"La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. Car, l’opinion pense mal ; elle ne pense pas ; elle traduit les besoins en connaissance". Cette vision du philosophe Gaston Bachelard, le père de l’épistémologie moderne, a fini par s’imposer dans les pays occidentaux où le progrès scientifique ne se limite pas à l’évolution de la technique et de la technologie, mais s’accompagne aussi d’une révolution mentale.
Dans les pays en développement, particulièrement ceux dont le système économique est bâti sur une rente (pétrole, banane, coca, café, canne à sucre,…), la frénésie de la consommation et l’impréparation structurelle à fournir les efforts nécessaires pour se mettre, sur le plan culturel, au diapason de la technologie importée installe une situation de dualité, voire de véritable déchirement qui fait que les populations vivent dans les contradictions les plus flagrantes. Certains spécialistes européens de l’islam politique ont parlé du “syndrome de l’ingénieur intégriste’’ ; cela signifie une formation techniciste pure qui exclut toute forme de réflexion ou d’esprit critique.Le phénomène n’est pas nouveau.
Le discrédit frappant les sciences humaines et sociales remonte à la période où les matières inhérentes à ces disciplines étaient enseignées en langue française, aussi bien pour la philosophie au lycée que pour la sociologie, le droit, l’histoire, l’anthropologie culturelle, l’ethnologie ou l’économie dans les universités. Le problème a pris une ampleur considérable depuis que la plupart de ces matières ont été ‘’officiellement’’ arabisées à partir du milieu des années 1980 ; officiellement, car, dans la réalité des choses, dans les amphithéâtres de nos universités, le français se trouve mêlé à l’arabe, une cohabitation qui n’est pas toujours issue d’une ambition d’élever le niveau, de donner des horizons nouveaux aux étudiants et d’embrasser les différente facettes d’un panel de disciplines qui n’ont pas toujours l’avantage de la “lisibilité’’ immédiate. Le “sabir’’ en vigueur dans nos salles de classe pour expliquer la phénoménologie de Husserl, les concepts d’inconscient collectif, de classe sociale ou de sublimation, est plutôt dicté par la nécessité impérieuse de faire passer le message aux étudiants, par quel moyen que ce soit, vu l’état de faux bilinguisme dans lequel ils se trouvent, situation s’apparentant souvent à une nullité avérée dans les deux langues.
Les étudiants en sciences humaines et sociales font face à plusieurs problèmes à la fois. En tant qu’ensemble de disciplines participant à la préparation des cadres de la Nation pour prendre en charge, demain, les questions économiques et sociales du pays, et en tant que domaine faisant partie de la culture de la citoyenneté et de la formation des élites, ces matières sont, à dessein, dévalorisées par les décideurs des pays arabes. C’est, en quelque sorte une conséquence logique- voire même un axe fondamental- du travail de soumission des peuples à la volonté des princes, travail qui exige l’anéantissement de toute pensée critique et de réflexion citoyenne.
Les avatars d’une régression
Un bilan critique de la culture générale- qui est censée englober les questions de l’homme moderne, qu’elles relèvent des sciences humaines ou des sciences exactes- donnerait des résultats effrayants. Que ce soit chez les populations adultes ayant quitté l’école ou chez la frange universitaires, les lacunes et les approximations ont atteint des seuils intolérables. Où en est la culture scientifique dans notre pays dans le vaste univers de ce qu’il est convenu d’appeler la culture générale ? Quelle part lui réservent l’édition et les programmes scolaires ? Combien de revues et publications techniques sont produites par l’Algérie en sa qualité d’un des grands pays pétroliers et gaziers du monde ?
Qu’est-ce que c’est que le pétrole ? C’est quoi le gaz ? Les réponses auraient dûes être évidentes pour les écoliers et les étudiants d’un pays qui vit presque exclusivement d’hydrocarbures. Les vocations économiques de certains pays consacrant des activités particulières prédominantes font que, généralement, les habitants sont plus ou moins imprégnés du climat culturel et scientifique de ces activités.
On peut prendre l’exemple des sociétés traditionnelles du Maghreb où la culture des céréales, l’exploitation de l’alfa, certains métiers artisanaux comme la poterie, la vannerie, la fabrication du goudron végétal,…etc. font partie du quotidien du peuple et donnent naissance à des discussions, des légendes, des poèmes et des chants. L’ancien pilier de l’économie kabyle, à savoir la culture de l’olivier, fait partie des techniques, du savoir et de l’imaginaire de la société tout entière.
De même, les habitants des pays comme l’Argentine, l’Australie, la Nouvelle Zélande, fiers de leurs productions ovines et lainières, sont en contact permanent avec les techniques et les sciences qui régissent ces activités : zootechnie, cultures fourragères, filière agro-alimentaire du lait, traitement de laine, mégisserie,…etc. Même l’école, par ses textes de lecture, ses cours de sciences naturelles et de géographie, essaie de mettre l’élève dans l’ambiance économique, industrieuse et industrielle du pays.
L’activité d’exploration et d’exploitation pétrolière en Algérie a débuté avec la découverte des premiers puits au début des années cinquante. La production et l’exportation iront crescendo, et la nationalisation des hydrocarbures intervenue 24 février 1971 a été un moment phare de “l’euphorie socialiste’’ de l’époque.
L’importance de cette énergie, comme matière première servant à la fabrication de nombreux produits raffinés ne s’est jamais démentie et ce malgré des recherches continues visant à inventer et utiliser des énergies alternatives renouvelables et, probablement, plus propres que les hydrocarbures.
Mais, le chemin qui mène vers la substitution d’une autre source d’énergie au pétrole paraît long, en tous cas l’or noir et le gaz ont encore de beaux jours devant eux.
S’il y a un point fondamental dans la connaissance scientifique de cette matière première qui semble ne pas s’imposer à l’esprit du commun des Algériens c’est bien son caractère éphémère dans le temps. Si, par rapport à une génération, le volume de cette énergie paraît infini, la vérité la plus banale est que c’est une énergie fossile, donc non renouvelable. Son utilisation, qui a atteint un certain degré de “démocratisation’’, s’est, du même coup, trop banalisée au point de ne susciter aucune interrogation particulière qui aiguiserait l’esprit de curiosité de la part des citoyens.
Valeurs perverties
Une des conséquences fâcheuses de cette rente à bon marché, qui nous donne le carburant, l’électricité, les matières plastiques, le butane, le propane,… etc, est que l’ancienne source d’énergie, à savoir le bois, est sujette à une destruction massive par les incendies, les coupes anarchiques pour s’approvisionner en bois de construction, les pâturages dans les jeunes reboisements et autres délits ayant entraîné un grave effacement du couvert végétal sur les versants de nos collines et montagnes ; ce qui nous a conduits à vivre des phénomènes d’érosion, d’inondations et de glissements de terrains qui n’avaient jamais atteint un tel degré de gravité par le passé.
Il est connu que les populations, particulièrement celles qui ne sont pas instruites, ne sauvegardent que ce qui leur paraît immédiatement utile. Pour des questions écologiques, esthétiques et d’équilibre naturel, aucun travail de sensibilisation d’envergure n’a été fait jusqu’à présent. Même l’école ne joue pas son rôle dans ce domaine précis.
Le paradoxe est que, maintenant, le pétrole et le gaz, qui sont la source principale de nos revenus, donc de notre pain, sont allègrement ignorés par les jeunes algériens ; ignorés dans leurs aspects scientifiques et économiques.
Que le problème relève de la géologie, de la chimie, de la physique, de la géographie de l’exploitation ou du marché pétrolier, l’ignorance semble être le maître des lieux. Certes, on peut relativiser le jugement quand on sait que l’exploitation pétrolière est le monopole de gens spécialisés sur une portion du territoire national qui est un peu loin des yeux ; cela ne peut pas être la même chose que l’élevage ou la production de la laine, par exemple, qui étaient des métiers populaires dont les techniques et les petits secrets pénétraient jusque dans les foyers les plus modestes. Cependant, l’industrie et la science, tout en continuant à relever de corporations et de corps de métiers très spécialisés, ont également accédé aux moyens d’information et de communication les plus pointus et les plus répandus.
Au moment où le prix du pétrole est soumis à une “brûlante’’ actualité, combien de nos concitoyens connaissent ce que c’est que le baril ? Il contient combien de litres ?
L’esprit d’assistanat alimenté par la rente pétrolière pendant des décennies a fait que notre attention n’est attirée que par la côte ou la bourse du baril. Aucune autre connaissance, scientifique ou d’ordre pratique, ne semble déranger notre béate quiétude.
Dans les pays en développement, particulièrement ceux dont le système économique est bâti sur une rente (pétrole, banane, coca, café, canne à sucre,…), la frénésie de la consommation et l’impréparation structurelle à fournir les efforts nécessaires pour se mettre, sur le plan culturel, au diapason de la technologie importée installe une situation de dualité, voire de véritable déchirement qui fait que les populations vivent dans les contradictions les plus flagrantes. Certains spécialistes européens de l’islam politique ont parlé du “syndrome de l’ingénieur intégriste’’ ; cela signifie une formation techniciste pure qui exclut toute forme de réflexion ou d’esprit critique.Le phénomène n’est pas nouveau.
Le discrédit frappant les sciences humaines et sociales remonte à la période où les matières inhérentes à ces disciplines étaient enseignées en langue française, aussi bien pour la philosophie au lycée que pour la sociologie, le droit, l’histoire, l’anthropologie culturelle, l’ethnologie ou l’économie dans les universités. Le problème a pris une ampleur considérable depuis que la plupart de ces matières ont été ‘’officiellement’’ arabisées à partir du milieu des années 1980 ; officiellement, car, dans la réalité des choses, dans les amphithéâtres de nos universités, le français se trouve mêlé à l’arabe, une cohabitation qui n’est pas toujours issue d’une ambition d’élever le niveau, de donner des horizons nouveaux aux étudiants et d’embrasser les différente facettes d’un panel de disciplines qui n’ont pas toujours l’avantage de la “lisibilité’’ immédiate. Le “sabir’’ en vigueur dans nos salles de classe pour expliquer la phénoménologie de Husserl, les concepts d’inconscient collectif, de classe sociale ou de sublimation, est plutôt dicté par la nécessité impérieuse de faire passer le message aux étudiants, par quel moyen que ce soit, vu l’état de faux bilinguisme dans lequel ils se trouvent, situation s’apparentant souvent à une nullité avérée dans les deux langues.
Les étudiants en sciences humaines et sociales font face à plusieurs problèmes à la fois. En tant qu’ensemble de disciplines participant à la préparation des cadres de la Nation pour prendre en charge, demain, les questions économiques et sociales du pays, et en tant que domaine faisant partie de la culture de la citoyenneté et de la formation des élites, ces matières sont, à dessein, dévalorisées par les décideurs des pays arabes. C’est, en quelque sorte une conséquence logique- voire même un axe fondamental- du travail de soumission des peuples à la volonté des princes, travail qui exige l’anéantissement de toute pensée critique et de réflexion citoyenne.
Les avatars d’une régression
Un bilan critique de la culture générale- qui est censée englober les questions de l’homme moderne, qu’elles relèvent des sciences humaines ou des sciences exactes- donnerait des résultats effrayants. Que ce soit chez les populations adultes ayant quitté l’école ou chez la frange universitaires, les lacunes et les approximations ont atteint des seuils intolérables. Où en est la culture scientifique dans notre pays dans le vaste univers de ce qu’il est convenu d’appeler la culture générale ? Quelle part lui réservent l’édition et les programmes scolaires ? Combien de revues et publications techniques sont produites par l’Algérie en sa qualité d’un des grands pays pétroliers et gaziers du monde ?
Qu’est-ce que c’est que le pétrole ? C’est quoi le gaz ? Les réponses auraient dûes être évidentes pour les écoliers et les étudiants d’un pays qui vit presque exclusivement d’hydrocarbures. Les vocations économiques de certains pays consacrant des activités particulières prédominantes font que, généralement, les habitants sont plus ou moins imprégnés du climat culturel et scientifique de ces activités.
On peut prendre l’exemple des sociétés traditionnelles du Maghreb où la culture des céréales, l’exploitation de l’alfa, certains métiers artisanaux comme la poterie, la vannerie, la fabrication du goudron végétal,…etc. font partie du quotidien du peuple et donnent naissance à des discussions, des légendes, des poèmes et des chants. L’ancien pilier de l’économie kabyle, à savoir la culture de l’olivier, fait partie des techniques, du savoir et de l’imaginaire de la société tout entière.
De même, les habitants des pays comme l’Argentine, l’Australie, la Nouvelle Zélande, fiers de leurs productions ovines et lainières, sont en contact permanent avec les techniques et les sciences qui régissent ces activités : zootechnie, cultures fourragères, filière agro-alimentaire du lait, traitement de laine, mégisserie,…etc. Même l’école, par ses textes de lecture, ses cours de sciences naturelles et de géographie, essaie de mettre l’élève dans l’ambiance économique, industrieuse et industrielle du pays.
L’activité d’exploration et d’exploitation pétrolière en Algérie a débuté avec la découverte des premiers puits au début des années cinquante. La production et l’exportation iront crescendo, et la nationalisation des hydrocarbures intervenue 24 février 1971 a été un moment phare de “l’euphorie socialiste’’ de l’époque.
L’importance de cette énergie, comme matière première servant à la fabrication de nombreux produits raffinés ne s’est jamais démentie et ce malgré des recherches continues visant à inventer et utiliser des énergies alternatives renouvelables et, probablement, plus propres que les hydrocarbures.
Mais, le chemin qui mène vers la substitution d’une autre source d’énergie au pétrole paraît long, en tous cas l’or noir et le gaz ont encore de beaux jours devant eux.
S’il y a un point fondamental dans la connaissance scientifique de cette matière première qui semble ne pas s’imposer à l’esprit du commun des Algériens c’est bien son caractère éphémère dans le temps. Si, par rapport à une génération, le volume de cette énergie paraît infini, la vérité la plus banale est que c’est une énergie fossile, donc non renouvelable. Son utilisation, qui a atteint un certain degré de “démocratisation’’, s’est, du même coup, trop banalisée au point de ne susciter aucune interrogation particulière qui aiguiserait l’esprit de curiosité de la part des citoyens.
Valeurs perverties
Une des conséquences fâcheuses de cette rente à bon marché, qui nous donne le carburant, l’électricité, les matières plastiques, le butane, le propane,… etc, est que l’ancienne source d’énergie, à savoir le bois, est sujette à une destruction massive par les incendies, les coupes anarchiques pour s’approvisionner en bois de construction, les pâturages dans les jeunes reboisements et autres délits ayant entraîné un grave effacement du couvert végétal sur les versants de nos collines et montagnes ; ce qui nous a conduits à vivre des phénomènes d’érosion, d’inondations et de glissements de terrains qui n’avaient jamais atteint un tel degré de gravité par le passé.
Il est connu que les populations, particulièrement celles qui ne sont pas instruites, ne sauvegardent que ce qui leur paraît immédiatement utile. Pour des questions écologiques, esthétiques et d’équilibre naturel, aucun travail de sensibilisation d’envergure n’a été fait jusqu’à présent. Même l’école ne joue pas son rôle dans ce domaine précis.
Le paradoxe est que, maintenant, le pétrole et le gaz, qui sont la source principale de nos revenus, donc de notre pain, sont allègrement ignorés par les jeunes algériens ; ignorés dans leurs aspects scientifiques et économiques.
Que le problème relève de la géologie, de la chimie, de la physique, de la géographie de l’exploitation ou du marché pétrolier, l’ignorance semble être le maître des lieux. Certes, on peut relativiser le jugement quand on sait que l’exploitation pétrolière est le monopole de gens spécialisés sur une portion du territoire national qui est un peu loin des yeux ; cela ne peut pas être la même chose que l’élevage ou la production de la laine, par exemple, qui étaient des métiers populaires dont les techniques et les petits secrets pénétraient jusque dans les foyers les plus modestes. Cependant, l’industrie et la science, tout en continuant à relever de corporations et de corps de métiers très spécialisés, ont également accédé aux moyens d’information et de communication les plus pointus et les plus répandus.
Au moment où le prix du pétrole est soumis à une “brûlante’’ actualité, combien de nos concitoyens connaissent ce que c’est que le baril ? Il contient combien de litres ?
L’esprit d’assistanat alimenté par la rente pétrolière pendant des décennies a fait que notre attention n’est attirée que par la côte ou la bourse du baril. Aucune autre connaissance, scientifique ou d’ordre pratique, ne semble déranger notre béate quiétude.
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