«… Il n’est pas facile, dans ce pays, d’être administrateur. C’est un poste qui exige beaucoup de qualités. Il faut faire montre d’une grande souplesse d’échine, de beaucoup d’obséquiosité, d’une totale absence d’idées personnelles, de manière à garder ses neurones disponibles pour accueillir celles du chef. Notre administrateur observe à la lettre ces sacro-saints principes. C’est un intelligent. Je prédis qu’il montera haut dans la hiérarchie.»
Faut-il croire que l’auteur de ces lignes ( le Fleuve détourné 1982) à la fois subversives et prémonitoires nous a quittés ? Mais non ! D’en Haut, il jette un regard perçant sur la société algérienne et scrute plus particulièrement ses entrailles pour mettre à la lumière ses contradictions.
Si Rachid Mimouni est décédé en exil il y a 14 ans, son œuvre reste fort heureusement magistrale, son diagnostic toujours d’actualité. Seule la lucidité d’un présent parmi nous est en mesure de livrer un constat réel et aussi clairvoyant sur ce que les Algériens ont comme spectacle quotidien que jouent des bouffons sans talent.
Dans l’œuvre citée plus haut, Rachid Mimouni a pressenti la grande désillusion «Enfin Si Mokhtar parla. Tu reviens au pays, bien après la fin de la fête, bien après que mes fanfares se sont tues. Tu aurais pu persister dans la voie de l’oubli, ou comme Ali, ton cousin, dans celle de l’inconscience. Ce sont aujourd’hui les seuls gages de sérénité. Mais tu veux savoir. Mon fils, ta douleur sera grande.»
L’ami de Tahar Djaout, que les islamistes ont assassiné et à qui il a dédié son roman La Malédiction, 1993, en écrivant «à la mémoire de mon ami, l’écrivain Tahar Djaout, assassiné par un marchand de bonbons sur l’ordre d’un tôlier», luttait contre les deux terribles mâchoires qui étouffaient les Algériens : le pouvoir et les islamistes. Ses écrits sont un stéthoscope posé sur le passé, présent et avenir de la société contemporaine.
Tout ce qu’il entendait et voyait, il le décortiquait avec un immense talent. Ce qui lui a valu une reconnaissance mondiale. Il voulait une écriture littéraire qui aide la société à se regarder courageusement en face «une littérature qui se donne une société à changer qui mette le doigt sur la plaie». Contre vents et marées, il a dénoncé l’injustice et défendu les vertus de la démocratie «si hier, avec courage et talent, nos aînés se sont levés pour dénoncer l’oppression coloniale, leurs épigones ne doivent pas se tromper d’époque», écrit-il pour fustiger un pouvoir qui symbolise l’inertie et qui a peur du progrès.
Il y a tant de choses à dire sur cet “Algérien jusqu’à la moelle des os”, aimait-il à dire et qui en dehors de l’Algérie, ne pouvait pas écrire «je perds mes sources de vie»
En l’absence d’organismes culturels forts et automnes pouvant cultiver au sein de la population l’œuvre de Mimouni et d’autres écrivains algériens, c’est l’administration qui organise occasionnellement des festivités à la mémoire de ce colosse. Paradoxalement, c’est le jour de son décès — le 12 février 1995 — qui est privilégié au lieu de sa date de naissance, un certain vingtième jour du mois symbolisant, la rupture avec l’oppression française — 20 novembre 1945. Cette dernière date aurait pu être le symbole annuel de reconnaissance à la vie bien remplie au service de son pays.
Dans bien des contrées, des personnages comme Mimouni, Kateb Yacine, Dib, Malek, Mameri, Moufdi Zakaria, et bien d’autres, sont des étendards sur le fronton de leurs nations. Tous les responsables y courent à chacune des occasions pour les honorer et amplifier leurs œuvres.
Chez nous, la ministre en charge de la Culture n’a pas daigné parcourir 40 kilomètres jusqu’à Boudouaou, lieu de naissance de l’écrivain, pour lui rendre un hommage mérité. Saluons tout de même les autorités locales de Boudouaou et de la direction de la culture de Boumerdès qui, avec leurs propres moyens, ont organisé, en présence du wali, durant deux jours, des activités culturelles. Ils ont intitulé cette rencontre «Evolution du roman algérien d’expression française».
Organiser durant cette période difficile deux années consécutives de commémoration dans la wilaya de Boumerdès et particulièrement à Boudouaou est une petite victoire sur l’oubli et l’intolérance des gardiens du temple. Par ailleurs, la qualité des trois premières interventions de la matinée de mercredi est à mettre au relief. Les conférences des professeurs Maouagal Mohamed- Lakhdar, de l’université d’Alger, Abdou Kamel de l’université de Constantine et l’écrivain Djillali Khellas ont été suivies par un auditoire certes restreint mais très attentif.
*Une expression puisée dans une chanson de Aït Menguellat
Par Abachi L., Le Soir
Faut-il croire que l’auteur de ces lignes ( le Fleuve détourné 1982) à la fois subversives et prémonitoires nous a quittés ? Mais non ! D’en Haut, il jette un regard perçant sur la société algérienne et scrute plus particulièrement ses entrailles pour mettre à la lumière ses contradictions.
Si Rachid Mimouni est décédé en exil il y a 14 ans, son œuvre reste fort heureusement magistrale, son diagnostic toujours d’actualité. Seule la lucidité d’un présent parmi nous est en mesure de livrer un constat réel et aussi clairvoyant sur ce que les Algériens ont comme spectacle quotidien que jouent des bouffons sans talent.
Dans l’œuvre citée plus haut, Rachid Mimouni a pressenti la grande désillusion «Enfin Si Mokhtar parla. Tu reviens au pays, bien après la fin de la fête, bien après que mes fanfares se sont tues. Tu aurais pu persister dans la voie de l’oubli, ou comme Ali, ton cousin, dans celle de l’inconscience. Ce sont aujourd’hui les seuls gages de sérénité. Mais tu veux savoir. Mon fils, ta douleur sera grande.»
L’ami de Tahar Djaout, que les islamistes ont assassiné et à qui il a dédié son roman La Malédiction, 1993, en écrivant «à la mémoire de mon ami, l’écrivain Tahar Djaout, assassiné par un marchand de bonbons sur l’ordre d’un tôlier», luttait contre les deux terribles mâchoires qui étouffaient les Algériens : le pouvoir et les islamistes. Ses écrits sont un stéthoscope posé sur le passé, présent et avenir de la société contemporaine.
Tout ce qu’il entendait et voyait, il le décortiquait avec un immense talent. Ce qui lui a valu une reconnaissance mondiale. Il voulait une écriture littéraire qui aide la société à se regarder courageusement en face «une littérature qui se donne une société à changer qui mette le doigt sur la plaie». Contre vents et marées, il a dénoncé l’injustice et défendu les vertus de la démocratie «si hier, avec courage et talent, nos aînés se sont levés pour dénoncer l’oppression coloniale, leurs épigones ne doivent pas se tromper d’époque», écrit-il pour fustiger un pouvoir qui symbolise l’inertie et qui a peur du progrès.
Il y a tant de choses à dire sur cet “Algérien jusqu’à la moelle des os”, aimait-il à dire et qui en dehors de l’Algérie, ne pouvait pas écrire «je perds mes sources de vie»
En l’absence d’organismes culturels forts et automnes pouvant cultiver au sein de la population l’œuvre de Mimouni et d’autres écrivains algériens, c’est l’administration qui organise occasionnellement des festivités à la mémoire de ce colosse. Paradoxalement, c’est le jour de son décès — le 12 février 1995 — qui est privilégié au lieu de sa date de naissance, un certain vingtième jour du mois symbolisant, la rupture avec l’oppression française — 20 novembre 1945. Cette dernière date aurait pu être le symbole annuel de reconnaissance à la vie bien remplie au service de son pays.
Dans bien des contrées, des personnages comme Mimouni, Kateb Yacine, Dib, Malek, Mameri, Moufdi Zakaria, et bien d’autres, sont des étendards sur le fronton de leurs nations. Tous les responsables y courent à chacune des occasions pour les honorer et amplifier leurs œuvres.
Chez nous, la ministre en charge de la Culture n’a pas daigné parcourir 40 kilomètres jusqu’à Boudouaou, lieu de naissance de l’écrivain, pour lui rendre un hommage mérité. Saluons tout de même les autorités locales de Boudouaou et de la direction de la culture de Boumerdès qui, avec leurs propres moyens, ont organisé, en présence du wali, durant deux jours, des activités culturelles. Ils ont intitulé cette rencontre «Evolution du roman algérien d’expression française».
Organiser durant cette période difficile deux années consécutives de commémoration dans la wilaya de Boumerdès et particulièrement à Boudouaou est une petite victoire sur l’oubli et l’intolérance des gardiens du temple. Par ailleurs, la qualité des trois premières interventions de la matinée de mercredi est à mettre au relief. Les conférences des professeurs Maouagal Mohamed- Lakhdar, de l’université d’Alger, Abdou Kamel de l’université de Constantine et l’écrivain Djillali Khellas ont été suivies par un auditoire certes restreint mais très attentif.
*Une expression puisée dans une chanson de Aït Menguellat
Par Abachi L., Le Soir
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