-et-Cher.
Dans l’ouvrage collectif Hommes et femmes de Kabylie (Edisud-2001) dirigé par Salem Chaker, Daniel Morella, professeur à l’université de Leyde/INALCO-CRB, écrit à propos de Jean Amrouche : " C’est de sa mère et de sa famille maternelle que lui vient la sensibilité au langage poétique : sa grand-mère Aïni se rattachait à une famille d’aèdes de Taourirt-Moussa-Ouamar, et elle avait transmis à sa fille Fadhma les chants, les poèmes et les contes du pays Zouaoua. Fadhma Amrouche, à son tour, léguera à ses enfants, les chants maternels et ceux des Aït Abbas, le pays de la famille de son mari Belkacem, et quelques-uns des du pays des Aït Aïdel où la famille Amrouche avait des biens (…). Le père de Jean qui avait étudié chez les Pères-Blancs et qui s’était converti au catholicisme, fut contraint d’émigrer en Tunisie.
En 1910, sa famille le rejoint, mais en raison de la guerre, ils reviennent à Ighil Ali en 1914. L’année suivante, ils retournent à Tunis où Jean étudie au collège de Saint-Cloud ". Professeur à Sousse, puis à Annaba, il commencera à publier des recueils de poèmes.
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