L'Express du 02/05/2005
Kingdom of Heaven
«Un plaidoyer pour la tolérance»
Propos recueillis par Laurent Delmas
Dans Kingdom of Heaven, Ridley Scott filme les croisades, et s'interroge sur leur héritage
Sir Ridley Scott, 67 ans, le plus hollywoodien des cinéastes britanniques, tee-shirt noir et pantalon de toile, cultive le paradoxe d'être un redoutable réalisateur de superproductions et un éternel gamin à la petite barbe rousse et aux yeux pétillants. Venu à Paris évoquer son nouveau film, Kingdom of Heaven, il est installé dans une suite de palace et semble tout à son aise. Mais on l'imagine plus facilement dans un pub londonien. L'auteur comblé de Gladiator a, cette fois, décidé d'interroger le fossé qui sépare l'Occident de l'Orient, en racontant l'histoire de la prise de Jérusalem par Saladin, en 1187. Près de mille ans plus tard, rien n'aurait-il changé?
Comment se réveille-t-on, un matin, avec l'envie de mettre en scène une histoire vieille de dix siècles?
En fait, j'ai toujours rêvé d'un film sur les croisades. C'est une idée ancienne qui a longtemps fait son chemin en moi. Dès lors que je l'ai formulée à voix haute, tout s'est fait très vite, comme toujours à Hollywood. Quand on vous dit oui, il faut foncer.
Pourquoi avez-vous tenu à faire figurer, à la fin du film, un carton indiquant explicitement que, depuis mille ans, la situation n'a guère évolué à Jérusalem?
J'ai longuement hésité à le mettre, mais j'ai constaté que de nombreuses personnes ne faisaient pas le lien entre les guerres d'aujourd'hui et celles d'hier. Or Saddam Hussein se désignait comme le successeur de Saladin, et George W. Bush prétend être le chef de file d'une nouvelle croisade pour la liberté. Quand je parle de la Jérusalem du XIIe siècle, je parle également de la Jérusalem actuelle, celle que deux communautés se disputent, comme par le passé.
Au regard de son sujet, Kingdom of Heaven est-il un film que vous auriez pu réaliser avant les attentats du 11 septembre?
Oui, sans hésitation. Mais il aurait été différent. Plus manichéen, peut-être. Là, j'ai veillé à ce que mon récit soit aussi équilibré que possible. Je n'ai voulu diaboliser personne et montrer, au contraire, que chaque camp, celui des chrétiens comme celui des musulmans, a, en son sein, ses colombes et ses faucons. Nous avons désormais le devoir de montrer la réalité dans toute sa complexité. A l'époque où se déroule le film, c'est bien le pape Eugène III qui légitime la croisade, porteuse de guerre et de mort, en s'écriant: «Dieu le veut!» En face se trouvent des musulmans beaucoup plus pragmatiques que fanatiques.
Pensez-vous alors qu'un film puisse, sinon changer le monde, du moins faire évoluer les mentalités?
J'en suis profondément convaincu. Prenez l'exemple de Mondovino et de Fahrenheit 9/11: ces films ont bousculé les idées préconçues. Mais il s'agit de documentaires. Moi, je souhaite aboutir au même résultat avec des œuvres de fiction, qui, par définition, touchent plus de spectateurs. Je trouve que les scénarios hollywoodiens sont de pire en pire, précisément parce qu'ils évitent de parler du monde dans lequel nous vivons. C'est souvent un cinéma d'aveugles.
Est-il réellement possible, à Hollywood, de monter des superproductions qui abordent de vrais sujets politiques?
Je crois sincèrement que l'on peut y arriver. C'est ce que j'ai essayé de faire avec Kingdom of Heaven, qui se veut un plaidoyer pour la tolérance, le respect mutuel des religions, tout en montrant des scènes de bataille, une histoire d'amour et des conflits entre des personnages. Ces différents ingrédients se complètent sans se détruire.
Mais alors, pourquoi ne pas avoir réalisé un film sur la Jérusalem d'aujourd'hui?
Je fais de mon mieux et, cependant, je ne peux pas totalement lutter contre un système hollywoodien qui mise tout, ou presque, sur le divertissement. L'essentiel était de me servir de cette demande de grand spectacle comme d'un moyen, non comme d'un but.
Kingdom of Heaven
«Un plaidoyer pour la tolérance»
Propos recueillis par Laurent Delmas
Dans Kingdom of Heaven, Ridley Scott filme les croisades, et s'interroge sur leur héritage
Sir Ridley Scott, 67 ans, le plus hollywoodien des cinéastes britanniques, tee-shirt noir et pantalon de toile, cultive le paradoxe d'être un redoutable réalisateur de superproductions et un éternel gamin à la petite barbe rousse et aux yeux pétillants. Venu à Paris évoquer son nouveau film, Kingdom of Heaven, il est installé dans une suite de palace et semble tout à son aise. Mais on l'imagine plus facilement dans un pub londonien. L'auteur comblé de Gladiator a, cette fois, décidé d'interroger le fossé qui sépare l'Occident de l'Orient, en racontant l'histoire de la prise de Jérusalem par Saladin, en 1187. Près de mille ans plus tard, rien n'aurait-il changé?
Comment se réveille-t-on, un matin, avec l'envie de mettre en scène une histoire vieille de dix siècles?
En fait, j'ai toujours rêvé d'un film sur les croisades. C'est une idée ancienne qui a longtemps fait son chemin en moi. Dès lors que je l'ai formulée à voix haute, tout s'est fait très vite, comme toujours à Hollywood. Quand on vous dit oui, il faut foncer.
Pourquoi avez-vous tenu à faire figurer, à la fin du film, un carton indiquant explicitement que, depuis mille ans, la situation n'a guère évolué à Jérusalem?
J'ai longuement hésité à le mettre, mais j'ai constaté que de nombreuses personnes ne faisaient pas le lien entre les guerres d'aujourd'hui et celles d'hier. Or Saddam Hussein se désignait comme le successeur de Saladin, et George W. Bush prétend être le chef de file d'une nouvelle croisade pour la liberté. Quand je parle de la Jérusalem du XIIe siècle, je parle également de la Jérusalem actuelle, celle que deux communautés se disputent, comme par le passé.
Au regard de son sujet, Kingdom of Heaven est-il un film que vous auriez pu réaliser avant les attentats du 11 septembre?
Oui, sans hésitation. Mais il aurait été différent. Plus manichéen, peut-être. Là, j'ai veillé à ce que mon récit soit aussi équilibré que possible. Je n'ai voulu diaboliser personne et montrer, au contraire, que chaque camp, celui des chrétiens comme celui des musulmans, a, en son sein, ses colombes et ses faucons. Nous avons désormais le devoir de montrer la réalité dans toute sa complexité. A l'époque où se déroule le film, c'est bien le pape Eugène III qui légitime la croisade, porteuse de guerre et de mort, en s'écriant: «Dieu le veut!» En face se trouvent des musulmans beaucoup plus pragmatiques que fanatiques.
Pensez-vous alors qu'un film puisse, sinon changer le monde, du moins faire évoluer les mentalités?
J'en suis profondément convaincu. Prenez l'exemple de Mondovino et de Fahrenheit 9/11: ces films ont bousculé les idées préconçues. Mais il s'agit de documentaires. Moi, je souhaite aboutir au même résultat avec des œuvres de fiction, qui, par définition, touchent plus de spectateurs. Je trouve que les scénarios hollywoodiens sont de pire en pire, précisément parce qu'ils évitent de parler du monde dans lequel nous vivons. C'est souvent un cinéma d'aveugles.
Est-il réellement possible, à Hollywood, de monter des superproductions qui abordent de vrais sujets politiques?
Je crois sincèrement que l'on peut y arriver. C'est ce que j'ai essayé de faire avec Kingdom of Heaven, qui se veut un plaidoyer pour la tolérance, le respect mutuel des religions, tout en montrant des scènes de bataille, une histoire d'amour et des conflits entre des personnages. Ces différents ingrédients se complètent sans se détruire.
Mais alors, pourquoi ne pas avoir réalisé un film sur la Jérusalem d'aujourd'hui?
Je fais de mon mieux et, cependant, je ne peux pas totalement lutter contre un système hollywoodien qui mise tout, ou presque, sur le divertissement. L'essentiel était de me servir de cette demande de grand spectacle comme d'un moyen, non comme d'un but.
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