Bruno Cremer, une force nonchalante.
Le comédien a succombé samedi au cancer contre lequel il luttait depuis de longues années. Il avait 80 ans. Il a été l'inoubliable adjudant Willsdorf de La 317e Section, de Pierre Schoendoerffer, un acteur de théâtre de premier plan et un impressionnant commissaire Maigret, œil ironique et cœur plein d'humanité, allure massive du chêne et fragilité du roseau. Bruno Crémer a un menton volontaire, un profil d'aigle, un œil bleu où brille toujours une petite flamme amusée, les dents du bonheur. Une carrure de footballeur américain qui l'impose vite, au cinéma, dans des personnages de militaire, voyou, baroudeur de tout poil. Un contre-emploi pour cet acteur à la nature nonchalante, au jeu subtil et à l'humour badin. Au parcours du combattant, Bruno Crémer préfère la rêverie dans la solitude d'un coin tranquille, les yeux perdus dans la fumée de son éternel cigare. Jouisseur, contemplatif, charmeur, il aime les femmes, la bonne chère, la sieste, un beau coucher de soleil. Le théâtre, sa véritable passion, lui offre heureusement des rôles à sa mesure, dans des *registres variés.
Et si l'acteur s'exprime volontiers sur son métier, l'homme a, par contre, le goût du secret, du mystère, de la discrétion. De sa vie privée, rien ne filtre. On sait seulement qu'il a un fils, Stéphane, écrivain, né d'un premier mariage, et deux filles, Constance et Marie-Clémentine, avec sa seconde femme, une psychiatre qu'il a épousée en 1984.
Bruno Crémer est né le 6 octobre 1929 à Saint-Mandé (Val-de-Marne), dans une famille bourgeoise de trois enfants. Son père est un homme d'affaires, sa mère musicienne et catholique pratiquante. Il a grandi à Paris dans un bel immeuble haussmannien en pierre de taille dominant la place de la Nation.
«Je suis le dernier d'une famille déjà composée que je n'aurais pas choisie, confiait-il dans Un certain jeune homme, son recueil de souvenirs paru aux Éditions de Fallois en 2000. Ma sœur était volontaire et soumise. Mon frère, beau garçon et premier de la classe. Je me sentais seul, unique, différent des autres. J'étais comme un jouet rangé dans un coin, trop difficile à manipuler, dont on aurait perdu le mode d'emploi. Dans ma petite enfance, seul mon grand-père était capable de me consoler, de me rassurer. Personne, à part lui, n'avait autorité sur moi. Mes parents le craignaient. Alors j'en abusais. Je jouais déjà la comédie, feignant la colère, la tristesse, créant des drames. À la mort de mon grand-père, je me suis retrouvé brutalement face à la réalité. J'avais quatre ans et un besoin de rêve, de fantastique, d'extravagance pour respirer. Le quotidien trop lisse m'angoissait. Je m'en échappais donc en me réfugiant dans l'imaginaire. En *restant dans ma bulle et en faisant de la résistance.»
Une rencontre déterminante
À 15 ans, au collège, Bruno Crémer découvre la volupté de jouer le rôle principal dans Somnium, une pièce en latin. «J'interprétais un fantôme, se souvient-il. J'étais enveloppé d'un drap blanc. Seule ma tête émergeait avec mes yeux bleu transparent noyés dans la brume. Je me sentais ineffable et découvrais la merveilleuse sensation d'un moment de grâce.» À 18 ans, il échoue au bac mais fait une rencontre déterminante qui donne enfin un sens à sa vie : Suzanne Nivette, pensionnaire de la Comédie-Française.
«Elle a décidé de mon avenir en me confortant dans l'idée de devenir comédien, précisait-il. Elle m'a tendu un miroir où j'apparaissais en vrai, tel que je me rêvais depuis longtemps. Comme par magie, elle a fait surgir le moi que je pouvais enfin aimer.»
1948, c'est l'immédiate après-guerre. Bruno Crémer prend des cours avec *Denis d'Inès, doyen de la Comédie-Française, Maurice Escande et Mme Dussane au Théâtre Daunou. En 1952, au Conservatoire, ses copains de promotion s'appellent Annie Girardot, Jean-Paul Belmondo, Jean Rochefort, Claude Rich, Jean-Pierre Marielle… tous promis à un bel avenir. En 1959, Jean Anouilh donne à Bruno Crémer sa première chance au théâtre. Il lui offre le premier rôle dans Becket. Il joue Shakespeare, Oscar Wilde, Supervielle. On le retrouvera encore dans de nombreuses pièces, comme, plus récemment, Après la répétition, d'Ingmar Bergman, Love Letters, de Gurney, ou encore Bent, de Martin Sherman, où il a interprété avec finesse un homosexuel dans un camp nazi.
Personnages de dur à cuire
Au cinéma, il tournera avec Allégret, Clément, Costa-Gavras, Blier, Deville, Boisset, Chéreau, Lelouch, Sautet, Niermans, Brisseau… C'est La 317 e Section, de Pierre Schoendoerffer, qui a vraiment lancé sa carrière, en 1964, le propulsant en haut de l'affiche aux côtés de Jacques Perrin. Il joue avec tant de force et de persuasion l'adjudant Wills*dorf, un archétype de l'officier désabusé, qu'il devient vite abonné aux personnages de dur à cuire, bien loin de sa véritable personnalité.
«Ce rôle m'a collé à la peau très longtemps, avouait-il. J'ai aimé le jouer sur le moment. Après, je l'ai presque regretté, tant il a limité l'éventail de propositions que l'on m'a faites par la suite.» S'il a sauté sur Kolwezi avec la Légion pour Raoul Coutard, incarné le résistant *Rol-Tanguy dans Paris brûle-t-il ? de René Clément ou l'anarchiste criminel de La Bande à Bonnot, de Philippe Fourastié, il s'est imposé aussi en père jésuite inflexible, recteur d'un collège, dans Anthracite, d'Édouard Niermans. En 2001, José Giovanni lui donne dans son film autobiographique, Mon père, le rôle-titre d'un taiseux qui sauve son fils de la guillotine. C'est une de ses plus belles prestations au cinéma. Il y apparaît dans la plénitude de son art et de sa maturité d'homme.
À la télévision, Bruno Crémer laisse le souvenir d'un Jules Maigret convaincant. L'image d'un homme serein, qui a fait le tour des choses et acquis une belle sagesse. Ce que Bruno Crémer a fini par devenir au prix d'un rude combat avec lui-même.
Le comédien a succombé samedi au cancer contre lequel il luttait depuis de longues années. Il avait 80 ans. Il a été l'inoubliable adjudant Willsdorf de La 317e Section, de Pierre Schoendoerffer, un acteur de théâtre de premier plan et un impressionnant commissaire Maigret, œil ironique et cœur plein d'humanité, allure massive du chêne et fragilité du roseau. Bruno Crémer a un menton volontaire, un profil d'aigle, un œil bleu où brille toujours une petite flamme amusée, les dents du bonheur. Une carrure de footballeur américain qui l'impose vite, au cinéma, dans des personnages de militaire, voyou, baroudeur de tout poil. Un contre-emploi pour cet acteur à la nature nonchalante, au jeu subtil et à l'humour badin. Au parcours du combattant, Bruno Crémer préfère la rêverie dans la solitude d'un coin tranquille, les yeux perdus dans la fumée de son éternel cigare. Jouisseur, contemplatif, charmeur, il aime les femmes, la bonne chère, la sieste, un beau coucher de soleil. Le théâtre, sa véritable passion, lui offre heureusement des rôles à sa mesure, dans des *registres variés.
Et si l'acteur s'exprime volontiers sur son métier, l'homme a, par contre, le goût du secret, du mystère, de la discrétion. De sa vie privée, rien ne filtre. On sait seulement qu'il a un fils, Stéphane, écrivain, né d'un premier mariage, et deux filles, Constance et Marie-Clémentine, avec sa seconde femme, une psychiatre qu'il a épousée en 1984.
Bruno Crémer est né le 6 octobre 1929 à Saint-Mandé (Val-de-Marne), dans une famille bourgeoise de trois enfants. Son père est un homme d'affaires, sa mère musicienne et catholique pratiquante. Il a grandi à Paris dans un bel immeuble haussmannien en pierre de taille dominant la place de la Nation.
«Je suis le dernier d'une famille déjà composée que je n'aurais pas choisie, confiait-il dans Un certain jeune homme, son recueil de souvenirs paru aux Éditions de Fallois en 2000. Ma sœur était volontaire et soumise. Mon frère, beau garçon et premier de la classe. Je me sentais seul, unique, différent des autres. J'étais comme un jouet rangé dans un coin, trop difficile à manipuler, dont on aurait perdu le mode d'emploi. Dans ma petite enfance, seul mon grand-père était capable de me consoler, de me rassurer. Personne, à part lui, n'avait autorité sur moi. Mes parents le craignaient. Alors j'en abusais. Je jouais déjà la comédie, feignant la colère, la tristesse, créant des drames. À la mort de mon grand-père, je me suis retrouvé brutalement face à la réalité. J'avais quatre ans et un besoin de rêve, de fantastique, d'extravagance pour respirer. Le quotidien trop lisse m'angoissait. Je m'en échappais donc en me réfugiant dans l'imaginaire. En *restant dans ma bulle et en faisant de la résistance.»
Une rencontre déterminante
À 15 ans, au collège, Bruno Crémer découvre la volupté de jouer le rôle principal dans Somnium, une pièce en latin. «J'interprétais un fantôme, se souvient-il. J'étais enveloppé d'un drap blanc. Seule ma tête émergeait avec mes yeux bleu transparent noyés dans la brume. Je me sentais ineffable et découvrais la merveilleuse sensation d'un moment de grâce.» À 18 ans, il échoue au bac mais fait une rencontre déterminante qui donne enfin un sens à sa vie : Suzanne Nivette, pensionnaire de la Comédie-Française.
«Elle a décidé de mon avenir en me confortant dans l'idée de devenir comédien, précisait-il. Elle m'a tendu un miroir où j'apparaissais en vrai, tel que je me rêvais depuis longtemps. Comme par magie, elle a fait surgir le moi que je pouvais enfin aimer.»
1948, c'est l'immédiate après-guerre. Bruno Crémer prend des cours avec *Denis d'Inès, doyen de la Comédie-Française, Maurice Escande et Mme Dussane au Théâtre Daunou. En 1952, au Conservatoire, ses copains de promotion s'appellent Annie Girardot, Jean-Paul Belmondo, Jean Rochefort, Claude Rich, Jean-Pierre Marielle… tous promis à un bel avenir. En 1959, Jean Anouilh donne à Bruno Crémer sa première chance au théâtre. Il lui offre le premier rôle dans Becket. Il joue Shakespeare, Oscar Wilde, Supervielle. On le retrouvera encore dans de nombreuses pièces, comme, plus récemment, Après la répétition, d'Ingmar Bergman, Love Letters, de Gurney, ou encore Bent, de Martin Sherman, où il a interprété avec finesse un homosexuel dans un camp nazi.
Personnages de dur à cuire
Au cinéma, il tournera avec Allégret, Clément, Costa-Gavras, Blier, Deville, Boisset, Chéreau, Lelouch, Sautet, Niermans, Brisseau… C'est La 317 e Section, de Pierre Schoendoerffer, qui a vraiment lancé sa carrière, en 1964, le propulsant en haut de l'affiche aux côtés de Jacques Perrin. Il joue avec tant de force et de persuasion l'adjudant Wills*dorf, un archétype de l'officier désabusé, qu'il devient vite abonné aux personnages de dur à cuire, bien loin de sa véritable personnalité.
«Ce rôle m'a collé à la peau très longtemps, avouait-il. J'ai aimé le jouer sur le moment. Après, je l'ai presque regretté, tant il a limité l'éventail de propositions que l'on m'a faites par la suite.» S'il a sauté sur Kolwezi avec la Légion pour Raoul Coutard, incarné le résistant *Rol-Tanguy dans Paris brûle-t-il ? de René Clément ou l'anarchiste criminel de La Bande à Bonnot, de Philippe Fourastié, il s'est imposé aussi en père jésuite inflexible, recteur d'un collège, dans Anthracite, d'Édouard Niermans. En 2001, José Giovanni lui donne dans son film autobiographique, Mon père, le rôle-titre d'un taiseux qui sauve son fils de la guillotine. C'est une de ses plus belles prestations au cinéma. Il y apparaît dans la plénitude de son art et de sa maturité d'homme.
À la télévision, Bruno Crémer laisse le souvenir d'un Jules Maigret convaincant. L'image d'un homme serein, qui a fait le tour des choses et acquis une belle sagesse. Ce que Bruno Crémer a fini par devenir au prix d'un rude combat avec lui-même.