Un docu choc (Canal+ 22h35) basé sur l’enquête de Jean-Baptiste Rivoire “Le crime de Tibhirine, révélations sur les responsables” (La Découverte). Un document passionnant en librairie le 22 septembre.
Qui a enlevé, tué puis décapité les sept moines du monastère de Tibhirine dans l’Atlas algérien ? C’était en 1996. Le 21 mai, dit Xavier Beauvois dans Des hommes et des dieux. Non, assure Jean-Baptiste Rivoire dans l’enquête qui suit la diffusion du film. C’était plus tôt. Le 26 ou le 27 avril. Une différence de date qui prouverait que les sept hommes auraient été tués juste après les négociations que la France aurait tentées avec le GIA (Groupe islamique armé), et qui accuserait la sécurité militaire algérienne.
De nombreuses thèses se sont affrontées sur l’enlèvement puis la mort des moines. Tout le monde semble à peu près d’accord pour dire que l’idée de l’enlèvement est née dans un cerveau de l’armée algérienne. Leur mort ? C’est plus compliqué. Vengeance de certains groupes islamistes ? Erreur de l’armée algérienne pilonnant la région par hélicoptère ? Tortures jusqu’à la mort ?
Jean-Baptiste Rivoire affirme, lui, que la sécurité militaire algérienne est responsable des deux. Et, ajoute-t-il, “la France, très clairement, couvre les assassins des moines depuis quinze ans”. Une accusation longuement mûrie par le journaliste qui la développe davantage dans son livre. La thèse est en effet complexe à expliquer car personne, en France, ne souhaite s’exprimer sur le sujet. Seuls des Algériens, pour la plupart exilés politiques, parlent. “On a essayé de rencontrer tout le monde, assure Jean-Baptiste Rivoire. Je n’ai jamais autant travaillé sur une enquête. On a contacté officiellement 70 personnes qui ont eu affaire à ce dossier, en France et en Algérie. Juppé, Villepin, Pasqua, Marchiani, les responsables de la DST et la DGSE… Tout le monde a refusé de nous parler.” C’est la chape de plomb. “Quand la justice a voulu s’y intéresser en 1996, il y a eu des instructions politiques pour tout bloquer. Jacques Toubon, alors ministre de la Justice, a lui-même interdit toute enquête. Il est tout à fait exceptionnel que lorsque des Français meurent à l’étranger il n’y ait pas d’enquête ! C’est pourtant le cas avec l’Algérie.”
Il aura fallu attendre 2003, et la plainte de la famille d’une des victimes, pour que la justice ouvre une instruction. “Mais je ne sais pas pourquoi, ajoute Rivoire, l’enquête a été confiée aujuge Bruguière, l’un des magistrats les plus proches de la DST. Et, en quatre ans, il a procédé en tout et pour tout à quatre auditions…”
Autant dire que le dossier n’a guère avancé, car la DST a été suspectée depuis longtemps (en particulier par le père Armand Veilleux, qui enquête sur le sujet depuis quinze ans) d’avoir laissé faire l’enlèvement et de ne pas avoir pu empêcher les meurtres. “Bruguière est, depuis, parti faire de la politique sous la bannière de l’UMP, et un juge parfaitement intègre et honnête travaille maintenant sur ce dossier. Mais il a pour enquêteurs des gens qui appartiennent à la DCRI, l’ancienne DST, qui, depuis quinze ans, couvre systématiquement les dérapages algériens. Il y a très clairement pour moi une volonté d’enterrer l’affaire.”
Qui connaît alors la vérité ? Le document de Rivoire est passionnant, mais laisse parfois des doutes. Il fait parler Abdelkader Tigha, ancien adjudant du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), qui répète ce qu’il a déjà écrit : les services secrets algériens ont monté l’enlèvement, l’ont fait revendiquer par un GIA infiltré jusqu’au sommet par des hommes à eux pour montrer le danger islamique et obtenir un soutien plus ferme de la France.
Il interviewe également l’émir Ali Benhadjar, ancien maquisard islamiste repenti. Suspecté de plusieurs assassinats (dont ceux des douze Croates qui travaillaient sur un chantier près de Tibhirine), il accable également l’armée et ses taupes au sein du GIA et se place en protecteur des moines.
Mais apparaît aussi un nouveau “témoin” : Karim Moulai, un ex-agent de la sécurité militaire, aujourd’hui réfugié politique en Grande-Bretagne. Il charge à son tour ses anciens services et impute l’assassinat des moines à un commando militaire envoyé d’Alger par l’armée comprenant qu’elle ne maîtrisait plus rien dans un enlèvement qu’elle avait pourtant initié. Le même Karim Moulai affirmait, dans une interview au journal marocain “Libération”, quelques mois avant sa rencontre avec Rivoire, “n’avoir aucun détail” à propos du massacre de Tibhirine. “On a donc recoupé les informations qu’il donnait et il nous a paru sérieux, dit Jean-Baptiste Rivoire. On est obligé, avec chaque témoin, de s’interroger sur le risque de manipulation. Mais un travail journalistique, aussi approfondi soit-il, n’est pas une vérité judiciaire.”
En attendant que la justice fasse son travail, le journaliste, lui, n’arrête pas. “J’ai pu consulter 80 notes déclassifiées par la France, dont une, envoyée par la DST à Nicolas Sarkozy et à Claude Guéant, qui tend à discréditer les journalistes qui ont travaillé sur l’affaire Tibhirine,” dit-il.
Teleobs.nouvelobs.com - Florence Paillard
Qui a enlevé, tué puis décapité les sept moines du monastère de Tibhirine dans l’Atlas algérien ? C’était en 1996. Le 21 mai, dit Xavier Beauvois dans Des hommes et des dieux. Non, assure Jean-Baptiste Rivoire dans l’enquête qui suit la diffusion du film. C’était plus tôt. Le 26 ou le 27 avril. Une différence de date qui prouverait que les sept hommes auraient été tués juste après les négociations que la France aurait tentées avec le GIA (Groupe islamique armé), et qui accuserait la sécurité militaire algérienne.
De nombreuses thèses se sont affrontées sur l’enlèvement puis la mort des moines. Tout le monde semble à peu près d’accord pour dire que l’idée de l’enlèvement est née dans un cerveau de l’armée algérienne. Leur mort ? C’est plus compliqué. Vengeance de certains groupes islamistes ? Erreur de l’armée algérienne pilonnant la région par hélicoptère ? Tortures jusqu’à la mort ?
Jean-Baptiste Rivoire affirme, lui, que la sécurité militaire algérienne est responsable des deux. Et, ajoute-t-il, “la France, très clairement, couvre les assassins des moines depuis quinze ans”. Une accusation longuement mûrie par le journaliste qui la développe davantage dans son livre. La thèse est en effet complexe à expliquer car personne, en France, ne souhaite s’exprimer sur le sujet. Seuls des Algériens, pour la plupart exilés politiques, parlent. “On a essayé de rencontrer tout le monde, assure Jean-Baptiste Rivoire. Je n’ai jamais autant travaillé sur une enquête. On a contacté officiellement 70 personnes qui ont eu affaire à ce dossier, en France et en Algérie. Juppé, Villepin, Pasqua, Marchiani, les responsables de la DST et la DGSE… Tout le monde a refusé de nous parler.” C’est la chape de plomb. “Quand la justice a voulu s’y intéresser en 1996, il y a eu des instructions politiques pour tout bloquer. Jacques Toubon, alors ministre de la Justice, a lui-même interdit toute enquête. Il est tout à fait exceptionnel que lorsque des Français meurent à l’étranger il n’y ait pas d’enquête ! C’est pourtant le cas avec l’Algérie.”
Il aura fallu attendre 2003, et la plainte de la famille d’une des victimes, pour que la justice ouvre une instruction. “Mais je ne sais pas pourquoi, ajoute Rivoire, l’enquête a été confiée aujuge Bruguière, l’un des magistrats les plus proches de la DST. Et, en quatre ans, il a procédé en tout et pour tout à quatre auditions…”
Autant dire que le dossier n’a guère avancé, car la DST a été suspectée depuis longtemps (en particulier par le père Armand Veilleux, qui enquête sur le sujet depuis quinze ans) d’avoir laissé faire l’enlèvement et de ne pas avoir pu empêcher les meurtres. “Bruguière est, depuis, parti faire de la politique sous la bannière de l’UMP, et un juge parfaitement intègre et honnête travaille maintenant sur ce dossier. Mais il a pour enquêteurs des gens qui appartiennent à la DCRI, l’ancienne DST, qui, depuis quinze ans, couvre systématiquement les dérapages algériens. Il y a très clairement pour moi une volonté d’enterrer l’affaire.”
Qui connaît alors la vérité ? Le document de Rivoire est passionnant, mais laisse parfois des doutes. Il fait parler Abdelkader Tigha, ancien adjudant du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), qui répète ce qu’il a déjà écrit : les services secrets algériens ont monté l’enlèvement, l’ont fait revendiquer par un GIA infiltré jusqu’au sommet par des hommes à eux pour montrer le danger islamique et obtenir un soutien plus ferme de la France.
Il interviewe également l’émir Ali Benhadjar, ancien maquisard islamiste repenti. Suspecté de plusieurs assassinats (dont ceux des douze Croates qui travaillaient sur un chantier près de Tibhirine), il accable également l’armée et ses taupes au sein du GIA et se place en protecteur des moines.
Mais apparaît aussi un nouveau “témoin” : Karim Moulai, un ex-agent de la sécurité militaire, aujourd’hui réfugié politique en Grande-Bretagne. Il charge à son tour ses anciens services et impute l’assassinat des moines à un commando militaire envoyé d’Alger par l’armée comprenant qu’elle ne maîtrisait plus rien dans un enlèvement qu’elle avait pourtant initié. Le même Karim Moulai affirmait, dans une interview au journal marocain “Libération”, quelques mois avant sa rencontre avec Rivoire, “n’avoir aucun détail” à propos du massacre de Tibhirine. “On a donc recoupé les informations qu’il donnait et il nous a paru sérieux, dit Jean-Baptiste Rivoire. On est obligé, avec chaque témoin, de s’interroger sur le risque de manipulation. Mais un travail journalistique, aussi approfondi soit-il, n’est pas une vérité judiciaire.”
En attendant que la justice fasse son travail, le journaliste, lui, n’arrête pas. “J’ai pu consulter 80 notes déclassifiées par la France, dont une, envoyée par la DST à Nicolas Sarkozy et à Claude Guéant, qui tend à discréditer les journalistes qui ont travaillé sur l’affaire Tibhirine,” dit-il.
Teleobs.nouvelobs.com - Florence Paillard
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