Présenté en séance spéciale à Cannes, le documentaire «Le vénérable W» du réalisateur suisse Barbet Schroeder (76 ans) tente de comprendre comment un moine birman a encouragé le massacre des musulmans dans son pays. Quand le bouddhisme rencontre l'islamophobie...
Sous ses allures de bonze, c'est un monstre qui appelle froidement à persécuter et à exterminer les musulmans de son pays, la Birmanie, et plus particulièrement la minorité des Rohingyas qu'il compare à «des animaux sauvages qui se reproduisent comme des lapins, mettent en péril l'équilibre de la nation, se dévorent entre eux et détruisent l'environnement».
Dès 2001, Ashin Wirathu, effrayant leader du parti fasciste Ma Ba Tha ce moine influent, profite des attentats du WTC pour laisser libre court à ses sermons islamophobes.
Condamné à 25 ans de prison en 2003, après des émeutes il est amnistié en 2012, et prend la tête du mouvement 969 dont l'unique but est d'exterminer les 4% de musulmans de la Birmanie. Dans les rues ses partisans en robe safran de moine défilent en clamant des chants nationalistes, en incendiant les mosquées, en tabassant les musulmans sans que l'armée n'intervienne. Cela s'est passé de nos jours, sans que nous le sachions. La Birmanie c'est tellement loin, personne ne peut réellement situer ce pays dans la mappemonde. Il faut voir les maisons brûlées par milliers, il faut résister et rester jusqu'au bout du film et de l'horreur, et voir ces bûchers funéraires organisés par les fanatiques adeptes du l'effrayant leader du parti fasciste Ma Ba Tha Ashin Wirathu. Et se rendre à l'évidence: l'obscurantisme du Moyen-âge continue en ce 21ème siècle.
Face au monstre qu'il filme plein cadre , le réalisateur Barbet Schroeder veut comprendre. Comment un homme peut-il entraîner des milliers d'autres dans cette machine infernale ? L'éprouvant «Vénérable W» vient clore une trilogie commencée en 1974 avec «Général Idi Amin Dada» où le réalisateur montrait comment le pouvoir rendait fou. En 2007, dans le second opus de sa trilogie, Barbet Schroeder tentait de comprendre comment la concurrence mémorielle pouvait pousser un homme comme Jacques Vergès à prendre la défense du plus cruel des nazis, Klaus Barbie, («L'Avocat de la terreur»). Ici, il montre comment les discours obsessionnels et les plus délirants finissent par se propager quand au nom de je ne sais quelle liberté d'expression on les tolère. Et plus, quand au nom d'une lutte qui nous semble plus importante (la lutte contre la junte au pouvoir) on ferme les yeux et on se bouche les oreilles et le nez sur les exactions qui viendraient d'un autre camp, supposé «ami». A cet effet, le film n'épargne ni le silence étourdissant des occidentaux, ni le silence complice de la prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi. Aujourd'hui le Ma Ba Tha, n'est toujours pas interdit, malgré les tentatives de le mettre hors d'état de nuire. «Aung San Suu Kyi, qui partage le pouvoir avec la junte militaire depuis 2015, n'y parvient pas non plus» précise Barbet Schroder. «Et cela ne risque pas de se produire car U Ko Ni, le prestigieux avocat musulman de Aung San Suu Kyi, qui était en train de concevoir une stratégie pour modifier la loi constitutionnelle favorable aux militaires, a été tué le 29 janvier 2017 d'une balle dans la tête à l'aéroport alors qu'il tenait son petit-fils dans les bras. La photo de son assassin au moment où il s'apprête à tirer, certainement prise par les commanditaires du meurtre, a été mise sur Facebook dans l'heure qui a suivi. On a découvert quelques semaines plus tard que l'entourage de Ashin Wirathu serait impliqué dans ce meurtre». Le moine fou furieux n'est pas suivi par les autres boudhistes birmans. Ces derniers ont ont pris la décision d'interdire W de parole pour contenir son pouvoir de nuisance. «Désormais il apparaît face à ses fidèles un bâillon sur la bouche, tandis que ses anciens sermons sont diffusés dans des hauts-parleurs. Aujourd'hui, l'épreuve de force entre Ashin Wirathu et le gouvernement continue…» précise le réalisateur.
Le film se termine sur les images d'une rue pakistanaise embrasée par la folie intégriste. La scène aurait pu être tournée encore plus près de chez nous, à Damas, à Bengazi, à Ghardaïa… Ou encore juste en bas de chez vous. «On se fabrique toujours des figures de grands méchants, mais le mal peut avoir un visage bon enfant» nous dit Barbert Schroeder. On le sait. Mais on l'oublie toujours, voilà le problème.
Tewfiq Hakem, Le Quotidien d'Oran