Souleymane Cissé, 73 ans, un des doyens du cinéma africain, était présent au 23e Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (Fespaco), qui s’est déroulé du 23 février au 2 mars 2013. Le cinéaste malien a participé à un débat sur les «politiques publique» et le 7e art en Afrique.
-Quel est le meilleur moyen de soutenir le cinéma africain ?
Le moyen immédiat est de se doter d’une politique cinématographique dans chaque pays. En dehors, il est nécessaire de créer des structures de coproduction de films avec les pays amis. Par exemple, l’Algérie, le Mali, le Niger, la Libye, la Mauritanie et le Burkina Faso peuvent travailler ensemble en se dotant des instruments nécessaires. Il est important aussi d’avoir des documents officiels qui obligent nos télévisions à diffuser les films produits dans nos pays. Si ces échanges sont développés, le cinéma africain se portera mieux.
-Comment, justement, faciliter la circulation du film africain ?
On parle beaucoup, mais il n’y a rien de concret entre nos pays. Il faut établir des conventions entre les Etats. Il y a des structures régionales qui existent comme la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et autre. Ces organisations se sont occupées de grosses machines comme l’économie, mais elles n’ont pas tenu compte du fait que l’industrie cinématographique fait partie de cette même économie. Et tant qu’on n’ira pas dans ce sens-là, on n’évoluera pas.
-Le cinéaste burkinabé Idrissa Ouédraogo dit souvent que 80% des financements des films africains sont extérieurs au continent africain. Celui qui finance oriente forcément l’histoire et la philosophie du film produit.
De toute façon, il y a toujours des films d’auteur. Je prends mon cas par exemple. Ceux qui vont me soutenir se diront que Cissé est un créateur jaloux de sa liberté. J’ai toujours eu des appuis financiers de l’extérieur, on ne m’a jamais imposé quoi que ce soit ! Je travaille avec ma conscience. Les cinéastes faibles peuvent faire des concessions, mais pour ceux qui sont déjà connus et installés, c’est plus difficile. Certains producteurs européens choisissent d’apporter leur soutien aux créateurs indépendants.
-Ne faut-il pas penser à créer un fonds commun africain pour le financement du cinéma ?
Il faut d’abord créer un fonds sous régional entre des pays comme le Niger, l’Algérie, le Maroc, le Mali et la Mauritanie. Avec ce genre d’initiatives, on peut donner une autre vision du cinéma. De bons films sont produits actuellement en Algérie et au Maroc, pourquoi ne pas élargir les possibilités de productions aux pays du voisinage ? Il est important que ça redescende vers le Sud. C’est ce que nous voulons. Les pays du Maghreb peuvent faire beaucoup de choses. Nous pouvons créer ensemble des espaces pour le cinéma. Je ne comprends pas pourquoi je ne vois pas de film algérien au Mali alors que nous partageons plus de 1000 km de frontières ! C’est inexplicable. Le film algérien doit circuler au Mali et le film malien doit l’être aussi en Algérie. Mali et Algérie sont pourtant liés par leur histoire en raison de la colonisation. Il est temps que les doyens jettent l’échelle aux enfants et aux petits-enfants, qu’on pousse les politiques à faire cette concession et s’adapter au nouveau monde. Et le nouveau monde va avec l’image.
-Comment se porte le cinéma malien aujourd’hui ? Où va-t-il ?
Le cinéma malien est malade. Ce n’est pas parce que nous produisons deux, trois ou cinq films qu’on peut dire que le 7e art malien est en forme. Actuellement, nous produisons un film tous les deux ou trois ans. On produit aussi de petits films sans importance pour la télévision, mais ça ne nourrit pas son homme. La maladie est liée notamment à la politique de l’Etat par rapport à l’image. Une fois que cela aura changé, tout va rentrer progressivement dans l’ordre. Nous avons des potentialités artistiques incroyables au Mali qui peuvent se mettre au service du pays et faire beaucoup de choses.
-Existe-t-il une relève à Souleymane Cissé, à Cheikh Omar Sissoko, à Assane Kouyaté, à Falaba Issa Traoré… ?
Bien sûr ! Des jeunes arrivent sur le terrain. Je peux citer l’exemple de Soussaba Cissé, ma propre fille. Elle n’a que de 24 ans. Son dernier long métrage, N’gunu N’gunu Kan (rumeurs de guerre) n’a pas été sélectionné par la commission du Fespaco. Nous n’avons pas compris pourquoi, alors qu’au même moment des films médiocres ont été retenus. Les films qui posent les problèmes de société, les films engagés ne sont pas sélectionnés. C’est grave ! Cela dit, je suis moralement satisfait. Il existe une génération de combat qui peut réussir. Pour cela, une sincérité dans les politiques cinématographiques est nécessaire.
-Le cinéaste malien peut-il aborder tous les thèmes ? N’existe-t-il pas d’interdit ?
Pour le moment, non. Finyé (qui signifie «Le vent» en bambara, ndlr), en 1982, est un film dirigé contre le régime en place. Ce film n’a jamais été censuré au Mali. Le dernier film de Soussaba Cissé, N’gunu N’gunu Kan, évoque tous les maux de ce pays et explique pourquoi on est arrivé à la guerre. Ce long métrage a été vu au Mali, sans problème. La censure cinématographique n’existe pas au Mali.
-Quel regard portez-vous sur la situation politique au Mali actuellement ? Et comment voyez-vous le futur du Mali ?
Je suis bouleversé mais optimiste. Je pense que le Mali va s’en sortir quelles que soient les conséquences. Je regrette qu’il n’y ait pas suffisamment de communication avec les pays frères et amis. Cependant, je pense que les choses vont rentrer dans l’ordre. Les gens vont comprendre que ce qui touche aujourd’hui le Mali peut toucher demain l’Algérie, le Niger ou la Mauritanie. Nous avons tout intérêt à régler ensemble les problèmes (…). Il n’y a pas de solution politique. Le fascisme ne peut être combattu que par les armes. Je suis cinéaste et je plaide pour la paix par tous les moyens. Mais comment peut-on discuter avec des gens qui tuent, qui coupent les mains, les têtes… avec qui négocier et sur quelle base ? On ne discute pas avec des gens dépourvus d’humanisme. Ils sont tous pareils : MNLA, Ançar Eddine, Mujao… c’est la même famille qui complote et qui crée des problèmes.
La société malienne n’a pas d’autre choix que de combattre ces gens-là. On doit se battre jusqu’au dernier Malien. Je regrette l’intervention militaire française au Mali mais je ne le condamne pas. Pour une fois, le président français François Hollande a été à la hauteur et a entendu le cri lancé par le peuple malien. Certains pays amis l’ont ignoré et se sont bornés à négocier. En Algérie, après l’attaque d’In Amenas, on n’a pas eu le temps de négocier. C’est le même problème au Nord-Mali. C’est pour cela que je suis très étonné de voir nos frères, nos parents algériens défendre la thèse de la négociation. Ils ont leurs visions mais il y a des choses qu’on ne peut pas négocier. Je dis aux pays amis : «Aidez-nous», mais pas en négociant avec le fascisme !
Bio express :
Né en 1940 à Bamako, Souleymane Cissé figure parmi les cinéastes les plus primés du continent. Il n'a que 7 ans quand il commence à s'intéresser au cinéma. Après des études secondaires à Dakar, il revient au Mali en 1960, au moment où le pays prend son indépendance. C'est, à l'occasion de la projection d'un documentaire sur l'arrestation de Lumumba, que jaillit pour lui la révélation : il fera du cinéma. Il a, à plusieurs reprises, décroché des distinctions au Fespaco, à Carthage, à Cannes… Ses longs métrages Finyé (1982) et Yeelen (1983) sont les plus célèbres de sa riche filmographie. Finyé, par exemple, a obtenu le Tanit d’or aux Journées cinématographique de Carthage en 1982.
Fayçal Métaoui - el watan
-Quel est le meilleur moyen de soutenir le cinéma africain ?
Le moyen immédiat est de se doter d’une politique cinématographique dans chaque pays. En dehors, il est nécessaire de créer des structures de coproduction de films avec les pays amis. Par exemple, l’Algérie, le Mali, le Niger, la Libye, la Mauritanie et le Burkina Faso peuvent travailler ensemble en se dotant des instruments nécessaires. Il est important aussi d’avoir des documents officiels qui obligent nos télévisions à diffuser les films produits dans nos pays. Si ces échanges sont développés, le cinéma africain se portera mieux.
-Comment, justement, faciliter la circulation du film africain ?
On parle beaucoup, mais il n’y a rien de concret entre nos pays. Il faut établir des conventions entre les Etats. Il y a des structures régionales qui existent comme la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et autre. Ces organisations se sont occupées de grosses machines comme l’économie, mais elles n’ont pas tenu compte du fait que l’industrie cinématographique fait partie de cette même économie. Et tant qu’on n’ira pas dans ce sens-là, on n’évoluera pas.
-Le cinéaste burkinabé Idrissa Ouédraogo dit souvent que 80% des financements des films africains sont extérieurs au continent africain. Celui qui finance oriente forcément l’histoire et la philosophie du film produit.
De toute façon, il y a toujours des films d’auteur. Je prends mon cas par exemple. Ceux qui vont me soutenir se diront que Cissé est un créateur jaloux de sa liberté. J’ai toujours eu des appuis financiers de l’extérieur, on ne m’a jamais imposé quoi que ce soit ! Je travaille avec ma conscience. Les cinéastes faibles peuvent faire des concessions, mais pour ceux qui sont déjà connus et installés, c’est plus difficile. Certains producteurs européens choisissent d’apporter leur soutien aux créateurs indépendants.
-Ne faut-il pas penser à créer un fonds commun africain pour le financement du cinéma ?
Il faut d’abord créer un fonds sous régional entre des pays comme le Niger, l’Algérie, le Maroc, le Mali et la Mauritanie. Avec ce genre d’initiatives, on peut donner une autre vision du cinéma. De bons films sont produits actuellement en Algérie et au Maroc, pourquoi ne pas élargir les possibilités de productions aux pays du voisinage ? Il est important que ça redescende vers le Sud. C’est ce que nous voulons. Les pays du Maghreb peuvent faire beaucoup de choses. Nous pouvons créer ensemble des espaces pour le cinéma. Je ne comprends pas pourquoi je ne vois pas de film algérien au Mali alors que nous partageons plus de 1000 km de frontières ! C’est inexplicable. Le film algérien doit circuler au Mali et le film malien doit l’être aussi en Algérie. Mali et Algérie sont pourtant liés par leur histoire en raison de la colonisation. Il est temps que les doyens jettent l’échelle aux enfants et aux petits-enfants, qu’on pousse les politiques à faire cette concession et s’adapter au nouveau monde. Et le nouveau monde va avec l’image.
-Comment se porte le cinéma malien aujourd’hui ? Où va-t-il ?
Le cinéma malien est malade. Ce n’est pas parce que nous produisons deux, trois ou cinq films qu’on peut dire que le 7e art malien est en forme. Actuellement, nous produisons un film tous les deux ou trois ans. On produit aussi de petits films sans importance pour la télévision, mais ça ne nourrit pas son homme. La maladie est liée notamment à la politique de l’Etat par rapport à l’image. Une fois que cela aura changé, tout va rentrer progressivement dans l’ordre. Nous avons des potentialités artistiques incroyables au Mali qui peuvent se mettre au service du pays et faire beaucoup de choses.
-Existe-t-il une relève à Souleymane Cissé, à Cheikh Omar Sissoko, à Assane Kouyaté, à Falaba Issa Traoré… ?
Bien sûr ! Des jeunes arrivent sur le terrain. Je peux citer l’exemple de Soussaba Cissé, ma propre fille. Elle n’a que de 24 ans. Son dernier long métrage, N’gunu N’gunu Kan (rumeurs de guerre) n’a pas été sélectionné par la commission du Fespaco. Nous n’avons pas compris pourquoi, alors qu’au même moment des films médiocres ont été retenus. Les films qui posent les problèmes de société, les films engagés ne sont pas sélectionnés. C’est grave ! Cela dit, je suis moralement satisfait. Il existe une génération de combat qui peut réussir. Pour cela, une sincérité dans les politiques cinématographiques est nécessaire.
-Le cinéaste malien peut-il aborder tous les thèmes ? N’existe-t-il pas d’interdit ?
Pour le moment, non. Finyé (qui signifie «Le vent» en bambara, ndlr), en 1982, est un film dirigé contre le régime en place. Ce film n’a jamais été censuré au Mali. Le dernier film de Soussaba Cissé, N’gunu N’gunu Kan, évoque tous les maux de ce pays et explique pourquoi on est arrivé à la guerre. Ce long métrage a été vu au Mali, sans problème. La censure cinématographique n’existe pas au Mali.
-Quel regard portez-vous sur la situation politique au Mali actuellement ? Et comment voyez-vous le futur du Mali ?
Je suis bouleversé mais optimiste. Je pense que le Mali va s’en sortir quelles que soient les conséquences. Je regrette qu’il n’y ait pas suffisamment de communication avec les pays frères et amis. Cependant, je pense que les choses vont rentrer dans l’ordre. Les gens vont comprendre que ce qui touche aujourd’hui le Mali peut toucher demain l’Algérie, le Niger ou la Mauritanie. Nous avons tout intérêt à régler ensemble les problèmes (…). Il n’y a pas de solution politique. Le fascisme ne peut être combattu que par les armes. Je suis cinéaste et je plaide pour la paix par tous les moyens. Mais comment peut-on discuter avec des gens qui tuent, qui coupent les mains, les têtes… avec qui négocier et sur quelle base ? On ne discute pas avec des gens dépourvus d’humanisme. Ils sont tous pareils : MNLA, Ançar Eddine, Mujao… c’est la même famille qui complote et qui crée des problèmes.
La société malienne n’a pas d’autre choix que de combattre ces gens-là. On doit se battre jusqu’au dernier Malien. Je regrette l’intervention militaire française au Mali mais je ne le condamne pas. Pour une fois, le président français François Hollande a été à la hauteur et a entendu le cri lancé par le peuple malien. Certains pays amis l’ont ignoré et se sont bornés à négocier. En Algérie, après l’attaque d’In Amenas, on n’a pas eu le temps de négocier. C’est le même problème au Nord-Mali. C’est pour cela que je suis très étonné de voir nos frères, nos parents algériens défendre la thèse de la négociation. Ils ont leurs visions mais il y a des choses qu’on ne peut pas négocier. Je dis aux pays amis : «Aidez-nous», mais pas en négociant avec le fascisme !
Né en 1940 à Bamako, Souleymane Cissé figure parmi les cinéastes les plus primés du continent. Il n'a que 7 ans quand il commence à s'intéresser au cinéma. Après des études secondaires à Dakar, il revient au Mali en 1960, au moment où le pays prend son indépendance. C'est, à l'occasion de la projection d'un documentaire sur l'arrestation de Lumumba, que jaillit pour lui la révélation : il fera du cinéma. Il a, à plusieurs reprises, décroché des distinctions au Fespaco, à Carthage, à Cannes… Ses longs métrages Finyé (1982) et Yeelen (1983) sont les plus célèbres de sa riche filmographie. Finyé, par exemple, a obtenu le Tanit d’or aux Journées cinématographique de Carthage en 1982.
Fayçal Métaoui - el watan