Critique (Le Monde.fr)
Critique
"Mascarades" : fantasia au bled
LE MONDE | 09.12.08 | 16h37 • Mis à jour le 10.12.08 | 11h31
Haut et Court
Au centre, Lyes Salem qui interprète Mounir, un jardinier fanfaron.
n cortège de voitures noires aux vitres fumées vient troubler la quiétude d'un village algérien, soulevant des nuages de poussière. Cette fantasia brutale ne marque pourtant pas l'irruption de l'extérieur dans la paix campagnarde. Les spectateurs de Mascarades, le premier long métrage du cinéaste algérien établi en France Lyes Salem l'apprennent vite : à chaque grande occasion - mariage, circoncision... -, les habitants du village louent ces voitures au colonel, la grosse légume de l'endroit, pour se croire riches quelques instants.OAS_AD('Middle1'); Pour un film sur le mensonge, Mascarades annonce clairement la couleur : il ne s'agira, au long de ces 90 minutes de comédie, que de déguisements sociaux, de tromperies sur la marchandise. Cette chorégraphie burlesque s'organise autour de la figure de Mounir, un rôle que Lyes Salem s'est réservé.
Tout dépend du profil que l'on considère : on peut aussi bien prendre Mounir pour un parfait raté que pour un survivant plein de ressources. Jardinier (il préfère dire "ingénieur horticole") chez le colonel, il peine à nourrir sa femme Habiba, leur petit garçon et sa soeur Rym, une beauté narcoleptique que cette condition empêche de se marier. Pourtant Khliffa, le meilleur ami de Mounir, ne demanderait que ça, d'épouser Rym, qui elle-même est amoureuse de Khliffa (Mohamed Bouchaïb, parfait en amant lunaire). Mais ce garçon est trop pauvre aux yeux de Mounir qui rêve de grandeur.
Une incursion à la ville voisine permet au jeune patriarche et à sa famille de revenir chez eux avec pour bagage le plus gros mensonge que le village ait connu : Rym va épouser un Français richissime du nom de Van Cooten. Cette fable bouleverse la hiérarchie sociale de la communauté et les espoirs des amoureux.
SATIRE DOUCE
Ce mécanisme a fait ses preuves depuis des siècles, et Lyes Salem ne cache pas ce qu'il doit à la fois au théâtre classique et aux cinémas venus de pays qui passent à l'âge industriel : l'Italie des années 1950, l'Egypte dix ans plus tard. Ces exemples servent de boussole à Mascarades, sans empêcher le film de trouver un ton singulier, qui trouve son harmonie dans une satire douce mais efficace de la société algérienne d'aujourd'hui, comme on ne l'a pas encore vue au cinéma.
Plutôt que de fouailler là où ça fait mal, le scénario de Lyes Salem et Nathalie Saugeon se contente d'allusions à la religion (un plan sur le minaret du village, un deus ex machina en turban blanc à la fin du film) ou à la politique (on ne voit jamais le fameux colonel, mais toute une séquence est consacrée à un délit de corruption caractérisé). L'essentiel tourne autour des tribulations de Mounir, faux phallocrate qui finit toujours par se rendre aux arguments de bon sens de sa femme, plus forte et plus intelligente. Sous sa propre direction, le réalisateur dessine d'abord à gros traits son personnage de bravache englué dans ses mensonges, puis l'affine au fil des séquences, jusqu'à en faire un brave type à qui ne manque que de prendre en compte les conseils judicieux que lui prodiguent son épouse et son ami.
Le charme de Mascarades tient aussi au plaisir de l'utilisation inédite d'un décor exceptionnel. Pour les spectateurs français, ces dernières années, le bled algérien a été la toile de fond de nombreux films sur la guerre coloniale, et il y a plus que du soulagement, un peu d'euphorie, à le voir utilisé comme le milieu naturel de vies ordinaires qui échappent au poids de la tragédie pour valser au rythme de la comédie.
Mascarades de Lyes Salem.
Film franco-algérien. Avec Lyes Salem, Sarah Reguieg, Mohamed Bouchaïb. (1 h 32.)
Thomas Sotinel
L'avis du "Monde"
A VOIR
Article paru dans l'édition du 10.12.08
Critique
"Mascarades" : fantasia au bled
LE MONDE | 09.12.08 | 16h37 • Mis à jour le 10.12.08 | 11h31
Haut et Court
Au centre, Lyes Salem qui interprète Mounir, un jardinier fanfaron.
n cortège de voitures noires aux vitres fumées vient troubler la quiétude d'un village algérien, soulevant des nuages de poussière. Cette fantasia brutale ne marque pourtant pas l'irruption de l'extérieur dans la paix campagnarde. Les spectateurs de Mascarades, le premier long métrage du cinéaste algérien établi en France Lyes Salem l'apprennent vite : à chaque grande occasion - mariage, circoncision... -, les habitants du village louent ces voitures au colonel, la grosse légume de l'endroit, pour se croire riches quelques instants.OAS_AD('Middle1'); Pour un film sur le mensonge, Mascarades annonce clairement la couleur : il ne s'agira, au long de ces 90 minutes de comédie, que de déguisements sociaux, de tromperies sur la marchandise. Cette chorégraphie burlesque s'organise autour de la figure de Mounir, un rôle que Lyes Salem s'est réservé.
Tout dépend du profil que l'on considère : on peut aussi bien prendre Mounir pour un parfait raté que pour un survivant plein de ressources. Jardinier (il préfère dire "ingénieur horticole") chez le colonel, il peine à nourrir sa femme Habiba, leur petit garçon et sa soeur Rym, une beauté narcoleptique que cette condition empêche de se marier. Pourtant Khliffa, le meilleur ami de Mounir, ne demanderait que ça, d'épouser Rym, qui elle-même est amoureuse de Khliffa (Mohamed Bouchaïb, parfait en amant lunaire). Mais ce garçon est trop pauvre aux yeux de Mounir qui rêve de grandeur.
Une incursion à la ville voisine permet au jeune patriarche et à sa famille de revenir chez eux avec pour bagage le plus gros mensonge que le village ait connu : Rym va épouser un Français richissime du nom de Van Cooten. Cette fable bouleverse la hiérarchie sociale de la communauté et les espoirs des amoureux.
SATIRE DOUCE
Ce mécanisme a fait ses preuves depuis des siècles, et Lyes Salem ne cache pas ce qu'il doit à la fois au théâtre classique et aux cinémas venus de pays qui passent à l'âge industriel : l'Italie des années 1950, l'Egypte dix ans plus tard. Ces exemples servent de boussole à Mascarades, sans empêcher le film de trouver un ton singulier, qui trouve son harmonie dans une satire douce mais efficace de la société algérienne d'aujourd'hui, comme on ne l'a pas encore vue au cinéma.
Plutôt que de fouailler là où ça fait mal, le scénario de Lyes Salem et Nathalie Saugeon se contente d'allusions à la religion (un plan sur le minaret du village, un deus ex machina en turban blanc à la fin du film) ou à la politique (on ne voit jamais le fameux colonel, mais toute une séquence est consacrée à un délit de corruption caractérisé). L'essentiel tourne autour des tribulations de Mounir, faux phallocrate qui finit toujours par se rendre aux arguments de bon sens de sa femme, plus forte et plus intelligente. Sous sa propre direction, le réalisateur dessine d'abord à gros traits son personnage de bravache englué dans ses mensonges, puis l'affine au fil des séquences, jusqu'à en faire un brave type à qui ne manque que de prendre en compte les conseils judicieux que lui prodiguent son épouse et son ami.
Le charme de Mascarades tient aussi au plaisir de l'utilisation inédite d'un décor exceptionnel. Pour les spectateurs français, ces dernières années, le bled algérien a été la toile de fond de nombreux films sur la guerre coloniale, et il y a plus que du soulagement, un peu d'euphorie, à le voir utilisé comme le milieu naturel de vies ordinaires qui échappent au poids de la tragédie pour valser au rythme de la comédie.
Mascarades de Lyes Salem.
Film franco-algérien. Avec Lyes Salem, Sarah Reguieg, Mohamed Bouchaïb. (1 h 32.)
Thomas Sotinel
L'avis du "Monde"
A VOIR
Article paru dans l'édition du 10.12.08
Commentaire